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UNE BACTÉRIE MODÉLISÉE SUR ORDINATEUR

 

Une bactérie modélisée sur ordinateur
Sciences et Avenir

Publié le 26-07-2012 à 11h31

Une équipe de l’université de Stanford a réussi à programmer la première simulation complète sur ordinateur d’un organisme vivant, la bactérie Mycoplasma genitalium. Une étape cruciale dans la compréhension des comportements biologiques.


La bactérie Mycoplasma genitalium a été modélisée sur ordinateur par l'équipe de Markus Covert. Erik Jacobsen/ Covert LabLa bactérie Mycoplasma genitalium a été modélisée sur ordinateur par l'équipe de Markus Covert. Erik Jacobsen/ Covert Lab


Avec ses 525 gènes, c’est l’un des organismes vivants les plus simples : la bactérie Mycoplasma genitalium, responsable de maladies sexuellement transmissibles. Pas très fréquentable, à priori… Pourtant, les scientifiques s’intéressent fichtrement à elle. Prenez Craig Venter, ce biologiste américain qui travaille depuis des années à créer un organisme de synthèse : sa première publication sur la question (en 2007) s’appuyait déjà sur la fameuse Mycoplasma genitalium ! Aujourd’hui, elle permet aux chercheurs de faire un pas de géant. Une équipe de l’université de Stanford (Californie) menée par le spécialiste en bio-ingénierie Markus Covert est en effet parvenue à programmer un modèle informatique complet de cet organisme. Autrement dit une véritable bactérie virtuelle se comportant et réagissant de manière réaliste, c’est-à-dire comme la bactérie réelle.

1900 paramètres codés dans un programme informatique

Ces travaux, dont le compte-rendu a été publié dans la revue Cell et sur le site de l’université ont démarré en 2008. « Mais des gens s’y essaient depuis des décennies et nous nous sommes inspirés de recherches précédentes » rappelle Markus Covert, interrogé par Sciences et Avenir. A la base, les chercheurs ont utilisé plus de 900 articles scientifiques traitant de la bactérie afin de compiler toutes les données la concernant. A l’arrivée, un vrai portrait robot de la bactérie : quelles protéines sont fabriquées par le génome de la bactérie,  quel est le mode d’action de ses enzymes…

Plus de 1900 paramètres ont ainsi été codés dans un programme informatique. Ils ont été répartis en 28 modules, chacun correspondant à un processus biologique « traduit » en un algorithme informatique particulier. Chaque algorithme est capable d’interagir avec les autres afin de récréer l’interaction des divers paramètres. Bien sûr, le modèle informatique de la Mycoplasma Genitalium doit être confronté à des expérimentations et des observations réelles sur la bactérie pour être validé; un travail encore en cours.

Quand la biologie rencontre la conception assistée par ordinateur

L’enjeu de ce chantier ? Pouvoir « tester » un organisme, le faire réagir à certaines manipulations un peu à la manière de l’industrie utilisant la conception assistée par ordinateur (CAO) pour modéliser des procédés mécaniques (aérodynamisme, résistance de matériaux) avant de travailler en environnement réel. C’est plus souple car on peut recommencer facilement un test, mettre à l’épreuve une hypothèse, changer un paramètre et revenir à l’état de départ plus rapidement. Les chercheurs de Stanford qualifient d’ailleurs leur travail de… bio-CAO ! « Ce genre de modélisation peut servir à considérablement accélérer le processus de découverte et suggère que la conception biologique assistée par ordinateur va être possible – à mon avis dans les quelques années qui viennent » estime Markus Covert. Répliquer par informatique des organismes pourra non seulement servir à en comprendre le fonctionnement mais aussi mettre au point des traitements, tester des thérapies géniques en les appliquant d’abord aux modèles mus par algorithmes.

 

Arnaud Devillard
24/07/12
Sciences et Avenir

 

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DES CELLULES SOUCHES QUI RENFORCENT LA MÉMOIRE

 

Des cellules souches qui renforcent la mémoire
Marine Cygler dans mensuel 471


On ignorait à quoi servaient les nouveaux neurones qui se forment dans le cerveau des mammifères adultes. Une équipe de l'Institut Pasteur vient de prouver que certains d'entre eux améliorent la mémoire et l'apprentissage olfactifs.
Des milliers de nouveaux neurones apparaissent chaque jour dans le cerveau adulte. Décrit chez le canari au début des années 1980, ce phénomène de neurogenèse a ensuite été mis en évidence chez les rongeurs puis chez l'homme au cours des années 1990. Cette découverte a rendu caduque l'idée selon laquelle le nombre de neurones était maximal à la naissance, et ne pouvait que décroître ensuite.

Mais à quoi ces nouveaux neurones servent-ils ? On suspectait qu'ils interviennent dans l'apprentissage et la mémorisation. Pierre-Marie Lledo et ses collègues de l'Institut Pasteur et du CNRS viennent de le prouver : chez la souris, les nouveaux neurones améliorent la capacité des animaux adultes à discriminer des odeurs inconnues très proches, et à s'en souvenir [1].

Zones germinatives
Dans le cerveau des mammifères adultes, les nouveaux neurones apparaissent dans deux zones : le bulbe olfactif et l'hippocampe [fig. 1]. Ils descendent de cellules souches situées à plus ou moins grande distance, dans deux zones « germinatives » bien délimitées. Lorsqu'elles se divisent, ces cellules souches produisent chacune une nouvelle cellule souche et une cellule appelée précurseur, qui se différencie en neuroblaste. Ceux-ci entament une migration à l'issue de laquelle ils se différencient en neurone. De leur zone germinative au bulbe, les neuroblastes parcourent 4 millimètres chez la souris, et 3 centimètres chez l'homme !

Or, le bulbe olfactif et l'hippocampe ont un point commun : ils sont impliqués dans les processus mnésiques. Le bulbe olfactif joue un rôle essentiel dans la mémoire olfactive. Tandis que l'hippocampe est un acteur central de la mémoire épisodique, celle qui correspond aux épisodes personnellement vécus par un individu à un moment et en un lieu précis.

