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LA CONSPIRATION DU HASARD ET DES CONTRAINTES

 


La conspiration du hasard et des contraintes


special : l'histoire de la vie - par Jacques Arnould dans mensuel n°296 daté mars 1997 à la page 100 (4729 mots)
Le hasard est-il le produit de notre ignorance, ou fait-il partie de la nature des choses ? Appliquée à l'évolution, la question se décline : en quel sens parle-t-on de mutations aléatoires ? Quel rôle attribuer aux accidents, à la contingence ? L'homme a-t-il émergé par hasard ? L'idée de finalité est-elle forcément à proscrire ? En biologie comme sans doute ailleurs, la notion de hasard est intimement liée à celle d'information.

Un homme qui trouve une montre sur une plage peut tenir deux types de raisonnement. Le premier consiste à affirmer l'existence d'une intelligence supérieure qui a conçu, fabriqué et perdu cette montre. C'est par cette anecdote que l'archidiacre anglican William Paley introduit sa Théologie naturelle 1802, dans laquelle il se propose de démontrer l'existence de Dieu à l'aide d'arguments tirés de l'observation du monde vivant, apparemment plus complexe que la mécanique horlogère. Il écrit : « J'ai dit que le raisonnement de celui qui nie l'art et l'invention dans la montre était précisément le raisonnement des athées ; car l'évidence d'un dessein se retrouve dans tous les ouvrages de la nature, comme dans l'ouvrage d'une montre, avec cette différence que les oeuvres de la nature sont plus variées et plus admirables, dans une proportion qui excède tout calcul. Sans doute l'invention, et l'exécution dans les ouvrages de la nature, surpassent infiniment tous les produits de l'art ; mais dans un très grand nombre de cas, le dessein, et l'application des moyens au but n'y sont pas moins évidents que dans les machines qui sortent de la main des hommes 1 » . Pour l'apologiste anglican, il ne saurait y avoir de hasard au sein de la réalité : parce qu'elle est créée par Dieu, elle est déterminée et possède une finalité. Il est hors de question d'admettre l'existence d'un « horloger aveugle2 » .

Notre promeneur peut tenir un autre raisonnement, inspiré cette fois par le philosophe Henri Bergson : « Une énorme tuile, arrachée par le vent, tombe et assomme un passant. Nous dirons que c'est un hasard. Le dirions-nous, si la tuile s'était simplement brisée sur le sol ? » . De quoi convient-il de s'étonner ? Non plus de la perfection et de l'efficacité d'un mécanisme horloger, mais plutôt de sa découverte sur une plage. Le penseur ne s'attarde pas sur l'objet lui-même, mais s'interroge sur les circonstances qui lui ont permis de faire cette découverte : comment se fait-il que sa route et celle de cette montre si l'on peut s'exprimer ainsi se soient ainsi croisées ? Antoine Cournot, un des premiers théoriciens des probabilités, propose une définition du hasard proche de celle d'Aristote ; pour lui, le hasard est « la combinaison ou la rencontre de phénomènes qui appartiennent à des séries indépendantes, dans l'ordre de la causalité, [...] ce qu'on nomme des événements fortuits ou des résultats du hasard 3 » . Connaissant les habitudes de cette personne, il aura très bien pu déterminer la zone à l'intérieur de laquelle la montre avait de fortes chances d'avoir été égarée.

A tous les faits, l'esprit humain cherche des causes, à toutes les coïncidences des raisons naturelles. Cette attitude, note David Ruelle, a certainement contribué à la survie de l'espèce humaine ainsi qu'au développement des sciences4. Pourtant, il faut bien reconnaître qu'il existe une limite à l'expli-cation des phénomènes, comme à leur prédictibilité. Une limite au-delà de laquelle on préfère parler de hasard... ou de miracle ! Une question demeure toutefois : le hasard se trouve-t-il dans l'ignorance des hommes ou bien appartient-il à la nature des choses ?

Dans le domaine de la physique, Albert Einstein défend l'idée d'un hasard par ignorance et Niels Bohr celle d'un hasard par essence. Pour le premier, Dieu ne peut pas jouer aux dés et « il nous faut admirer humblement l'harmonieuse beauté de la structure de ce monde, dans la mesure où nous pouvons la saisir » 1945. Pour le second, au contraire, la mécanique quantique enseigne que le hasard est dans l'essence des phénomènes, au niveau de l'infiniment petit5.

Qu'en est-il en biologie ? L'homme est-il « seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard » , comme l'écrit Jacques Monod au terme de son ouvrage Le Hasard et la nécessité 6 ? D'un point de vue plus général, comment le hasard, perçu avant tout comme perturbateur, peut-il rendre compte de l'existence et de l'organisation des êtres vivants ? A ces questions, les théories de l'évolution ne prétendent pas offrir une réponse définitive ; elles conduisent du moins à préciser ce que l'on peut entendre par hasard en biologie et à revisiter l'idée de finalité.

L'une des origines étymologiques les plus communément admises du terme de hasard est celle offerte par le terme arabe az-zahr , qui désigne le jeu de dés ; la racine latine équivalente a donné le terme d'aléatoire. Du dé, on retiendra deux leçons. Tout d'abord, le hasard n'existe pas en soi mais seulement en relation avec une structure, un système ou un processus ; ensuite, le hasard nécessite que soit discernable une signification ou encore une détermination. Ainsi le dé est-il un cube dont chacune des faces reçoit un signe qui la différencie des cinq autres. De prime abord, aucun paramètre du mouvement effectué par le dé n'est lié à la position d'une face particulière : la nature fait tourner un cube, alors que le joueur lance un dé. Autrement dit, c'est le joueur qui donne une signification particulière à chacune des faces, et fait ainsi surgir le hasard. « Six faces équivalentes associées à six significations différentes, voilà la source du hasard 7 » écrit Jean-Michel Claverie. On pourra objecter que le seul fait de marquer les six faces du cube d'un ou plusieurs points de peinture voire d'y graver une trace peut suffire à déterminer le cube, d'en briser la symétrie physique. Sans aucun doute. Mais, précisément, le hasard s'impose d'autant plus clairement que la différence entre les faces du dé ne semble pas complètement nulle et que, par conséquent, l'observateur espère pouvoir prévoir le résultat final.

En biologie, les sources du hasard sont nombreuses. Considérons seulement le champ de la biologie moléculaire et nous trouvons : la substitution d'un nucléotide par un autre lors d'une mutation, les coupures des chromosomes qui fournissent un nombre infini de recombinaisons, les crossing over*, la non-disjonction des chromosomes au cours de la méiose. A strictement parler, ces processus ne sont pas le fruit du hasard, mais au contraire, pour reprendre l'expression de Claverie, sa source. Ils concernent en effet des structures compatibles ou interchangeables d'un point de vue physico-chimique les « faces équivalentes » , mais qui énoncent des instructions différentes les « significations » des six faces du dé phénotypiquement repérables ou non .

