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POLLUTION ET ÉPURATION DES EAUX

 


 

 

 

POLLUTION ET ÉPURATION DES EAUX
Les problèmes posés par l'exploitation de l'eau, ressource vitale et vulnérable, au bénéfice des sociétés humaines, exigent de la part des scientifiques une approche transdisciplinaire qui reste à construire. Les actions structurantes dans cette optique rapprochent les " sciences du savoir " et les " sciences de la valeur ". Sur cette trajectoire - du savoir au faire valoir - en matière de gestion qualitative de l'eau, le parcours est complexe mais l'exhaustivité n'est pas indispensable. Dans le présent contexte, la conférence fera découvrir quelques " épisodes significatifs " de recherche et d'action. D'ores et déjà on notera que la " technologie curative " est un remède aux pollutions localement contrôlables, mais qu'elle est inapte à " repenser " un hydrosystème où se sont accumulés des contaminants de l'eau dont les conséquences apparaissent graduellement dans le temps.

 

Texte de la 287e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 13 octobre 2000.


POLLUTION ET EPURATION DES EAUX

par Lothaire ZILLIOX


LA QUALITE DE L’EAU, UN ENJEU DURABLE


L’eau est indispensable à la vie. Fragile « miroir de notre avenir »(1), elle est au coeur des
préoccupations de toutes les civilisations. Essentielle à de multiples activités humaines
(énergétiques, domestiques, industrielles, agricoles) l’eau est une priorité de santé publique.
Les causes majeures des menaces sur les ressources en eau et sur leur qualité ne sont-elles pas à
chercher dans les comportements humains et dans la méconnaissance d’innombrables acteurs
concernés, plus que dans l’absence de connaissances scientifiques et de solutions techniques ?
Les interrogations au sujet de la pollution et de l’épuration des eaux s’inscrivent utilement dans
le schéma de la figure 1.
Elle visualise l’interactivité entre Homme et Société, Nature et Système de production, en
matière d’environnement-développement.
(1) source : Opération « Europe bleue » du Conseil de l’Europe (1993), 25 ans après la proclamation de la Charte
européenne de l'Eau (Strasbourg, 6 mai 1968)
2
fig. 1
Représentation schématique du champ de recherche, « Environnement-Développement »,
dans l’optique de la durabilité.
Pour la gestion qualitative de l’eau, les processus de décision qui intègreront au mieux les trois
« sphères » – l’Homme, la Nature, l’Industrie - constitueront une avancée dans la prise en compte
d’une durabilité à la fois écologique, économique et sociale.
La figure 1 associe dans une même représentation des sujets humains, des êtres de la nature, des
objets techniques et des règles juridiques.
Les décisions nécessaires pour gérer l’eau et pour en préserver la qualité devront tenir compte
d’une part de l’évolution de la demande sociale et d’autre part de l’évolution de l’offre physique.
Côté demande, les besoins en eau sont liés à la croissance démographique, à des facteurs
technologiques et à des choix de société, en termes de confort, de santé, de solidarité, voire de
survie.
Côté offre, la disponibilité de l’eau dépendra de variations climatiques, d’impacts d’activités
humaines sur le régime et la qualité des eaux, ainsi que de l’émergence de techniques nouvelles
pour dépolluer, traiter, recycler, comme pour réguler, protéger et épargner l’eau.
De fait, il n’y a pas un problème de l’eau commun à l’ensemble de la planète Terre, mais une
grande diversité de problèmes concrets et localisés.
(1) - interfaces instrumentées pour analyses, mesures, modélisations.
(2) - apports (cadre de vie, matières premières,...)
(3) - pollution (effets de comportements, d'activités,...)
(4) - innovation et création de richesse (garanties de la prévention active)
"L'Homme"
homme et sociétés
humaines
"La Nature"
milieux, ressources,
processus naturels
ou perturbés
"L'industrie"
procédés, incidences
de technologies et
systèmes de
réglementation
(2)
(4)
(1) (1)
(1)
. .
.
(3)
(2)
(3) Cadre de vie Innovation
Pollution
Matières
premières
3
L’HYDROSYSTEME, UNITE DE GESTION
L’hydrosystème continental, schématiquement représenté par la figure 2, servira de support aux
éléments développés dans la suite.
puits de
captage
infographie ACPA: C.Sira (ACPA / CEREG - ULP / CNRS)
fig. 2
Représentation d’un hydrosystème continental(2)
Les flèches visualisent des interfaces à fort gradient hydraulique.
Ceux-ci peuvent accélérer ou ralentir les polluants transportés par l’eau.
L’eau du système, représentant l’unicité de la ressource de tout bassin fluvial, est répartie dans
divers compartiments : l’eau des précipitations, les eaux douces superficielles, l’eau du sol, les
eaux souterraines. Les compartiments, naturellement reliés par le cycle de l’eau, forment un
système cohérent, qui intègre des éléments naturels et des éléments issus d’activités humaines.
L’eau y circule à des vitesses très différentes sur ses parcours aériens, superficiels, ou
souterrains. Le rapport des vitesses mesurées dans la nappe alluviale (eau souterraine) aux
vitesses relevées dans le cours du fleuve est de l’ordre de 1 à 100 000 : il indique l’importance de
l’échelle de temps à prendre en compte dans le transport de polluants dans les compartiments de
l’hydrosystème.
La persistance d’une pollution sera liée à la nature et au degré d’intensité de toutes les
interrelations au sein de l’hydrosystème. Toute dégradation de l’un des compartiments aura des
répercussions sur les autres.
DES SOURCES ET MECANISMES DE POLLUTION DE L’EAU
La notion d’hydrosystème indique bien la nécessité de ne plus dissocier un problème de pollution
de l’eau (le « contenu ») de la dégradation du milieu (le « contenant ») à travers lequel circule
l’eau (atmosphère, cours d’eau, sols et aquifères).
(2) source : Zilliox (L.), « la qualité des eaux continentales », p. 17-22, dans 12 Questions d’actualités sur
l’Environnement, Ministère de l’Environnement, Z’éditions (juin 1996)
4
Les durées de séjour d’un polluant dans l’hydrosystème varient à l’extrême : quelques jours dans
l’atmosphère, quelques semaines dans les rivières, des décennies ou des siècles dans les
aquifères. Les durées de renouvellement de l’eau ont un impact certain sur la persistance des
pollutions. La détérioration de la qualité des eaux souterraines peut même devenir irréversible.
Pour pouvoir évaluer la progression d’une pollution, il ne suffira pas de connaître le seul
« transport » par l’eau. Il faudra prendre en compte les diverses interactions entre le polluant et
les milieux traversés dont les effets n’apparaissent que graduellement dans le temps.
Pollutions et origines
La pollution est multiple et on parlera « des pollutions de l’eau ». Elles se distinguent grosso
modo par leurs causes (accidents, éliminations de déchets et résidus, sollicitations excessives du
milieu naturel,…) par leur nature (physique, chimique, bactériologique, radioactive,…) et par
leur ampleur (locale ou étendue, occasionnelle ou saisonnière) dans l’espace et dans le temps.
Certaines pollutions seront appelées “diffuses” à l’exemple des pollutions par nitrates sur des
régions entières.
La pollution se définit selon des situations de référence variées. Pour l’écologue, il s’agit de la
dégradation de l’eau par l’introduction d’un agent altéragène. Cet agent (biologique, chimique ou
physique) provoque, à partir d’une certaine concentration ou intensité, une altération gênante (ou
nuisible) de la qualité de l’eau.
Pour l’utilisateur, l’eau est polluée quand sa qualité ne correspond plus aux exigences de certains
usages. Dans ses usages l’eau remplit de multiples fonctions (pour la boisson, l’hygiène,
l’irrigation, l’agroalimentaire, l’énergie, le transport, les loisirs, etc…).
La pollution atmosphérique issue de sources multiples – usines, chauffage urbain,
automobiles…- a un impact sur la qualité des eaux et des sols. La pollution des eaux de surface
s’est diversifiée à partir d’activités humaines comme la déforestation (provoquant inondation et
érosion), la construction de barrages, la canalisation de rivières, le comblement de zones
humides. L’irrigation massive et l’agriculture industrielle ont fait croître la contamination directe
des sols et des eaux souterraines. De multiples accidents de transport de produits toxiques, (par
route, rail, voies d’eau, conduites enterrées…) provoquent des pollutions de durées aléatoires. La
pollution des nappes phréatiques peut résulter d’échanges avec les cours d’eau dégradés et
d’affleurement au niveau de sols contaminés.
Tableau I : Principales causes de pollution des eaux (3)
TYPE DE POLLUTION NATURE CHIMIQUE SOURCE OU AGENT CAUSAL
1- Physique
pollution thermique
pollution radioactive
rejets d’eau chaude
radio-isotopes
centrales électriques
installations nucléaires
2- Chimique
pollution par les fertilisants
pollution par des métaux et métalloïdes
toxiques
pollution par les insecticides et pesticides
pollution par les détersifs
nitrates – phosphates
mercure, cadmium, plomb, aluminium,
arsenic, etc…
insecticides, herbicides, fongicides
agriculture (lessives)
industrie, agriculture, combustions (pluies
acides)
agriculture (industrie)
(3) source : Ramade (F.) ; « l’eau une ressource menacée » dans le Journal après-demain, févr.-mars 1992, Paris.
5
pollution par les hydrocarbures
