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CERVEAU : L'INNÉ ET L'ACQUIS

 


L'inné et l'acquis dans la structure du cerveau texte intégral


et aussi - par Jean-Pierre Changeux dans mensuel n°99 daté mai 2000 à la page 19 (4905 mots) |
Le cerveau peut être considéré comme un ordinateur capable d'automodification, dont les relais sont constitués par les cellules nerveuses neurones et leurs connexions synapses. L'organisation des principaux relais de l' « ordinateur » est sous contrôle génétique, donc innée. Toutefois, des interactions spécifiques avec l'environnement sont nécessaires pour que la mise en place de certains relais s'accomplisse chez l'adulte. S'appuyant essentiellement sur des travaux consacrés aux animaux, J.P. Changeux analyse les résultats récents qui éclairent ce problème très complexe et qui, pour des raisons évidentes, soulèvent des discussions philosophiques et idéologiques passionnées.

Quelle part de notre comportement, de nos actes, de nos idées, de notre conscience est déterminée par le contenu chromosomique de l'oeuf fécondé dont nous sommes issus - en un mot, est innée ? Quelle part au contraire est acquise lors de l'interaction de l'individu avec son environnement immédiat : physique, social ou culturel ? Cette question a donné lieu au cours de l'histoire à des prises de position passionnées où les idées préconçues d'inspiration morale, religieuse ou philosophique l'emportaient souvent sur la stricte objectivité scientifique.

Mon propos n'est pas de trancher ce débat, mais plutôt d'essayer de définir les limites dans lesquelles il doit être tenu. Pour ce faire, je rapporterai quelques observations récentes d'anatomistes, psychobiologistes, généticiens ou neurobiologistes qui s'intéressent à la morphogenèse fonctionnelle du système nerveux central des vertébrés supérieurs. Je ne ferai qu'occasionnellement référence à l'espèce humaine, me limitant aux problèmes déjà fort complexes posés par l'organisation cérébrale de petits mammifères comme la souris. Le lecteur sera évidemment tenté d'extrapoler à l'homme les résultats obtenus chez l'animal. Cette démarche est souvent légitime, mais, en certains cas, une extrapolation hâtive risque de mener à des simplifications abusives masquant un problème fondamental plus complexe. Rappelons toutefois, comme l'écrivait Buffon, que « s'il n'existait pas d'animaux, la nature de l'homme serait encore plus incompréhensible ».

Avant d'en venir à la description des faits d'actualité, il n'est pas inutile d'évoquer le point de vue d'un grand naturaliste du siècle « philosophique », Jean-Baptiste de Lamarck. Dans le tome second de sa Philosophie zoologique 1809, tome consacré presque exclusivement à des questions de neurobiologie et de psychologie, il tente une première conciliation rationnelle entre les données scientifiques et les idées philosophiques de son époque. Il écrit : « Il appartient principalement au zoologiste qui s'est appliqué à l'étude des phénomènes organiques de rechercher ce que sont les idées, comment elles se produisent, comment elles se conservent [...] Je suis persuadé que tous les actes d'Intelligence sont des phénomènes naturels et, par conséquent, que ces actes prennent leur source dans des causes uniquement physiques. [...] On ne saurait douter maintenant que les actes d'intelligence ne soient uniquement des faits d'organisation, puisque, dans l'homme même, qui tient de si près aux animaux par la sienne, il est reconnu que des dérangements dans les organes qui produisent ces actes en entraînent dans la production des actes dont il s'agit, et dans la nature même de leurs résultats ». Ces faits d'organisation, Lamarck ne les conçoit pas de façon statique. Introduisant une distinction capitale, il ajoute en effet : « On peut, sans doute, apporter en naissant les dispositions particulières pour des penchants que les parents transmettent par l'organisation, mais, certes, si l'on n'eût pas exercé fortement et habituellement les facultés que ces dispositions favorisent, l'organe particulier qui en exécute les actes ne se serait pas développé ». Depuis le début du XIXe siècle, d'immenses progrès ont été accomplis dans une discipline dont le fondateur de la « biologie » avait saisi la richesse ; mais, aujourd'hui encore, ces vues de Lamarck sont vivantes par leur lucidité presque prophétique. On sait maintenant que l' « organisation » dont parle Lamarck est constituée par un ensemble complexe de milliards de cellules nerveuses, ou neurones, en contact les unes avec les autres par leurs prolongements axoniques ou dendritiques. Comme l'exprime avec beaucoup d'exactitude J.Z. Young dans son livre A model of the brain : « Le cerveau constitue une sorte d'ordinateur qui donne des ordres qui sont eux-mêmes traduits en actes et permettent à l'organisme de survivre, comme un « homéostat », dans un environnement particulier. Cet ordinateur est de type analogique, et non pas digital, en ce sens qu'il est lui-même une représentation physique du monde extérieur perçu par les organes des sens. La machine analogique du cerveau est présélectionnée pour effectuer des opérations avec l'environnement de l'organisme [...]. Sa construction s'effectue en partie ou largement par l'hérédité, mais l'apprentissage peut influencer cette construction. Le cerveau est donc un ordinateur capable de s'automodifier ».

Les faits que je vais rapporter maintenant montrent comment l'essentiel de l'anatomie fonctionnelle de « l'ordinateur » du cerveau et certains traits fondamentaux du comportement des animaux supérieurs, en particulier l'aptitude à l'apprentissage, sont très largement sous contrôle génétique. Mais Il sera montré aussi comment l'établissement définitif de cette organisation, ainsi que l'acquisition de plusieurs traits essentiels du comportement adulte, nécessite une interaction obligatoire avec le milieu environnant.

Les Anciens avaient déjà remarqué l'existence de monstres animaux ou humains portant des anomalies congénitales de l'organisation du cerveau ; ces monstruosités étaient souvent considérées comme héréditaires. Depuis Isidore Geoffroy Saint-Hilaire jusqu'à nos jours, la tératologie ou science des monstres s'est considérablement développée et a montré que l'organisation cérébrale, comme celle de tout autre organe, peut être perturbée à la suite de mutations transmissibles par l'hérédité. Une étude systématique de ces mutations a été réalisée récemment sur l'animal. Sidman et son groupe de l'Ecole de médecine de Harvard ont, au cours des cinq dernières années, répertorié plus de 90 souches différentes de souris présentant des lésions anatomiques du cerveau. Ces lésions apparaissent spontanément dans les populations de souris et sont transmissibles d'une génération à l'autre comme des caractères mendéliens monogéniques. Ce sont donc de simples mutations géniques.

Les mutations les plus intéressantes, que je discuterai avec plus de détails, portent en particulier sur la structure du cervelet. Sur la figure 1 sont représentés les encéphales de souris normale et du mutant swaying ou « balançant ». Ce cervelet du mutant swaying présente clairement une importante malformation. Certaines parties du lobe médian ou vermis manquent, les lobes postérieurs de celui-ci sont déplacés vers l'avant. Les relations entre la substance grise et la substance blanche sont elles aussi aberrantes, mais leur histologie fine reste normale. La mutation swaying porte donc sur l'anatomie macroscopique, sur la forme du cervelet. Le simple fait que des mutants de ce type existent démontre que la forme du cervelet, comme de celle du cerveau d'ailleurs, est sous contrôle génétique. Dans son lot de souris mutantes, Sidman a identifié des souches chez lesquelles c'est l'anatomie microscopique du cortex cérébelleux qui est principalement perturbée. Les perturbations les plus remarquables concernent le nombre et la disposition relative des deux classes de neurones principaux du cortex cérébelleux - les cellules de Purkinje , neurones moteurs aux gigantesques arborisations dendritiques, et les grains , neurones intermédiaires entre les fibres sensorielles afférentes et les cellules de Purkinje. Ces cellules interviennent dans le contrôle du mouvement et de l'attitude de l'animal. Les grains reçoivent des signaux de l'oreille interne et des muscles et les transmettent aux cellules de Purkinje. Celles-ci les intègrent et donnent des ordres à d'autres neurones et indirectement vont contrôler l'activité des neurones moteurs.

Chez l'adulte les cellules de Purkinje forment une couche qui est superficielle par rapport à la couche des grains. Cette disposition n'est acquise que secondairement au cours de l'embryogenèse. Au treizième jour de la vie embryonnaire, les cellules ont en effet une disposition inverse - les précurseurs des grains sont plus superficiels que les cellules de Purkinje. Du treizième jour de la vie embryonnaire au quatorzième jour après la naissance s'effectue une migration en profondeur des précurseurs des grains, qui arrivent au niveau des cellules de Purkinje puis les dépassent pour constituer la couche des grains de l'adulte. Le mécanisme de ce tropisme embryonnaire n'est pas connu, mais des mutants sur les diverses étapes de cette maturation structurale existent.

Chez le mutant weaver ou « titubant », la migration n'a pas lieu : les précurseurs. des grains meurent à la périphérie, avant de migrer. Chez le mutant staggerer ou « hésitant », la migration a lieu mais les grains meurent au cours de la troisième semaine qui suit la naissance, après avoir migré. Dans I'un et l'autre cas, il en résulte chez l'adulte un déficit en grains.

Un des mutants les plus remarquables de Sidman est le mutant reeler ou « étourdi ». Le nombre des grains est normal, mais leur disposition chez l'adulte ressemble à celle de l'embryon de 14 jours ; les cellules granulaires restent en surface : la migration est bloquée par la mutation. En étudiant les propriétés des cellules du cortex de souris normales et mutantes en culture, Sidman a pu identifier la cible de la mutation : la migration met en oeuvre une reconnaissance spécifique des surfaces cellulaires, et cette reconnaissance est modifiée par la mutation.

Ces quelques exemples Illustrent clairement que l'essentiel de l'anatomie microscopique comme de l'anatomie macroscopique du cervelet et cela est généralisable à l'ensemble du cerveau est sous contrôle génétique. Le nombre, la nature, la position et les principales connexions des cellules du réseau nerveux résultent de l'expression séquentielle d'un programme génétique qui se déroule, d'une manière autonome, au cours de la vie embryonnaire. Cette expression, nous le verrons plus loin, peut, chez certaines espèces, se poursuivre pendant les premiers jours, mois ou même années qui suivent la naissance.