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, on pense volontiers que nulle part mieux que dans les êtres vivants ne se manifeste l'accord de la cause et de la fin ; autrement dit, il n'y a pas de place pour le hasard au sein du vivant. La diversité et le foisonnement des formes, la variété et l'enchevêtrement des processus ne sauraient longtemps cacher l'ordre de la création voulu par Dieu, ou celui du déterminisme naturel. C'est encore le cas de Lamarck qui cherche à donner aux processus biologiques des explications physico-chimiques. Dans l' Histoire naturelle des animaux sans vertèbres , il écrit que « le plan des opérations de la nature à l'égard de la production des animaux est clairement indiqué par cette cause première et prédominante qui donne à la vie animale le pouvoir de composer progressivement l'organisation, et de compliquer et de perfectionner graduellement, non seulement l'organisation dans son ensemble, mais encore chaque système d'organes particuliers, à mesure qu'elle est parvenue à les établir. Or, ce plan, c'est-à-dire cette composition progressive de l'organisation, a été réellement exécuté, par cette cause première, dans les différents animaux qui existent. » Le hasard ne fait véritablement son entrée en biologie qu'avec les travaux de Darwin.

Ce dernier sépare en effet l'ordre des causes et l'ordre des fins. La sélection darwinienne opère sur des variations individuelles et héréditaires qui ne sont pas adaptées a priori à une situation ou à une fin particulières. En d'autres termes, il y a le même lien entre la variation et la sélection qu'entre la structure physique du dé et les signes que portent ses faces. C'est cette séparation entre la variation et la finalité que refusent les néo-lamarckiens. L'un d'entre eux, Pierre Paul Grassé, écrit : « La réalisation d'un plan ne résulte pas d'un coup de dés. Le recours à un anti hasard s'impose, celui des darwiniens est la sélection naturelle ; nous sommes convaincus qu'il y en a d'autres plus efficaces qui opèrent directement dans l'intimité de la cellule. [...] A chaque étape de l'évolution, faire appel à un hasard heureux, n'est-ce pas risquer de lasser ce dieu complaisant en faisant trop souvent appel à lui ? 8 » En formulant ces critiques, les opposants de Darwin se méprennent sur le sens à donner au hasard. Dans le cadre de la vision darwinienne de l'évolution, le hasard ne doit pas être compris comme possédant un rôle créateur ou générateur au niveau de la variabilité du vivant. Le hasard, en effet, n'est pas posé a priori mais est reconnu une fois le processus accompli dans sa totalité, qu'il s'agisse de lancer un dé ou, pour un être vivant, de parvenir jusqu'au stade de la reproduction.

Le hasard, en biologie, trouve donc sa source dans la rencontre de la variation et de la sélection ; il n'est pas avant tout lié à une structure mais à une signification, autrement dit une informa-tion. On retrouve ici l'idée défendue par Richard Dawkins, Chris Gliddon et Pierre-Henri Gouyon9, selon laquelle il convient de distinguer, au sein du processus évolutif, l'information qui est transmise et la structure qui transmet des nucléotides aux populations.

L'information seule constitue la cible de la sélection, celle-ci jouant le rôle d'un révélateur des différences de signification. Se pose alors la question du degré de connaissance ou, inversement, d'ignorance qui paraît contribuer à l'existence du hasard. En d'autres termes, qu'en est-il lorsque la sélection ne paraît révéler aucune différence ? L'exemple de la théorie neutraliste, proposée par Kimura et Crow, ne permet pas de répondre entièrement à cette interrogation. Du moins conduit-elle à préciser la définition du hasard en biologie, proposée ici.

Afin d'expliquer l'existence du polymorphisme génétique, c'est-à-dire la coexistence de plusieurs allèles en un même locus, Motoo Kimura avance une hypothèse qu'il appelle « théorie neutraliste » et qu'il formule de la manière suivante : « Contrairement à la théorie synthétique traditionnelle ou théorie néodarwinienne, l'hypothèse neutraliste affirme que la grande majorité des subs-titutions de mutants s'effectue non pas par sélection darwinienne positive mais par fixation aléatoire de mutants sélectivement neutres ou presque neutres. Ce modèle postule également que la majorité de la variabilité moléculaire intraspécifique, telle qu'elle se manifeste sous la forme du polymorphisme protéique, est sélectivement neutre ou presque, et qu'elle est maintenue dans les espèces par l'équilibre entre la pression de mutation et l'extinction ou la fixation aléatoire des allèles10. »

Autrement dit, selon Kimura, le polymorphisme génétique est dû à l'apparition par mutation de nouvelles formes ou allèles neutres, qui ne modifient en rien l'individu qui les porte. Toute mutation peut en effet être neutre, létale ou sublétale, positivement sélectionnée. Si m est le taux de mutation total, [n, n grec] celui des mutations neutres, [m, m grec] celui des muta- tions létales et [e, epsilon grec] celui des mutations sélectionnables, on a : m=m+n+e. Les mutations sélectionnables sont largement minoritaires ; les mutations létales demeurant toutefois en faible proportion, ce sont les mutations neutres qui sont le plus souvent observables. Dès lors, l'action de la sélection devient négligeable par rapport à une autre pression évolutive, la dérive génétique voir l'encadré page suivante.

En opposant la théorie neutraliste à la théorie darwinienne, le chercheur japonais mettrait-il en difficulté la définition du hasard en biologie, pro-posée ici ? Tout d'abord, il convient de remarquer que le titre original anglais du livre de Kimura est : The Neutral Theory of Molecular Evolution. Le qualificatif « moléculaire » n'aurait pas dû être ignoré par le traducteur français : le neutralisme n'est finalement pas une autre théorie de l'évolution, mais se révèle plutôt comme une application ou un prolongement de la théorie darwinienne selon le point de vue moléculaire.

Ensuite, il convient de préciser ce que Kimura entend par « sélectivement neutre ». Un allèle mutant est dit sélectivement neutre lorsque l'ordre de grandeur de l'avantage ou du désavantage sélectif qu'il apporte, vis-à-vis de la valeur sélective, est inférieur à un certain seuil dont Kimura propose une détermination mathématique. Neutralité ne signifie donc pas absence : les différences entre les mutants et les informations qu'ils portent sont faibles, mais elles existent réellement et sont à l'origine du polymorphisme révélé par l'analyse biochimique. Dès lors, dans le cas de la sélection neutre, il est d'autant plus opportun de parler de hasard et de fixation aléatoire que le déterminisme face aux processus de sélection existe, mais reste faiblement marqué.

Enfin, la théorie neutraliste introduit la notion d'horloge moléculaire de l'évolution. Elle repose sur l'idée que, « pour chaque protéine, le taux d'évolution, en termes de substitutions d'acides aminés, est approximativement constant par année, par site et pour diverses lignées, tant que la fonction et la structure tertiaire de la protéine restent pour l'essentiel inaltérées12 », Si le taux d'évolution moléculaire est effectivement constant au cours du temps, la datation par d'autres méthodes par exemple la paléontologie de certaines étapes de cette évolution doit permettre d'étalonner chronologiquement l'ensemble de la phylogenèse d'une protéine ou d'une séquence. Toutefois, cette notion présente plusieurs causes d'imprécision : les différentes molécules n'évoluent pas toutes à la même vitesse ; une même séquence peut rester stable dans une espèce mais évoluer très rapidement dans une autre, soit que le taux de mutation lui-même diffère d'une espèce à l'autre, soit que la sélection agisse différemment selon les espèces. Beaucoup de biologistes mettent donc en question la valeur prédictive de l'horloge moléculaire. Quoi qu'il en soit, cette notion invite à s'interroger sur la qualité historique à conférer au hasard. Quelle place lui conférer au sein d'un arbre phylogénétique ? En l'y introduisant, ne risque- t-on pas de lui enlever son caractère d'événement ? A contrario, n'est-il pas menacé de se diluer dans le temps ?

