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MIROSLAV RADMAN : « On devrait s'inspirer davantage de la nature » |
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MIROSLAV RADMAN : « On devrait s'inspirer davantage de la nature »
Propos recueillis par Cécile Klingler dans mensuel 445
ENTRETIEN. Pour créer de nouveaux types de cellules, produisant des molécules qui nous seraient utiles, l'ingénierie du génome par génie génétique n'est pas l'unique solution.
LA RECHERCHE : La biologie de synthèse est-elle synonyme de nouveauté ?
MIROSLAV RADMAN : Elle le sera le jour où nous saurons synthétiser une séquence d'ADN qui n'existe pas dans la nature et qui code une protéine ayant une activité jusqu'alors jamais observée. Pour produire cette protéine, il faudra d'abord la concevoir par modélisation informatique, puis concevoir le ou les gènes nécessaires pour qu'elle soit synthétisée dans un système, par exemple des bactéries. Mais cette biologie de synthèse n'existe pas à l'heure actuelle, car nos connaissances en biochimie, en biophysique et en bio-informatique sont insuffisantes. Et peut-être manquons-nous aussi d'imagination pour inventer des « fonctions biosynthétiques » ! Aujourd'hui, ce que certains appellent « biologie de synthèse » n'est jamais qu'une extension du génie génétique classique : on utilise des gènes qui existent déjà, quitte à les modifier un peu.
Pour créer des cellules ayant des propriétés inédites, savoir manipuler le génome est-il le seul facteur qui entre en ligne de compte ?
M.R. C'est une question de fond, qui jusqu'à présent a été très peu étudiée. Par exemple, dans les expériences de transfert et remplacement des génomes entre bactéries d'espèces différentes ou de transfert d'un génome synthétique, à quel point la structure membranaire doit-elle être héritée en même temps que le génome, pour que l'ensemble fonctionne ? Il se trouve que, chez les bactéries, la composition et la structure de la membrane sont très différentes, selon qu'elles appartiennent à la catégorie dite « Gram+ » ou à celle dite « Gram- ». Si l'on prend une bactérie Gram+ et qu'on y introduise le génome d'une bactérie Gram-, les molécules caractéristiques d'une membrane Gram- vont être synthétisées. Mais vont-elles s'insérer dans la membrane Gram+ et la transformer en membrane Gram- ? Ou bien la membrane de la bactérie receveuse, qui résulte de milliards d'années d'évolution et de sélection naturelle, va-t-elle les refuser ? Dans ce cas, c'en est fini de l'expérience. C'est comme se demander si, lors d'un déménagement, on peut non seulement changer les meubles, mais aussi remplacer les briques de la maison dans laquelle on emménage par de la pierre de taille, sans que la maison s'effondre.
Le génie génétique classique, où l'on se contente souvent de transférer un seul gène, donne-t-il des informations à cet égard ?
M.R. On sait par exemple que plus l'espèce d'où provient le gène en question est éloignée de l'espèce dans laquelle on l'introduit, plus la synthèse de la protéine qu'il code est lente. Cette perte d'efficacité vient de ce que chaque organisme n'utilise pas exactement de la même façon le code génétique qui, à une séquence d'ADN donnée, fait correspondre une succession d'acides aminés, les constituants des protéines. Selon ce code, une combinaison donnée de trois des quatre « lettres » de l'ADN un codon correspond à un acide aminé précis, et une autre combinaison, à un autre acide aminé. Et pour la plupart des acides aminés, il existe plusieurs codons. Mais du fait de l'évolution, une espèce donnée utilise souvent l'un de ces codons de façon plus efficace que les autres. Par exemple, il y a six codons pour l'acide aminé « sérine », mais certaines espèces utilisent plutôt le codon n° 1, d'autres, le codon n° 2, etc. Or, lorsqu'on fait du génie génétique, il arrive que les « codons préférés » de l'organisme qui reçoit un gène étranger ne correspondent pas aux « codons préférés » de l'organisme d'où provient ce gène. Le receveur se retrouve donc confronté à un codon qu'il n'a pas l'habitude d'utiliser. Cela ralentit la synthèse de la protéine codée par le gène étranger. Dans un tel cas de figure, la biologie synthétique de l'ADN est utile car on peut utiliser, pour transformer la cellule, un gène synthétique ayant les codons adaptés.