Taux de survie
« Le bulbe olfactif et l'hippocampe jouant tous deux un rôle important dans une forme ou une autre de mémoire, il était logique de supposer que les néoneurones adultes intervenaient dans ce processus cognitif », explique Serge Laroche, du centre de neurosciences de l'université Paris-Sud, spécialiste de l'hippocampe. Au début des années 2000, cette hypothèse a été renforcée par différents travaux. Par exemple, lorsque des souris étaient élevées dans un environnement enrichi en odeurs, leur bulbe olfactif acquérait deux fois plus de nouveaux neurones que celui de souris élevées dans des conditions standards, et leur mémoire olfactive était bien meilleure [2]. « Mais il ne s'agissait que d'une corrélation, souligne Serge Laroche. Ces résultats ne prouvaient pas un lien de cause à effet. »

Comment mettre en évidence le rôle des nouveaux neurones ? Différents travaux indiquaient que, chez le rongeur, seule une partie d'entre eux survivait. Si l'on arrivait à comprendre pourquoi, peut-être cela fournirait-il aussi une indication quant à leur rôle. Aussi l'équipe de Pierre-Marie Lledo s'est-elle lancée sur cette piste.

« Entre 2002 et 2006, nous avons obtenu différents résultats montrant que le taux de survie des néoneurones augmente quand la souris vit dans un environnement enrichi sur le plan olfactif », indique Pierre-Marie Lledo. Tout portait donc à croire que la survie des nouveaux neurones dépendait de l'activité sensorielle, donc de la stimulation des détecteurs sensoriels situés au niveau de la muqueuse olfactive. « Mais après avoir réalisé des tests de comportement en confrontant les souris à différentes odeurs présentées dans différents contextes, poursuit Pierre-Marie Lledo, nous avons pris conscience que l'activité sensorielle ne suffisait pas. En fait, la survie des néoneurones augmentait quand les souris se trouvaient dans un contexte d'apprentissage olfactif. Par exemple, lorsqu'elles devaient apprendre à discriminer des odeurs similaires. »

En parallèle, d'autres équipes avaient montré que la capacité à discriminer des odeurs augmentait lorsque certaines cellules du bulbe olfactif étaient inhibées. Ces cellules inhibées portent le nom de cellules mitrales. Ce sont elles qui reçoivent les messages sensoriels provenant de la muqueuse olfactive, et qui les transmettent au cortex. Quant aux neurones qui les inhibent, il s'agit essentiellement de neurones appelés « cellules granulaires ». « Or, il se trouve que la plupart des neuroblastes qui atteignent le bulbe olfactif se différencient en cellules granulaires, explique Pierre-Marie Lledo. Nous avons donc émis l'hypothèse que ces cellules granulaires nouvellement formées seraient à l'origine des capacités de discrimination accrues. »

Facultés d'apprentissage
Les neurobiologistes de l'Institut Pasteur ont alors entrepris de réaliser des tests comportementaux tout en stimulant spécifiquement les nouvelles cellules granulaires, et seulement elles. Ils ont pour cela utilisé la méthode la plus précise qui soit à l'heure actuelle : l'optogénétique. Elle consiste à injecter dans des cellules un gène codant une protéine sensible à la lumière, ce qui permet de stimuler ensuite ces cellules par un flash lumineux. En l'occurrence, les chercheurs ont injecté un gène codant une protéine sensible à la lumière bleue dans les neuroblastes en cours de migration vers le bulbe, et ont implanté une diode électroluminescente dans ce dernier. Quand la diode électroluminescente émettait de brefs flashs de lumière bleue (de 5 millisecondes), les néoneurones - et eux seuls - étaient activés.

Dans un premier temps, les chercheurs ont vérifié que la majeure partie des cellules activées par le flash lumineux était bel et bien des cellules granulaires nouvellement formées. Puis ils ont étudié les facultés d'apprentissage de souris adultes réparties en deux groupes. Dans l'un, les souris étaient appareillées avec une diode électroluminescente permettant de stimuler les néoneurones. Dans l'autre, elles ne l'étaient pas.

Il s'agissait pour toutes ces souris d'apprendre à distinguer deux odeurs, et à se comporter différemment en fonction de celle qui leur était présentée : aller chercher une récompense lorsqu'on les mettait en présence de l'une, et ne pas bouger lorsque c'était l'autre. Leur capacité à apprendre était évaluée par le nombre de fois où il fallait leur présenter ces deux odeurs avant qu'elles parviennent à adopter systématiquement le bon comportement.

Une première expérience a consisté à leur présenter deux odeurs très différentes, comme la menthe et l'anis. Les animaux devaient apprendre à aller chercher une récompense en présence de menthe, et à ne pas réagir en présence d'anis. Cette tâche est facile : les animaux n'ont besoin que de quelques essais pour y parvenir. Dans la seconde expérience, les deux odeurs à distinguer étaient cette fois des odeurs semblables : citron ou citronnelle. La tâche d'apprentissage était donc bien plus difficile.

Que s'est-il passé ? Lorsque les odeurs présentées étaient très différentes - menthe et anis -, tous les animaux apprenaient au même rythme, que les néoneurones soient activés ou non. En revanche, lorsque les odeurs présentées étaient similaires, les souris dont les néoneurones étaient activés par le flash lumineux ont appris à les distinguer bien plus rapidement que les autres souris. Douze essais leur ont suffi, contre 28 essais pour leurs congénères. « Les néoneurones facilitent donc l'apprentissage de la tâche la plus difficile », souligne Pierre-Marie Lledo.

Mémoire renforcée
Ce n'est pas tout. Les chercheurs ont également testé la mémoire olfactive de leurs deux groupes de souris : cinquante jours après l'apprentissage initial, les animaux ont dû refaire l'exercice de discrimination des odeurs. Résultat, les souris dont les nouveaux neurones avaient été stimulés pendant l'apprentissage ont mieux distingué les odeurs proches que les souris non stimulées. « En cela, les néoneurones du bulbe se rapprochent de ceux de l'hippocampe, commente Serge Laroche. L'équipe de Susumu Tonegawa, du MIT, aux États-Unis, a en effet montré, en 2012 également, que les néoneurones de l'hippocampe facilitent la distinction entre deux souvenirs proches [3]. »

Les biologistes de l'Institut Pasteur sont toutefois allés plus loin. La fonction cognitive des néoneurones étant identifiée, ils voulaient comprendre ce qui se passait sur le plan cellulaire. Aussi ont-ils entrepris d'enregistrer l'activité des cellules cibles des néoneurones, les cellules mitrales, pendant que les souris réalisaient les tests comportementaux. L'objectif était d'étudier la façon dont ces cellules mitrales réagissaient lorsque les néoneurones étaient stimulés. Ils ont alors constaté que les néoneurones ne se contentaient pas d'inhiber les cellules mitrales : ils les inhibaient de façon synchrone, à la manière d'un chef d'orchestre qui impose un silence à l'ensemble des instruments.