Le jeu de dés illustre en quoi le hasard apparaît avant tout sous les traits d'un événement : il se détache de l'uniformité, de la monotonie ce qui serait le propre d'un lancer de cubes, pour apporter une nouveauté. Cette idée se retrouve sans conteste en biologie de l'évolution en particulier dans l'hypothèse selon laquelle la transformation des espèces pourrait être le produit de mutations. Elle est à l'origine du concept de « monstre prometteur », proposé par Richard B. Goldschmidt. En 1940, dans The Material Basis of Evolution, il postule l'existence de deux types d'événements génétiques susceptibles de jouer un véritable rôle évolutif : les macromutations qui ont un effet très important sur le phénotype et les mutations systémiques qui conduisent à un remaniement profond du génotype.

Dans les deux cas, les phénotypes nouveaux sont suffisamment différents du modèle standard de l'espèce pour qu'on puisse les qualifier de monstrueux ; si la plupart d'entre eux sont condamnés à disparaître, Goldschmidt suppose que certains peuvent survivre et être à l'origine d'une lignée complètement nouvelle. Si l'on s'accorde aujourd'hui à considérer ce phénomène comme extrêmement rare mais pas impossible pour autant, il a littéralement fasciné certains secteurs non scientifiques de la culture occidentale. Il suffit de penser aux mutants qui peuplent la littérature de science-fiction ; celle-ci use souvent de l'idée selon laquelle l'espèce doit attendre son évolution future ou son salut de l'apparition d'un mutant.

Si le hasard est événement, il ne peut pas pour autant prendre n'importe quelle forme : le dé n'a que six faces, six possibilités à offrir et à attendre. Autrement dit, pour reprendre, mais selon une formulation inversée, le mot de Mallarmé : le hasard n'abolit jamais le coup de dés. Ou encore : un monstre ne l'est que s'il partage un reste de ressemblance avec des formes connues et normales. Il n'est donc pas vain d'élaborer une science du jeu de dés, pour tenter d'acquérir sinon un contrôle du moins une connaissance des événements passés ou possibles. Selon les sociétés et les époques, on parle de divination, d'histoire chronologique ou de prospective. Quel que soit leur nom, ces méthodes tentent de découvrir ou de construire un principe de liaison entre les réalités qui voisinent ou se succèdent dans le temps : l'événement perd l'isolement de sa singularité pour s'inscrire dans le déploiement d'une virtualité, dans la réalisation d'un plan, ou encore dans l'émergence d'une nouveauté toujours en voie de constitution. Sans cela, le hasard-événement aurait aussi vite fait de disparaître que d'apparaître, souvent sans laisser de trace. C'est bien ce qui serait arrivé dans l'histoire de l'évolution du vivant s'il ne subsistait pas des traces des formes aussi bien retenues qu'éliminées par la sélection : les fossiles.

La découverte d'un fossile est, à sa manière, un événement : un « intrus » fait brèche dans l'ordre établi d'une classification, d'une organisation particulière du vivant. Du sein du passé et de ses couches de dépôts successifs émerge une nouvelle forme, parfois singulière ou monstrueuse. Certes, du hasard existe dans la découverte elle-même ; mais, pour ce qui nous concerne maintenant, le hasard se trouve avant tout lié à la nouvelle signification que le fossile peut apporter à la variété, à l'espèce, au genre auxquels il appartient. Les fossiles des schistes de Burgess en offrent un exemple, désormais bien connu. Les formes étranges d'Hallucigenia ou d'Anomalocaris correspondent-elles à des amusements de la nature, à des lusus naturae, comme disaient les anciens ? Que plusieurs d'entre elles aient finalement pu être rattachées à des branches déjà connues de l'arbre du vivant ne change rien au fait que leur découverte a enrichi la connaissance biologique de formes et d'événements singuliers, en soulignant par voie de conséquence le caractère irréversible et contingent de l'évolution biologique.

La contingence est le mot clé du livre de Gould, La Vie est belle. « Lorsque nous nous rendons compte qu'un certain aboutissement actuel aurait pu ne pas être, que tout changement à n'importe quel étage de la séquence aurait déchaîné une cas-cade d'événements dans une direction toute différente, alors nous mesurons le poids de chaque événement individuel comme facteur d'orientation13. » Nous cherchons à faire « comme si » tout ce qui est devait être ; or la biologie fourmille d'exemples, vivants ou fossiles, qui laissent entrevoir, directement lorsqu'il s'agit, par exemple, de genres ayant totalement disparu sous l'effet d'une extinction massive ou indirectement au travers de formes à peine esquissées que la réalité présente aurait pu être sensiblement différente. L'histoire révélée par les fossiles n'est ni celle du règne d'un déterminisme strict, ni celle du déroulement d'un plan préétabli ce qui explique les démêlés ni enfin celle d'un jeu de cubes exempt de toute signification. Les fossiles sont la mémoire des lancers de dés de l'évolution.

L'image du dé reste ici pertinente pour comprendre ce que pourrait signifier aujourd'hui l'idée de « loi de l'évolution ». Par le passé, de telles lois ont été proposées. Ernst Haeckel présenta, dans sa Generelle Morphologie 1866, la première formulation de ce qu'est devenu par la suite la « loi biogénétique fondamentale » ; elle s'énonce en ces termes : « L'ontogénie est la récapitulation abrégée et rapide de la phylogénie, régie par les fonctions physiologiques de l'hérédité reproduction et de l'adaptation nutrition. L'individu organique, pendant le cours bref et rapide de son développement individuel, répète les plus importantes des modifications de forme à travers lesquelles ses ancêtres sont passés pendant le cours lent et long de leur développement paléontologique, conformément aux lois de l'hérédité et de l'adaptation14. » De son côté, le jésuite Pierre Teilhard de Chardin s'est proposé, dans le Phénomène humain 1955, d'examiner l'« histoire de la lutte engagée, dans l'Univers, entre le Multiple unifié et la Multitude inorganisée » ; pour cela, il applique « la grande Loi de complexité et de Conscience, loi impliquant elle-même une structure, une courbure, psychiquement convergentes du Monde15 ». Elaborées dans une perspective déterministe ou finaliste, ces lois ont le plus souvent été relativisées voire abandonnées par la suite. Dès lors, on peut à juste titre s'étonner qu'Ernst Mayr puisse affirmer : « Mieux que toute autre science, la biologie de l'évolution est capable de répondre valablement à des questions telles que : quel est le but de l'Univers ? Quel est le but de l'homme ? Pourquoi suis-je vivant16 ? » C'est certainement aller trop vite en ouvrage. La loi en biologie ne peut pas prétendre connaître le but final ; elle cherche plutôt à préciser les rapports qui existent ou pourraient exister entre les événements qui constituent le vivant. Une de leurs principales caractéristiques est d'être soumis à des contraintes. Autrement dit, ce qui est aurait pu ne pas être c'est la définition de la contingence ; mais, pour autant, n'importe quoi n'aurait pas pu être. La première loi de l'évolution est probablement celle de la contrainte. Francis Galton, dans Hereditary Genius 1869, use comme contre-exemple, l'image d'un autre jeu que le lancer de dés : celui du billard. La sélection naturelle n'agit pas comme la queue de billard sur une boule pour lui imposer une vitesse et une direction ; les organismes ne sont pas des sphères, mais des polyèdres qui reposent de manière stable sur leurs facettes. « Le changement évolutif, commente Gould, se réalise plus facilement dans les directions déjà établies dans le cadre du développement17. » Si l'on peut penser avec Hérodote que « lorsqu'on prodigue le temps, tout le possible arrive », il faut immédiatement ajouter : « mais le possible seulement ». Autrement dit, la contingence correspond à cette subtile interaction que l'on découvre entre la capacité des êtres vivants à modifier l'histoire à quelque niveau que ce soit : génétique, morphologique, environnemental et les contraintes imposées par la réalité biologique elle-même. De même qu'un polyèdre repose de façon stable sur ses faces plutôt que sur ses arêtes, de même existe-t-il des possibilités génétiques et ontogénétiques qui influencent considérablement les changements, jusqu'à leur imposer, au moins momentanément, un sens défini.