pollution par des composés organochlorés
pollution par les autres composés
organiques de synthèse
agents tensioactifs
pétrole brut et ses dérivés (carburants p.e.)
PCB, insecticides, solvants chlorés
très nombreuses molécules (plus de
70 000 !)
effluents domestiques
industrie pétrolière, transports
industries
industries (usages dispersifs pour certains)
3- Organique
pollution par matières fermenticides
glucides, lipides, protides
effluents domestiques, agricoles,
d’industries agro-alimentaires, du bois
(papeteries)
4- Microbiologique
pollution par microorganismes
bactéries, virus entériques, champignons
effluents urbains, élevages, secteur agroalimentaire
Pour la partie apparente du cycle de l’eau, les processus de contamination sont visibles et leurs
conséquences généralement détectables. L’entraînement de polluants dans le sol et le sous-sol,
constitue le départ de mécanismes plus difficiles à appréhender et dont l’évolution reste cachée.
Non visibles, ces pollutions seront détectées avec des retards de plusieurs années. Trop tardives,
les actions de dépollution dureront des dizaines d’années, voire au-delà.
Mécanismes de pollution
Si l’on prend le cas des produits pétroliers, les carburants et les fiouls de chauffage
représentent le plus gros volume de produits organiques journellement manipulés et transportés
dans les pays industrialisés. De ce fait, ils sont impliqués dans de nombreuses pollutions. Ces
produits, globalement non miscibles à l’eau, sont des mélanges complexes de nombreux
composés hydrocarbonés. Lors d’un déversement accidentel on distingue trois phases
successives :
- le produit s’infiltre dans le sol de couverture perméable de l’aquifère ; la nappe d’eau
souterraine est directement atteinte lorsque la quantité déversée est supérieure à celle
que le sol et la partie aérée de l’aquifère sont capables de retenir ;
- le produit en contact avec l’eau lui transmet des traces d’hydrocarbures les plus
solubles ;
- le transfert d’hydrocarbures, sans cesse réactivé par les mouvements de l’eau, constitue
la véritable source de contamination de l’eau entraînant la persistance de la pollution.
Les traces dissoutes sont véhiculées par l’eau souterraine dont la vitesse d’écoulement est de
l’ordre de quelques mètres par jour en aquifère poreux (milieu alluvial). Outre le risque de
pollution des captages d’eau, l’évaporation d’hydrocarbures dans le sol peut engendrer des
risques d’explosion.
Dans le cas de la dispersion d’un polluant miscible à l’eau, une émission locale (fuite d’un
réservoir enterré) à débit constant d’un polluant miscible à l’eau provoque dans l’aquifère la
dispersion du polluant entraîné par l’eau souterraine. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la
source, le polluant est dilué par le jeu de mécanismes dispersifs et d’effets de mélange dans
l’aquifère poreux.
Les concentrations dans l’eau décroissent dans la direction de l’écoulement et s’estompent
transversalement. La figure 3 visualise cette évolution.
6
x1 x2 x3
CL / 2
CL Cx2 x = L
C ( x=x3, y)
Σ ( C = CL)
Σ' ( C = CL/2)
x
y
0
source
direction de
l'écoulement
moyen
de la nappe
Délimitation du domaine contaminé : Σ ( C = CL)
(ici, section longitudinale médiane du domaine tridimensionnel)
CL : Valeur de concentration limite
domaine contaminé : C ≥ CL
profils transversaux des concentrations
fig. 3
Pollution locale d’un aquifère : délimitation du domaine contaminé(4)
Connaissant les vitesse de l’eau dans la direction de l’écoulement, le coefficient de dispersion
dans le plan perpendiculaire à l’écoulement, le débit de la source (en masse de contaminant par
unité de temps), la variation spatiale de la concentration dans l’eau peut être calculée dans des
conditions hydromécaniques de stationnarité.
Si une « norme » définit, pour le polluant concerné, une concentration limite (par exemple une
valeur critique à ne pas dépasser au plan de la toxicité), on peut déterminer l’enveloppe frontière
de la zone de contamination et savoir ainsi à quelle distance de la source émettrice la pollution
s’estompe.
L’hétérogénéité de l’aquifère et les potentialités naturelles de transformation biochimique,
(l’activité microbiologique sera d’autant plus efficace que la vitesse de circulation de l’eau sera
plus lente) contribueront à déformer, respectivement à réduire, le domaine contaminé dans la
réalité. Le modèle présenté en figure 3, fondé sur la seule approche hydrodynamique, se place du
côté de la sécurité lorsqu’il s’agit d’évaluer le risque de contamination d’un captage d’eau situé
en aval.
LES EAUX PRELEVEES, UTILISEES, EPUREES, DEPOLLUEES
Les eaux « brutes », prélevées dans l’hydrosystème continental (pluies, eaux de surface, nappes)
sont de composition très variable. Leur utilisation nécessite souvent une adaptation de leurs
(4) source : Zilliox (L.), « Porous media and aquifer systems », in Groundwater ecology, Academic Press, San Diego,
1994.
7
caractéristiques physiques, chimiques et biologiques. Tout usage altérant la qualité sera suivi
d’une régénération des eaux.
Le rejet d’eau usée ne se fera qu’après un diagnostic de la capacité d’autoépuration du milieu
naturel. Une trop forte sollicitation durant les dernières décennies a considérablement amoindri le
pouvoir épurateur des milieux réceptacles d’eaux usées.
Les effets de rejets d’eaux insuffisamment épurées s’ajoutent aux impacts des pollutions in situ.
La restriction d’usage des eaux prélevées s’en trouve accrue. Seuls des procédés de traitement,
fiables mais coûteux, autoriseront le maintien de certains usages de l’eau.
Ces traitements, les techniques d’épuration d’eaux usées et la décontamination de sites pollués,
relèvent de technologies évolutives. Celles-ci permettent de réhabiliter le milieu naturel,
d’adapter les caractéristiques de l’eau aux divers besoins (industriels, agricoles, domestiques) et
de garantir au consommateur l’accès à l’eau potable indispensable à la santé humaine. (L’eau
insalubre est le premier « transmetteur » de maladies au monde et tue encore près de 10 000
enfants par jour).
Dans le secteur de l’eau, l’innovation en génie des procédés de traitement et en ingénierie pour
les écosystèmes aquatiques, exige un niveau de croissance qui doit générer suffisamment de
« richesses » pour la mise en oeuvre des technologies. Nombreux sont les pays qui souffrent d’un
manque de croissance minimale pour assurer à leur population l’accès à une eau de qualité.
L’eau : origine et composition
Les eaux douces exploitées par l’homme ont pour origine, dans l’hydrosystème continental, le
ciel (eaux des précipitations collectées), le territoire, (« eaux de surface », cours d’eau et plans
d’eau à l’air libre) et le sous-sol (eaux souterraines contenues dans les aquifères alluviaux ou des
roches réservoirs ; ces eaux, protégées des activités en surface, sont captées aux sources
naturelles ou par des forages). Elles représentent à peine 0,5 % des ressources de la planète dont
97,5 % sont des eaux de mer salées et 2 % des eaux douces à l’état solide (banquise et glaciers).
La qualité de l’eau se définit par sa composition en sels minéraux et gaz dissous, en
microorganismes et matières en suspension. Les composés minéraux en solution proviennent de
la constitution des roches traversées. Les gaz dissous sont essentiellement l’oxygène et le gaz
carbonique en provenance du milieu ambiant. Les matières en suspension sont d’origine minérale
(silice, argiles, oxydes de fer,…) ou organique (bactéries, virus, champignons, matières végétales
en décomposition…).
L’eau prélevée : préparation aux usages
Les eaux « brutes » sont préparées pour des usages spécifiques : alimentaires, industriels,
agricoles, hospitaliers.
L’eau potable
Sa préparation doit conserver les sels minéraux indispensables à la santé. L’eau de boisson sera
dépourvue de matières organiques, de germes pathogènes ; elle sera oxygénée, limpide, inodore,
incolore et fraîche (critères comprenant plus de soixante paramètres). Les traitements concernent
surtout les eaux de surface. Les eaux souterraines subiront un traitement simplifié ; dans certains
cas elles pourront être distribuées en l’état (secteurs de l’aquifère en plaine d’Alsace).
Dans la chaîne de traitement classique, se suivent les étapes de prétraitement (tamisage,
dégrillage, avec préozonation ou préchloration), de clarification (floculation, décantation) et
d’affinage (stérilisation, filtration sur sable ou charbon actif). Pour maintenir sa qualité potable
dans les canalisations du réseau de distribution, une légère chloration achève la préparation.
8
Une technologie nouvelle est l’utilisation de membranes filtrantes. L’avantage est d’exclure les
réactifs chimiques. Les procédés membranaires fonctionnent à la manière d’un tamis aux pores
inférieurs au micron. La microfiltration arrête les bactéries, parasites et colloïdes. L’ultrafiltration
élimine les virus et macromolécules organiques. La nanofiltration retient les sels dissous et
descend avec l’hyperfiltration (ou osmose inverse) à des tailles d’éléments (ions) n’excédant pas
le millionième de millimètre.
La composition et les conditions de fabrication d’une membrane permettent de jouer sur la taille
des pores, sur sa perméabilité et sur la durée de transfert des molécules à travers la membrane.
Les techniques membranaires, grandes consommatrices d’énergie, coûtent encore cher.