Comme on pouvait s'y attendre, les lésions anatomiques des mutants de Sidman s'accompagnent de troubles graves de la motricité, de l'attitude ou du tonus musculaire, fonctions qui sont sous la commande, du cortex cérébelleux principalement touché par les mutations étudiées. Mais des mutations peuvent aussi modifier des fonctions à la fois plus complexes et plus subtiles que le comportement d'attitude. Il est démontré par l'étude de vrais jumeaux que la schizophrénie est une maladie héréditaire qui, selon toute vraisemblance, est causée chez l'homme par la mutation dominante d'un gène chromosomique. De même certaines formes pathologiques d'agressivité sont associées à la présence d'un chromosome sexuel surnuméraire : la fréquence d'une telle aberration chromosomique est multipliée environ par un facteur neuf lorsque l'on passe d'une population normale à une population d'aliénés d'un hôpital psychiatrique. Mais, là encore, une étude systématique et rigoureuse de ce problème chez l'homme est difficile et se heurte très vite à des questions d'éthique sociale. Je me référerai donc au travail effectué sur la souris par Bovet et son groupe à l'université de Californie, à Los Angeles, et à l'université de Sassari, en Sardaigne. Ces études portent sur le déterminisme génétique d'une fonction très évoluée du comportement de la souris : l'aptitude à l'apprentissage.

Bovet mesure le comportement de fuite de la souris, face à l'éventualité d'un choc électrique. Il utilise pour cela des boîtes à deux compartiments, dont l'un contient une ampoule électrique. La souris est d'abord mise dans ce compartiment, puis la lampe s'allume. Cinq secondes après, une décharge électrique est envoyée par le grillage du fond de la boîte. L'animal « naïf », non conditionné, reçoit le choc électrique et fuit après coup dans l'autre compartiment. Après plusieurs dizaines d'expériences de ce genre, l'animal apprend à fuir dans l'autre compartiment dès que la lampe s'allume : avant de recevoir le choc. En mesurant le pourcentage de réussites de l'animal à éviter le choc électrique, il devient possible d'estimer quantitativement les capacités d'apprentissage, Ies « dons », de chaque souris. Premier résultat : dans une population hétérogène de souris, cette capacité varie d'un Individu à l'autre. Si l'on prend maintenant une souris donnant de bons résultats et qu'on la croise avec une souris également douée, on constate que leurs descendants eux aussi donnent de bons résultats. Après plusieurs générations successives suivies de sélection, on isole à partir d'une population hétérogène des lignées de souris qui possèdent des capacités à apprendre le comportement de fuite extrêmement différentes. Certaines apprennent très vite ; d'autres n'apprennent que très lentement ou pas du tout ; d'autres enfin sont des sujets moyens. Autre fait important mis en évidence par Bovet, les souris « douées » qui apprennent rapidement à fuir le choc électrique sont aussi les plus douées pour d'autres tests très différents, consistant par exemple à se retrouver dans un labyrinthe. Dans chacun de ces deux tests sont mis en jeu des mécanismes sensoriels différents, mais le résultat est le même. C'est donc bien la capacité et la rapidité à apprendre qui sont, sans équivoque, soumises au contrôle génétique.

Dans le même contexte, Bovet et ses collaborateurs ont entrepris de distinguer entre le comportement d'apprentissage, tel que celui dont nous venons de parler, et le comportement émotionnel. Une réaction émotive très typique chez la souris est le comportement d'effroi freezing behaviour : face à un événement inattendu, l'animal arrête tous ses mouvements, paralysé de frayeur.

Certaines lignées de souris possèdent le comportement d'effroi, d'autres moins, d'autres pas du tout. Il y a donc là encore un déterminisme génétique de ce comportement, mais il n'existe aucune corrélation apparente entre la faculté de réussir le test d'apprentissage et la possession du comportement d'effroi. Les souris émotives ne sont pas nécessairement les plus douées, et réciproquement. Les déterminations génétiques de ces deux types de comportement sont donc différentes. Mais il est important de noter que l'émotivité de l'adulte est influencée, pour une grande part, par l'environnement maternel dans lequel a été placé le souriceau. Ce résultat est dû en particulier aux travaux de Ressler et Reading.

Mettons un souriceau d'une souche « douée » en nourrice auprès d'une femelle étrangère d'une autre souche, « douée » ou non. Le souriceau donnera un adulte dont les aptitudes à l'apprentissage seront les mêmes que celles de ses véritables parents. En revanche, son émotivité aura été modifiée par sa mise en nourrice. Les souris élevées par une mère étrangère seront plus émotives que les souris élevées par leur mère naturelle, que leur nourrice soit d'une souche « douée » ou pas, qu'elle soit émotive ou qu'elle ne le soit pas.

Ces résultats sont particulièrement instructifs. lis montrent que certains traits du comportement, comme par exemple l'aptitude à l'apprentissage, sont intégralement innés, programmés dès l'oeuf. Il en existe d'autres, au contraire, comme l'émotivité, dont la différenciation est étroitement conditionnée par l'environnement et qui se fixent chez les vertébrés supérieurs au cours d'une période de maturation qui suit la naissance. Le cas de l'homme n'est évidemment pas aussi simple que celui des souris, et il serait dangereux d'assimiler sans nuances l'« intelligence » à la capacité d'apprentissage ; de même il sera souvent difficile de différencier aussi radicalement l'émotivité de l'intelligence. Toutefois, il reste très vraisemblable qu'une sorte d' « enveloppe génétique » limite chez l'homme tant la vitesse que la capacité à apprendre, et que l'émotivité de l'adulte est largement conditionnée par l'environnement familial ou social de l'enfant.

Comme le souligne J.Z. Young, les oiseaux dont les jeunes ne restent que peu de temps au nid, les nidifuges, donnent des adultes dont le comportement est beaucoup plus élémentaire que celui des nidicoles, dont les jeunes sont patiemment et longuement soignés dans le nid construit par leurs parents. Chez ces derniers s'accomplit, après la naissance, une lente maturation de certaines régions du cerveau. Cette période de maturation post-natale devient en fait la règle chez les vertébrés les plus évolués, les mammifères et l'homme. C'est ainsi, par exemple, que le cerveau du rat s'accroît de 5,8 fois son poids après la naissance. Le poids moyen du cerveau chez le raton nouveau-né est de 0,33 g ; 20 jours après la naissance, il est de 1,26 g ; le poids maximum de 1,9 g n'est atteint qu'après 200 jours. L'accroissement de poids est de 2,9 fois chez l'homme, et il se prolonge très tardivement ; mais il n'est que de 0,6 fois chez le cochon d'Inde, qui naît avec un cerveau presque mature. Au cours de cette période de maturation, d'importants changements de structure ont lieu. J'ai déjà signalé, à propos des mutants de Sidman, la migration en profondeur des grains du cervelet qui a lieu durant cette période. Un autre phénomène spectaculaire est le remarquable accroissement du nombre des connexions entre neurones corticaux. Pendant cette période, certaines connexions, comme l'a montré Ramon y Cayal, dégénèrent aussi.

Mais une des caractéristiques essentielles de cette phase de maturation post-natale est l'extrême sensibilité de l'organisation du cortex aux conditions de l'environnement physique, social ou même « culturel » dans lequel le jeune est élevé.

Un des systèmes les mieux étudié de ce point de vue est l'aire striée du cortex visuel des mammifères supérieurs. Cette aire corticale constitue le centre de réception des signaux visuels le plus « supérieur » du cerveau : y aboutissent les terminaisons nerveuses de neurones présents dans un lobe inférieur du cerveau les corps genouillés, qui sont eux-mêmes connectés avec les terminaisons venant directement de la rétine par le nerf optique. Au niveau de l'aire striée s'établissent des contacts avec des neurones qui envoient leurs ordres à d'autres aires corticales.

Wiesel et Hubel ont étudié avec beaucoup de soin l'effet de la privation de lumière sur le fonctionnement de l'aire striée chez le chat. D'abord, si l'on rend aveugle un chat adulte par suture des paupières pendant plusieurs mois, aucune lésion durable du cortex visuel n'est observée. En revanche, si la même expérience est effectuée chez le chaton, immédiatement après sa naissance, le résultat est différent. La privation de lumière d'un oeil pendant ses trois premiers mois de vie rend l'animal aveugle de cet oeil. Il ne récupérera pas la vue ultérieurement : la lésion est irréversible. L'un des points essentiels de l'étude de Wiesel et Hubel a été de montrer que, à la naissance, les principales connexions des voies visuelles sont établies : des signaux lumineux envoyés sur la rétine du nouveau-né donnent lieu à des potentiels électriques évoqués sur l'aire striée. L'animal voit à sa naissance. Cette aptitude à voir est donc entièrement innée et s'est établie d'une manière autonome au cours de l'embryogenèse. La privation de lumière entraîne une perte de fonctions « innées » et cette perte de fonctions est constatée tant au niveau du cortex qu'à celui des corps genouillés ou même de la rétine.

Un aspect particulièrement séduisant des études physiologiques de Wiesel et Hubel est qu'elles sont très largement corroborées par les études structurales : Valverde, de l'institut Cajal de Madrid, en suivant avec beaucoup de précision le développement du cortex visuel du souriceau, a pu montrer que des structures de détail de certains neurones corticaux - les épines dendritiques - étaient sous le contrôle de la lumière. Ces épines, identifiées pour la première fois par Ramon y Cajal dès 1891, sont de petits prolongements mesurant de 1 à 3 µm qui hérissent par milliers les dendrites montants des neurones pyramidaux du cortex cérébral. Chacune représente une zone de contact synaptique avec une terminaison d'un neurone intermédiaire qui, lui-même, reçoit les signaux visuels venus des corps genouillés. Premier fait important : la densité des épines dendritiques s'accroît environ d'un facteur 10 au cours des premières semaines de la vie du souriceau. Deuxième fait important : Valverde et ses collaborateurs ont démontré que cet accroissement est considérablement réduit lorsque les souriceaux sont élevés en l'absence de lumière. Au 19e jour après la naissance, cette réduction est de plus de 30 %.