Il ne faut pas oublier que Darwin fonde la théorie présentée dans De l'Origine des espèces sur une réflexion à propos de la sélection pratiquée par les éleveurs. De même, à propos de la domestication du chien par l'homme, Gould cite Charles Lyell qui écrivait en 1832 : « On n'aurait jamais essayé de domestiquer certains animaux, s'ils n'avaient manifesté à l'état sauvage une certaine aptitude à seconder les efforts de l'homme18. » La sélection ou la domestication empruntent les directions imposées par des aptitudes particulières, elles les mettent en valeur. Si elles les subvertissent, si elles conduisent à des monstruosités, ce ne peut être que pour retomber sur une autre face du polyèdre, probablement voisine, un autre état stable qui possède sa propre harmonie, sans quoi il aurait tôt fait de disparaître.

Parce que l'évolution n'est pas une partie de billard, mais un lancer de polyèdres, ses fruits possèdent d'une manière ou d'une autre une signification, une finalité a posteriori. C'est ce que reconnaissait déjà Claude Bernard, dans son Introduction à l'étude de la médecine expérimentale : « Le physicien et le chimiste peuvent repousser toute idée de causes finales dans les faits qu'ils observent ; tandis que le physiologiste est porté à admettre une finalité harmonique et préétablie dans le corps organisé dont toutes les actions partielles sont solidaires et génératrices les unes des autres19 ». Est-ce à dire que la biologie ne puisse pas se séparer de l'idée de finalité ?

On attribue au biologiste Van Bruecke le mot suivant : « Au fond, la finalité est une dame sans laquelle aucun biologiste ne peut vivre, mais qu'il est honteux de montrer avec lui en public ! » L'origine de cette honte est connue. A l'aube des temps modernes, Galilée refusait de donner la priorité à la question du « pourquoi », comme l'aristotélisme, dominant à l'époque, amenait à le faire. Selon lui, la démarche scientifique doit se fonder sur une pensée mécaniste et viser une utilité. « Le mécanisme, résume Etienne Gilson, nous permet de savoir comment les organismes fonctionnent, ce qui nous permet d'agir utilement sur eux ou même d'en fabriquer de semblables ; la connaissance de la cause finale nous dit seulement le pourquoi du mécanisme, qui est souvent évident et ne nous permet aucune action utile sur la réalité20. » René Descartes appliqua le projet galiléen au vivant en parlant d'animal machine. Pourtant, Claude Bernard dans son Introduction ou J.B.S. Haldane dans sa critique de l'attitude panglossienne « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » montrent chacun à leur manière comment la biologie de l'évolution n'a pas totalement rompu avec l'idée de finalité, même après la rupture causée par la théorie de Darwin entre la cause et la fin. C'est en particulier le cas dans les excès de l'adaptationnisme : un organisme est composé de parties élémentaires dont l'utilité adaptative est a priori postulée et qu'il convient de déterminercoûte que coûte22.

Francis Crick s'en prend à l'attitude adaptationniste lorsqu'il apostropheles évolutionnistes dans les termes suivants : « Pourquoi les évolutionnistes cherchent-ils toujours à apprécier la valeur de tel ou tel trait avant de savoir comment il a été fait ? ». Gould avoue qu'il n'a pas immédiatement accordé « une grande importance à ce commentaire, le mettant sur le compte de l'étroitesse d'esprit d'un biologiste moléculaire réductionniste qui ne comprenait pas que les évolutionnistes doivent toujours chercher aussi bien le "pourquoi" que le "comment" des structures biologiques Ñ leurs causes finales aussi bien que leurs causes efficientes. » « Après m'être colleté de nombreuses années avec la question de l'adaptation, poursuit-il, je comprends à présent la sagesse de la répartie de Crick. Si toutes les structures biologiques répondaient à un "pourquoi" exprimé par l'adaptation, alors j'aurais eu raison de ne pas m'arrêter à sa remarque, car leur "pourquoi" existerait bel et bien, que nous ayons résolu ou non leur "comment". Mais je suis à présent convaincu que de nombreux traits biologiques comme les mamelons masculins et l'orgasme clitoridien ne répondent directement à aucun "pourquoi" adaptatif22. » Ainsi, il ne s'agit pas plus de prôner le rejet de toute idée de finalité que d'affirmer un déterminisme universel. La compréhension darwinienne de l'évolution conduit plutôt à écarter une vision strictement linéaire de la causalité en biologie ; les causalités jouent à des niveaux d'intégration divers et s'imbriquent les unes aux autres23. Par exemple, la réponse à la question lancinante : « Les oiseaux ont-ils des ailes parce qu'ils volent ou volent-ils parce qu'ils ont des ailes ? » ne peut être simple et directe. La variation et le développement, agissant aux niveaux moléculaire et individuel, font en sorte que les oiseaux volent parce qu'ils ont des ailes ; la sélection, agissant aux niveaux de l'individu et de la population, entraîne que les oiseaux ont des ailes parce qu'ils volent. Les causes ne peuvent pas être appréhendées de manière linéaire mais plutôt circulaire. Les divers niveaux d'intégration du vivant, les variations et la sélection sont effectivement articulés, selon une hiérarchie et une finalité de fait. Darwin ne l'avait-il pas déjà compris lorsqu'il écrivait les dernières lignes de De l'Origine des espèces ?