Les eaux pour l’industrie
Les processus de fabrication sont tributaires de la qualité de l’eau dans d’innombrables
applications. L’eau filtrée permet d’obtenir en papeterie une meilleure qualité de papier. Dans la
fabrication de composants électroniques la pureté de l’eau est déterminante pour la performance
de produits, tels les « puces ». Le traitement de surface est incontournable dans de nombreuses
activités industrielles : les « rinçages de surfaces » nécessitent de l’eau préparée pour éviter
corrosion et agressivité. Le goût d’une bière dépend du dosage des sels minéraux dans l’eau
utilisée pour sa fabrication. L’industrie pharmaceutique utilise de grandes quantités d’eau ultrapure
: il faut jusqu’à cinq millions de litres pour produire un kilo d’antibiotique.
L’eau pour l’agriculture
L’eau d’irrigation a des effets sur la qualité des plantes et des sols : une eau salée déstabilise le
sol, une eau chargée de résidus organiques ou métalliques nuit aux cultures. Certaines régions
arides recourent au dessalement d’eau de mer : l’osmose inverse innove par rapport à la
distillation.
Les eaux hospitalières
Les membranes permettent de donner à l’eau l’état de pureté nécessaire à son rôle médical. L’eau
ultra pure, obtenue par osmose inverse, permet de soigner les plaies des grands brûlés ; en
hémodialyse, son rôle est primordial dans le fonctionnement des reins artificiels.
Dans la préparation de l’eau, les procédés sont basés sur des mécanismes aux interfaces liquidesolide.
(cf. tableau II)
Tableau II : Les procédés de la technologie pour les eaux(4)
Procédés Mécanismes physico-chimiques aux interfaces
Floculation (ou coagulation) Déstabilisation des colloïdes
Filtration et filtration avec floculation Fixation des particules sur le matériau filtrant
Filtration par membranes Élimination des colloïdes et des substances macromoléculaires par
membranes (osmose inverse)
Flottation Séparation de matières particulaires à l’aide de bulles d’air et des
propriétés hydrophobes de composés
Échange d’ions Échange d’ions sur des résines synthétiques
(4) source : Sigg (L.), Behra (P.), W. Stumm (W.), Chimie des milieux aquatiques.. (3e éd.), Dunod, Paris, 2000.
9
Élimination des phosphates Précipitation chimique, filtration avec floculation
Biofloculation, biofilm Floculation de microorganismes, par exemple dans les procédés de
boues activées ; utilisation de cultures fixées pour la décomposition
et la transformation des substances organiques
Sorption sur le charbon actif Rétention de substances organiques sur le charbon actif
Les eaux résiduaires : épuration d’eaux usées
Les eaux résiduaires comprennent les effluents urbains, (eaux usées domestiques, alimentées par
des eaux pluviales chargées de polluants atmosphériques), les effluents industriels aux
caractéristiques très variables et les effluents agricoles provenant de cultures (avec utilisation de
phytosanitaires), d’élevages (hors-sol), de fabrications agro-alimentaires (fromagères,
vinicoles…). Le rejet direct d’eaux résiduaires dans les compartiments de l’hydrosystème aurait
une triple répercussion :
- la dégradation de l’écosystème et la destruction des capacités d’autoépuration du milieu
mettant la “santé écologique” en péril ;
- la détérioration du plus précieux patrimoine de vie, portant atteinte à la santé humaine ;
- la disparition sectorielle d’une matière première exclusive, ou le surcoût pour l’adapter
aux besoins de fabricants et producteurs, menaçant la “santé économique”.
Les systèmes d’épuration des eaux usées mettent en oeuvre des procédés qui correspondent, à des
degrés divers, à ceux utilisés dans la préparation des eaux « brutes ».
C’est le coût de la mise en place et de l’exploitation des stations de traitement d’eaux usées qui
reste le facteur limitant.
La filière -dégrillage, floculation, décantation- est utilisée pour la dépollution des rejets urbains.
S’y ajoutent, selon la station d’épuration, un traitement secondaire par lits bactériens et des
traitements spécifiques (tertiaires), tels ceux qui éliminent l’azote ou le phosphore.
Les industriels mettent de plus en plus en oeuvre les procédés de séparation membranaires sur le
site même de l’usine. L’agriculture n’est en soi ni plus ni moins polluante que d’autres activités
productives, utilisatrices d’eau. Vu son échelle d’exploitation, elle a un rôle crucial à jouer dans
la gestion intégrée de l’hydrosystème et doit assumer sa part de l’effort de dépollution des eaux.
L’épuration d’eaux usées bénéficie de la combinaison expérimentale de technologies.
L’association du procédé membranaire et du traitement biologique a fait naître les « bioréacteurs
à membranes » : l’effluent chargé en matière organique passe dans un bioréacteur contenant des
bactéries qui vont digérer la « charge » ; l’eau ainsi traitée traverse ensuite une membrane
sélective qui retient les microbes et assure sa désinfection. Ce système permet de recycler les
eaux sanitaires épurées d’un immeuble.
Les eaux polluées : action in situ
Les stratégies de réhabilitation de sols et aquifères contaminés, de dépollution et de protection
d’eaux souterraines, sont une préoccupation majeure dans les pays industrialisés. L’objectif est
double : utiliser des technologies d’épuration entraînant un minimum d’effets négatifs pour
l’homme et les milieux naturels, et assurer une protection efficace de l’hydrosystème par un
aménagement du territoire adapté à la conservation de la qualité de l’eau.
Le champ d’action est vaste et priorité sera donnée aux stratégies préventives. Le tableau III
résume les concepts et méthodes d’intervention, plus particulièrement à proximité de captages
d’eau potable.
10
Tableau III : Méthodologie d’action et de contrôle de sites et aquifères pollués (5)
Mesures préventives :
éviter l’émission de polluants dans les
sols et aquifères
• appliquer la réglementation des périmètres de protection
• restreindre l’usage de substances à risque
• réguler les manipulations et modes de transport des produits
dangereux
• interdire la fabrication de certains produits toxiques
Intervention immédiate :
minimiser l’infiltration après
déversement accidentel
• prélever, traiter et mettre en dépôt les sols contaminés
Actions à la source
de pollution :
éviter la dispersion du contaminant
• mesures géotechniques de confinement (parois étanches …)
• mesures hydrauliques (extraire par pompage…)
• mesures chimiques et biologiques in situ (fixer par réactifs,
dégrader par bactéries…)
• mesures par circulation d’air (capter les substances volatiles)
• mesures de traitement et de décontamination in situ (épuration
localisée)
Traitement des “panaches”
de polluants dissous :
réduire le domaine contaminé par
dispersion à l’aval de la source
• mesures hydrauliques (création de barrières hydrodynamiques
et pompage des eaux contaminées), combinées avec des
traitements biochimiques pour épurer l’eau prélevée
Protection hydraulique
des ouvrages de captage d’eaux
• gérer le réseau de puits captants par sélection entre forages de
production d’eau et forages d’extraction de polluants
Mesures techniques
pour fournir durablement de l’eau
potable aux consommateurs
• traiter l’eau “brute” prélevée
• mélanger l’eau prélevée avec des eaux provenant d’autres
sources d’alimentation
• pratiquer un système en réseau régional (et non local) pour
l’approvisionnement en eau d’une collectivité.
INTERROGATIONS AU FIL DE L’EAU
Les limites actuelles d’un développement garantissant une eau de qualité sont celles
qu’imposent : l’état de nos techniques, l’état de notre organisation sociale, éducative et culturelle
et la capacité de la biosphère à « digérer » les pollutions résultant d’activités humaines.
La recherche et la technologie fournissent des solutions pour résoudre les problèmes liés à la
qualité des ressources « brutes », à leur prélèvement, à leur préparation, à leur distribution, aux
usages de l’eau, ou encore à l’épuration d’eaux usées, voire à la dépollution in situ.
L’organisation de la société pour une gestion durable de l’hydrosystème continental pose
question sur des points tels
(5) source :Groundwater and Subsurface Remediation, Kobus (H.), Barczewski (B.), Koschitzky (H.P.) (Eds),
Springer, 1996
11
- la notion du temps : comment expliquer le « temps écoulé » entre le déclenchement d’une
pollution, sa détection puis la décision d’intervenir ? Comment expliquer le « temps décalé »
entre l’événement physique et la réponse juridico-administrative attendue ?
- le choix d’un mode d’action : où va-t-on appliquer les mesures de protection des eaux ?
S’agit-il d’éliminer les causes (prévention) ou de traiter des symptômes (acte curatif) ?
- le besoin de métiers nouveaux pour répondre aux enjeux de l’eau : comment susciter une
nouvelle catégorie professionnelle « d’ingénieurs de la vie et du développement durable », à
différencier de biotechnologues non formés à une démarche intégrée ?
Pour répondre, ne faudrait-il pas inscrire nos comportements comme la Conscience collective
dans les représentations des figures 1 et 2 ?
Je remercie vivement Muriel Eichhorn pour son aide à la mise en forme de cette présentation.
J’exprime ma reconnaissance aux amis, collègues et partenaires qui m’ont accompagné dans la
pratique scientifique transdisciplinaire utile au thème présenté.