Au cours de la phase de maturation post-natale, les ramifications les plus fines du réseau cortical semblent donc présenter une remarquable plasticité, plasticité qui se perd chez l'adulte. En l'absence de stimuli venus de l'environnement physique, les connexions nerveuses dégénèrent, et cette dégénérescence est irréversible. Le fonctionnement des récepteurs sensoriels et des neurones qui y sont associés est donc indispensable au maintien et à la permanence de structures programmées dès l'oeuf.

Arrivé à cette conclusion importante, on se demande si le fonctionnement peut faire plus : développer certaines structures cérébrales « au-delà » de ce que le programme génétique de l'individu propose dans un environnement « normal ». De nombreux faits de psychologie expérimentale démontrent que l'éducation du jeune a des effets spectaculaires sur le comportement de l'adulte, mais les données structurales sont encore très limitées. Rosenzweig et ses collaborateurs de l'université de Californie, à Berkeley, affirment que le poids, humide ou sec, du cerveau de rats élevés dans un environnement « enrichi » c'est-à-dire en présence d'un grand nombre de machines, jeux, labyrinthes avec lesquels ils puissent s'exercer est supérieur à celui de rats élevés dans un environnement normal. Holloway a rapporté des résultats préliminaires suivant lesquels, chez ces rats, il y aurait même accroissement du nombre de ramifications dendritiques de certains neurones du cortex visuel. Enfin Shapiro et Vukovitch ont présenté récemment quelques données relatives au développement des épines dendritiques du cortex de ratons soumis à un environnement particulièrement « enrichi ».

Les ratons, pendant les huit jours qui suivent la naissance, et cela trois à cinq fois par jour pendant 20 à 30 minutes, sont soumis à un environnement particulièrement « riche » : secousses sur un agitateur mécanique, succession de bains chauds et froids, bruits, flashes lumineux, chocs électriques. Après huit jours de ce traitement on constate que les ratons de neuf jours présentent 30 % de plus d'épines dendritiques dans leur cortex que les animaux de référence élevés dans des conditions de calme normal. On ne sait pas encore si les adultes obtenus après de tels traitements ont plus de connexions que les animaux de référence. Il est clair, cependant, que pendant la période de maturation post-natale la différenciation des structures corticales est soumise à un contrôle effectif par l'environnement physique du jeune et il est très vraisemblable que la capacité de certains neurones à établir des connexions avec d'autres neurones, à les maintenir, et même à les accroître, est couplée étroitement avec leur activité électrique, avec les signaux qu'ils reçoivent et ceux qu'ils donnent. Principe qui avait déjà été reconnu par Marinesco dès 1892 et fut repris par Ramon y Cajal dans son célèbre traité d'histologie.

Si ce principe de corrélation structure-fonction est général, pourquoi ne pas l'étendre aux périodes du développement qui précèdent la naissance ? L'embryon a une activité musculaire et nerveuse ; très tôt des mouvements apparaissent ; il se déplace, il entend. Il ne vit pas isolé dans le sein de sa mère ou dans l'oeuf, mais établit des contacts sensoriels avec son environnement, qui a un caractère très particulier, il est vrai. Ces contacts sont-ils indispensables à la morphogenèse normale de ses centres nerveux ? Drachman, en injectant des doses convenables de toxine botulinique ou de strychnine au foetus de poulet in ovo , arrive à bloquer les mouvements de l'embryon sans le tuer. Il constate que cette paralysie a pour conséquence une profonde atrophie des muscles bloqués et des centres nerveux qui y correspondent. Les mouvements de l'embryon semblent indispensables à la morphogénèse normale de son système nerveux et de ses muscles.

L'interaction avec l'environnement commence donc très tôt, et certaines étapes critiques du développement du système nerveux semblent même nécessiter une telle interaction : le déroulement normal du programme génétique implique donc un échange nécessaire de signaux avec le monde extérieur. Dans le cas des voies visuelles et auditives, cette interaction est très élémentaire et fruste, strictement « physique » ; dans le cas de l'acquisition du comportement émotionnel ou du langage, elle est beaucoup plus évoluée et spécialisée, très largement conditionnée par l'environnement social et culturel.

L'exercice des fonctions cérébrales est donc nécessaire, au moins durant une période critique du développement, à la mise en place et au maintien de certaines structures corticales. Il apparaît que, à l'état de veille, le cerveau n'effectue pas toutes les opérations qu'il peut effectuer. Pour maintenir l'intégrité des aires et circuits qui n'ont pas été stimulés pendant la veille, on peut penser qu'il faut une sorte d'entretien fonctionnel. En l'absence de celui-ci, une dégénérescence risquerait de se produire. C'est peut-être pour suppléer à cette carence que les centres du « rêve » ou sommeil paradoxal ont été sélectionnés par l'évolution. Ces centres feraient fonctionner, mais d'une manière anarchique, les circuits non utilisés pendant la veille et, par là, les stabiliseraient. Fait important, en parfait accord avec cette idée, le foetus avancé chez qui le cerveau se structure « rêve », plus même que l'adulte - et le maximum de rêve correspond à la période de maturation qui suit immédiatement la naissance.

A l'exception d'une mince frange structurale constituée par les arborisations terminales de certains neurones corticaux, la mise en place de l'organisation cérébrale résulte de l'expression séquentielle, de l'oeuf à l'adulte, d'un programme génétique parfaitement déterminé. Il est clair que, dans un certain nombre de cas bien établis, une interaction avec l'environnement est nécessaire au déroulement de ce programme, mais il est non moins clair que ce programme a été sélectionné compte tenu de cette interaction. Certains comportements élémentaires sont programmés dès l'oeuf et feront l'objet d'un « exercice fonctionnel » qui les stabilisera ; mais ils n'ont pas à être appris. Ils sont innés ou instinctifs. C'est le cas de la construction du nid chez les oiseaux, du comportement sexuel, de certaines formes d'agressivité, etc. Nous avons même vu que l'aptitude à apprendre est, chez la souris, conditionnée pari, des facteurs héréditaires. Placées dans le même environnement, les souris nées « intelligentes » apprendront plus vite que celles nées moins intelligentes.

Toutefois, on ne saurait trop insister sur le fait que si la capacité à apprendre est génétiquement programmée, les « réussites » de l'apprentissage ne s'inscrivent pas immédiatement dans le programme de leurs auteurs. En aucun cas, ce qui a été appris chez l'adulte n'est transmissible directement par l'hérédité. On trouvera une excellente discussion de ce problème par A. Weismann dans ses Réflexions sur la musique chez les animaux et chez l'homme En revanche, la réussite de l'apprentissage peut indirectement, par le jeu des mutations et de la sélection, entraîner une modification du programme génétique. Par exemple la capacité d'apprentissage présente une valeur sélective considérable pour l'animal qui la possède : dans une population, hétérogène de souris, les mutants capables d'apprendre à fuir plus vite que leurs congénères ont plus de chances d'échapper à leurs prédateurs, et donc de survivre. « Il n'y a aucune difficulté à admettre , écrit Darwin dans l'Evolution des espèces, que la sélection naturelle puisse conserver et accumuler constamment les variations de l'instinct aussi longtemps qu'elles sont profitables aux individus. »

Cet élargissement, par mutations, de la capacité d'apprendre se poursuit jusqu'à l'homme. « L'adaptabilité « infinie » du cerveau de l'homme lui confère une valeur sélective exceptionnelle », écrit Haeckel dans son Histoire de la création naturelle . Cette adaptation s'effectue, comme le souligne J.Z. Young, beaucoup plus rapidement que par l'entremise du système génétique. Ce qui semble donc très caractéristique des vertébrés supérieurs, c'est précisément la propriété d'échapper au déterminisme génétique absolu menant aux comportements stéréotypés du type de ceux décrits par l'excellent zoologue K. Lorenz ; c'est la propriété de posséder à la naissance certaines structures cérébrales non déterminées qui, par la suite, sont spécifiées par une rencontre le plus souvent imposée, parfois fortuite, avec l'environnement physique, social ou culturel. Mais, comme le suggèrent les expériences chez les souris, cette adaptabilité n'est pas « infinie », même chez l'homme, contrairement à ce qu'écrit Haeckel. Les limites de cette adaptabilité phénotypique sont, je l'ai déjà dit, déterminées génétiquement.

La nature des modifications biochimiques associées avec le comportement d'apprentissage est encore fort mal connue. J'ai signalé l'accroissement des épines dendritiques chez le jeune rat soumis à un environnement « riche ». Mais on ne sait pratiquement rien des mécanismes intervenant chez l'adulte lors d'un apprentissage particulier. Il n'est même pas certain qu'un accroissement du nombre de synapses soit nécessaire. La modification de synapses existantes pourrait suffire, et il a été suggéré que les modifications de ce genre seraient très discrètes : des changements conformationnels au niveau de membranes synaptiques par exemple.

Une des manières d'accroître l'interaction structurante avec l'environnement afin de spécifier des synapses non déterminées est, nous I'avons vu, de prolonger la maturation du cerveau après la naissance. Une autre est le maintien chez l'adulte d'une plasticité fonctionnelle permettant l'adaptation d'une structure donnée à une fonction différente mais en général voisine de celle pour laquelle elle a été programmée génétiquement, donc sélectionnée, au cours de l'évolution. Il se produirait en quelque sorte un « transfert » de fonction : les résultats spectaculaires des « rééducations » obtenues après des lésions graves du système nerveux ou des organes des sens montrent que cette plasticité du cerveau de l'adulte est réelle, bien qu'elle soit limitée et inférieure à celle du sujet jeune.