« Il est intéressant de contempler un riv a ge luxuriant tapissé de nombreuses plantesappartenant à de nombreuses espèces abritant des oiseaux qui chantent dans les buissons, des insectes variés qui voltigent çà et là, des vers qui rampent dans la terre humide, si l'on songe que ces formes si admirablement construites, si différemment conformées, et dépendantes les unes des autres d'une manière si complexe, ont toutes été produites par des lois qui agissent autour de nous. [...] Le résultat direct de cette guerre de la nature, qui se traduit par la famine et par la mort, est donc le fait le plus admirable que nous puissions concevoir, à savoir : la production des animaux supérieurs. N'y a-t-il pas une véritable grandeur dans cette manière d'envisager la vie, avec ses puissances diverses attribuées primitivement par le Créateur à un petit nombre de formes, ou même à une seule ? Or, tandis que notre planète, obéissant à la loi fixe de la gravitation, continue à tourner dans son orbite, une quantité infinie de belles et admirables formes, sorties d'un commencement si simple, n'ont pas cessé de se développer et se développent encore 24 ! »

La conspiration du hasard et des contraintes contraint l'esprit humain à admettre qu'une finalité peut exister en dehors de celle qu'il prétend créer et imposer au sein de la réalité vivante.

Par Jacques Arnould

 

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PLANCTON GÉANT ...

 

Paris, 20 avril 2016
Du plancton géant passé inaperçu

Une équipe de biologistes marins et d'océanographes du CNRS, de l'UPMC1 et de l'institut allemand GEOMAR révèle l'importance dans toutes les mers du globe d'un groupe d'organismes planctoniques de grande taille, appelé Rhizaria, complètement sous-estimé jusqu'à présent. Selon leurs résultats, ces organismes représentent 33 % de l'abondance totale du plancton animal de grande taille à l'échelle de l'océan mondial et contribuent à 5 % de la biomasse marine globale. Cette étude a été menée sur des échantillons acquis au cours de onze campagnes océaniques (2008-2013) couvrant les principales régions océaniques du globe et incluant l'expédition Tara Oceans. Elle est publiée le 20 avril 2016 sur le site de la revue Nature (parution papier le 28 avril2).
Invisible à l'œil nu, le plancton marin n'en est pas moins un élément essentiel à l'équilibre de notre planète. Encore très largement méconnu, il rassemble des êtres microscopiques d'une variété étonnante qui produisent la moitié de l'oxygène sur Terre et sont à la base de la chaîne alimentaire océanique qui nourrit les poissons et les mammifères marins. Les rhizaires, de leur nom latin Rhizaria, sont un groupe d'organismes planctoniques de grande taille dont on ne soupçonnait pas l'importance jusqu'à présent. La plupart des estimations de la distribution des organismes marins sont menées localement (dans une zone marine définie) et s'appuient sur la collecte réalisée avec des filets à plancton. Même menée avec le plus grand soin, cette opération peut détériorer certains organismes fragiles comme les Rhizaria et ne pas permettre de les repérer.

Des biologistes marins et des océanographes ont uni leurs compétences afin d'analyser des échantillons prélevés au cours de onze campagnes en mer réalisées entre 2008 et 2013, à l'aide d'une technique moins « destructrice », à savoir une caméra immergée et déployée vers les profondeurs. Cette méthode d'imagerie in situ – sans prélèvement – a permis d'étudier les organismes directement dans leur environnement, sans les endommager. Au total, 877 stations (correspondant à 1 454 immersions de la caméra jusqu'à 1 500 mètres) ont été effectuées: elles couvrent toutes les grandes régions océaniques du globe. Ce sont au total 1,8 million d'images que les scientifiques ont analysées afin de quantifier l'abondance et la biomasse représentées par les Rhizaria3.

Et là, surprise : leurs estimations démontrent sans ambiguïté que les Rhizaria représentent plus d'un quart de l'abondance totale du plancton animal de grande taille dans le monde. Autre résultat : ils contribuent à hauteur de 5 % de la biomasse totale présente dans les océans (en considérant tous les organismes, du plancton à la baleine). La présence des Rhizaria dans tous les océans de notre planète était passée complètement inaperçue jusqu'à ce jour. Leur répartition reste toutefois inhomogène : ce plancton géant prédomine dans des zones pauvres en nutriments (situées au centre des grands océans), qui couvrent la plus grande partie des régions océaniques. Cette distribution pourrait s'expliquer par la capacité des Rhizaria à vivre en association (symbiose) avec des micro-algues, tout comme les coraux. Dans une symbiose, l'union entre les entités repose sur des échanges réciproques d'aliments : ainsi, en bénéficiant directement des produits de la photosynthèse, les Rhizaria parviendraient à survivre dans des eaux pauvres en nutriments. Le plancton continue à livrer peu à peu ses secrets, dévoilant une richesse et une diversité insoupçonnées.

 

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BOIS ET HUMIDITÉ ...

 

Paris, 23 mars 2016
Comprendre la stabilité du bois face à l'humidité

Connaître le retrait1 ou le gonflement du bois en fonction de l'humidité (ce que l'on appelle la stabilité dimensionnelle) est primordial pour de nombreux usages du bois. Des chercheurs du CNRS et du Cirad2 ont démontré que chez la bagasse (Bagassa guianensis) une espèce de bois guyanais à croissance rapide, les métabolites secondaires, dont la fonction principale est de défendre l'arbre contre les attaques extérieures, permettent également de bloquer le retrait. Ils confèrent ainsi à la bagasse une grande stabilité. Ces résultats, dont la méthode sera étendue à une large diversité d'arbres, montrent l'intérêt de décrire la biodiversité en effectuant une analyse approfondie des propriétés des bois afin de découvrir des espèces prometteuses qui pourront être plantées à l'avenir. Ils seront publiés dans PLOS ONE le 23 mars 2016.
Pour contribuer à la diversification des bois exploitables et commercialisables, tout en s'appuyant un maximum sur la biodiversité locale, il est nécessaire de découvrir de nouvelles espèces d'arbres qui pourront être plantées. Pour cela, il faut poursuivre l'effort de description de la biodiversité, pas seulement d'un point de vue taxonomique, c'est-à-dire selon la classification classique des espèces, mais aussi par une caractérisation des propriétés des bois. L'objectif est ainsi de répondre aux demandes en matériaux, notamment dans les régions tropicales où la croissance démographique est rapide3.

Forts de ce constat, des chimistes et biomécaniciens du laboratoire EcoFoG (CNRS/Agroparistech/Cirad/Inra/Université des Antilles/Université de Guyane) ont tout d'abord sélectionné plusieurs espèces d'intérêt en croisant deux bases de données issues de plusieurs décennies de mesures en Guyane ; l'une sur la croissance des arbres4 et l'autre recensant les propriétés technologiques des bois5. Parmi les espèces sélectionnées, les chercheurs ont ciblé la bagasse, un bois guyanais à croissance rapide, présentant une densité moyenne (le bois n'est ni trop lourd ni trop léger), et une forte durabilité. En caractérisant les propriétés physiques et mécaniques de plusieurs centaines d'échantillons de bois, issus d'une dizaine d'arbres à différent stades de croissance, les chercheurs ont mis en évidence que le bois de bagasse avait une stabilité dimensionnelle particulièrement forte, quelle que soit sa densité.