Comment expliquer que cette inhibition améliore la capacité à distinguer des odeurs proches ? Une hypothèse se dessine. Elle découle d'un constat : les cellules mitrales émettent un signal vers le cortex même lorsqu'elles ne sont pas stimulées par les neurones olfactifs. Certes, ce signal est faible. Mais il n'en est pas moins présent, formant une sorte de « bruit de fond ». S'il n'est pas gênant lorsque les cellules mitrales transmettent les signaux bien distincts induits par des odeurs très différentes, il le devient lorsqu'il s'agit de transmettre les signaux semblables induits par des odeurs similaires. « L'ensemble de nos données laisse penser que les néoneurones inhibent les cellules mitrales qui ne produisent que du bruit de fond, explique Pierre-Marie Lledo. Par contraste, les signaux émis par les cellules mitrales activées par les neurones sensoriels ressortiraient donc plus nettement, permettant ainsi de transmettre un signal clair et cohérent au cortex. » L'hypothèse est en cours d'investigation.
L'ESSENTIEL
- DE NOUVEAUX NEURONES apparaissent régulièrement dans le bulbe olfactif de souris adultes.

- LEUR SURVIE AUGMENTE lorsque les animaux apprennent à discriminer des odeurs similaires.

- CES NÉONEURONES facilitent l'apprentissage des tâches olfactives complexes en inhibant de façon synchrone des neurones préexistants.
LA NEUROGENÈSE ADULTE EN 5 DATES
- 1983 : Fernando Nottebohm, de l'université Rockfeller, démontre que dans le cerveau de canaris adultes, de nouveaux neurones remplacent régulièrement d'autres plus anciens qui dégénèrent.

- 1992 : Elizabeth Gould, de l'université de Princeton, met en évidence des néoneurones dans l'hippocampe de rats.

- 1993 : Deux équipes démontrent de façon irréfutable d'existence d'une neurogenèse dans le bulbe olfactif de rats.

- 1998 : Le Suédois Peter Eriksson associé à l'Américain Fred Gage démontrent à partir de tissus humains adultes obtenus post mortem que l'hippocampe est le site d'une neurogenèse.

- 2001 : Arturo Alvarez-Buylla prouve que la zone sous-ventriculaire du cerveau humain est riche en cellules souches neurales.
QUESTIONS À ARTURO ALVAREZ-BUYLLA
Arturo Alvarez-Buylla, de l'univer-sité de Californie à San Francisco, est l'un des pionniers de l'étude de la neurogenèse adulte.

Existe-t-il une neurogenèse chez l'homme ?

A.A.-B. Oui, plusieurs équipes l'ont mise en évidence ces dernières années, à partir de tissus prélevés lors d'opérations chirurgicales, ou en étudiant des cerveaux post mortem. On y a retrouvé les deux zones germinatives riches en cellules souches précédemment repérées chez les rongeurs : l'hippocampe et la zone sous-ventriculaire. Prélevées puis mises en culture, ces cellules souches se sont différenciées en neurones matures.

Chez les souris adultes, les néoneurones du bulbe olfactif permettent de discriminer des odeurs très proches. Est-ce aussi le cas chez les humains ?

A.A.-B. En 2007, l'équipe de Maurice Curtis de l'université d'Auckland, en Nouvelle-Zélande, associée à celle de Peter Eriksson, de l'Institut des neurosciences de Göteborg, en Suède, a démontré que des neuroblastes migrent de la zone sous-ventriculaire vers le bulbe olfactif chez l'homme. Mais il y a un an, ma propre équipe a apporté un nouvel éclairage à partir d'autopsies de cerveaux d'individus décédés entre la naissance et plus de 80 ans [1]. Nous nous sommes aperçus qu'à partir de 18 mois la migration des neuroblastes vers le bulbe olfactif diminue, pour quasiment disparaître à l'âge adulte. Cela a été confirmé par une étude suédoise cette année [2]. Ce n'est pas forcément surprenant, étant donné que l'olfaction est un sens beaucoup moins important pour nous que pour les rongeurs.

Pour autant, vous estimez ce résultat intéressant pour l'homme. Pourquoi ?

A.A.-B. L'espoir demeure qu'un jour on puisse réparer le cerveau avec des néoneurones. Il est donc indispensable de comprendre comment se déroule la neurogenèse, afin d'être capable d'induire ces processus nous-mêmes. Il est aussi capital de comprendre comment les néoneurones s'intègrent au réseau des neurones plus âgés. Le fait que chez la souris, les néoneurones coordonnent toute une catégorie de neurones plus anciens, dans un contexte donné, est certainement la partie la plus fascinante du travail de Pierre-Marie Lledo.

[1] N. Sanai et al., Nature, 478, 382, 2011.

[2] O. Bergmann et al., Neuron, 74, 634, 2012.


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LA CONSPIRATION DU HASARD ET DES CONTRAINTES

 


La conspiration du hasard et des contraintes


special : l'histoire de la vie - par Jacques Arnould dans mensuel n°296 daté mars 1997 à la page 100 (4729 mots)
Le hasard est-il le produit de notre ignorance, ou fait-il partie de la nature des choses ? Appliquée à l'évolution, la question se décline : en quel sens parle-t-on de mutations aléatoires ? Quel rôle attribuer aux accidents, à la contingence ? L'homme a-t-il émergé par hasard ? L'idée de finalité est-elle forcément à proscrire ? En biologie comme sans doute ailleurs, la notion de hasard est intimement liée à celle d'information.