 

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HOMMES ET HOMINIDÉS

 

 

 

 

 

 

 

HOMMES ET HOMINIDÉS


Il s'agit d'explorer la dichotomie entre les grands singes et l'Homme et comment comprendre cette divergence aujourd'hui. En consultant les médias, on voit souvent évoquer le fait que l'Homme partage 99% de son matériel génétique avec le chimpanzé. Les Hommes et les chimpanzés, mais aussi les gorilles, sont extrêmement similaires. Les travaux en biologie moléculaire nous permettent de dire qu'il y a environ 7 millions d'années, à la fin du miocène, les ancêtres des humains, des chimpanzés et des gorilles actuels sont partis sur leurs propres chemins évolutifs et leurs propres régions géographique.

Quelles sont les certitudes, les interrogations concernant cette évolution ? Il est impossible de vraiment trancher pour savoir qui du chimpanzé ou du gorille et plus proche de l'Homme. Il s'agirait plutôt d'une trichotomie au sein d'une même population. Le problème peut être abordé sous plusieurs aspects : anatomique, géographique et climatique, environnemental qui façonnent les êtres fossiles et qui ont fait ce que nous sommes avec nos variabilités physiques et culturelles.

Texte de la 439e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 18 juillet 2002

Grands singes - Hommes : histoire d'une divergence

Par Brigitte Senut,

La divergence entre les grands singes et l'homme est un des sujets les plus discutés de la paléontologie humaine, probablement car il touche directement à nos origines. Les données permettant d'appréhender cette séparation sont fournies par toute une série de disciplines allant de la paléontologie, la géologie, la sédimentologie à la biologie moléculaire. Car il faut, en effet, resituer cette question évolutive dans un cadre bio-éco-géographique plus vaste, plutôt que de se limiter à un cadre anatomique. Les résultats des différents domaines ne concordent pas toujours, c'est ainsi souvent le cas de la biologie moléculaire et de la paléontologie, car les données néontologiques ne prennent pas la dimension essentielle de l'évolution, la quatrième dimension : le temps. L'étude des grands singes et des hommes actuels nous permet de clarifier les relations de parenté, mais le tempo de leur histoire ne nous est fourni que par la paléontologie. Les données de terrain très fructueuses ces dix dernières années nous obligent à remonter au-delà de 6-7 millions d'années, pour comprendre la manière dont la lignée des grands singes s'est isolée de celle de l'homme. Quelles sont ces nouvelles découvertes? Quels sont les nouveaux enjeux? C'est à ces questions que nous allons essayer de répondre dans la suite de cet exposé.

L'apport de la biologie moléculaire

La phylogénie en question

Les molécularistes et les paléontologues s'accordent aujourd'hui sur le fait que les grands singes asiatiques sont des parents relativement éloignés de nous, alors que leurs cousins africains semblent nous être plus proches ; mais au sein de ces derniers, peut-on isoler un genre une espèce plus privilégiée? En d'autres termes, le chimpanzé est-il notre plus proche cousin ? Est-ce le bonobo (ou chimpanzé nain) ? Ou bien l'ensemble gorille-chimpanzé ? Ou bien les chimpanzés, les gorilles et les hommes sont-ils aussi éloignés les uns des autres ? Selon les méthodes d'analyses, il apparaît que tous ces schémas sont possibles. Toutefois, certains auteurs ont largement médiatisé un rapprochement exclusif chimpanzés-hommes. Ceci serait conforté par les études sur l'ADN et l'ADN mitochondrial, alors que d'autres travaux révèlent des branchements différents. Ce qui reste sûr aujourd'hui est que les plus proches parents de l'homme sont africains et que leur ancêtre est, lui aussi, plus vraisemblablement africain.

L'horloge moléculaire

Le concept d'horloge moléculaire est basé sur la constatation que la mesure des divergences des séquences d'acides aminés est corrélée au temps. Les changements sont censés s'opérer à des rythmes constants à partir d'une date de divergence paléontologique donnée (soit celle des ruminants, soit celle des cercopithèques, etc.) ; ce n'est donc pas une méthode indépendante. Or, selon les auteurs, ou selon les groupes utilisés pour calibrer, les résultats sont très différents et on a obtenu des dates variant de 2 millions d'années à plus de 15 millions d'années pour la dichotomie hommes/grands singes. Toutefois, il a été démontré que l'horloge moléculaire ne marche pas, en fait, à vitesse constante. Le taux auquel les changements sont incorporés dans les populations varient en fonction des temps de génération, l'isolation génétique etc. C'est pourquoi, l'horloge est différente entre les éléphants et les souris, il est évident que la souris se reproduisant plus vite, le renouvellement génétique est plus rapide. Par ailleurs, il y a une variation au sein d'une même espèce. La même chose est vraie au sein des primates si on compare des lémuriens ou des chimpanzés. Enfin, il apparaît que sur de longues périodes, l'horloge devient imprécise. L'horloge moléculaire ne marche pas donc pas à la même vitesse dans tous les groupes de mammifères et pour dater les divergences, il convient donc d'utiliser les données temporelles fournies par les fossiles.

Les grands singes et leurs caractères de vie.

Dimorphisme sexuel

Les grands singes de grande taille se caractérisent généralement par de forts dimorphismes de taille et de morphologie liés au sexe. Un des caractères les plus utilisés chez les primates est la canine. Chez les mâles, la racine est massive et a pratiquement la même taille que la base de la couronne. Chez les femelles, la racine plus petite est rétrécie à la base de la couronne. Ce caractère s'observe chez les grands singes actuels et fossiles. Par ailleurs, chez les mâles, les racines étant beaucoup plus grandes, le museau est gonflé et aussi plus projeté vers l'avant, ce qu'on appelle le prognathisme. Quelquefois, cette projection est si importante que la morphologie faciale des mâles et des femelles est aussi très différente. C'est ce qui rend souvent l'interprétation des fossiles isolés difficile. C'est le cas notamment du fameux Kenyapithèque du Kenya considéré longtemps comme un hominidé ancien car sa canine était petite et sa face peu projetée. Or, la une nouvelle études de ces matériels a montré que les spécimens incriminés appartenaient en fait à des individus femelles et Kenyapithecus était une forme éteinte de grand singe, pas placée en position particulière dans notre arbre phylogénétique. La même chose est arrivée avec les Ramapithèques asiatiques. Mais il est intéressant de constater que de nombreux spécimens sensés être nos ancêtres étaient en fait des femelles de grands singes et que les ancêtres de grands singes étaient de mâles... ! C'est le cas typique du groupe des Sivapithèques et Ramapithèques: les premiers ont été considérés comme des ancêtres des orangs-outans et les Ramapithèques, ancêtres de l'homme. Toutefois, lorsque les études sur le dimorphisme sexuel ont été développées au début des années 1980, on s'est rendu compte que les ramapithèques étaient les femelles des sivapithèques, ancêtres des grands singes de Bornéo et Sumatra. Cela allait même plus loin, car le genre Sivapithecus ayant été créé bien avant que celui de Ramapithecus, ce dernier nom devait être abandonné. Les ramapithèques qui avaient eu leur heure de gloire dans les années 1960 à 1980, disparaissaient du paysage paléontologique par le coup du dimorphisme sexuel.