Est-il possible de créer de nouveaux organismes n'existant pas dans la nature, et fonctionnant de façon harmonieuse ?
M.R. Je pense que oui, à condition de s'inspirer davantage de la nature et de tirer parti de la sélection naturelle, plutôt que de chercher à faire des chimères génétiques souvent fragiles. Par exemple, je voudrais développer ce que j'appelle le « génie de symbiose », un terme que j'emploie par analogie avec « génie génétique ». Il s'agit de s'inspirer d'un phénomène naturel qui s'est produit il y a un milliard et demi d'années, lorsque des bactéries photosynthétiques ont été absorbées par des cellules et que ces dernières ont acquis la capacité de réaliser la photosynthèse. L'un de mes projets est d'utiliser ce génie de symbiose pour transformer l'eau en éthanol, utilisable comme biocarburant.
Comment comptez-vous y parvenir ?
M.R. L'idée est de fusionner des cyanobactéries qui sont des bactéries photosynthétiques avec des levures, pour combiner les propriétés de ces deux organismes. En effet, les cyanobactéries produisent des sucres par photosynthèse, à partir d'eau, de soleil et de dioxyde de carbone. Quant aux levures, elles fermentent très efficacement ces sucres en éthanol. En associant les deux, on aurait donc un organisme produisant de l'éthanol à partir d'eau. Bien évidemment, il faut éviter que la levure digère la bactérie ou, inversement, que la bactérie se multiplie dans la levure, la parasite et la détruise. Pour y parvenir, nous créerons une grande quantité de mutants lors de la fusion, parmi lesquels nous sélectionnerons ceux capables de vivre dans l'eau grâce à la lumière. L'objectif est d'obtenir des organismes symbiotiques où la cyanobactérie mutée se divise au même rythme que la levure.
Ce type d'approche « naturaliste » est-il courant ?
M.R. Pas du tout, car il y a généralement peu d'approches nouvelles dans la biologie actuelle. Le problème est que les chercheurs suivent tous le courant dominant. Certains se vantent de faire la même chose que tel célèbre groupe du Massachusetts Institute of Technology. Ils devraient avoir honte de dire cela ! Ce sont des perdants. Or, on donne l'argent aux perdants. Les propositions plus audacieuses s'entendent répondre : « C'est risqué » . Eh oui, bien sûr que c'est risqué. Car ce qui n'est pas risqué n'est pas nouveau, et ce qui n'est pas nouveau ne vaut pas la peine. La société attend des chercheurs, à raison, de l'innovation. Reste qu'elle ne peut pas être décrétée sur mesure par les bureaucrates ! Imagine-t-on le ministère de la Culture dire : « Cette année, seuls auront un soutien financier les peintres qui peignent des tankers en vert, et les compositeurs qui composent en bémol » ? On a peine à l'imaginer, mais c'est exactement ce qui nous arrive en sciences.
NOTES
Miroslav Radman, professeur de biologie cellulaire à l'université Paris-V, anime l'équipe « Biologie de la robustesse », au sein de l'unité Inserm « Génétique moléculaire, évolutive et médicale », qu'il a dirigée de 1998 à 2009. Il a reçu en 2003 le Grand Prix Inserm de la recherche médicale pour l'ensemble de ses travaux sur les mécanismes des changements génétiques.
L'ESSENTIEL
LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE méritera ce nom quand nous saurons concevoir des gènes n'existant pas dans la nature.
IL FAUDRAIT DÉVELOPPER en parallèle des approches plus naturalistes pour obtenir de nouveaux types de cellules.
LE « GÉNIE DE SYMBIOSE », par exemple, fait coopérer des organismes aux propriétés complémentaires.
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La première bactérie au code génétique augmenté |
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La première bactérie au code génétique augmenté
Jean-Philippe Braly dans mensuel 489
C'est une avancée importante pour la biologie de synthèse : une bactérie a transmis à sa descendance de l'ADN modifié, comprenant deux constituants qui n'existent pas dans la nature.