Un homme qui trouve une montre sur une plage peut tenir deux types de raisonnement. Le premier consiste à affirmer l'existence d'une intelligence supérieure qui a conçu, fabriqué et perdu cette montre. C'est par cette anecdote que l'archidiacre anglican William Paley introduit sa Théologie naturelle 1802, dans laquelle il se propose de démontrer l'existence de Dieu à l'aide d'arguments tirés de l'observation du monde vivant, apparemment plus complexe que la mécanique horlogère. Il écrit : « J'ai dit que le raisonnement de celui qui nie l'art et l'invention dans la montre était précisément le raisonnement des athées ; car l'évidence d'un dessein se retrouve dans tous les ouvrages de la nature, comme dans l'ouvrage d'une montre, avec cette différence que les oeuvres de la nature sont plus variées et plus admirables, dans une proportion qui excède tout calcul. Sans doute l'invention, et l'exécution dans les ouvrages de la nature, surpassent infiniment tous les produits de l'art ; mais dans un très grand nombre de cas, le dessein, et l'application des moyens au but n'y sont pas moins évidents que dans les machines qui sortent de la main des hommes 1 » . Pour l'apologiste anglican, il ne saurait y avoir de hasard au sein de la réalité : parce qu'elle est créée par Dieu, elle est déterminée et possède une finalité. Il est hors de question d'admettre l'existence d'un « horloger aveugle2 » .

Notre promeneur peut tenir un autre raisonnement, inspiré cette fois par le philosophe Henri Bergson : « Une énorme tuile, arrachée par le vent, tombe et assomme un passant. Nous dirons que c'est un hasard. Le dirions-nous, si la tuile s'était simplement brisée sur le sol ? » . De quoi convient-il de s'étonner ? Non plus de la perfection et de l'efficacité d'un mécanisme horloger, mais plutôt de sa découverte sur une plage. Le penseur ne s'attarde pas sur l'objet lui-même, mais s'interroge sur les circonstances qui lui ont permis de faire cette découverte : comment se fait-il que sa route et celle de cette montre si l'on peut s'exprimer ainsi se soient ainsi croisées ? Antoine Cournot, un des premiers théoriciens des probabilités, propose une définition du hasard proche de celle d'Aristote ; pour lui, le hasard est « la combinaison ou la rencontre de phénomènes qui appartiennent à des séries indépendantes, dans l'ordre de la causalité, [...] ce qu'on nomme des événements fortuits ou des résultats du hasard 3 » . Connaissant les habitudes de cette personne, il aura très bien pu déterminer la zone à l'intérieur de laquelle la montre avait de fortes chances d'avoir été égarée.

A tous les faits, l'esprit humain cherche des causes, à toutes les coïncidences des raisons naturelles. Cette attitude, note David Ruelle, a certainement contribué à la survie de l'espèce humaine ainsi qu'au développement des sciences4. Pourtant, il faut bien reconnaître qu'il existe une limite à l'expli-cation des phénomènes, comme à leur prédictibilité. Une limite au-delà de laquelle on préfère parler de hasard... ou de miracle ! Une question demeure toutefois : le hasard se trouve-t-il dans l'ignorance des hommes ou bien appartient-il à la nature des choses ?

Dans le domaine de la physique, Albert Einstein défend l'idée d'un hasard par ignorance et Niels Bohr celle d'un hasard par essence. Pour le premier, Dieu ne peut pas jouer aux dés et « il nous faut admirer humblement l'harmonieuse beauté de la structure de ce monde, dans la mesure où nous pouvons la saisir » 1945. Pour le second, au contraire, la mécanique quantique enseigne que le hasard est dans l'essence des phénomènes, au niveau de l'infiniment petit5.

Qu'en est-il en biologie ? L'homme est-il « seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard » , comme l'écrit Jacques Monod au terme de son ouvrage Le Hasard et la nécessité 6 ? D'un point de vue plus général, comment le hasard, perçu avant tout comme perturbateur, peut-il rendre compte de l'existence et de l'organisation des êtres vivants ? A ces questions, les théories de l'évolution ne prétendent pas offrir une réponse définitive ; elles conduisent du moins à préciser ce que l'on peut entendre par hasard en biologie et à revisiter l'idée de finalité.

L'une des origines étymologiques les plus communément admises du terme de hasard est celle offerte par le terme arabe az-zahr , qui désigne le jeu de dés ; la racine latine équivalente a donné le terme d'aléatoire. Du dé, on retiendra deux leçons. Tout d'abord, le hasard n'existe pas en soi mais seulement en relation avec une structure, un système ou un processus ; ensuite, le hasard nécessite que soit discernable une signification ou encore une détermination. Ainsi le dé est-il un cube dont chacune des faces reçoit un signe qui la différencie des cinq autres. De prime abord, aucun paramètre du mouvement effectué par le dé n'est lié à la position d'une face particulière : la nature fait tourner un cube, alors que le joueur lance un dé. Autrement dit, c'est le joueur qui donne une signification particulière à chacune des faces, et fait ainsi surgir le hasard. « Six faces équivalentes associées à six significations différentes, voilà la source du hasard 7 » écrit Jean-Michel Claverie. On pourra objecter que le seul fait de marquer les six faces du cube d'un ou plusieurs points de peinture voire d'y graver une trace peut suffire à déterminer le cube, d'en briser la symétrie physique. Sans aucun doute. Mais, précisément, le hasard s'impose d'autant plus clairement que la différence entre les faces du dé ne semble pas complètement nulle et que, par conséquent, l'observateur espère pouvoir prévoir le résultat final.

En biologie, les sources du hasard sont nombreuses. Considérons seulement le champ de la biologie moléculaire et nous trouvons : la substitution d'un nucléotide par un autre lors d'une mutation, les coupures des chromosomes qui fournissent un nombre infini de recombinaisons, les crossing over*, la non-disjonction des chromosomes au cours de la méiose. A strictement parler, ces processus ne sont pas le fruit du hasard, mais au contraire, pour reprendre l'expression de Claverie, sa source. Ils concernent en effet des structures compatibles ou interchangeables d'un point de vue physico-chimique les « faces équivalentes » , mais qui énoncent des instructions différentes les « significations » des six faces du dé phénotypiquement repérables ou non .

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, on pense volontiers que nulle part mieux que dans les êtres vivants ne se manifeste l'accord de la cause et de la fin ; autrement dit, il n'y a pas de place pour le hasard au sein du vivant. La diversité et le foisonnement des formes, la variété et l'enchevêtrement des processus ne sauraient longtemps cacher l'ordre de la création voulu par Dieu, ou celui du déterminisme naturel. C'est encore le cas de Lamarck qui cherche à donner aux processus biologiques des explications physico-chimiques. Dans l' Histoire naturelle des animaux sans vertèbres , il écrit que « le plan des opérations de la nature à l'égard de la production des animaux est clairement indiqué par cette cause première et prédominante qui donne à la vie animale le pouvoir de composer progressivement l'organisation, et de compliquer et de perfectionner graduellement, non seulement l'organisation dans son ensemble, mais encore chaque système d'organes particuliers, à mesure qu'elle est parvenue à les établir. Or, ce plan, c'est-à-dire cette composition progressive de l'organisation, a été réellement exécuté, par cette cause première, dans les différents animaux qui existent. » Le hasard ne fait véritablement son entrée en biologie qu'avec les travaux de Darwin.