Alimentation

Les primates actuels sont parmi les mammifères les plus diversifiés dans leur alimentation. Ayant accès à toutes les strates des canopées, comme au milieu terrestre, ils se nourrissent de feuilles, et/ou de fruits, et/ou de viande. Il n'est pas rare que les chimpanzés mangent des petites antilopes ou des petits cercopithèques. La morphologie dentaire observée reflète le mode d'alimentation le plus fréquent, mais un animal peut de temps à autres adapter son régime à ce que lui offre son environnement. Les gorilles sont inféodés à des milieux forestiers et se nourrissent de végétaux variés, herbacées et fruits. Le régime alimentaire peut être déduit non seulement des dents, mais aussi des os maxillaire et mandibulaire et de leurs insertions musculaires. Sur l'anatomie des dents, la morphologie des cuspides est assez typée chez les chimpanzés avec des tubercules placés à la périphérie de la couronne et montrant un grand bassin central ; et chez les gorilles avec des tubercules placés à la périphérie mais plus acérés et un bassin central moins élargi. Chez l'homme, qui est un hominoïde à part entière, les tubercules sont globuleux, assez bas et plus centraux. Un autre aspect de la morphologie dentaire concerne l'émail : la variation de son épaisseur reflète également la qualité de ce que l'animal ingère ; ainsi si l'animal consomme plus fréquemment des fruits, l'émail est plus fin et s'il consomme des aliments plus coriaces, l'épaisseur de l'émail est plus épais. En gros, cela semble vrai, mais il faut aussi prendre en compte la surface triturante de la dent, sa croissance et donc sa taille. Les replis de l'émail plus prononcé chez les chimpanzés nous apportent aussi des informations sur le style de nourriture qu'ingurgitent les grands singes. On voit tout l'intérêt de bien comprendre les morphologies actuelles pour déduire des interprétations sur les fossiles.

Locomotion

Les modes de locomotion sont aussi très diversifiés chez les grands singes puisqu'ils varient de la suspension, au grimper vertical, marche sur les branches sur les quatre pattes arrière ou sur les deux pattes arrière. Mais les grands singes pratiquent aussi une marche particulière appelée le knuckle-walking, littéralement la marche sur l'articulation des phalanges antérieures repliées.

C'est le mode classique de déplacement des chimpanzés, qui est un peu modifié chez les gorilles, beaucoup plus lourds. Le mode de déplacement est lié en grande part à la taille de l'animal : ainsi, un gorille mâle de plus de 200 kgs peut difficilement se suspendre aux branches d'arbres, alors que le petit beaucoup plus léger en sera capable. Mais aucun de ces grands singes n'est assez léger pour pratiquer le déplacement acrobatique adopté par les gibbons d'Asie du Sud-Est. Un mode de déplacement utilisé par tous les grands singes plus ou moins fréquemment ou plus ou moins occasionnellement est la marche bipède. Aujourd'hui, le seul hominoïde capable de se déplacer pour la plus grande partie de son temps sur ses deux pattes arrière est l'homme. L'adaptation à la bipédie permanente est un des caractères qui est généralement utilisé pour définir le genre Homo. Chez les fossiles, on observe des bipédies différentes de celles de l'homme actuel, celle des Oréopithèques de Toscane étant probablement la plus éloignée de la nôtre, celle des Australopithèques en étant la plus proche. Les paléontologues n'ont pas à leur disposition tous les ligaments, muscles, etc... , mais l'os enregistre le mouvement le plus fréquemment réalisé ; et par comparaison avec les animaux actuels on peut reconstituer des types de mouvements, puis des associations de mouvements qui débouchent sur des scénarios locomoteurs. Pendant près d'un siècle, les anthropologues ont focalisé leurs travaux sur les restes crâniens et dentaires, parties nobles du squelette pour reconstituer les scénarios de nos origines, mais depuis la fin des années 1970, on s'aperçoit que les modes de locomotion apporte eux aussi des informations à cette quête, et ils sont aujourd'hui considérés comme des éléments à part entière. En fait, la reconstitution des modes locomoteurs passés est essentielle.

Les grands singes fossiles

Les grands singes fossiles sont connus dès l'Oligocène supérieur en Afrique orientale et sont représentés par quelques pièces dentaires attribuées à Kamoyapithecus. Mais c'est au Miocène inférieur que les grands singes vont s'épanouir en Afrique. Si pendant longtemps, on les a cru confinés à l'Afrique orientale, on les a retrouvés au début des années 90 en Egypte, puis en Afrique du Sud en 1996. Les restes extérieurs à l'Afrique orientale sont très peu nombreux : un humérus en Egypte au Wadi el Moghara et une demi-dent supérieure dans la mine de diamants de Ryskop en Afrique du Sud. En raison de leur faible nombre, ils n'ont pas pu être nommés formellement.

En Afrique orientale, par contre, on connaît de très nombreux grands singes de grande taille (dont certains équivalents à un gorille) et de petite taille (proche de celle des gibbons). Nous nous focaliserons sur ceux de grande taille parmi lesquels nous recherchons nos ancêtres.

Les plus connus des grands singes de la période de 22 à 17 Millions d'années environ sont les Proconsul. Très bien représentés au Kenya et en Ouganda par plusieurs formes qui ont la taille des chimpanzés et colobes actuels. Ce sont des grands singes généralisés par leur dentition et leur locomotion. Probablement adaptés à un régime plutôt frugivore, ils habitaient dans des environnements de forêt sèche où ils se déplaçaient à quatre pattes sur les branches, ou au sol. Ces reconstitutions sont basées sur les restes de plantes, de grands mammifères, de micromammifères et ceux d'escargots fossiles, notamment des très riches gisements de l'île de Rusinga au Kenya.

A la même époque les Ugandapithecus, de la taille du gorille, vivaient sur les pentes des volcans de Napak en Ouganda et à Songhor au Kenya. Assez lourds, ils vivaient probablement en partie au sol, mais ils pratiquaient également un grimper vertical. Leurs canines présentent un caractère tout particulier : le sommet de la dent est en forme de lame plutôt que conique. Leurs dents assez massives suggèrent qu'ils se nourrissaient de nourritures assez coriaces. Les Ugandapithèques sont connus jusqu'à la base du Miocène moyen (16-17 Millions d'années) en Afrique orientale, et spécialement sur le gisement de Moroto en Ouganda où ils côtoient les Afropithèques, de taille plus modeste, découverts également sur la rive occidentale du Lac Turkana au Kenya. Entre 17 et 12 millions d'années les grands singes connaissent un second buissonnement avec les Turkanapithèques du Lac Turkana, les Nacholapithèques des Collines Samburu. Dans les gisements de l'île de Maboko on trouve les Kenyapithèques, dont l'espèce présente à Fort Ternan ( Kenyapithecus wickeri) sera considérée, dès sa découverte, comme un hominidé ancien. Cependant, les caractères utilisés à l'époque (petite canine, face plate, émail épais) se sont avérés, pour les premiers, des caractères de dimorphisme sexuel et, pour le dernier, un caractère classique des grands singes du Miocène moyen dont les l'alimentation est basée sur des végétaux plutôt durs. Le Kenyapithèque de Fort Ternan avait aussi été considéré comme un hominidé sur la base de présence de galets utilisés trouvés avec les fossiles. Toutefois, ces cailloux « utilisés » se sont avérés être des pierres de lave brisés naturellement. Par ailleurs, on sait aujourd'hui que d'autres primates utilisent des outils ou manipulent et cela ne leur donne pas automatiquement le statut d'hominidé.