Pour comprendre pourquoi le bois de bagasse est aussi stable, les scientifiques se sont intéressés à la teneur en métabolites secondaires du duramen, ou bois de cœur. Cette partie centrale du tronc est plus foncée que la partie périphérique du bois, l'aubier, à cause des métabolites de défense synthétisés par l'arbre en le protégeant des insectes et des champignons. Les chercheurs ont comparé la manière dont des échantillons de bois de bagasse réagissaient au séchage en fonction de la quantité de métabolites présents dans le bois. Leurs résultats mettent en évidence que le cœur de ce bois est très stable quel que soit l'humidité et ce d'autant plus quand la teneur en métabolites secondaires augmente. Ce sont donc ces derniers qui bloquent le retrait et qui confèrent au bois de bagasse sa grande stabilité. Ces résultats montrent ainsi que le taux de métabolites peut être un facteur explicatif du retrait au séchage plus important que la densité. Ils permettent également de proposer des hypothèses sur le mécanisme de déformation mécanique du retrait.

Ces résultats ont permis de tester de nouveaux modèles statistiques qui intègrent la teneur en métabolites pour prédire le retrait d'un bois et donc son comportement au séchage. Les chercheurs souhaitent désormais approfondir leurs recherches pour comprendre l'impact de la nature chimique des métabolites sur les propriétés du bois. Ils souhaitent également étendre leurs analyses à une large diversité d'espèces guyanaises pour révéler de bons candidats à la plantation et à une production locale de bois d'œuvre, à l'image de la bagasse, déjà connue pour sa croissance rapide et sa durabilité et qui se distingue aujourd'hui par sa forte stabilité dimensionnelle.

 

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LE SYSTÈME IMMUNITAIRE

 


Le système immunitaire
back to basic - par Laure Schalchli dans mensuel n°301 daté septembre 1997 à la page 90 (3001 mots)
Des millions d'anticorps et un grand principe : pour reconnaître l'étranger, encore faut-il se connaître soi-même

La masse du système immunitaire est comparable à celle du foie ou du cerveau. Mais il est éparpillé dans tout l'organisme. En font partie les globules blancs circulant dans le sang, dans la lymphe et imprégnant les tissus. Les principales cellules de l'immunité sont les lymphocytes, qui sont les globules blancs majoritaires dans le sang. Un homme adulte en contiendrait quelque deux mille milliards. Mais il existe beaucoup d'autres cellules impliquées dans l'immunité : globules blancs polynucléaires, monocytes ou macrophages, mastocytes, cellules dendritiques.

Le système immunitaire c'est aussi une série d'organes et de tissus dits lymphoïdes : les ganglions, la moelle des os, la rate, les amygdales, les végétations, l'appendice et des tissus associés au tube digestif et aux poumons en font partie. S'y ajoute le thymus, un organe situé dans le thorax derrière le sternum, qui grossit jusqu'à la puberté puis s'atrophie à l'âge adulte.

Toutes les cellules impliquées dans l'immunité prennent naissance dans la moelle des os. Certains lymphocytes se différencient dans le thymus. Puis ils migrent dans le sang et la lymphe et séjournent temporairement dans la rate, les ganglions, en se concentrant à proximité de la peau et des muqueuses, partout où le risque de pénétration d'intrus est grand. En permanence, le système immunitaire assure l'intégrité de l'organisme face aux substances étrangères, aux bactéries, aux virus, aux parasites.

Quand a-t-il été découvert ?
Le 14 mai 1796, un médecin de Berkeley, Edward Jenner, fait une expérience capitale. Il prend au mot une croyance populaire, selon laquelle une maladie de la vache cowpox , maintenant appelée vaccine peut rendre l'homme réfractaire à la variole. Il introduit du pus d'une femme atteinte de la maladie bovine dans le bras du jeune James Phipps, un enfant de 8 ans en parfaite santé. Six semaines plus tard, il injecte au garçon du pus d'un malade atteint de variole. James Phipps reste en bonne santé. La vaccination est née.

Un peu plus de quatre-vingts ans plus tard, Louis Pasteur fournit un début d'explication au succès de Jenner. En injectant à des poules de vieilles souches atténuées de bacilles du choléra, Pasteur et Emile Roux les protègent d'une infection ultérieure par le même microbe, mais pas par d'autres germes. Pasteur répète l'expérience, entre autres, avec des bacilles du charbon inactivés par la chaleur. On trouve ici les propriétés essentielles des réactions immunitaires : la vaccination ne protège que contre l'agent vaccinant spécificité, la protection est complète efficacité, le vaccin protège pendant des années, voire toute la vie mémoire.

Peu après, le zoologiste et microbiologiste russe Ilya Mechnikov propose sa théorie « cellulaire » de l'immunité, qui fait intervenir des cellules spécialisées. Pour la première fois, il suggère que l'inflammation n'est pas une composante nocive de la maladie, mais une réaction de l'organisme qui tend à protéger le malade. C'est au tournant du siècle que la réaction immunitaire est rattachée à l'apparition dans le sang de protéines spécifiques, les anticorps. En 1890, l'Allemand Emil von Berhing et le Japonais Shibasaburo Kitasato isolent les premiers d'entre eux, des substances solubles capables de neutraliser les toxines diphtérique et tétanique.

Qu'est-ce qu'un anticorps ? Comment est-il fabriqué ?
Le nom d'abord, anticorps, vient de ce que cette substance reconnaît le corps étranger et s'y fixe. On ne parle pas d'anticorps sans parler de son partenaire obligé, l'antigène, nommé ainsi parce que c'est justement... le « générateur » d'anticorps. L'antigène est le composé qui, quand on l'introduit dans l'organisme, provoque la formation d'anticorps spécifiques dirigés contre lui. La définition se mord la queue.

Les anticorps sont des protéines solubles présentes dans le sang. On les appelle également immunoglobulines. Elles sont fabriquées par un type particulier de globules blancs, les lymphocytes B. Le sang humain en contient une quantité énorme : un litre recèle environ soixante-dix grammes de protéines, dont dix à vingt grammes d'immunoglobulines.

Un casse-tête a dès le départ préoccupé les immunologistes. Un anticorps reconnaît de façon extrêmement fine et spécifique un antigène. Or il existe, dans la nature, un nombre indéfini d'antigènes. Le système immunitaire peut donc produire des anticorps contre n'importe quoi, y compris des substances créées par l'industrie chimique du XXe siècle.

Pour l'expliquer, on a d'abord pensé que les anticorps s'adaptent à l'antigène injecté, qu'ils « apprennent » sa forme en s'y modelant. Ce modèle, dit instructionniste, a été défendu jusqu'à la fin des années 1950. Il a été détrôné par celui de la « sélection » des anticorps : une diversité énorme d'anticorps existe bel et bien dans l'organisme. L'arrivée d'un antigène sélectionne ceux qui le reconnaissent et s'y fixent. Un processus somme toute très darwinien. Le modèle de la sélection supposait cependant de résoudre un problème de taille : la fabrication de millions d'anticorps différents, bien plus que le nombre total de gènes disponibles dans les chromosomes.