Ce dernier sépare en effet l'ordre des causes et l'ordre des fins. La sélection darwinienne opère sur des variations individuelles et héréditaires qui ne sont pas adaptées a priori à une situation ou à une fin particulières. En d'autres termes, il y a le même lien entre la variation et la sélection qu'entre la structure physique du dé et les signes que portent ses faces. C'est cette séparation entre la variation et la finalité que refusent les néo-lamarckiens. L'un d'entre eux, Pierre Paul Grassé, écrit : « La réalisation d'un plan ne résulte pas d'un coup de dés. Le recours à un anti hasard s'impose, celui des darwiniens est la sélection naturelle ; nous sommes convaincus qu'il y en a d'autres plus efficaces qui opèrent directement dans l'intimité de la cellule. [...] A chaque étape de l'évolution, faire appel à un hasard heureux, n'est-ce pas risquer de lasser ce dieu complaisant en faisant trop souvent appel à lui ? 8 » En formulant ces critiques, les opposants de Darwin se méprennent sur le sens à donner au hasard. Dans le cadre de la vision darwinienne de l'évolution, le hasard ne doit pas être compris comme possédant un rôle créateur ou générateur au niveau de la variabilité du vivant. Le hasard, en effet, n'est pas posé a priori mais est reconnu une fois le processus accompli dans sa totalité, qu'il s'agisse de lancer un dé ou, pour un être vivant, de parvenir jusqu'au stade de la reproduction.

Le hasard, en biologie, trouve donc sa source dans la rencontre de la variation et de la sélection ; il n'est pas avant tout lié à une structure mais à une signification, autrement dit une informa-tion. On retrouve ici l'idée défendue par Richard Dawkins, Chris Gliddon et Pierre-Henri Gouyon9, selon laquelle il convient de distinguer, au sein du processus évolutif, l'information qui est transmise et la structure qui transmet des nucléotides aux populations.

L'information seule constitue la cible de la sélection, celle-ci jouant le rôle d'un révélateur des différences de signification. Se pose alors la question du degré de connaissance ou, inversement, d'ignorance qui paraît contribuer à l'existence du hasard. En d'autres termes, qu'en est-il lorsque la sélection ne paraît révéler aucune différence ? L'exemple de la théorie neutraliste, proposée par Kimura et Crow, ne permet pas de répondre entièrement à cette interrogation. Du moins conduit-elle à préciser la définition du hasard en biologie, proposée ici.

Afin d'expliquer l'existence du polymorphisme génétique, c'est-à-dire la coexistence de plusieurs allèles en un même locus, Motoo Kimura avance une hypothèse qu'il appelle « théorie neutraliste » et qu'il formule de la manière suivante : « Contrairement à la théorie synthétique traditionnelle ou théorie néodarwinienne, l'hypothèse neutraliste affirme que la grande majorité des subs-titutions de mutants s'effectue non pas par sélection darwinienne positive mais par fixation aléatoire de mutants sélectivement neutres ou presque neutres. Ce modèle postule également que la majorité de la variabilité moléculaire intraspécifique, telle qu'elle se manifeste sous la forme du polymorphisme protéique, est sélectivement neutre ou presque, et qu'elle est maintenue dans les espèces par l'équilibre entre la pression de mutation et l'extinction ou la fixation aléatoire des allèles10. »

Autrement dit, selon Kimura, le polymorphisme génétique est dû à l'apparition par mutation de nouvelles formes ou allèles neutres, qui ne modifient en rien l'individu qui les porte. Toute mutation peut en effet être neutre, létale ou sublétale, positivement sélectionnée. Si m est le taux de mutation total, [n, n grec] celui des mutations neutres, [m, m grec] celui des muta- tions létales et [e, epsilon grec] celui des mutations sélectionnables, on a : m=m+n+e. Les mutations sélectionnables sont largement minoritaires ; les mutations létales demeurant toutefois en faible proportion, ce sont les mutations neutres qui sont le plus souvent observables. Dès lors, l'action de la sélection devient négligeable par rapport à une autre pression évolutive, la dérive génétique voir l'encadré page suivante.

En opposant la théorie neutraliste à la théorie darwinienne, le chercheur japonais mettrait-il en difficulté la définition du hasard en biologie, pro-posée ici ? Tout d'abord, il convient de remarquer que le titre original anglais du livre de Kimura est : The Neutral Theory of Molecular Evolution. Le qualificatif « moléculaire » n'aurait pas dû être ignoré par le traducteur français : le neutralisme n'est finalement pas une autre théorie de l'évolution, mais se révèle plutôt comme une application ou un prolongement de la théorie darwinienne selon le point de vue moléculaire.

Ensuite, il convient de préciser ce que Kimura entend par « sélectivement neutre ». Un allèle mutant est dit sélectivement neutre lorsque l'ordre de grandeur de l'avantage ou du désavantage sélectif qu'il apporte, vis-à-vis de la valeur sélective, est inférieur à un certain seuil dont Kimura propose une détermination mathématique. Neutralité ne signifie donc pas absence : les différences entre les mutants et les informations qu'ils portent sont faibles, mais elles existent réellement et sont à l'origine du polymorphisme révélé par l'analyse biochimique. Dès lors, dans le cas de la sélection neutre, il est d'autant plus opportun de parler de hasard et de fixation aléatoire que le déterminisme face aux processus de sélection existe, mais reste faiblement marqué.