Mettre au point des cellules capables de fabriquer sur commande des protéines inédites : c'est l'un des objectifs affichés de la biologie de synthèse. Un objectif ambitieux, car il nécessite ni plus ni moins de créer un nouveau code génétique fonctionnel. Les biologistes sont encore loin d'y parvenir,mais l'équipe de Floyd Romesberg, de l'institut de recherche Scripps, en Californie, vient de franchir une étape décisive : elle a conçu une bactérie dont l'ADN comprend, en plus des quatre molécules, ou « bases », constituant l'ADN naturel, deux autres conçues et synthétisées en laboratoire, qui n'existent donc pas dans la nature. Qui plus est, cette modification a perduré au fil des générations bactériennes [1].
L'équipe de Floyd Romesberg travaille sur le sujet depuis la fin des années 1990. « À elle seule, l'obtention de deux nouvelles bases capables de s'apparier entre elles et uniquement entre elles, et pas avec les bases naturelles - l'adénine, la thymine, la cytosine et la guanine - est le fruit de quatorze années de travail », précise Thomas Lavergne, coauteur de l'étude, aujourd'hui chercheur CNRS à Grenoble. Car ce sont pas moins de 300 bases que l'équipe de Floyd Romesberg a d'abord conçues et synthétisées, avant de sélectionner les deux plus prometteuses.
Cellule modifiée
En 2008, ces chercheurs avaient réussi à intégrer cette paire de bases dans de l'ADN in vitro, à répliquer ce dernier, puis à le transcrire en ARN. Mais comment obtenir une cellule porteuse d'une telle modification ? Dans cette nouvelle étude, les biologistes américains ont choisi de travailler avec des bactéries Escherichia coli. Dans un premier temps, ils ont inséré la paire de bases synthétiques dans un petit fragment d'ADN circulaire, un plasmide, qui n'est pas indispensable aux bactéries, mais qu'elles répliquent au fil des générations en parallèle de leur génome. Puis ils ont transféré ce plasmide dans des bactéries.
Restait à relever un défi de taille : les bactéries ne sachant pas fabriquer les bases inconnues, il faut les leur fournir en continu si l'on veut qu'elles répliquent l'ADN modifié. Or, normalement, ce type de molécules ne traverse pas la membrane bactérienne. Pour contourner ce problème, Floyd Romesberg et ses collègues ont introduit dans la bactérie un gène de microalgue codant une protéine « transporteur » qui, insérée dans la membrane bactérienne, permet l'entrée des deux bases.
Ce système allait-il fonctionner ? Pour le savoir, l'équipe a laissé les bactéries Escherichia coli ainsi modifiées dans un milieu de culture contenant une quantité suffisante des deux bases synthétiques, pendant environ 15 heures. Soit le temps nécessaire pour qu'elles se reproduisent pendant 24 générations. Résultat : « À chaque duplication, 99,4 % des nouvelles bactéries possédaient le plasmide copié avec la paire synthétique », indique Thomas Lavergne.
« Ce travail prouve que des systèmes inédits peuvent être utilisés pour stocker de l'information dans un organisme vivant, et que cette information peut être transmise », apprécie Piet Herdewijn, de l'institut de Biologie systémique et synthétique d'Évry. Pour Floyd Romesberg, le prochain défi est d'obtenir des bactéries qu'elles transcrivent cet ADN « augmenté » en ARN, puis le traduisent en nouvelles protéines. À ce stade, ce type d'application reste hautement spéculatif. Mais Floyd Romesberg, lui, y croit. Pour preuve, il vient de créer une société, Synthorx, dont c'est l'objectif affiché.
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UNE BACTÉRIE MODÉLISÉE SUR ORDINATEUR |
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Une bactérie modélisée sur ordinateur
Sciences et Avenir
Publié le 26-07-2012 à 11h31
Une équipe de l’université de Stanford a réussi à programmer la première simulation complète sur ordinateur d’un organisme vivant, la bactérie Mycoplasma genitalium. Une étape cruciale dans la compréhension des comportements biologiques.