Cette capacité à apprendre, cette plasticité fonctionnelle confèrent à l'homme sa valeur sélective exceptionnelle. Elles lui permettent de tirer profit, en s'y adaptant très rapidement, de l'environnement culturel et social qui de son côté évolue et progresse avec une vitesse beaucoup plus grande que ses structures génétiques. Il est alors légitime de se demander si, compte tenu de ce progrès accéléré, les limites de l'adaptabilité du cerveau humain fixées par l'hérédité ne s'avéreront pas dans quelques années insuffisantes. En fait, il n'est pas impensable que l'homme lui-même compense cette dysharmonie et « élargisse » artificiellement ces limites : par exemple, en enrichissant l'environnement de l'enfant ou en contrôlant l'expression des gènes, peut-être au niveau de certains relais hormonaux. On sait déjà l'importance des hormones sexuelles ou thyroïdiennes dans l'établissement de certains comportements et dans la différenciation d'importantes structures cérébrales. Pourquoi ne pas imaginer qu'à l'aide d'effecteurs chimiques bien choisis et d'un environnement adéquat on obtienne prochainement ne serait-ce qu'un doublement du nombre des épines dendritiques du cortex de l'homme ?

Par Jean-Pierre Changeux

 

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ORIGINE DES NEURONES CHEZ L'ADULTE

 


NEURONES À VOLONTÉ
Les origines des neurones chez l'adulte


neurones à volonté - par Alfonso Represa et Yvan Arsenijevic dans mensuel n°329 daté mars 2000 à la page 35 (1926 mots) | Gratuit
La découverte chez l'adulte, en 1992, de cellules souches capables de donner naissance à des neurones dans le cerveau adulte a suscité d'immenses espoirs. Leur utilisation pour soigner le cerveau reste encore tributaire de notre compréhension de leur biologie intime.

Les intestins, le foie, les os, le sang et de nombreux autres organes se renouvellent sans cesse. Une génération continue permet ainsi de remplacer les cellules défaillantes ou endommagées. On considérait encore récemment que le cerveau faisait exception à ce schéma. Il apparaît que ce n'est pas le cas, du moins pas complètement, puisqu'une neurogenèse a été mise en évidence chez plusieurs mammifères adultes voir l'article de H. Cameron p. 29. Quelle est l'origine de ces nouvelles cellules ? A l'instar de tous les autres tissus et du cerveau en développement, sont-elles produites par des cellules génitrices, dites « souches » ?

On connaissait depuis longtemps la présence de telles cellules dans le tissu nerveux de l'embryon ou du nouveau-né. Elles sont responsables de la genèse de la quasi-totalité des cellules du cerveau, à la seule exception des cellules microgliales. Capables, donc, de générer les quantités prodigieuses plusieurs milliards de cellules nerveuses et gliales*, on pensait que ces cellules souches cérébrales disparaissaient définitivement du cerveau chez l'adulte. En 1992, Brent Reynolds et Sam Weiss à l'université de Calgary Canada ont publié un article qui ébranla profondément cette idée. Ils ont réussi à isoler dans le cerveau de souris adultes des cellules qui, en culture, donnent naissance à d'autres neurones1. Cette découverte des cellules souches du système nerveux central chez l'adulte engendra une série de recherches extrêmement fructueuses.

Les premiers travaux ont visé à démontrer qu'il s'agissait bien de cellules souches. En effet, si le terme peut se décliner pour tous les tissus - on parle de cellules souches sanguines, de cellules souches osseuses, etc., la définition comprend trois points précis, qu'il s'agissait de vérifier. Les cellules souches doivent tout d'abord être multipotentes, c'est-à-dire pouvoir donner naissance aux principaux types cellulaires du système nerveux : les neurones et les cellules de soutien que sont les cellules gliales astrocytes et oligodendrocytes. Cette propriété a été montrée à partir de cellules souches du cerveau isolées in vitro , et par certaines études in vivo . Cependant, les neurones sont tellement différents les uns des autres qu'un consensus fait défaut quant à savoir si les cellules souches peuvent donner naissance à chacun d'entre eux. Les cellules doivent aussi posséder une capacité de renouvellement et d'expansion de leur population. On l'a montré in vitro chez la souris : la multiplication des cellules souches peut ainsi s'effectuer sur une période équivalente ou supérieure à la durée de la vie de l'animal. Enfin, elles doivent être capables de régénérer des tissus en cas de lésion ou de maladie chez l'adulte. C'est cette dernière propriété qui, si elle venait à être confirmée, conférerait aux cellules souches un intérêt thérapeutique considérable.

De nombreuses questions restent ouvertes. Ainsi, comment expliquer que la localisation des cellules souches chez l'adulte ne coïncide pas parfois avec les zones de neurogenèse ? Chez l'embryon des rongeurs, toutes les grandes régions cérébrales étudiées contiennent des cellules souches, mais, dans le cerveau de l'adulte, elles ne sont plus présentes qu'autour des ventricules* y compris l'hippocampe et, dans la moelle épinière, le long du canal épendymaire* photo ci-contre. Très récemment, des cellules génitrices des neurones ont été décelées dans le cortex et le nerf optique, mais leur nature reste mal définie2,3 . Curieusement, les seules régions du cerveau dans lesquelles a été observée une neurogenèse sont autres : il s'agit du bulbe olfactif, du cortex et de l'hippocampe. Dans le premier cas, les nouveaux neurones proviennent de cellules souches qui, originaires de la zone ventriculaire, ont migré jusque-là. Mais dans le second, l'origine des neurones reste à démontrer. Plus curieusement encore, aucun renouvellement neuronal n'a été observé dans la moelle malgré la présence avérée de cellules souches. Dans cette région, les cellules souches semblent être responsables de genèse exclusive des cellules gliales.

La disparition des cellules souches de la quasi-totalité du cerveau est difficile à expliquer. Dans une première hypothèse, les cellules souches sont considérées comme un vestige plus ou moins désuet et inutile, appelé éventuellement à disparaître au cours de la maturation. Dans une seconde hypothèse, les cellules souches disparaîtraient parce qu'une neurogenèse chez l'adulte serait néfaste au fonctionnement cérébral, sauf dans quelques régions voir l'article de Heather Cameron, p. 29. Seul un nombre limité de cellules souches serait nécessaire pour cette tâche.

Le rôle des cellules souches dans le cerveau adulte reste tout aussi énigmatique que leur localisation. En général, elles participent à la reconstruction d'un organe lors d'une lésion. Ainsi, lorsque la peau a subi une blessure, elles donnent naissance aux cellules qui permettront la cicatrisation. Mais dans le cerveau, il n'existe aucun indice que les cellules souches contribuent à la réparation du tissu nerveux. Une lésion cérébrale est ainsi généralement associée à une perte irrécupérable des neurones avec, selon les cas, une perte fonctionnelle. In vivo, les cellules souches ne semblent donc pas capables de générer de nouveaux neurones après une lésion. Elles peuvent pourtant se régénérer elles-mêmes, dans le cas où une partie de leur population est détruite, par exemple lors d'une irradiation expérimentale des animaux. Elles seraient également à l'origine des cellules gliales, qui permettent la reconstitution de la myéline des axones et des astrocytes qui sont générés après une lésion. Mais cette prolifération astrocytaire, qui forme ce qui est appelé la « cicatrice gliale », pourrait aussi, paradoxalement, empêcher dans certaines conditions la repousse des neurones, et donc avoir une action inhibitrice sur la régénération. Prévenir la naissance de ces cellules pourrait faciliter la régénération, une hypothèse à l'étude dans plusieurs laboratoires.

Quels sont les facteurs environnementaux expliquant ces capacités de régénération si différentes in vitro et in vivo ? Le développement du cerveau pendant l'embryogenèse et juste après la naissance sert de modèle d'étude pour comprendre le rôle des gènes, des facteurs diffusibles hormones, facteurs de croissance ou des contacts entre cellules dans la différenciation cellulaire. Les interactions sont complexes, et un même facteur peut ainsi avoir un effet différent selon son contexte. Par exemple, le facteur sonic hedgehog induit dans la moelle épinière la formation des motoneurones les neurones qui innervent les muscles striés ; dans le cerveau, il induit celle de neurones dopaminergiques. Les facteurs qui contrôlent la neurogenèse régulent aussi le développement des cellules souches chez l'adulte et, par exemple, la transformation de précurseurs soit en neurones, soit en oligodendrocytes. Ils induisent également la synthèse de tel ou tel neurotransmetteur.

La manipulation in vitro des cellules souches nerveuses par des facteurs diffusibles permet d'étudier et de contrôler partiellement cette différenciation. La greffe des cellules souches dans différentes régions du cerveau est également l'occasion d'évaluer le rôle de leur environnement photo ci-dessous. Lorsque des cellules souches embryonnaires sont prélevées dans l'hippocampe pour être greffées dans le bulbe olfactif, elles donnent ainsi naissance à des neurones qui ressemblent à ceux que l'on trouve dans ce dernier, et pas dans leur lieu d'origine4.

La recherche des mécanismes de différenciation a suscité une découverte sensationnelle : les cellules souches nerveuses peuvent générer des cellules sanguines ! Utilisant, chez la souris, un protocole proche de celui utilisé pour traiter les leucémies chez l'homme, une équipe italo-canadienne a tout d'abord détruit les cellules souches sanguines par irradiation. Elle a ensuite transplanté des cellules souches nerveuses dans la moelle osseuse. Ces dernières produisirent des cellules sanguines normales5. Dans le même esprit, de récentes études in vivo ont montré que les cellules souches du mésenchyme, qui se trouvent dans la moelle osseuse et génèrent les cellules précurseurs pour les os, le cartilage et le tissu adipeux, peuvent former des cellules musculaires. Ces expériences ouvrent non seulement de nouvelles perspectives thérapeutiques, mais posent la question du potentiel de ces cellules. N'importe quelle cellule souche pourrait-elle donner naissance à n'importe quel type de cellule, et en particulier à des neurones ? Si tel était le cas, il serait facile de générer des neurones en prélevant un bout de peau ou de mésenchyme tissu de soutien des organes par exemple ; elles pourraient combler le manque de tissu foetal nécessaire pour les transplantations et apporter une solution éthique. Or, aujourd'hui, si on devait utiliser les cellules souches pour greffer un patient, il faudrait probablement les prélever dans le cerveau au moment de l'opération, pour les réimplanter immédiatement dans la zone lésée, ce qui est loin d'être évident.