Après avoir longtemps été considérés comme des animaux typiquement est-africains, les grands singes voyaient leur aire de répartition considérablement augmentée par la découverte d' Otavipithecus namibiensis au nord-est de la Namibie. Ils avaient toutefois été signalés en 1975 en Arabie saoudite qui, à l'époque où ils vivaient, était rattachée à l'Afrique orientale. L'Otavipithèque ne ressemble à aucun des grands singes classiques est-africains de l'époque, par sa mâchoire étroite, ses dents aux cuspides gonflées, mais cela n'est pas surprenant car il vivait dans une région très excentrée, par rapport à celle où vivaient les autres grands singes de la même époque.

C'est probablement vers ce moment-là que les grands singes vont émigrer vers l'Eurasie; ainsi, on les retrouve en France, en Espagne, en Hongrie, en Grèce, en Inde, au Pakistan, en Turquie, en Chine... où ils prennent les noms de Dryopithèques, Ankarapithèques, Sivapithèques, Ouranopithèques, Lufengpithèques, etc... Certains d'entre eux, bien que considérés par plusieurs auteurs comme des ancêtres potentiels des Hominidés, semblent plus probablement se rapprocher des grands singes asiatiques modernes. Les caractères utilisés pour en faire des Hominidés se sont avérés être souvent des caractères hérités des grands singes africains antérieurs et non pas dérivés d'Hominidés, et dans certains cas dérivés d'Orangs-outans ou même encore liés au dimorphisme sexuel observé classiquement chez les grands singes actuels et fossiles.

Le trou noir- la divergence

Le trou noir correspond à cette période pendant laquelle nous ne connaissions pratiquement rien au début des années 1990 entre les grands singes du Miocène et les premiers Hominidés avérés, les Australopithèques, c'est à dire environ entre 10-12 millions d'années et 4,2 millions d'années. A l'époque, les quelques pièces fossiles, toutes kenyennes, pouvaient se compter sur les doigts des deux mains: un fragment de maxillaire trouvé au début des années 80 dans les Samburu Hills et vieux de 9,5 millions d'années, une dent isolée dans la Formation de Lukeino datée de 6 millions d'années, un fragment d'humérus vieux de 5,1 millions d'années, un fragment de mandibule à Tabarin vieille de 4,5 millions d'années, un fragment de mandibule à Lothagam (aujourd'hui redatée à 4,2 millions d'années environ). Les nombreuses expéditions menées en Afrique depuis la dernière décennie ont pratiquement triplé le matériel connu au début des années 1990; il n'est donc pas surprenant que les scénarios de nos origines soient largement discutés. A part le maxillaire des Samburu, tous ces fossiles étaient rapportés aux Hominidés. Dans tous les scénarios évolutifs ces restes ont été considérés comme appartenant obligatoirement à des ancêtres des Australopithèque et donc des Hominidés. En fait, les chercheurs dans leur grande majorité ont focalisé leurs travaux sur les Australopithèques et toute pièce hominidée trouvée dans des niveaux plus anciens était systématiquement considérée comme un ancêtre de ceux-ci et donc des hommes. L'évolution était linéaire, ce qui malheureusement ne semble pas très biologique. En effet, jusqu'à 12 millions d'années environ, les grands singes sont largement représentés en Afrique; il faudrait donc admettre que ces derniers disparaissent pour laisser la place à une seule lignée et que celle-ci soit obligatoirement ancestrale à l'homme. Cette interprétation nie le phénomène de radiation chez les grand singes et les hominidés anciens. Vers 6 millions d'années environ, on sait que les grands groupes de mammifères sont très diversifiés et il est probable que les primates (grands singes et hommes inclus) n'ont pas échappé à la règle.

Samburupithecus

Le premier acteur dans ce trou noir est Samburupithecus; découvert au début des années 1980 dans les Samburu Hills au Kenya (mais publié seulement en 1994), il est connu exclusivement par un fragment de maxillaire portant les 2 prémolaires et les 3 molaires. Par certains aspects, il rappelle les gorilles, notamment pas la morphologie de son museau, la position de l'arcade zygomatique relativement basse et antérieure sur la mâchoire. Les tubercules de ses dents sont, en revanche, gonflés; il s'agit sans doute d'une femelle comme le suggère l'alvéole préservée de la canine qui indique que la racine de cette dernière était petite. Par ses caractères, cette pièce pourrait être considérée comme un ancêtre des grands singes et de l'homme, ou un ancêtre de gorilles, mais il faut plus de matériel pour conclure.

Ardipithecus ramidus

En 1994/1995, Ardipithecus ramidus, vieux de 4,4 millions d'années venait combler une lacune dans l'histoire de la dichotomie des grands singes et de l'homme. Découverts en Ethiopie dans la Vallée moyenne de l'Aouache, les restes attribués à cette espèce se composent de dents isolées, de quelques os postcrâniens fragmentaires un petit fragment crânien et un squelette partiel qui n'est toujours pas publié. Ces éléments furent rapportés à un hominidé, mais si certains caractères de ses canines l'en rapprochent effectivement, toute une suite d'autres l'en isolent comme l'épaisseur de l'émail dentaire ou la taille de la canine par rapport aux dents jugales. Le squelette indiquerait une adaptation à la bipédie, mais les restes publiés à ce jour ne permettent pas cette affirmation. Ardipithecus ramidus est-il un hominidé ou un grand singe? Il est bien difficile de conclure à la lueur des éléments disponibles.

Orrorin tugenensis

A l'automne 2000, une douzaine de restes dentaires, mandibulaires et postcrâniens d'un hominidé étaient trouvés dans la Formation de Lukeino au Kenya qui avait déjà livré une dent isolée en 1974. Les gisements qui ont livré les fossiles s'échelonnent dans le temps entre 6,0 et 5,7 millions d'années; le gisement le plus riche étant celui de Kapsomin situé à la base de la formation. Les dents en général sont petites, proches en taille de celles de chimpanzés et des hommes actuels, mais leur forme plus carrée les rapproche des seconds. La morphologie de la canine supérieure portant une gouttière verticale ou la première prémolaire inférieure avec ses racines décalées rappelle la morphologie observée chez les grands singes actuels et fossiles. Toutefois, les tubercules dentaires ne présentent pas les ridulations d'émail classique chez les grands singes, la morphologie de la canine inférieure est intermédiaire entre celle des grands singes et celle de l'homme, l'émail est épais, la face interne des molaires est verticale. La partie antérieure de la mandibule est droite et on n'observe aucun espace (diastème) entre la canine et la première prémolaire inférieures. L'ensemble des caractères dentaires rapprochent Orrorin des hominidés.

La découverte d'Orrorin était importante également par le fait que des restes postcrâniens étaient signalés, dont des fémurs relativement bien conservés. C'est l'étude du fémur qui a montré que Orrorin était bipède. Ceci s'exprime par un col fémoral allongé et aplati antéro-postérieurement, la position de la tête fémorale, la position des insertions musculaires, la distribution de l'os cortical (épaissi à la partie inférieure et plus mince à la partie supérieure) sur la coupe du col fémoral, et la présence en vue postérieure d'une gouttière pour le muscle obturator externus. La plupart de ces caractères sont présents chez les Australopithèques et l'homme et sont classiquement associés à la bipédie. Cependant, certaines différences d'avec les Australopithèques (en particulier, orientation de la tête fémorale, position du petit trochanter) et une meilleure ressemblance avec les hommes indiquent que cette bipédie est plus humaine que celles de Australopithèques. Cet hominidé pratiquait donc probablement habituellement la bipédie; toutefois, il n'est pas encore affranchi du milieu arboré, comme le montrent son humérus et ses phalanges de main.

Orrorin n'est pas un être petit puisque les mesures de son humérus et de son fémur indiquent qu'il était une fois et demie plus grand que Lucy, la célèbre Australopithèque de l'Afar. Cette dernière est de taille modeste, mais possède des dents assez grosses (mégadonte); en revanche, chez Orrorin, l'inverse est vrai, le corps est plus grand mais les dents plus petites (microdonte). Si Orrorin devait être un ancêtre des Australopithèques, eux-mêmes ancêtres de l'homme, il faudrait admettre que des êtres microdontes auraient donné naissance à des mégadontes, qui eux-mêmes auraient donné naissance à des microdontes. Ces aller-retours anatomiques qui touchent à la fois le système masticateur et le système locomoteur semblent douteux et c'est pour cela que nous considérons les Australopithèques comme une branche à part de notre famille. Lors de sa découverte en 2000, Orrorin était le premier Hominidé connu antérieur à 5 millions d'années et sa présence si ancienne remettait en cause les données moléculaires en suggérant une dichotomie entre les grands singes et l'homme très ancienne (bien antérieure à 6 millions d'années).