La bactérie Mycoplasma genitalium a été modélisée sur ordinateur par l'équipe de Markus Covert. Erik Jacobsen/ Covert LabLa bactérie Mycoplasma genitalium a été modélisée sur ordinateur par l'équipe de Markus Covert. Erik Jacobsen/ Covert Lab
Avec ses 525 gènes, c’est l’un des organismes vivants les plus simples : la bactérie Mycoplasma genitalium, responsable de maladies sexuellement transmissibles. Pas très fréquentable, à priori… Pourtant, les scientifiques s’intéressent fichtrement à elle. Prenez Craig Venter, ce biologiste américain qui travaille depuis des années à créer un organisme de synthèse : sa première publication sur la question (en 2007) s’appuyait déjà sur la fameuse Mycoplasma genitalium ! Aujourd’hui, elle permet aux chercheurs de faire un pas de géant. Une équipe de l’université de Stanford (Californie) menée par le spécialiste en bio-ingénierie Markus Covert est en effet parvenue à programmer un modèle informatique complet de cet organisme. Autrement dit une véritable bactérie virtuelle se comportant et réagissant de manière réaliste, c’est-à-dire comme la bactérie réelle.
1900 paramètres codés dans un programme informatique
Ces travaux, dont le compte-rendu a été publié dans la revue Cell et sur le site de l’université ont démarré en 2008. « Mais des gens s’y essaient depuis des décennies et nous nous sommes inspirés de recherches précédentes » rappelle Markus Covert, interrogé par Sciences et Avenir. A la base, les chercheurs ont utilisé plus de 900 articles scientifiques traitant de la bactérie afin de compiler toutes les données la concernant. A l’arrivée, un vrai portrait robot de la bactérie : quelles protéines sont fabriquées par le génome de la bactérie, quel est le mode d’action de ses enzymes…
Plus de 1900 paramètres ont ainsi été codés dans un programme informatique. Ils ont été répartis en 28 modules, chacun correspondant à un processus biologique « traduit » en un algorithme informatique particulier. Chaque algorithme est capable d’interagir avec les autres afin de récréer l’interaction des divers paramètres. Bien sûr, le modèle informatique de la Mycoplasma Genitalium doit être confronté à des expérimentations et des observations réelles sur la bactérie pour être validé; un travail encore en cours.
Quand la biologie rencontre la conception assistée par ordinateur
L’enjeu de ce chantier ? Pouvoir « tester » un organisme, le faire réagir à certaines manipulations un peu à la manière de l’industrie utilisant la conception assistée par ordinateur (CAO) pour modéliser des procédés mécaniques (aérodynamisme, résistance de matériaux) avant de travailler en environnement réel. C’est plus souple car on peut recommencer facilement un test, mettre à l’épreuve une hypothèse, changer un paramètre et revenir à l’état de départ plus rapidement. Les chercheurs de Stanford qualifient d’ailleurs leur travail de… bio-CAO ! « Ce genre de modélisation peut servir à considérablement accélérer le processus de découverte et suggère que la conception biologique assistée par ordinateur va être possible – à mon avis dans les quelques années qui viennent » estime Markus Covert. Répliquer par informatique des organismes pourra non seulement servir à en comprendre le fonctionnement mais aussi mettre au point des traitements, tester des thérapies géniques en les appliquant d’abord aux modèles mus par algorithmes.
Arnaud Devillard
24/07/12
Sciences et Avenir
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DES CELLULES SOUCHES QUI RENFORCENT LA MÉMOIRE |
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Des cellules souches qui renforcent la mémoire
Marine Cygler dans mensuel 471
On ignorait à quoi servaient les nouveaux neurones qui se forment dans le cerveau des mammifères adultes. Une équipe de l'Institut Pasteur vient de prouver que certains d'entre eux améliorent la mémoire et l'apprentissage olfactifs.
Des milliers de nouveaux neurones apparaissent chaque jour dans le cerveau adulte. Décrit chez le canari au début des années 1980, ce phénomène de neurogenèse a ensuite été mis en évidence chez les rongeurs puis chez l'homme au cours des années 1990. Cette découverte a rendu caduque l'idée selon laquelle le nombre de neurones était maximal à la naissance, et ne pouvait que décroître ensuite.
Mais à quoi ces nouveaux neurones servent-ils ? On suspectait qu'ils interviennent dans l'apprentissage et la mémorisation. Pierre-Marie Lledo et ses collègues de l'Institut Pasteur et du CNRS viennent de le prouver : chez la souris, les nouveaux neurones améliorent la capacité des animaux adultes à discriminer des odeurs inconnues très proches, et à s'en souvenir [1].