Quoi qu'il en soit, la possibilité de générer des grandes quantités de neurones et de pouvoir différencier les cellules avant de les transplanter confère un potentiel thérapeutique extraordinaire aux cellules souches. A long terme, la transplantation de ces cellules pourrait être utilisée lors de traumatismes ou d'accidents cérébro-vasculaires, ainsi que pour certaines maladies neurodégénératives voir l'article de Philippe Damier p. 38 et la rétine.

Pour l'instant, les études se cantonnent aux modèles animaux, le plus souvent des rats ou des souris. Il semble que, par exemple, des lésions du striatum induites par des substances toxiques, pour mimer la dégénérescence de la maladie de Huntington, ou une hypoxie, pour mimer un accident vasculaire, provoquent un changement de l'environnement cérébral peut être par la production gliale des facteurs trophiques qui favorise la différenciation et l'intégration des cellules souches transplantées.

Une première expérience a tenté, tout récemment, de montrer que les cellules humaines possédaient les propriétés génitrices qu'on leur connaît chez les rongeurs. Une équipe américaine a transplanté des cellules souches foetales humaines dans des cerveaux de souris mutantes, et a montré que les cellules humaines pouvaient compenser des défauts génétiques, notamment compenser l'absence d'une enzyme dans un modèle de la maladie de Tay-Sachs, ou remplacer une population cellulaire déficiente6. Cette étude révèle aussi que de nombreux signaux environnemen- taux qui induisent la différenciation et la survie des neurones pourraient être similaires entre les mammifères. Ces résultats encourageants sont encore très préliminaires : il reste en particulier à prouver que les neurones produits par les cellules souches ont les mêmes caractéristiques que les cellules à remplacer, que leur transplantation à long terme dans des modèles animaux restaure une fonction et, enfin, qu'elle ne produit pas de tumeurs.

Une autre approche à potentiel thérapeutique consiste à stimuler in situ les cellules souches de notre cerveau. Les travaux du groupe canadien de Derek van der Kooy à l'université de Toronto ont montré qu'après infusion d'un facteur de croissance l'EGF dans un ventricule latéral de souris, de nouveaux neurones peuvent être générés7. Les structures les plus réalistes à cibler sont le striatum et l'hippocampe parce qu'elles se trouvent proches de la source des cellules souches. La production de novo de cellules dans ces régions pourrait avoir une implication importante pour les maladies de Parkinson, de Huntington, d'Alzheimer, ou pour l'ischémie de l'hippocampe. La stimulation in vivo pourrait aussi s'appliquer à la repopulation des zones démyélinisées dans la sclérose en plaques. Cependant nous sommes encore bien loin de ces applications. Il faudra d'abord augmenter considérablement le nombre de neurones générés après stimulation in vivo , réguler sélectivement la production des types cellulaires nécessaires, contrôler leur migration vers leur cible et, puis tester leur aptitude à restituer une fonction perdue. Autant de points qui restent très méconnus...

Transplantation ou stimulation in vivo ? Les années à venir diront quelle sera la voie la plus prometteuse pour l'utilisation des cellules souches. Ces perspectives se dessineront aussi par rapport aux autres approches thérapeutiques en développement, comme la thérapie génique. Si la découverte des cellules souches nerveuses chez l'adulte suscite de nombreux espoirs, l'état d'avancement des recherches, qui n'ont après tout débuté que dans la dernière décennie, nous oblige pour l'heure à la prudence.

Par Alfonso Represa et Yvan Arsenijevic

 

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LA MÉMOIRE

 

Mémoire

Dossier réalisé en collaboration avec le Pr. Francis Eustache, Directeur de l'unité Inserm-EPHE-UCBN U1077 "Neuropsychologie et neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine" – Octobre 2014

La mémoire permet d'enregistrer des informations venant d'expériences et d'événements divers, de les conserver et de les restituer. Différents réseaux neuronaux sont impliqués dans différents types de mémorisation. La meilleure connaissance de ces processus améliorent la compréhension de certains troubles mnésiques et ouvrent la voie à des interventions possibles dans l’avenir.

La mémoire repose sur cinq systèmes de mémoire


La mémoire se compose de cinq systèmes de mémoire impliquant des réseaux neuronaux distincts bien qu’interconnectés :

La mémoire de travail (à court terme) est au cœur du réseau.
La mémoire sémantique et la mémoire épisodique sont deux systèmes de représentation consciente à long terme.
La mémoire procédurale permet des automatismes inconscients.
La mémoire perceptive est liée aux sens.
Cet ensemble complexe est indispensable à l’identité, à l’expression, au savoir, aux connaissances, à la réflexion et même à la projection de chacun dans le futur.

La mémoire de travail

La mémoire de travail (ou mémoire à court terme) est en fait la mémoire du présent. Elle permet de retenir des informations pendant quelques secondes, voire quelques dizaines de secondes. Nous la sollicitons en permanence à chaque instant, par exemple pour retenir un numéro de téléphone le temps de le noter. Dans la plupart des cas, les mécanismes neurobiologiques associés à la mémoire de travail ne permettent pas le stockage à long terme de ce type d’informations : leur souvenir est vite oublié. Néanmoins, il existe des interactions entre le système de mémoire de travail et ceux de la mémoire à long terme. Elles permettent la mémorisation de certains événements et, ainsi, de se remémorer des souvenirs anciens face à certaines situations présentes, afin de mieux s’adapter.

7, le nombre magique
Le chiffre 7 serait le "nombre magique" de la mémoire de travail. Il s’agit du nombre d’éléments pouvant être mémorisés simultanément à court terme, avec une marge de plus ou moins deux événements.  En moyenne, nous sommes donc tous capables de retenir pendant quelques secondes entre 5 et 9 items. Par exemple, la suite [7, 9, 6, 4, 0, 9, 2] représente 7 chiffres. Elle peut aussi se lire [796, 409, 2] ce qui n’en représente plus que trois (et laisse la possibilité de retenir quatre autres items). De même, une suite de mots longs et compliqués comme [perroquet, colibri, araignée, diplodocus, chimpanzé, kangourou, ornithorynque] représente 7 mots que l’on peut retenir, bien qu’elle soit composée d’un bien plus grand nombre de lettres.
Divers procédés mnémotechniques utilisent cette propriété de notre cerveau pour élargir les capacités de la mémoire de travail.

La mémoire sémantique

La mémoire sémantique permet l’acquisition de connaissances générales sur soi (son histoire, sa personnalité) et le monde (géographie, politique, actualité, nature, relations sociales ou encore expérience professionnelle). C’est la mémoire du savoir et de la connaissance. Elle concerne des données personnelles accessibles à notre conscience et que l’on peut exprimer.

La mémoire épisodique

La mémoire épisodique est une forme de mémoire explicite. Elle permet de se souvenir de moments passés (événements autobiographiques) et de prévoir le lendemain. En effet, lorsqu’on demande à une personne d’évoquer un souvenir qui s’est déroulé au cours des derniers mois ou de penser aux prochaines vacances afin d’imaginer ce qui va s’y passer, ce sont les mêmes circuits cérébraux qui sont activés. Les détails des souvenirs épisodiques se perdent avec le temps (où, quand et comment l’événement s’est-il passé ?). Les traits communs aux différents événements vécus s’amalgament les uns aux autres pour devenir des connaissances qui ne sont plus liées à un événement particulier. La plupart des souvenirs épisodiques se transforment donc, à terme, en connaissances générales.

La mémoire procédurale

La mémoire procédurale est la mémoire des automatismes. Elle permet de conduire, de marcher, de faire du vélo ou du ski sans avoir à réapprendre à chaque fois. Cette mémoire est particulièrement sollicitée chez les artistes ou encore les sportifs pour acquérir des procédures parfaites et atteindre l’excellence. Ces processus sont effectués de façon implicite, c’est à dire inconsciente. La personne ne peut pas vraiment expliquer comment elle procède, pourquoi elle tient en équilibre sur ses skis ou descend sans tomber. Les mouvements se font sans contrôle conscient et les circuits neuronaux sont automatisés.

La mémoire perceptive

La mémoire perceptive dépend des modalités sensorielles, notamment de la vue pour l’espèce humaine. Cette mémoire fonctionne beaucoup à l’insu de l’individu. Elle permet de retenir des images ou des bruits sans s’en rendre compte. C’est elle qui permet à une personne de rentrer chez elle par habitude, grâce à des repères visuels. Cette mémoire permet de se souvenir des visages, des voix, des lieux.

La mémoire fonctionne en réseaux

Du point de vue neurologique, il n’existe pas "un" centre de la mémoire dans le cerveau. Les différents systèmes de mémoire mettent en jeu des réseaux neuronaux distincts, observables par imagerie médicale au cours de tâches de mémorisation ou de récupération d’informations diverses. Ces réseaux sont néanmoins interconnectés et fonctionnent en étroite collaboration : un même événement peut avoir des contenus sémantique et épisodique et une même information peut être représentée sous forme explicite et implicite.


Face latérale (à gauche) et face interne (à droite) de l'hémisphère cérébral droit.

La mémoire procédurale recrute des réseaux neuronaux sous-corticaux et dans le cervelet.

La mémoire sémantique implique des réseaux neuronaux disséminés dans des régions très étendues ainsi que dans les lobes temporaux, notamment dans leurs parties les plus antérieures.

La mémoire épisodique fait appel à des réseaux neuronaux dans l’hippocampe et plus largement dans la face interne des lobes temporaux.

Enfin, la mémoire perceptive recrute des réseaux neuronaux dans différentes régions corticales, à proximité des aires sensorielles.

Des souvenirs multiples naissent les raisonnements
Les mémoires s’appuient les unes sur les autres ! Si vous savez qu'un 4x4 est une voiture, vous pouvez dire qu'un 4X4 a des freins, même si personne ne vous l’a dit et que vous ne les avez jamais vus. Vous déduisez cela du fait que toutes les voitures ont des freins. Ce type de raisonnement utile dans la vie quotidienne se fait essentiellement à partir des connaissances stockées en mémoire. Ainsi, plus les connaissances mémorisées sont importantes, plus il est facile de faire des analogies.

Encodage et stockage de l’information, une affaire de plasticité synaptique


L'activation de l'hippocampe se maintient pour les souvenirs épisodiques, mais baisse quand les souvenirs se sémantisent.