Ardipithecus ramidus kadabba

Le débat sur nos origines était relancé en juillet 2001 avec la publication d'une sous-espèce d'Ardipithèque, Ardipithecus ramidus kadabba, découverte en Ethiopie dans des niveaux vieux de 5,7 à 5,2 millions d'années. Elle est représentée par des dents et os isolés (notamment fragment d'humérus et phalanges du pied et de la main). Elle se différencie des grands singes actuels par la tendance des canines à être incisiformes et la morphologie générale de ces dernières; mais, elle s'isole également d' Ardipithecus ramidus ramidus par la morphologie des P3 et M3 supérieures et de la canine inférieure. Les caractères des éléments post-crâniens rappellent ceux des grands singes et de certains spécimens de Hadar et suggéreraient des adaptations à la vie arboricole. Même si selon les auteurs, on peut considérer cette sous-espèce d'Hominoïde comme un Hominidé, il n'en reste pas moins qu'un certains nombre de caractères rappellent les grands singes et que les différences d'avec l'autre sous-espèce méritent clarification.

Sahelanthropus tchadensis

Puis, un an après la découverte éthiopienne étaient publiés les restes d'un hominoïde vieux de 6 à 7 millions d'années, trouvés au Tchad, très loin à l'Ouest de la fameuse faille est-africaine. La pièce la plus médiatique est un crâne légèrement écrasé rapporté par ses inventeurs à un Hominidé sur la base en particulier de la petite taille de la canine, le mode d'usure de cette dernière, l'aplatissement de la face, la position dite « plus antérieure » du foramen magnum. Selon les auteurs, le bourrelet sus-orbitaire très massif indiquerait que le crâne appartenait à un individu mâle. Les autres caractères incluent entre autres: des dents jugale (molaires et prémolaires basses), l'émail intermédiaire en épaisseur entre celui des chimpanzés et des Ardipithèques, une morphologie supra-orbitaire robuste (probablement mâle selon les auteurs), un plancher nuchal plat et des insertions musculaires puissantes dans la région nuchale.

La petite canine n'est pas un caractère d'Hominidé sensu stricto comme signalé plus haut; en effet, chez les grands singes miocènes et modernes, la taille de la canine est le plus souvent l'expression du dimorphisme sexuel. La canine du mâle étant beaucoup plus développée, il s'ensuit un gonflement de la région faciale qui reçoit la racine de la dent, alors que chez la femelle, le gonflement est réduit en liaison avec une racine de taille plus modeste; d'où l'aspect plus plat de la face.

La taille du bourrelet sus-orbitaire n'est pas classiquement utilisé pour sexer des crânes isolés. Chez les chimpanzés ou les gorilles actuels, le bourrelet sus-orbitaire apparaît fort chez les mâles, comme chez les femelles au sein d'une même population; il est en général un peu plus fort chez les mâles. Sur un crâne isolé, il est très difficile de déterminer le sexe de l'individu à partir de ce seul caractères. En dehors du fait que la position antérieure du foramen magnum n'est pas confirmée, il faut être prudent car celle-ci n'est pas liée exclusivement à la bipédie, elle aurait, pour certains, un lien avec le développement cérébral Parmi les caractères décrits, certains semblent rapprocher plus volontiers la pièce des grands singes : aplatissement du plancher nuchal, systèmes des crêtes postérieures et le spécimen, probablement femelle n'apparaît pas très différent de celui des grands singes actuels, en particulier des gorilles. Si cette hypothèse s'avérait confirmée, cela rendrait la découverte tchadienne encore plus intéressante scientifiquement, car elle commencerait à combler l'immense lacune de l'histoire des grands singes africains entre 12 millions d'années et aujourd'hui.

L'origine de l'homme : une histoire de climat ?

Si on veut comprendre l'histoire de nos origines, on ne peut pas se limiter à l'étude des modifications anatomiques de nos ancêtres potentiels. Ces derniers ont vécu dans un environnement qui s'est transformé au cours des temps géologiques en liaison avec les modifications climatiques, géographiques, tectoniques et autres. Un vieux mythe qui encombre encore certains de nos ouvrages est la naissance de l'homme et de sa bipédie dans un milieu ouvert de savane. Or, les dernières données suggèrent que le milieu dans lequel vivait Orrorin ou ses parents Ardipithecus était plutôt humide. En particulier, dans l'environnement d' Orrorin, les colobes et les impalas dominaient la faune; ces espèces ne vivent pas en milieu ouvert : les colobes sont des animaux très arboricoles et les impalas vivent plutôt dans des fourrés. D'où probablement les adaptations à la vie arboricole encore bien marqués chez eux comme chez les premiers australopithèques.

Une hypothèse séduisante a été proposée par Coppens au début des années 1980 : la fameuse « East Side Story ». Dans cette hypothèse éco-climatico-géographique, le rift jouait un rôle majeur: des grands singes auraient été largement distribués en Afrique au Miocène, puis vers 8 millions d'années, une réactivation de la faille aurait engendré la coupure en deux de cette population ancestrale, l'une à l'Ouest aurait donné les grand singes actuels africains restés inféodés au milieu forestier et l'autre aurait évolué vers l'homme dans un milieu plus sec (mais pas forcément de savane sèche, ni de désert). Toutefois, vers 8 millions d'années, il y a une modification du climat à l'échelle du monde. L'établissement de la calotte polaire arctique a entraîné le mouvement vers le Sud des ceintures climatiques mondiales, affectant ainsi la température de l'eau de océans, la répartition des faunes et leur composition. Les grands singes faisant partie de cette faune n'ont probablement pas échappé à ce grand remaniement. L'événement a été ressenti à l'échelle du globe de l'Amérique à l'Europe en passant par l'Afrique. C'est à cette époque que se met en place le Sahara. Le changement faunique a aussi coïncidé avec l'effondrement du rift et des changements à l'échelle locale ont pu avoir lieu. Si l'hypothèse de l'East Side Story a souvent été caricaturée, elle n'en demeure pas moins valide dans l'état actuel de nos connaissances d'un point de vue chronologique et climatique.

Quel(s) ancêtre(s)

Selon certains auteurs, les hominidés antérieurs à 3,5 millions d'années sont les ancêtres des Australopithèques, eux-mêmes ancêtres des hommes. Les découvertes réalisées récemment dans le Miocène supérieur et le Pliocène suggèrent que la diversité des formes a été plus importante et en fait, il semble bien qu'il y ait eu une lignée mégadonte Australopithèque qui s'est éteinte vers 1,4 Millions d'années avec peut-être certains ardipithèques à sa base et une lignée plus microdonte avec Orrorin, Praeanthropus et les Homo anciens. L'origine de ces lignées est à rechercher au-delà de 6 millions d'années et peut-être jusqu'à 12-13 Millions d'années. Qui sont les ancêtres des grands singes africains modernes ? Des fossiles découverts récemment au Kenya suggèrent que des formes proches des chimpanzés auraient pu être présents dès 12,5 millions d'années dans la Formation de Ngorora, Certains Ardipithèques en seraient-ils les descendants? Une dent fragmentaire de 6 millions d'années trouvée au Kenya semble proche des gorilles et à la même époque ces derniers auraient pu être au Tchad. Quoiqu'il en soit, il apparaît que la dichotomie entre les grands singes africains et l'homme est plus ancienne que ne le suggèrent les données moléculaires et que la découverte de tout jalon sur la lignée des premiers sera un apport essentiel à la compréhension des autres. Mais où se situe l'origine des hominidés ? est-elle donc à l'Est ? ou ailleurs ? Si on en croit l'Abbé Breuil, le berceau est à roulettes. Si on s'en tient aux données actuelles, l'Afrique orientale semble renfermer les plus anciennes traces d'hominidés. Si le matériel tchadien était confirmé dans son statut d'hominidé, l'Afrique centrale tiendrait peut-être le flambeau. Mais finalement, cela n'a pas grande importance lorsqu'on réalise que 3% peut-être du continent africain sont aujourd'hui prospectés. Nos scénarios sont forcément voués à changer. En revanche, on peut affirmer aujourd'hui que des êtres bipèdes très anciens sont connus vers 6 millions d'années en Afrique et qu'ils vivaient dans un milieu plus humide qu'on ne le pense généralement.