Zones germinatives
Dans le cerveau des mammifères adultes, les nouveaux neurones apparaissent dans deux zones : le bulbe olfactif et l'hippocampe [fig. 1]. Ils descendent de cellules souches situées à plus ou moins grande distance, dans deux zones « germinatives » bien délimitées. Lorsqu'elles se divisent, ces cellules souches produisent chacune une nouvelle cellule souche et une cellule appelée précurseur, qui se différencie en neuroblaste. Ceux-ci entament une migration à l'issue de laquelle ils se différencient en neurone. De leur zone germinative au bulbe, les neuroblastes parcourent 4 millimètres chez la souris, et 3 centimètres chez l'homme !
Or, le bulbe olfactif et l'hippocampe ont un point commun : ils sont impliqués dans les processus mnésiques. Le bulbe olfactif joue un rôle essentiel dans la mémoire olfactive. Tandis que l'hippocampe est un acteur central de la mémoire épisodique, celle qui correspond aux épisodes personnellement vécus par un individu à un moment et en un lieu précis.
Taux de survie
« Le bulbe olfactif et l'hippocampe jouant tous deux un rôle important dans une forme ou une autre de mémoire, il était logique de supposer que les néoneurones adultes intervenaient dans ce processus cognitif », explique Serge Laroche, du centre de neurosciences de l'université Paris-Sud, spécialiste de l'hippocampe. Au début des années 2000, cette hypothèse a été renforcée par différents travaux. Par exemple, lorsque des souris étaient élevées dans un environnement enrichi en odeurs, leur bulbe olfactif acquérait deux fois plus de nouveaux neurones que celui de souris élevées dans des conditions standards, et leur mémoire olfactive était bien meilleure [2]. « Mais il ne s'agissait que d'une corrélation, souligne Serge Laroche. Ces résultats ne prouvaient pas un lien de cause à effet. »
Comment mettre en évidence le rôle des nouveaux neurones ? Différents travaux indiquaient que, chez le rongeur, seule une partie d'entre eux survivait. Si l'on arrivait à comprendre pourquoi, peut-être cela fournirait-il aussi une indication quant à leur rôle. Aussi l'équipe de Pierre-Marie Lledo s'est-elle lancée sur cette piste.
« Entre 2002 et 2006, nous avons obtenu différents résultats montrant que le taux de survie des néoneurones augmente quand la souris vit dans un environnement enrichi sur le plan olfactif », indique Pierre-Marie Lledo. Tout portait donc à croire que la survie des nouveaux neurones dépendait de l'activité sensorielle, donc de la stimulation des détecteurs sensoriels situés au niveau de la muqueuse olfactive. « Mais après avoir réalisé des tests de comportement en confrontant les souris à différentes odeurs présentées dans différents contextes, poursuit Pierre-Marie Lledo, nous avons pris conscience que l'activité sensorielle ne suffisait pas. En fait, la survie des néoneurones augmentait quand les souris se trouvaient dans un contexte d'apprentissage olfactif. Par exemple, lorsqu'elles devaient apprendre à discriminer des odeurs similaires. »
En parallèle, d'autres équipes avaient montré que la capacité à discriminer des odeurs augmentait lorsque certaines cellules du bulbe olfactif étaient inhibées. Ces cellules inhibées portent le nom de cellules mitrales. Ce sont elles qui reçoivent les messages sensoriels provenant de la muqueuse olfactive, et qui les transmettent au cortex. Quant aux neurones qui les inhibent, il s'agit essentiellement de neurones appelés « cellules granulaires ». « Or, il se trouve que la plupart des neuroblastes qui atteignent le bulbe olfactif se différencient en cellules granulaires, explique Pierre-Marie Lledo. Nous avons donc émis l'hypothèse que ces cellules granulaires nouvellement formées seraient à l'origine des capacités de discrimination accrues. »
Facultés d'apprentissage
Les neurobiologistes de l'Institut Pasteur ont alors entrepris de réaliser des tests comportementaux tout en stimulant spécifiquement les nouvelles cellules granulaires, et seulement elles. Ils ont pour cela utilisé la méthode la plus précise qui soit à l'heure actuelle : l'optogénétique. Elle consiste à injecter dans des cellules un gène codant une protéine sensible à la lumière, ce qui permet de stimuler ensuite ces cellules par un flash lumineux. En l'occurrence, les chercheurs ont injecté un gène codant une protéine sensible à la lumière bleue dans les neuroblastes en cours de migration vers le bulbe, et ont implanté une diode électroluminescente dans ce dernier. Quand la diode électroluminescente émettait de brefs flashs de lumière bleue (de 5 millisecondes), les néoneurones - et eux seuls - étaient activés.