Les processus de stockage sont difficiles à observer par imagerie cérébrale car ils relèvent de mécanismes de consolidation qui s’inscrivent dans la durée. Néanmoins, l’hippocampe semble jouer un rôle central dans le stockage temporaire et plus durable des informations explicites, en lien avec différentes structures corticales.

La mémorisation résulte d’une modification des connexions entre les neurones d’un système de mémoire : on parle de « plasticité synaptique » (les synapses étant les points de contacts entre les neurones). Lorsqu’une information parvient à un neurone, des protéines sont produites et acheminées vers les synapses afin de les renforcer ou d’en créer de nouvelles. Cela produit un réseau spécifique de neurones associé au souvenir qui se grave dans le cortex. Chaque souvenir correspond donc à une configuration unique d’activité spatio-temporelle de neurones interconnectés. Les représentations finissent par être réparties au sein de vastes réseaux de neurones d’une extrême complexité.

L’activation régulière et répétée de ces réseaux permettrait dans un second temps de renforcer ou de réduire ces connexions, avec pour conséquence de consolider le souvenir ou au contraire de l’oublier. Il est important de préciser que l’oubli est associé au bon fonctionnement de la mémoire en dehors de cas pathologiques. Des travaux suggèrent le rôle d’une molécule appelée PKM zêta dans le maintien de la mémoire à long terme. Chez l’animal, elle permet d’entretenir les molécules modifiées pendant l’encodage et d’empêcher qu’elles ne se dégradent avec le temps, consolidant ainsi les réseaux associés aux souvenirs.

La libération de neurotransmetteurs, notamment celle de glutamate et de NMDA, ainsi que l’expression d’une protéine qui augmente la libération de glutamate, la syntaxine,  sont associées à la plasticité synaptique.  Sur le plan morphologique, cette plasticité est associée à des remaniements des réseaux neuronaux : changement de forme et de taille des synapses, transformation de synapses silencieuses en synapses actives, croissance de nouvelles synapses.

Au cours du vieillissement, la plasticité des synapses diminue et les changements de connexions sont plus éphémères, pouvant expliquer des difficultés croissantes à retenir des informations. Par ailleurs, dans les rares formes familiales de la maladie d’Alzheimer, des mutations sont associées à des défauts de plasticité des synapses qui pourraient expliquer, dans ce cas, les troubles majeurs de mémoire.

Le sommeil consolide la mémoire
Une leçon s’apprend mieux le soir avant de dormir, c’est un fait ! Des expériences de rappel d’informations montrent que le fait de dormir améliore la mémorisation, et ce d’autant plus que la durée du sommeil est longue. A l’inverse, des privations de sommeil (moins de quatre ou cinq heures par nuit) sont associées à des troubles de la mémoire et des difficultés d’apprentissage. Par ailleurs, le fait de stimuler électriquement le cerveau (stimulations de 0,75 Hz) pendant la phase de sommeil lent (caractérisée par l’enregistrement d’ondes corticales lentes à l’encéphalogramme) améliore les capacités de mémorisation d’une liste de mots.
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ce phénomène : Pendant le sommeil, l’hippocampe est au repos et cela éviterait des interférences avec d’autres informations au moment de l’encodage du souvenir. Il se pourrait aussi que le sommeil exerce un tri, débarrassant les souvenirs de leur composante émotionnelle pour ne retenir que l’informationnelle, facilitant ainsi l’encodage.

La réserve cognitive, soutien de la mémoire

Les chercheurs découvrent progressivement des facteurs qui accroissent les capacités de mémorisation et semblent stabiliser les souvenirs dans le temps. C’est le cas de la réserve cognitive : un phénomène associé à des connections fonctionnelles entre les neurones extrêmement nombreuses, résultant des apprentissages, d’une stimulation intellectuelle tout au long de la vie ou encore des relations sociales épanouies.

A ce jour les chercheurs ne savent pas précisément quels ingrédients éducationnels et sociaux participent précisément à la constitution de cette réserve cognitive. Des études menées chez les rongeurs montrent cependant que le séjour d'animaux dans des environnements complexes (dits « enrichis ») améliore leur capacité d'apprentissage et de mémoire. D’autres travaux, conduits chez l’Homme, indiquent que les personnes qui ont un haut degré d’éducation, développent les symptômes de la maladie d’Alzheimer plus tardivement que les personnes qui n’ont pas fait d’études. Ces résultats, issus de recherches en épidémiologie portant sur de très grands nombres de sujets, s’expliqueraient par la capacité du cerveau à compenser les dégénérescences neuronales liées à la maladie grâce à la mobilisation de circuits alternatifs, du fait d’un meilleur réseau de connexions entre les neurones chez les personnes qui ont un niveau d’éducation élevé.

D’autres facteurs contribuent à la consolidation de la mémoire sans que l’on en connaisse parfaitement les mécanismes : le sommeil (voir plus haut), l’activité physique ou encore une bonne santé cardiovasculaire. De façon générale une bonne hygiène de vie (sommeil, alimentation, activité physique) contribue à de bonnes capacités de mémorisation.

Les multiples troubles de la mémoire

Les troubles de la mémoire altèrent principalement la capacité à mémoriser un fait nouveau, à retrouver une information, ou les deux.

Les causes possibles

Certaines situations entrainent des incapacités sévères et des amnésies durables. Les causes possibles sont :

un traumatisme physique entrainant des lésions cérébrales,
un accident vasculaire cérébral hémorragique ou ischémique,
une tumeur du cerveau
ou encore une dégénérescence neuronale comme la maladie d’Alzheimer.
Dans d’autres cas, les troubles sont moins sévères et le plus souvent réversibles. Les causes possibles sont :

des maladies mentales comme la dépression,
le stress et l’anxiété ou la fatigue,
un événement traumatisant (deuil),
des effets indésirables de médicaments comme des somnifères, des anxiolytiques (d’autant plus fréquent que la personne est âgée),
l’usage de drogues.
Il existe aussi probablement des origines biologiques comme un déficit en certains neuromédiateurs ou une faible connectivité entre les réseaux cérébraux.

Une multitude de troubles

Les manifestations des troubles de la mémoire sont extrêmement variables selon l’origine du trouble et la localisation de la zone touchée. Les mécanismes sont éminemment complexes.

Zones atrophiées dans la maladie d’Alzheimer (en haut), dans la démence sémantique (au milieu) et, de façon commune, dans ces deux pathologies. Les flèches rouges indiquent la région commune hippocampique affectée par ces démences.

Les travaux montrent par exemple que des patients atteints d’une démence sémantique, qui oublient des mots ou des informations, perdent également des souvenirs anciens alors qu’ils continuent à mémoriser de nouveaux souvenirs épisodiques (souvenirs « au jour le jour »). Ces troubles sont associés à une atrophie des lobes temporaux.

Chez d’autres patients présentant des troubles de la mémoire épisodique, les souvenirs anciens qui datent de l’adolescence sont épargnés plus longtemps que les souvenirs récents. C’est le cas chez les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer.

Les dégénérescences neuronales qui surviennent dans les maladies de Parkinson ou de Huntington provoquent  d’autres types de déficiences, affectant notamment la mémoire procédurale avec la perte de certains automatismes.

Certaines personnes peuvent aussi présenter des troubles de la mémoire du travail, liées à des lésions du lobe frontal. L’individu a alors du mal à se concentrer et à faire deux taches en même temps.

Il existe aussi des troubles de la mémoire sévères mais transitoires, comme dans l’ictus amnésique idiopathique qui survient le plus souvent entre 50 et 70 ans. Il s’agit d’une amnésie soudaine et massive, qui dure environ six à huit heures, puis le patient recouvre sa mémoire. Pendant la phase aigue, le patient est incapable de se souvenir de ce qu’il vient de faire, sa mémoire épisodique est annihilée alors que sa mémoire sémantique est intacte : il peut répondre à des questions de vocabulaire et évoquer des connaissances générales.

A l’inverse, certaines personnes peuvent être atteintes d’hypermnésie autobiographique. Il s’agit d’une pathologie très rare qui se caractérise par des capacités de mémorisation exceptionnelles des détails d’événements personnels ou de l’actualité, survenus parfois plusieurs années avant. Il s’agit d’une pathologie de l’abstraction et de la généralisation du souvenir avec absence de tri, de synthèse et d’oubli de détails.

L’état de stress post-traumatique : une distorsion de la mémoire
 L’état de stress post-traumatique survient chez une personne victime ou témoin impuissant d’un événement traumatique. Elle est ensuite hantée durablement par cet événement. Ce phénomène est lié à une distorsion profonde de l’encodage des événements. Le souvenir est mémorisé à long terme mais de façon biaisée, avec une amnésie de certains aspects et une hypermnésie d’autres détails qui harcèlent le sujet. Contrairement à un souvenir normal, il persiste au cours du temps sans s’édulcorer ni perdre de sa spécificité. Il s’impose à la victime face à des événements déclencheurs qui lui rappellent la scène. Cette distorsion de l’encodage est associée à une décharge de glucocorticoïdes, hormone du stress, dans l’hippocampe au moment de l’événement.

Une recherche plurisciplinaire


L'iimagerie cérébrale, tomographie par émission de positons, permet d'étudier le fonctionnement de la mémoire.

La mémoire et ses troubles donnent lieu à de nombreuses recherches qui font appel à des expertises variées dans un cadre pluridisciplinaire : génétique, neurobiologie, neuropsychologie, électrophysiologie, imagerie fonctionnelle, épidémiologie, différentes disciplines médicales (neurologie, psychiatrie…), mais aussi sciences humaines et sociales.

L’imagerie fonctionnelle est très informative puisqu’elle permet de savoir quelles zones du cerveau s’activent pendant différentes taches de mémorisation et de restitution simples ou complexes (réciter une liste de mots, évoquer un souvenir précis dans le détail…). En parallèle les chercheurs étudient le cerveau « au repos » afin d’observer les réseaux cérébraux impliqués dans les pensées internes et leurs interconnexions en dehors d’un effort de mémorisation. Des travaux ont montré qu’il est altéré notamment chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.