Enfin, la théorie neutraliste introduit la notion d'horloge moléculaire de l'évolution. Elle repose sur l'idée que, « pour chaque protéine, le taux d'évolution, en termes de substitutions d'acides aminés, est approximativement constant par année, par site et pour diverses lignées, tant que la fonction et la structure tertiaire de la protéine restent pour l'essentiel inaltérées12 », Si le taux d'évolution moléculaire est effectivement constant au cours du temps, la datation par d'autres méthodes par exemple la paléontologie de certaines étapes de cette évolution doit permettre d'étalonner chronologiquement l'ensemble de la phylogenèse d'une protéine ou d'une séquence. Toutefois, cette notion présente plusieurs causes d'imprécision : les différentes molécules n'évoluent pas toutes à la même vitesse ; une même séquence peut rester stable dans une espèce mais évoluer très rapidement dans une autre, soit que le taux de mutation lui-même diffère d'une espèce à l'autre, soit que la sélection agisse différemment selon les espèces. Beaucoup de biologistes mettent donc en question la valeur prédictive de l'horloge moléculaire. Quoi qu'il en soit, cette notion invite à s'interroger sur la qualité historique à conférer au hasard. Quelle place lui conférer au sein d'un arbre phylogénétique ? En l'y introduisant, ne risque- t-on pas de lui enlever son caractère d'événement ? A contrario, n'est-il pas menacé de se diluer dans le temps ?

Le jeu de dés illustre en quoi le hasard apparaît avant tout sous les traits d'un événement : il se détache de l'uniformité, de la monotonie ce qui serait le propre d'un lancer de cubes, pour apporter une nouveauté. Cette idée se retrouve sans conteste en biologie de l'évolution en particulier dans l'hypothèse selon laquelle la transformation des espèces pourrait être le produit de mutations. Elle est à l'origine du concept de « monstre prometteur », proposé par Richard B. Goldschmidt. En 1940, dans The Material Basis of Evolution, il postule l'existence de deux types d'événements génétiques susceptibles de jouer un véritable rôle évolutif : les macromutations qui ont un effet très important sur le phénotype et les mutations systémiques qui conduisent à un remaniement profond du génotype.

Dans les deux cas, les phénotypes nouveaux sont suffisamment différents du modèle standard de l'espèce pour qu'on puisse les qualifier de monstrueux ; si la plupart d'entre eux sont condamnés à disparaître, Goldschmidt suppose que certains peuvent survivre et être à l'origine d'une lignée complètement nouvelle. Si l'on s'accorde aujourd'hui à considérer ce phénomène comme extrêmement rare mais pas impossible pour autant, il a littéralement fasciné certains secteurs non scientifiques de la culture occidentale. Il suffit de penser aux mutants qui peuplent la littérature de science-fiction ; celle-ci use souvent de l'idée selon laquelle l'espèce doit attendre son évolution future ou son salut de l'apparition d'un mutant.

Si le hasard est événement, il ne peut pas pour autant prendre n'importe quelle forme : le dé n'a que six faces, six possibilités à offrir et à attendre. Autrement dit, pour reprendre, mais selon une formulation inversée, le mot de Mallarmé : le hasard n'abolit jamais le coup de dés. Ou encore : un monstre ne l'est que s'il partage un reste de ressemblance avec des formes connues et normales. Il n'est donc pas vain d'élaborer une science du jeu de dés, pour tenter d'acquérir sinon un contrôle du moins une connaissance des événements passés ou possibles. Selon les sociétés et les époques, on parle de divination, d'histoire chronologique ou de prospective. Quel que soit leur nom, ces méthodes tentent de découvrir ou de construire un principe de liaison entre les réalités qui voisinent ou se succèdent dans le temps : l'événement perd l'isolement de sa singularité pour s'inscrire dans le déploiement d'une virtualité, dans la réalisation d'un plan, ou encore dans l'émergence d'une nouveauté toujours en voie de constitution. Sans cela, le hasard-événement aurait aussi vite fait de disparaître que d'apparaître, souvent sans laisser de trace. C'est bien ce qui serait arrivé dans l'histoire de l'évolution du vivant s'il ne subsistait pas des traces des formes aussi bien retenues qu'éliminées par la sélection : les fossiles.

La découverte d'un fossile est, à sa manière, un événement : un « intrus » fait brèche dans l'ordre établi d'une classification, d'une organisation particulière du vivant. Du sein du passé et de ses couches de dépôts successifs émerge une nouvelle forme, parfois singulière ou monstrueuse. Certes, du hasard existe dans la découverte elle-même ; mais, pour ce qui nous concerne maintenant, le hasard se trouve avant tout lié à la nouvelle signification que le fossile peut apporter à la variété, à l'espèce, au genre auxquels il appartient. Les fossiles des schistes de Burgess en offrent un exemple, désormais bien connu. Les formes étranges d'Hallucigenia ou d'Anomalocaris correspondent-elles à des amusements de la nature, à des lusus naturae, comme disaient les anciens ? Que plusieurs d'entre elles aient finalement pu être rattachées à des branches déjà connues de l'arbre du vivant ne change rien au fait que leur découverte a enrichi la connaissance biologique de formes et d'événements singuliers, en soulignant par voie de conséquence le caractère irréversible et contingent de l'évolution biologique.

La contingence est le mot clé du livre de Gould, La Vie est belle. « Lorsque nous nous rendons compte qu'un certain aboutissement actuel aurait pu ne pas être, que tout changement à n'importe quel étage de la séquence aurait déchaîné une cas-cade d'événements dans une direction toute différente, alors nous mesurons le poids de chaque événement individuel comme facteur d'orientation13. » Nous cherchons à faire « comme si » tout ce qui est devait être ; or la biologie fourmille d'exemples, vivants ou fossiles, qui laissent entrevoir, directement lorsqu'il s'agit, par exemple, de genres ayant totalement disparu sous l'effet d'une extinction massive ou indirectement au travers de formes à peine esquissées que la réalité présente aurait pu être sensiblement différente. L'histoire révélée par les fossiles n'est ni celle du règne d'un déterminisme strict, ni celle du déroulement d'un plan préétabli ce qui explique les démêlés ni enfin celle d'un jeu de cubes exempt de toute signification. Les fossiles sont la mémoire des lancers de dés de l'évolution.