Deux phénomènes génétiques exceptionnels, qui ont lieu dans les lymphocytes, assurent une telle diversité. Ils ont été découverts pendant les années 1970. Le premier est un « remaniement » du génome. Chaque anticorps est codé par un gène unique, construit à partir de plusieurs pièces détachées : au moins trois tronçons génétiques différents, choisis parmi plus d'une centaine, sont coupés et placés bout à bout. De plus, l'assemblage des tronçons est assez imprécis. Ce jeu de combinaisons permet de produire une diversité considérable d'anticorps, libérés par autant de lymphocytes différents. Des chiffres ont été avancés, très divers eux aussi : un million, dix milliards...

Le second processus laisse encore les généticiens perplexes. Certaines portions des gènes codant les anticorps mutent à une vitesse impensable dans le reste du génome. Le taux de mutation peut y être jusqu'à dix millions de fois plus élevé. Ce mécanisme, qui entraîne une augmentation extrême de la diversité, touche les anticorps déjà sélectionnés par l'antigène. Il a lieu dans les lymphocytes activés, en réponse à l'antigène, et se solde par la production et la sélection d'anticorps encore plus « performants ».

Notons enfin que contrairement à une simplification abusive, chaque antigène est reconnu par de nombreux anticorps différents. Et vice versa : un même anticorps reconnaît plusieurs antigènes. Les immunologistes parlent de dégénerescence de la reconnaissance.

Pourquoi rejette-t-on les greffes ?
Parce que l'organe greffé contient des composants, plus exactement des protéines, qui n'existent pas dans le corps du receveur. Le système immunitaire détecte ces protéines étrangères et détruit les tissus qui les portent.

Ces protéines spéciales sont appelées « molécules d'histocompatibilité » du grec histos , tissu. Elles ont des propriétés étonnantes. Normalement, à l'intérieur d'une espèce, donc chez l'homme, les protéines varient peu d'une personne à l'autre, sauf anomalie génétique. Dans le cas des molécules d'histocompatibilité, pour une seule protéine - c'est-à-dire pour un seul gène - on peut trouver plus de cent versions différentes dans la population. Comme ces protéines sont de surcroît assez nombreuses quelques dizaines, deux individus pris au hasard ont très peu de chances de porter les mêmes. Les protéines d'histocompatibilité sont ainsi de très bons marqueurs du « soi » biologique. Dernière particularité, toutes les cellules de l'organisme exhibent ces protéines à leur surface. A quelques exceptions près : les spermatozoïdes en sont dépourvus ; les globules rouges aussi, ce qui facilite les transfusions...

Ces protéines sont codées par un groupe de gènes, le « complexe majeur d'histocompatibilité » CMH. Qui est effectivement fort complexe et très étudié par les immunologistes et les généticiens. Il contient au moins une cinquantaine de gènes différents, mais seulement certains dits de classe I et II interviennent dans la reconnaissance du soi. Chez l'homme, on appelle souvent ces protéines HLA human-leucocyte-associated antigens , parce qu'elles ont été découvertes par hasard sur les globules blancs les leucocytes. On les distingue par des lettres : HLA A, B, C, E, F, G, DP, DQ, DR... Deux vrais jumeaux ont exactement les mêmes HLA. Deux frères et soeurs ont moins d'une chance sur seize d'hériter d'un lot identique. Connaissant la répartition des différentes formes de HLA dans la population, on estime que cette probabilité tombe à un sur 40 000 pour deux personnes prises au hasard.

D'autres protéines jouent un rôle mineur dans le rejet des greffes. Elles sont très variées et la liste est loin d'être close. L'une d'entre elles, « HY », est présente uniquement chez les hommes, car elle est codée par un gène situé sur le chromosome Y. Résultat : une femme rejette le rein ou le coeur d'un homme, même s'ils ont les mêmes HLA.

Comment le système immunitaire détecte-t-il les intrus ?
Dans les années 1970 a été faite une découverte étonnante : le système immunitaire n'est pas capable d'identifier les composés étrangers tels quels. Il ne reconnaît le « non-soi » que s'il est associé aux marqueurs du « soi » : les antigènes ne sont vus que s'ils sont portés, présentés par les protéines d'histocompatibilité. Tout est affaire de coopération entre cellules.

Très schématiquement, la reconnaissance de la plupart des bactéries qui pénètrent dans l'organisme se déroule de la façon suivante. En permanence, des sentinelles abondantes dans la peau, les muqueuses et les ganglions, les cellules dendritiques et les macrophages, captent les intrus et les ingèrent. Les antigènes bactériens sont digérés, fragmentés, puis exhibés à la surface de ces cellules. Ils n'y sont jamais exposés seuls, mais nichés au sein des protéines d'histocompatibilité. C'est sous cette forme que le système immunitaire les reconnaît. La reconnaissance est assurée par les lymphocytes : tous portent à leur surface des molécules semblables aux anticorps, mais ancrées sur la cellule. Ceux qui fixent spécifiquement l'antigène intrus sont sélectionnés et se multiplient. Entrent d'abord en jeu les lymphocytes T, baptisés ainsi parce que leur maturation se fait dans le thymus, puis les lymphocytes B, qui produisent les anticorps.

Autre cas possible : l'organisme est envahi par des virus. C'est la cellule infectée qui présente directement aux lymphocytes des fragments du virus, lovés dans les protéines du soi.

Lorsqu'un antigène a été reconnu une première fois, le système immunitaire s'en souvient. La mémoire repose sur des cellules à durée de vie extrêmement longue : elles - ou leurs descendantes - restent dans la rate, dans les ganglions, pendant des mois ou des années, prêtes à se réveiller si l'antigène réapparaît. En revanche, la très grande majorité des lymphocytes ne vivent que quelques jours : après avoir été activés et s'être multipliés à très grande allure pendant la réponse immunitaire, ils meurent en masse, se suicidant en réponse à des signaux externes. On ignore complètement ce qui permet à certains d'échapper à l'hécatombe.

Comment les détruit-il ?
L'organismerépond généralement à l'invasion de bactéries ou de virus par de la fièvre, puis par une réaction inflammatoire : le lieu de l'infection devient rouge, douloureux, gonflé. Les tissus infectés libèrent des substances chimiques qui dilatent les vaisseaux, provoquent un afflux de sang, attirent les globules blancs. Ces derniers affluent et détruisent les bactéries ou les cellules infectées. Si l'on entre dans les détails de la réponse immunitaire, l'affaire se complique très vite. Entrent en jeu une panoplie de cellules qui communiquent soit par contact physique, soit en libérant dans leur voisinage des signaux chimiques.

Les anticorps neutralisent les bactéries ou leurs toxines en les agglutinant et en activant contre elles des enzymes sanguines, regroupées sous le nom de système du complément. Mais ce n'est que l'une des armes du système immunitaire. L'entrée de bactéries provoque un recrutement en cascade. Les lymphocytes T « auxiliaires » ou CD4 activent les lymphocytes B, qui se multiplient et sécrètent les anticorps. Un seul lymphocyte peut en produire plus de dix millions par heure. D'autres cellules, les polynucléaires et les macrophages, ingèrent et tuent les microbes. La lutte contre les virus ou contre certaines bactéries se développant à l'intérieur des cellules fait intervenir d'autres acteurs, les lymphocytes T tueurs ou CD8. Ces derniers reconnaissent directement les cellules infectées et les tuent en y déclenchant un programme interne de suicide.