L’optogénétique permet par ailleurs de mieux comprendre l’implication de certains neurones dans ces réseaux sur des modèles animaux. Cette technique qui associe génie génétique et optique permet « d’allumer » et « d’éteindre » des neurones sur commande et d’en observer l’effet sur la mémorisation, le stockage et la restitution des informations. Il devient donc possible de manipuler la mémoire et l’oubli expérimentalement pendant des tâches de mémorisation, pendant le sommeil, au repos, en réactivant ou en effaçant des souvenirs, ou encore en agissant sur la molécule PKM zêta qui serait responsable du maintien de la mémoire à long terme. Menés aux niveaux cellulaire et moléculaire, ces travaux ouvrent la voie à des perspectives thérapeutiques, notamment pour les victimes de stress post-traumatique.

Les sciences humaines et sociales, comme l’histoire et la sociologie, s’intéressent à la mémoire collective, à comment celle-ci se construit progressivement pour conférer une identité à une communauté. Ces études sont rapprochées de celles menées en psychologie et en neurosciences, cette fois-ci au plan individuel, pour mettre en lumière les mécanismes à l’origine du maintien ou de l’oubli de certains événements.

 

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LA DIVERSITÉ IMMUNOLOGIQUE

 

 

 

 

 

 

Texte de la 429e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 8 juillet 2002

Jean-Claude Weill,« La diversité immunologique »


Notre système immunitaire possède plusieurs qualités qui lui confèrent son efficacité. Tout d'abord, il est spécifique, et peut donc nous protéger contre une infection précise. Il peut aussi s'améliorer dans le temps, ce qui est une des propriétés de la vaccination : quand il a rencontré un agent pathogène une première fois, l'organisme sait mieux se défendre les fois suivantes. De plus, il est doté d'une mémoire : après vaccination, les lymphocytes qui nous protègent le mieux vont être conservés dans l'organisme pendant vingt ou trente ans et cela sans que l'on sache encore comment. Enfin, à l'aide d'un système de filtrage, il distingue le soi et le non soi ce qui évite que le système immunitaire ne s'attaque à l'organisme et induise des pathologies très graves dites auto-immunes.

La compréhension des mécanismes de fonctionnement du système immunitaire passe tout d'abord par l'étude de ses différents acteurs cellulaires et moléculaires, et notamment les anticorps, les lymphocytes B, et T, les molécules du CMH et les macrophages.

L'histoire de l'immunologie commence en 430 av. J.-C. Thucydide, qui relate un épisode de peste à Athènes, écrit avec beaucoup d'intuition : « On se montrait plus compatissant avec les malades, une fois que l'on avait soi même réussi à surmonter l'épreuve, car tout en sachant par expérience ce qu'il en était, on se sentait à l'abri du danger. En effet le mal ne frappait pas deux fois un même homme ou du moins la rechute n'était pas mortelle. » Il décrit ainsi le principe de la vaccination : une fois que l'on a été infecté par l'agent pathogène, si l'on n'en meurt pas, on est protégé d'une nouvelle rencontre avec celui-ci. Il faudra attendre 2 000 ans pour que Edward Jenner, en 1796, un médecin anglais applique cette leçon de la peste au cas de la variole, dont les gens meurent à cette époque. Partant de l'observation que les bovins peuvent eux aussi attraper la variole, il prend un peu de germe de la variole bovine non infectieuse pour l'homme qu'il inocule à des patients, les protégeant ainsi de la variole humaine. L'acceptation de cette découverte par les médecins, à travers le monde, prendra encore 50 à 60 ans. Un siècle après, Louis Pasteur montre qu'il n'est pas nécessaire de prendre l'agent pathogène d'une autre souche, mais qu'il suffit de chauffer l'agent qui infecte l'humain, ce qui le rend moins virulent, donc incapable de provoquer la maladie mais apte à provoquer la vaccination. La question se pose alors, à cette époque, de savoir ce qui protège les individus contre les maladies : s'agit-il de cellules ou de molécules contenues dans le sang. Cette controverse oppose Louis Pasteur et Robert Koch.

Emil von Behring montre en 1890 que l'immunité peut être transmise par un sérum du sang ne contenant pas de cellules. Il appelle les molécules responsables de l'immunité des anticorps. En 1920, Karl Landsteiner, qui a découvert les groupes sanguins, montre que l'on peut obtenir des anticorps contre n'importe quelle substance. Le système immunitaire peut donc réagir contre tout ce qui lui est présenté. Cela pose le problème de savoir comment fait le système immunitaire pour ne pas reconnaître le soi.

L'ensemble de ces découvertes aboutit à l'oubli total de la théorie cellulaire, et ceci pendant 50 ans à partir de 1900, sans que soit pour autant résolue la question de savoir comment sont produits les anticorps. A partir de la deuxième moitié du 20ème siècle, on redécouvre que le sang contient une multitude de cellules, et l'on s'aperçoit qu'elles dérivent d'un type de cellules particulières, les cellules souches hématopoïétiques. Ces dernières donnent naissance à différents types de lignées : la lignée lymphoïde (qui produira les lymphocytes), la lignée myéloïde (qui produira les lignées phagocytaires, c'est à dire les macrophages, les monocytes, les granulocytes basophiles, neutrophiles, et éosinophiles), la lignée erythroide qui produit les globules rouges. Les anticorps sont produits par des lymphocytes particuliers, de type B. Les lymphocytes de type T produisent, eux, un autre type de molécules de reconnaissance.

Comme souvent dans les polémiques scientifiques les deux théories contribuent à la réalité : des cellules et des molécules sont responsables de l'immunité.

Pour bien comprendre le mode d'action des anticorps, il faut raisonner en terme de reconnaissance. Il faut s'imaginer l'anticorps comme une pince (par exemple anti a) qui s'adapterait parfaitement à l'objet a, qui le reconnaîtrait : la pince anti a est spécifique de l'objet a. En revanche, cette pince anti a reconnaîtrait moins bien un objet b. Tout le système immunitaire va être basé sur ce principe. L'amélioration du système immunitaire, grâce à la vaccination, provient ainsi de l'amélioration de la reconnaissance d'une pince anti x spécifique du bacille du tétanos par exemple, ce qui permettra à cette pince de se débarrasser plus facilement de l'agent pathogène, lors d'une nouvelle rencontre. L'amélioration de cette pince va se faire dans les organes lymphoïdes, rate et ganglions, en une à deux semaines, par hypermutation spécifique des gènes codant cet anticorps (voir plus bas), et c'est cette cellule lymphoïde fabriquant cette pince améliorée qui va rester dans l'organisme dix ou vingt ans. Mémoire et amélioration de la réponse sont donc intimement liées.

Il faut donc un lymphocyte B pour fabriquer un anticorps donné (une pince). Le lymphocyte B porte à sa surface un anticorps que l'on appelle un récepteur et c'est cet anticorps qu'il fabrique. Cette cellule x peut ainsi attraper l'élément X. Il en va de même pour une cellule y avec un élément Y. Le système immunitaire produit ainsi des millions de cellules qui peuvent reconnaître des millions de corps différents. Ainsi, chaque fois qu'un virus, une bactérie ou une cellule greffée est introduite dans l'organisme, il existe un lymphocyte B possédant un récepteur spécifique pour chacun de ces éléments.

C'est dans la moelle osseuse que sont produites, chaque jour, ces cellules, et aucune des cellules produites ne va pouvoir s'attaquer à l'organisme, donc porter de récepteur qui reconnaît le soi. Cela est dû au fait qu'au cours de cette production, dans la moelle osseuse, une cellule qui reconnaît le soi va être éliminée. C'est ce que l'on appelle la sélection négative, qui permet au système immunitaire de reconnaître tout l'extérieur sans attaquer l'intérieur.

Cinq milliards de lymphocytes B sont produits chaque jour dont 95 % vont mourir dans les 48 heures. Il y en a 400 milliards dans le corps, et nous portons en tout approximativement 10 millions de spécificités différentes d'anticorps.

La question de la génération de la diversité (Generation Of Diversity) a interpellé les immunologistes dans les années 70. Il est maintenant connu que le génome ne contient pas plus de 30 000 gènes. Il est donc exclu que chaque anticorps soit codé par un gène différent. Linus Pauling a suggéré que le nombre d'anticorps différents soit en réalité assez restreint, mais que la pince soit assez plastique pour s'adapter à chaque molécule différente qu'elle rencontre. Cette théorie de l'induction s'est cependant avérée fausse.

La compréhension de ce phénomène de GOD s'effectuera grâce à la biologie moléculaire.

En 1954, à Cambridge, Jim Watson et Francis Crick font une des plus belles découvertes du siècle en biologie, et démontrent que le support de l'hérédité est l'ADN, une molécule organisée en une double hélice, qu'utilisent toutes les espèces vivantes. Les longs brins d'ADN sont présents dans chacune de nos cellules, sous la forme repliée et compactée de nos 23 paires de chromosomes. S'ils étaient débobinés et mis bout à bout, ils atteindraient une longueur de 1m40 par cellule. Les brins d'ADN sont composés de la succession de quatre lettres : A, T, G, C que l'on appelle des bases. Le génome humain en compte deux milliards. L'assemblage linéaire de ces bases n'est pas neutre : il s'organise en unités de transcription, des gènes, qui ont un début et une fin, qui codent pour des protéines. Il y a environ 30 000 gènes. Chaque cellule possède le patrimoine génétique complet mais n'exprime qu'un certain nombre de gènes, qui sont différents selon que la cellule est une cellule de rétine ou de peau par exemple. Les autres sont silencieux. Si le gène est exprimé, l'ADN est transcrit en ARN dans le noyau, puis est traduit, dans le cytoplasme, en une protéine, composée d'acides aminés, l'anticorps par exemple, le lymphocyte B 1 exprime l'anticorps 1.