L'image du dé reste ici pertinente pour comprendre ce que pourrait signifier aujourd'hui l'idée de « loi de l'évolution ». Par le passé, de telles lois ont été proposées. Ernst Haeckel présenta, dans sa Generelle Morphologie 1866, la première formulation de ce qu'est devenu par la suite la « loi biogénétique fondamentale » ; elle s'énonce en ces termes : « L'ontogénie est la récapitulation abrégée et rapide de la phylogénie, régie par les fonctions physiologiques de l'hérédité reproduction et de l'adaptation nutrition. L'individu organique, pendant le cours bref et rapide de son développement individuel, répète les plus importantes des modifications de forme à travers lesquelles ses ancêtres sont passés pendant le cours lent et long de leur développement paléontologique, conformément aux lois de l'hérédité et de l'adaptation14. » De son côté, le jésuite Pierre Teilhard de Chardin s'est proposé, dans le Phénomène humain 1955, d'examiner l'« histoire de la lutte engagée, dans l'Univers, entre le Multiple unifié et la Multitude inorganisée » ; pour cela, il applique « la grande Loi de complexité et de Conscience, loi impliquant elle-même une structure, une courbure, psychiquement convergentes du Monde15 ». Elaborées dans une perspective déterministe ou finaliste, ces lois ont le plus souvent été relativisées voire abandonnées par la suite. Dès lors, on peut à juste titre s'étonner qu'Ernst Mayr puisse affirmer : « Mieux que toute autre science, la biologie de l'évolution est capable de répondre valablement à des questions telles que : quel est le but de l'Univers ? Quel est le but de l'homme ? Pourquoi suis-je vivant16 ? » C'est certainement aller trop vite en ouvrage. La loi en biologie ne peut pas prétendre connaître le but final ; elle cherche plutôt à préciser les rapports qui existent ou pourraient exister entre les événements qui constituent le vivant. Une de leurs principales caractéristiques est d'être soumis à des contraintes. Autrement dit, ce qui est aurait pu ne pas être c'est la définition de la contingence ; mais, pour autant, n'importe quoi n'aurait pas pu être. La première loi de l'évolution est probablement celle de la contrainte. Francis Galton, dans Hereditary Genius 1869, use comme contre-exemple, l'image d'un autre jeu que le lancer de dés : celui du billard. La sélection naturelle n'agit pas comme la queue de billard sur une boule pour lui imposer une vitesse et une direction ; les organismes ne sont pas des sphères, mais des polyèdres qui reposent de manière stable sur leurs facettes. « Le changement évolutif, commente Gould, se réalise plus facilement dans les directions déjà établies dans le cadre du développement17. » Si l'on peut penser avec Hérodote que « lorsqu'on prodigue le temps, tout le possible arrive », il faut immédiatement ajouter : « mais le possible seulement ». Autrement dit, la contingence correspond à cette subtile interaction que l'on découvre entre la capacité des êtres vivants à modifier l'histoire à quelque niveau que ce soit : génétique, morphologique, environnemental et les contraintes imposées par la réalité biologique elle-même. De même qu'un polyèdre repose de façon stable sur ses faces plutôt que sur ses arêtes, de même existe-t-il des possibilités génétiques et ontogénétiques qui influencent considérablement les changements, jusqu'à leur imposer, au moins momentanément, un sens défini.

Il ne faut pas oublier que Darwin fonde la théorie présentée dans De l'Origine des espèces sur une réflexion à propos de la sélection pratiquée par les éleveurs. De même, à propos de la domestication du chien par l'homme, Gould cite Charles Lyell qui écrivait en 1832 : « On n'aurait jamais essayé de domestiquer certains animaux, s'ils n'avaient manifesté à l'état sauvage une certaine aptitude à seconder les efforts de l'homme18. » La sélection ou la domestication empruntent les directions imposées par des aptitudes particulières, elles les mettent en valeur. Si elles les subvertissent, si elles conduisent à des monstruosités, ce ne peut être que pour retomber sur une autre face du polyèdre, probablement voisine, un autre état stable qui possède sa propre harmonie, sans quoi il aurait tôt fait de disparaître.

Parce que l'évolution n'est pas une partie de billard, mais un lancer de polyèdres, ses fruits possèdent d'une manière ou d'une autre une signification, une finalité a posteriori. C'est ce que reconnaissait déjà Claude Bernard, dans son Introduction à l'étude de la médecine expérimentale : « Le physicien et le chimiste peuvent repousser toute idée de causes finales dans les faits qu'ils observent ; tandis que le physiologiste est porté à admettre une finalité harmonique et préétablie dans le corps organisé dont toutes les actions partielles sont solidaires et génératrices les unes des autres19 ». Est-ce à dire que la biologie ne puisse pas se séparer de l'idée de finalité ?

On attribue au biologiste Van Bruecke le mot suivant : « Au fond, la finalité est une dame sans laquelle aucun biologiste ne peut vivre, mais qu'il est honteux de montrer avec lui en public ! » L'origine de cette honte est connue. A l'aube des temps modernes, Galilée refusait de donner la priorité à la question du « pourquoi », comme l'aristotélisme, dominant à l'époque, amenait à le faire. Selon lui, la démarche scientifique doit se fonder sur une pensée mécaniste et viser une utilité. « Le mécanisme, résume Etienne Gilson, nous permet de savoir comment les organismes fonctionnent, ce qui nous permet d'agir utilement sur eux ou même d'en fabriquer de semblables ; la connaissance de la cause finale nous dit seulement le pourquoi du mécanisme, qui est souvent évident et ne nous permet aucune action utile sur la réalité20. » René Descartes appliqua le projet galiléen au vivant en parlant d'animal machine. Pourtant, Claude Bernard dans son Introduction ou J.B.S. Haldane dans sa critique de l'attitude panglossienne « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » montrent chacun à leur manière comment la biologie de l'évolution n'a pas totalement rompu avec l'idée de finalité, même après la rupture causée par la théorie de Darwin entre la cause et la fin. C'est en particulier le cas dans les excès de l'adaptationnisme : un organisme est composé de parties élémentaires dont l'utilité adaptative est a priori postulée et qu'il convient de déterminercoûte que coûte22.