Dans un premier temps, les chercheurs ont vérifié que la majeure partie des cellules activées par le flash lumineux était bel et bien des cellules granulaires nouvellement formées. Puis ils ont étudié les facultés d'apprentissage de souris adultes réparties en deux groupes. Dans l'un, les souris étaient appareillées avec une diode électroluminescente permettant de stimuler les néoneurones. Dans l'autre, elles ne l'étaient pas.
Il s'agissait pour toutes ces souris d'apprendre à distinguer deux odeurs, et à se comporter différemment en fonction de celle qui leur était présentée : aller chercher une récompense lorsqu'on les mettait en présence de l'une, et ne pas bouger lorsque c'était l'autre. Leur capacité à apprendre était évaluée par le nombre de fois où il fallait leur présenter ces deux odeurs avant qu'elles parviennent à adopter systématiquement le bon comportement.
Une première expérience a consisté à leur présenter deux odeurs très différentes, comme la menthe et l'anis. Les animaux devaient apprendre à aller chercher une récompense en présence de menthe, et à ne pas réagir en présence d'anis. Cette tâche est facile : les animaux n'ont besoin que de quelques essais pour y parvenir. Dans la seconde expérience, les deux odeurs à distinguer étaient cette fois des odeurs semblables : citron ou citronnelle. La tâche d'apprentissage était donc bien plus difficile.
Que s'est-il passé ? Lorsque les odeurs présentées étaient très différentes - menthe et anis -, tous les animaux apprenaient au même rythme, que les néoneurones soient activés ou non. En revanche, lorsque les odeurs présentées étaient similaires, les souris dont les néoneurones étaient activés par le flash lumineux ont appris à les distinguer bien plus rapidement que les autres souris. Douze essais leur ont suffi, contre 28 essais pour leurs congénères. « Les néoneurones facilitent donc l'apprentissage de la tâche la plus difficile », souligne Pierre-Marie Lledo.
Mémoire renforcée
Ce n'est pas tout. Les chercheurs ont également testé la mémoire olfactive de leurs deux groupes de souris : cinquante jours après l'apprentissage initial, les animaux ont dû refaire l'exercice de discrimination des odeurs. Résultat, les souris dont les nouveaux neurones avaient été stimulés pendant l'apprentissage ont mieux distingué les odeurs proches que les souris non stimulées. « En cela, les néoneurones du bulbe se rapprochent de ceux de l'hippocampe, commente Serge Laroche. L'équipe de Susumu Tonegawa, du MIT, aux États-Unis, a en effet montré, en 2012 également, que les néoneurones de l'hippocampe facilitent la distinction entre deux souvenirs proches [3]. »
Les biologistes de l'Institut Pasteur sont toutefois allés plus loin. La fonction cognitive des néoneurones étant identifiée, ils voulaient comprendre ce qui se passait sur le plan cellulaire. Aussi ont-ils entrepris d'enregistrer l'activité des cellules cibles des néoneurones, les cellules mitrales, pendant que les souris réalisaient les tests comportementaux. L'objectif était d'étudier la façon dont ces cellules mitrales réagissaient lorsque les néoneurones étaient stimulés. Ils ont alors constaté que les néoneurones ne se contentaient pas d'inhiber les cellules mitrales : ils les inhibaient de façon synchrone, à la manière d'un chef d'orchestre qui impose un silence à l'ensemble des instruments.
Comment expliquer que cette inhibition améliore la capacité à distinguer des odeurs proches ? Une hypothèse se dessine. Elle découle d'un constat : les cellules mitrales émettent un signal vers le cortex même lorsqu'elles ne sont pas stimulées par les neurones olfactifs. Certes, ce signal est faible. Mais il n'en est pas moins présent, formant une sorte de « bruit de fond ». S'il n'est pas gênant lorsque les cellules mitrales transmettent les signaux bien distincts induits par des odeurs très différentes, il le devient lorsqu'il s'agit de transmettre les signaux semblables induits par des odeurs similaires. « L'ensemble de nos données laisse penser que les néoneurones inhibent les cellules mitrales qui ne produisent que du bruit de fond, explique Pierre-Marie Lledo. Par contraste, les signaux émis par les cellules mitrales activées par les neurones sensoriels ressortiraient donc plus nettement, permettant ainsi de transmettre un signal clair et cohérent au cortex. » L'hypothèse est en cours d'investigation.