Pour expliquer toutes les spécificités d'anticorps existantes, Susumu Tonegawa démontre qu'il n'existe pas dix millions de gènes, mais que c'est une combinaison qui permet d'aboutir à ce chiffre. Il propose quatre groupes (V, D, J et C) comportant en totalité une centaine d'éléments. Chaque lymphocyte, produit dans la moelle osseuse, va prendre un élément de chaque groupe de manière aléatoire, et ainsi présenter une combinaison unique (par exemple V69D5J4C2) qui va coder pour un récepteur unique. En outre, le réarrangement, la recombinaison entre chacun des segments, se fait de manière imprécise, ce qui aboutit à une diversité supplémentaire. Au moment de l'émigration de la moelle osseuse, il est vérifié pour chaque cellule que la combinaison n'aboutit pas à la production d'un récepteur reconnaissant le soi.

Au moment où l'agent pathogène entre dans l'organisme, il rencontre le lymphocyte B qui a le récepteur spécifique complémentaire de l'antigène à sa surface. Le lymphocyte B va alors sécréter des milliers d'anticorps, identiques au récepteur présent à sa surface, qui vont se lier à l'agent pathogène et l'éliminer. La réponse immédiate du système immunitaire est donc de faire des milliers d'anticorps contre un agent pathogène afin de se fixer à lui et s'en débarrasser.

Quand une bactérie ou un virus sont présents à l'état complet dans le corps, ce sont les lymphocytes B qui vont reconnaître cet agent pathogène par l'intermédiaire de leur anticorps de surface qui va par la suite être sécrété en grande quantité.

Il existe aussi des infections cellulaires, qui sont très rapides, au cours desquelles un virus entre dans l'organisme et va immédiatement se loger à l'intérieur d'une cellule, où il s'intègre dans le génome. Il se sert de la machinerie de la cellule pour subsister : quand les chromosomes se divisent et se répliquent, le virus, qui y est intégré, se réplique aussi, transformant ainsi la cellule en usine à virus. Si ces agents n'ont pas été attaqués lorsqu'ils étaient dans la circulation, le système immunitaire B ne peut plus les reconnaître maintenant qu'ils sont intracellulaires. C'est notre système immunitaire T qui va être capable de s'attaquer aux cellules infectées pour les tuer, et ceci en préservant les cellules saines.

En 1974, Peter Doherty et Rolf Zinkernagel sont à l'origine du concept du soi modifié, qui introduit deux nouveaux acteurs de la réponse immunitaire : le lymphocyte T et le CMH (le Complexe Majeur d'Histocompatibilité, HLA chez l'homme pour Human Leucocyte Antigen), qui représente la carte d'identité biologique d'un individu. Le complexe HLA est formé de trois gènes, A, B et C, présentant chacun 99 types (on parle d'haplotypes). Un individu est par exemple A28B96C3. Ces trois protéines, qui représentent l'équivalent du numéro de sécurité sociale d'un individu, sont présentes à la surface de toutes les cellules de son organisme. Leur rôle premier est de présenter, comme dans une vitrine, un échantillon des protéines présentes dans la cellule, sous forme de fragments peptidiques, que la cellule produit constamment. La plupart du temps, il s'agit de protéines du soi. Si la cellule est infectée par un virus, elle présente aussi des morceaux de virus. C'est cela que reconnaît le lymphocyte T : le soi modifié, le peptide viral présenté dans le contexte du HLA. Le lymphocyte T, qui se différencie dans le thymus, présente lui aussi une pince à sa surface qui reconnaît le HLA, le récepteur T, mais ce dernier n'est jamais sécrété. La cellule T scrute constamment le HLA des cellules qu'elle rencontre. Si elle rencontre une cellule infectée, son récepteur T reconnaît le soi modifié, et le lymphocyte T la tue ; si la cellule rencontrée est saine, il y juste reconnaissance du soi et rien ne se passe. Comme pour le lymphocyte B et l'anticorps présent à sa surface, chaque lymphocyte T porte un récepteur T spécifique à sa surface, soumis aux mêmes règles quant à la génération de la diversité, des groupes de plusieurs centaines de gènes se recombinant de manière aléatoire pour le générer.

En revanche, la sélection des cellules T se fait de manière un peu différente. Alors que la cellule B n'est éliminée que si elle reconnaît, avec une forte affinité, une molécule du soi pendant le développement, la cellule T passe par une étape de sélection supplémentaire. En effet, le lymphocyte T doit reconnaître du soi modifié, c'est à dire un peptide, mais dans le contexte du HLA, alors que le lymphocyte B reconnaît un corps étranger à l'état isolé. Dans le thymus, la cellule T est éliminée si elle reconnaît du HLA qui présente du soi de façon forte : c'est la sélection négative, mais, à la différence de la cellule B, il faut aussi qu'elle reconnaisse un peptide du soi, associé au HLA de façon faible, pour se maintenir dans l'organisme : c'est la sélection positive.

Le dernier partenaire de la réponse immunitaire est le macrophage, une cellule phagocytaire qui lorsqu'elle rencontre une bactérie ou un virus l'intercepte, l'ingère et le dégrade. Le travail d'Elie Metchnikov, en 1900, a beaucoup apporté à la connaissance des macrophages. Il a mis le doigt sur un des acteurs centraux de la réponse immunitaire en remarquant qu'il existait chez l'étoile des mers des cellules capables de se présenter immédiatement au point d'entrée d'un corps étranger, pour l'ingurgiter et le phagocyter. Les rôles du macrophage sont multiples. Non seulement, il phagocyte des micro-organismes infectieux, mais il alerte le système immunitaire, grâce à la sécrétion d'interleukines qui sont des messagers moléculaires, et grâce à la présentation aux lymphocytes des molécules du pathogène.

Lorsqu'un agent pathogène (comme le bacille du tétanos par exemple) pénètre dans l'organisme, il provoque une réponse immédiate (primaire). La première ligne de défense, le macrophage (la réponse innée) reconnaît le virus ou la bactérie, le phagocyte, le fragmente pour le présenter à sa surface avec le HLA et ainsi activer la cellule T, qui est alors en mesure de tuer les cellules infectées qu'elle rencontre en patrouillant dans l'organisme. Dans le même temps, le lymphocyte B approprié reconnaît le bacille du tétanos entier et sécrète les anticorps. Tout est question de rapidité : si l'infection est plus rapide que le système immunitaire, si l'agent pathogène n'est pas tué immédiatement, il peut se propager très vite et provoquer la mort de l'organisme.

Cette réponse primaire a lieu en quelques jours. Si l'infection est endiguée, il faut en garder la mémoire, pendant parfois plus de vingt ans. L'organisation de la mémoire passe par une cellule particulière, le lymphocyte T CD4, à laquelle les macrophages ont aussi présentés l'antigène. Cela va permettre de produire deux types de cellules CD4, l'une chargée d'induire la génération des cellules B à mémoire et la maturation de l'affinité des anticorps, et l'autre d'induire la maturation de la réponse des lymphoctes T. Cette cellule est donc au cSur de la stratégie de défense immunitaire de l'organisme. C'est elle que va reconnaître et détruire le virus du SIDA. C'est pour cette raison que le taux de cellules T CD4 positives dans l'organisme représente un marqueur important de l'évolution de la maladie.

Au niveau spatial, le sang contient donc toutes les cellules concernées par la réponse immune. Lorsqu'un agent infectieux traverse la barrière de la peau suite à une coupure par exemple, les macrophages qui sont présents sur les lieux, le reconnaissent, le phagocytent, et enclenchent une réaction inflammatoire, en sécrétant des cytokines et en recrutant d'autres acteurs, des éosinophiles, rendant les vaisseaux voisins plus perméables, ce qui permet aux cellules présentes dans le sang de rentrer dans le périmètre infecté. Le macrophage chargé d'agents infectieux atteint les organes lymphoïdes, comme la rate et les ganglions, par la circulation lymphatique, et c'est là qu'il active les lymphocytes T et B naïfs spécifiques de l'agent pathogène. Les lymphocytes une fois activés vont revenir sur les lieux de l'infection pour maîtriser celle-ci.

Le système immunitaire ne fonctionne cependant pas toujours aussi bien qu'il le devrait et peut être néfaste pour l'organisme au lieu de le protéger. Charles Richet en a ainsi fait l'expérience en 1902, lorsqu'il a découvert le phénomène d'allergie. Il a piqué son chien une première fois avec une anémone de mer, ce qui n'a pas eu d'effet. Mais, lorsqu'il a recommencé l'opération, le chien en est mort. Au lieu d'avoir provoqué une réaction de vaccination, la piqûre avait provoqué une réaction allergique. Le système immunitaire quand il est déréglé peut ainsi être redoutable, et anéantir un organe, voire un individu. Une maladie auto-immune peut ainsi être déclenchée si l'infection va plus vite que le système immunitaire. La cellule T, activée par un macrophage qui a reconnu l'agent infectieux, tue toutes les cellules infectées, mais, dans le cas, par exemple, où le virus a été plus rapide et a réussi à infecter un organe, ces cellules T vont pouvoir attaquer celui-ci et le détruire. Il peut aussi arriver qu'un antigène bactérien soit identique à un antigène du soi, ce qui peut induire une réaction d'auto-immunité par mimétisme moléculaire : le système immunitaire attaque le soi car il croit combattre l'étranger. Il existe aussi des parties du corps que le système immunitaire ne voit jamais, et donc des antigènes auxquels les lymphocytes n'ont jamais été confrontés (les antigènes séquestrés). Si, à la suite d'un traumatisme ou d'une infection, le système immunitaire entre en contact avec ces antigènes qu'il n'a jamais vu (de l'Sil par ex.) il peut penser qu'il a à faire à du non soi.

En conclusion, il reste de grandes questions à résoudre pour comprendre le fonctionnement du système immunitaire et, notamment, celle de l'amélioration de la réponse. Ce phénomène est connu depuis 50 ans et on commence seulement à comprendre son mécanisme moléculaire. Nous venons de montrer, avec Claude-Agnès Reynaud, que des polymérases spécifiques, dites « error prone », chargées de franchir des lésions lors de la réplication semi-conservative mais, faisant des fautes lorsqu'elles copient l'ADN normal, seraient responsables du processus d'hypermutation permettant cette amélioration.

Par ailleurs, comment expliquer le phénomène, assez étonnant, de la mémoire immunitaire qui permet à une cellule de rester des décennies dans l'organisme, tout en gardant la mémoire de sa première rencontre avec l'antigène ?

 

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