Francis Crick s'en prend à l'attitude adaptationniste lorsqu'il apostropheles évolutionnistes dans les termes suivants : « Pourquoi les évolutionnistes cherchent-ils toujours à apprécier la valeur de tel ou tel trait avant de savoir comment il a été fait ? ». Gould avoue qu'il n'a pas immédiatement accordé « une grande importance à ce commentaire, le mettant sur le compte de l'étroitesse d'esprit d'un biologiste moléculaire réductionniste qui ne comprenait pas que les évolutionnistes doivent toujours chercher aussi bien le "pourquoi" que le "comment" des structures biologiques Ñ leurs causes finales aussi bien que leurs causes efficientes. » « Après m'être colleté de nombreuses années avec la question de l'adaptation, poursuit-il, je comprends à présent la sagesse de la répartie de Crick. Si toutes les structures biologiques répondaient à un "pourquoi" exprimé par l'adaptation, alors j'aurais eu raison de ne pas m'arrêter à sa remarque, car leur "pourquoi" existerait bel et bien, que nous ayons résolu ou non leur "comment". Mais je suis à présent convaincu que de nombreux traits biologiques comme les mamelons masculins et l'orgasme clitoridien ne répondent directement à aucun "pourquoi" adaptatif22. » Ainsi, il ne s'agit pas plus de prôner le rejet de toute idée de finalité que d'affirmer un déterminisme universel. La compréhension darwinienne de l'évolution conduit plutôt à écarter une vision strictement linéaire de la causalité en biologie ; les causalités jouent à des niveaux d'intégration divers et s'imbriquent les unes aux autres23. Par exemple, la réponse à la question lancinante : « Les oiseaux ont-ils des ailes parce qu'ils volent ou volent-ils parce qu'ils ont des ailes ? » ne peut être simple et directe. La variation et le développement, agissant aux niveaux moléculaire et individuel, font en sorte que les oiseaux volent parce qu'ils ont des ailes ; la sélection, agissant aux niveaux de l'individu et de la population, entraîne que les oiseaux ont des ailes parce qu'ils volent. Les causes ne peuvent pas être appréhendées de manière linéaire mais plutôt circulaire. Les divers niveaux d'intégration du vivant, les variations et la sélection sont effectivement articulés, selon une hiérarchie et une finalité de fait. Darwin ne l'avait-il pas déjà compris lorsqu'il écrivait les dernières lignes de De l'Origine des espèces ?

« Il est intéressant de contempler un riv a ge luxuriant tapissé de nombreuses plantesappartenant à de nombreuses espèces abritant des oiseaux qui chantent dans les buissons, des insectes variés qui voltigent çà et là, des vers qui rampent dans la terre humide, si l'on songe que ces formes si admirablement construites, si différemment conformées, et dépendantes les unes des autres d'une manière si complexe, ont toutes été produites par des lois qui agissent autour de nous. [...] Le résultat direct de cette guerre de la nature, qui se traduit par la famine et par la mort, est donc le fait le plus admirable que nous puissions concevoir, à savoir : la production des animaux supérieurs. N'y a-t-il pas une véritable grandeur dans cette manière d'envisager la vie, avec ses puissances diverses attribuées primitivement par le Créateur à un petit nombre de formes, ou même à une seule ? Or, tandis que notre planète, obéissant à la loi fixe de la gravitation, continue à tourner dans son orbite, une quantité infinie de belles et admirables formes, sorties d'un commencement si simple, n'ont pas cessé de se développer et se développent encore 24 ! »

La conspiration du hasard et des contraintes contraint l'esprit humain à admettre qu'une finalité peut exister en dehors de celle qu'il prétend créer et imposer au sein de la réalité vivante.

Par Jacques Arnould

 

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PLANCTON GÉANT ...

 

Paris, 20 avril 2016
Du plancton géant passé inaperçu

Une équipe de biologistes marins et d'océanographes du CNRS, de l'UPMC1 et de l'institut allemand GEOMAR révèle l'importance dans toutes les mers du globe d'un groupe d'organismes planctoniques de grande taille, appelé Rhizaria, complètement sous-estimé jusqu'à présent. Selon leurs résultats, ces organismes représentent 33 % de l'abondance totale du plancton animal de grande taille à l'échelle de l'océan mondial et contribuent à 5 % de la biomasse marine globale. Cette étude a été menée sur des échantillons acquis au cours de onze campagnes océaniques (2008-2013) couvrant les principales régions océaniques du globe et incluant l'expédition Tara Oceans. Elle est publiée le 20 avril 2016 sur le site de la revue Nature (parution papier le 28 avril2).
Invisible à l'œil nu, le plancton marin n'en est pas moins un élément essentiel à l'équilibre de notre planète. Encore très largement méconnu, il rassemble des êtres microscopiques d'une variété étonnante qui produisent la moitié de l'oxygène sur Terre et sont à la base de la chaîne alimentaire océanique qui nourrit les poissons et les mammifères marins. Les rhizaires, de leur nom latin Rhizaria, sont un groupe d'organismes planctoniques de grande taille dont on ne soupçonnait pas l'importance jusqu'à présent. La plupart des estimations de la distribution des organismes marins sont menées localement (dans une zone marine définie) et s'appuient sur la collecte réalisée avec des filets à plancton. Même menée avec le plus grand soin, cette opération peut détériorer certains organismes fragiles comme les Rhizaria et ne pas permettre de les repérer.

Des biologistes marins et des océanographes ont uni leurs compétences afin d'analyser des échantillons prélevés au cours de onze campagnes en mer réalisées entre 2008 et 2013, à l'aide d'une technique moins « destructrice », à savoir une caméra immergée et déployée vers les profondeurs. Cette méthode d'imagerie in situ – sans prélèvement – a permis d'étudier les organismes directement dans leur environnement, sans les endommager. Au total, 877 stations (correspondant à 1 454 immersions de la caméra jusqu'à 1 500 mètres) ont été effectuées: elles couvrent toutes les grandes régions océaniques du globe. Ce sont au total 1,8 million d'images que les scientifiques ont analysées afin de quantifier l'abondance et la biomasse représentées par les Rhizaria3.

Et là, surprise : leurs estimations démontrent sans ambiguïté que les Rhizaria représentent plus d'un quart de l'abondance totale du plancton animal de grande taille dans le monde. Autre résultat : ils contribuent à hauteur de 5 % de la biomasse totale présente dans les océans (en considérant tous les organismes, du plancton à la baleine). La présence des Rhizaria dans tous les océans de notre planète était passée complètement inaperçue jusqu'à ce jour. Leur répartition reste toutefois inhomogène : ce plancton géant prédomine dans des zones pauvres en nutriments (situées au centre des grands océans), qui couvrent la plus grande partie des régions océaniques. Cette distribution pourrait s'expliquer par la capacité des Rhizaria à vivre en association (symbiose) avec des micro-algues, tout comme les coraux. Dans une symbiose, l'union entre les entités repose sur des échanges réciproques d'aliments : ainsi, en bénéficiant directement des produits de la photosynthèse, les Rhizaria parviendraient à survivre dans des eaux pauvres en nutriments. Le plancton continue à livrer peu à peu ses secrets, dévoilant une richesse et une diversité insoupçonnées.

 

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