L'ESSENTIEL
- DE NOUVEAUX NEURONES apparaissent régulièrement dans le bulbe olfactif de souris adultes.
- LEUR SURVIE AUGMENTE lorsque les animaux apprennent à discriminer des odeurs similaires.
- CES NÉONEURONES facilitent l'apprentissage des tâches olfactives complexes en inhibant de façon synchrone des neurones préexistants.
LA NEUROGENÈSE ADULTE EN 5 DATES
- 1983 : Fernando Nottebohm, de l'université Rockfeller, démontre que dans le cerveau de canaris adultes, de nouveaux neurones remplacent régulièrement d'autres plus anciens qui dégénèrent.
- 1992 : Elizabeth Gould, de l'université de Princeton, met en évidence des néoneurones dans l'hippocampe de rats.
- 1993 : Deux équipes démontrent de façon irréfutable d'existence d'une neurogenèse dans le bulbe olfactif de rats.
- 1998 : Le Suédois Peter Eriksson associé à l'Américain Fred Gage démontrent à partir de tissus humains adultes obtenus post mortem que l'hippocampe est le site d'une neurogenèse.
- 2001 : Arturo Alvarez-Buylla prouve que la zone sous-ventriculaire du cerveau humain est riche en cellules souches neurales.
QUESTIONS À ARTURO ALVAREZ-BUYLLA
Arturo Alvarez-Buylla, de l'univer-sité de Californie à San Francisco, est l'un des pionniers de l'étude de la neurogenèse adulte.
Existe-t-il une neurogenèse chez l'homme ?
A.A.-B. Oui, plusieurs équipes l'ont mise en évidence ces dernières années, à partir de tissus prélevés lors d'opérations chirurgicales, ou en étudiant des cerveaux post mortem. On y a retrouvé les deux zones germinatives riches en cellules souches précédemment repérées chez les rongeurs : l'hippocampe et la zone sous-ventriculaire. Prélevées puis mises en culture, ces cellules souches se sont différenciées en neurones matures.
Chez les souris adultes, les néoneurones du bulbe olfactif permettent de discriminer des odeurs très proches. Est-ce aussi le cas chez les humains ?
A.A.-B. En 2007, l'équipe de Maurice Curtis de l'université d'Auckland, en Nouvelle-Zélande, associée à celle de Peter Eriksson, de l'Institut des neurosciences de Göteborg, en Suède, a démontré que des neuroblastes migrent de la zone sous-ventriculaire vers le bulbe olfactif chez l'homme. Mais il y a un an, ma propre équipe a apporté un nouvel éclairage à partir d'autopsies de cerveaux d'individus décédés entre la naissance et plus de 80 ans [1]. Nous nous sommes aperçus qu'à partir de 18 mois la migration des neuroblastes vers le bulbe olfactif diminue, pour quasiment disparaître à l'âge adulte. Cela a été confirmé par une étude suédoise cette année [2]. Ce n'est pas forcément surprenant, étant donné que l'olfaction est un sens beaucoup moins important pour nous que pour les rongeurs.
Pour autant, vous estimez ce résultat intéressant pour l'homme. Pourquoi ?
A.A.-B. L'espoir demeure qu'un jour on puisse réparer le cerveau avec des néoneurones. Il est donc indispensable de comprendre comment se déroule la neurogenèse, afin d'être capable d'induire ces processus nous-mêmes. Il est aussi capital de comprendre comment les néoneurones s'intègrent au réseau des neurones plus âgés. Le fait que chez la souris, les néoneurones coordonnent toute une catégorie de neurones plus anciens, dans un contexte donné, est certainement la partie la plus fascinante du travail de Pierre-Marie Lledo.
[1] N. Sanai et al., Nature, 478, 382, 2011.
[2] O. Bergmann et al., Neuron, 74, 634, 2012.
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