D'où viennent les maladies auto-immunes ?
La question est loin d'être vraiment résolue. Dans ces maladies, le système immunitaire s'attaque aux propres éléments de l'organisme : les cellules du pancréas dans certains diabètes, la gaine des neurones dans la sclérose en plaques, les globules rouges dans certaines anémies... L'élément déclenchant reste assez mystérieux. Un point est sûr : nous produisons tous des anticorps et des lymphocytes dirigés vers les constituants du corps humain. Certains pensent même que c'est indispensable à l'équilibre du système immunitaire. Mais en temps normal, ces lymphocytes sont inactifs.

Très tôt, durant la vie embryonnaire, le système immunitaire apprend à devenir tolérant vis-à-vis de ses propres constituants. Dans le thymus de l'embryon, beaucoup de lymphocytes dirigés contre les constituants du corps sont éliminés. D'autres sont simplement « muselés », empêchés d'agir on parle d'anergie des lymphocytes. L'hypothèse actuelle est que pour entrer en jeu un lymphocyte a besoin de recevoir au moins deux signaux. D'une part, il lui faut reconnaître l'antigène, présenté par une cellule adéquate. D'autre part, il doit recevoir en même temps un signal délivré par la cellule présentatrice, par contact direct ou sous forme d'une substance soluble. Dans l'embryon, ce second signal ferait défaut, ce qui entraînerait la mort ou l'anergie de tous les lymphocytes reconnaissant les constituants du corps.

Cette « éducation » du système immunitaire se poursuit à l'âge adulte. L'organisme fabrique en permanence des lymphocytes dirigés contre ses propres constituants. C'est la présence ou l'absence du second signal - qui reflète peut-être le danger associé à l'antigène - qui aiguillerait le système vers la tolérance ou vers la réaction immunitaire. Certaines maladies auto-immunes ont été associées à des HLA particuliers. La présentation de l'antigène par telle ou telle molécule d'histocompatibilité pourrait favoriser l'activation des lymphocytes dirigés contre les constituants du corps. Une autre piste est qu'une infection virale peut modifier la présentation des antigènes du soi et induire certains lymphocytes à y réagir.

Pourquoi un corps étranger comme le foetus est-il toléré par la mère ?
C'est ce qu'on appelle le « privilège immunitaire », qui profite d'ailleurs aussi aux cellules cancéreuses. Il n'existe pas d'explication unique à ce phénomène.

Pour le foetus, le scénario suivant est avancé. Lorsque l'oeuf se niche dans l'utérus, ses enveloppes ne portent pas les protéines d'histocompatibilité HLA classiques ; il échappe ainsi au rejet de greffe. Cependant, les cellules sans HLA sont normalement détruites par une catégorie spéciale de cellules immunitaires, les cellules tueuses naturelles, qui reconnaissent l'absence du soi. Et l'utérus en regorge. L'embryon échapperait à la destruction car ses enveloppes portent un autre type de protéines HLA, appelées HLA-G, qui agissent comme des immunosuppresseurs.

Quant aux cellules cancéreuses, elles produisent des antigènes anormaux qui devraient également entraîner leur destruction par le système immunitaire. Peut-être y échappent-elles par le mécanisme décrit ci-dessus. Leur furtivité pourrait aussi être liée au fait que ce ne sont pas de bonnes « présentatrices » d'antigènes : elles ne délivreraient pas le second signal adéquat. Autre hypothèse : les cellules cancéreuses libèrent des signaux captés par les cellules immunitaires, les poussant à un suicide anticipé ou rendant leur réponse inefficace. Ces hypothèses ne sont pas exclusives : l'homme évolue avec ses tumeurs depuis des millions d'années, aux cours desquelles a dû s'instaurer un dialogue complexe entre ces dernières et le système immunitaire.

D'où viennent les allergies ?
Ce sont des réactions immunitaires exacerbées - et surtout mal aiguillées. Leur nom fait référence à cette réponse particulière du grec allos , autre, et ergon , travail. La rougeur, l'oedème, les démangeaisons sont dus à la libération dans la peau, dans les muqueuses du nez, dans les bronches, de grandes quantités de substances chimiques responsables de l'inflammation, en particulier de l'histamine. Ces substances font partie intégrante d'une réponse immunitaire normale, mais la machine s'est emballée.

Même si seulement 10 à 20 % des personnes s'en plaignent, tout le monde est plus ou moins allergique. C'est une question d'équilibre dans la réponse immunitaire. Un antigène peut, une fois qu'il a été reconnu par les lymphocytes T auxiliaires, donner lieu à deux réponses différentes. Schématiquement, la première voie recrute les lymphocytes tueurs et permet le rejet des greffes ou la lutte antivirale. La seconde, mise en jeu dans la lutte contre les parasites et beaucoup de bactéries, favorise la formation d'anticorps. Ces voies ont été baptisées TH1 et TH2 pour T helper 1 et 2, parce qu'elles sont mises en route par deux types de lymphocytes auxiliaires, qui émettent des signaux différents. Dans l'allergie, la balance penche vers TH2, et en particulier vers la production d'un type d'anticorps appelé IgE pour immuno- globuline E. Ces anticorps stimulent la libération explosive de l'histamine et d'autres signaux par des cellules spécialisées, les mastocytes.

Certains antigènes - comme ceux des pollens des graminées, qui donnent le rhume des foins - sont plus propices à la production d'IgE. Mais l'allergie est aussi une question de prédisposition génétique : certaines personnes sont plus disposées à répondre par l'une ou l'autre des deux voies immunitaires.

Les éponges, les oiseaux, les végétaux ont-ils un système immunitaire ?
Tout dépend de ce qu'on appelle immunité. Les éponges ou les colonies de coraux sont capables de rejeter un élément étranger. Il s'agit d'un système de reconnaissance du non-soi, mais qui n'a rien à voir avec l'immunité assurée par les lymphocytes. De même, les plantes, les insectes peuvent réagir à un agresseur en relarguant des substances toxiques antibiotiques, protéines. Mais il n'y a pas de reconnaissance précise de l'antigène.

Ce type d'immunité non spécifique, sans mémoire, a bizarrement été qualifiée de « naturelle » ou d'« innée ». Elle correspond, chez l'homme, à l'action des cellules tueuses naturelles, des macrophages ou du complément.

Des molécules, dont la structure est proche de celle des anticorps, ont été retrouvées chez les vers nématodes ou les insectes. Mais cela n'implique pas une parenté de fonction. L'immunité spécifique ou « adaptative » apparaît chez les vertébrés. Presque tous ont un système immunitaire avec des anticorps. A une exception près : on n'en a pas retrouvé chez les vertébrés les plus primitifs, les poissons sans mâchoires ou agnathes, comme la lamproie. Les poissons, les batraciens, les reptiles, les oiseaux ont un thymus. La coopération entre lymphocytes, qui permet la maturation de la réponse immunitaire, atteint son efficacité maximale chez les mammifères.

Par Laure Schalchli

 

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