 

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L'USINE CHIMIQUE VÉGÉTALE

 

 

 

 

 

 

 

L'USINE CHIMIQUE VÉGÉTALE


Au-delà de leur capacité unique à convertir, en présence d'énergie lumineuse, le gaz carbonique de l'atmosphère en glucides, les végétaux chlorophylliens présentent collectivement une remarquable aptitude à synthétiser des dizaines de milliers de molécules différentes. Ces produits de l'usine chimique végétale relèvent de la " chimie lourde " : amidon, cellulose, lignines…polymères d'accumulation qui représentent une part importante de la biomasse végétale et ont souvent des utilisations industrielles. Ils peuvent aussi relever de la " chimie fine " illustrée par l'extrême diversité des substances naturelles végétales. Cette deuxième catégorie de composés a un impact important au niveau des relations entre la plante (organisme immobile) et son environnement biotique dans le cadre d'un subtil dialogue moléculaire. Ces composés qualifiés parfois de métabolites secondaires ont aussi des rôles déterminants dans la couleur et les propriétés organoleptiques des productions végétales. Ils sont également largement exploités en thérapeutique. Au total, ces molécules très diversifiées illustrent la diversité génétique des plantes et sont d'ailleurs exploitées pour l'analyser. Comment sont synthétisées et s' accumulent ces différentes catégories de substances ? Quel est leur rôle dans les chaînes alimentaires ? Peut-on jouer sur les profils biochimiques des plantes ? Quelles sont les exploitations de plus en plus diversifiées de l'extraordinaire panoplie chimique des plantes ? Ce sont quelques-unes des questions qui seront abordées dans cette présentation.

1
Texte de la 9ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 9 janvier 2000
par Alain-Michel Boudet
L’usine chimique végétale


Notre attitude vis à vis du monde végétal est souvent ambivalente. D’une part, nous portons
sur les plantes un regard dominateur et anthropomorphique, Platon pensait déjà que les
plantes étaient des animaux mutilés dont les poils fichés en terre avaient donné des racines.
D’autre part, nous manifestons un intérêt latent pour les mystères et les bienfaits potentiels du
monde végétal.
Quoiqu’il en soit, une proportion limitée de nos contemporains réalise que nous sommes
totalement dépendants, pour notre survie, des végétaux dont le rôle essentiel est occulté par
toute une série d’écrans qui correspondent aux processus de transformation des productions
végétales dans un monde industrialisé.
Cette dépendance peut être facilement illustrée par deux scénarios de science fiction.
Supprimons la vie végétale sur la planète, la vie animale disparaît aussitôt. Supprimons la vie
animale, le monde des plantes continue à prospérer.
Quelles sont donc les supériorités de cet organisme végétal, apparemment si simple, avec peu
d’organes différents et une absence de fonctions qu’à notre échelle de valeur nous appelons
évoluées : locomotion, système digestif, système nerveux.
1/ Les plantes producteurs primaires dans l’écosystème
La plante, organisme se développant à l’interface entre le milieu aérien et le milieu souterrain
présente une série de capacités uniques :
- Pouvoir prélever grâce à des adaptations morphologiques des éléments qui sont présents
dans ces 2 milieux à très faibles concentrations (Co2, sels minéraux…),
- Pouvoir grâce au phénomène de photosynthèse vieux de près de 3 milliards d’années
convertir en exploitant l’énergie lumineuse le gaz carbonique en glucides simples,
- Pouvoir transformer ces produits élémentaires à la suite de nombreuses réactions
enzymatiques en des milliers de molécules diversifiées souvent complexes.
Pénétrons un peu plus avant dans les circuits de l’Usine Chimique Végétale.
Les produits finis qui en découlent appartiennent à trois catégories : la chimie du vivant, la
chimie lourde et la chimie fine.
Les premiers représentent les intermédiaires des grands cycles métaboliques, les protéines et
les enzymes impliqués dans les processus fondamentaux de réplication, transcription,
synthèse protéique, transports cellulaires, régulation, etc. Ce sont des molécules
indispensables au fonctionnement de base de l’organisme végétal qui de façon intéressante se
retrouvent très conservées dans les différents règnes traduisant ainsi l’unité du monde vivant.
Les produits de la chimie lourde sont des polymères plus spécifiques des plantes qu’elles
accumulent massivement pour répondre à des stratégies d’adaptation au niveau de leur
fonctionnement global. Ils représentent l’essentiel de la biomasse végétale.
2
Les produits de la chimie fine enfin illustrent les formidables capacités de synthèse des
plantes qui, collectivement synthétisent plusieurs dizaines de milliers de structures différentes
reflétant la diversité des espèces végétales et assurant des fonctions cruciales dans les
relations entre la plante et son environnement.
Nous considérerons dans cet exposé les seuls produits de la chimie lourde et de la chimie fine
qui expriment particulièrement les performances et la spécificité de l’Usine Chimique
Végétale.
2/ La chimie lourde : simplicité et unité du monde végétal, la base des aliments et des
produits industriels.
L’activité chimie lourde comprend l'amidon, la cellulose et les lignines, etc.
Cette liste des produits concerne les composés majeurs mais n’est pas exhaustive. On pourrait
y rajouter des protéines de réserve des graines, des polymères de surface comme la cutine et la
suberine.
De façon très constante et en relation avec les fonctions assurées, ces polymères se retrouvent
soit dans la graine (ou autres organes de réserve comme les tubercules) soit dans les parois
cellulaires qui délimitent le cytoplasme des cellules végétales et assurent la structuration et la
relative rigidité des tissus et organes.
L’amidon et la cellulose représentent deux versions d’une chimie relativement simple
reposant sur la polymérisation du glucose.
L’amidon résulte de l’association de l’anomère α du glucose par des liaisons glycosidiques
entre les carbones 1 et 4 de deux unités consécutives (liaison α 1-4). La figure 1 indique les
différentes étapes de la synthèse de l’amidon L'association d’unités glucose par
l’intermédiaire de liaisons α 1-4 conduit à une des composantes de l’amidon : les chaînes
linéaires d’amylose qui peuvent adopter dans l’espace une disposition en spirale. Sur ces
chaînes linéaires d’amylose peuvent se greffer des ramifications latérales d’amylopectine par
l’intermédiaire de liaisons α 1-6 faisant intervenir l’enzyme de ramification de l’amidon.
(SBB). L’amidon est déposé sous forme de granules de 10 à 150 μ de diamètre dans
l’albumen des céréales ou les tubercules de différentes plantes dont la pomme de terre.
L’accumulation d’amidon dans ces organes explique qu’ils représentent la partie récoltée de
la plante. Le "succès" de la graine est donc dû à sa capacité à accumuler à forte concentration
des éléments nutritifs comme l’amidon. Ainsi, les 4 premières productions agricoles
mondiales, riz, blé, maïs, pomme de terre, qui correspondent à une production totale annuelle
de 1.5 milliards de tonnes, stockent de l’amidon dans leurs organes de réserve et le riz et le
blé apportant environ la moitié des calories ingérées par l’espèce humaine. Comme nous le
verrons, l’amidon a, au delà d’un intérêt alimentaire, de nombreuses utilisations industrielles.
3
Comme l’amidon, la cellulose est un homopolymère de glucose mais dans ce dernier cas,
c’est l’anomère β du glucose qui est impliqué dans une liaison glycosidique entre les carbones
1 et 4 d’unités adjacentes. Ce type d’association conduit à un polymère linéaire dont
4
différentes chaînes (une trentaine) peuvent s’associer pour donner des microfibrilles de
cellulose à l’état cristallin qui vont jouer un rôle structurant dans la paroi végétale.
La cellulose représente la molécule organique la plus abondante de la biosphère et correspond
environ à la moitié de la matière organique synthétisée chaque année par les organismes
photosynthétiques terrestres (soit environ 50 milliards de tonnes/an).
Au delà de leur rôle important chez les végétaux, ces polymères sont largement exploités dans
les activités humaines. L’amidon est à la base de l’alimentation humaine mais est aussi utilisé
industriellement dans l’alimentation : additif, liant alimentaire, iso glucosevia des procédés de
transformation… ou dans des activités typiquement industrielles diversifiées ; additif dans les
pâtes à papier, colles, matières plastiques…
La cellulose assimilée par les herbivores ruminants, rentre dans les chaînes alimentaires. Son
utilisation industrielle est cependant plus apparente. Elle représente l’essentiel des fibres
textiles ou industrielles de différentes origines : coton, lin, chanvre….
Cependant, c’est son rôle de base dans la production de la pâte à papier et de ses dérivés
(papiers, cartons) qui correspond à la plus grande échelle d’utilisation. La valeur économique
au plan mondial de la pâte à papier et des papiers cartons produits annuellement est de 735
milliards de dollars. La demande croit continuellement et est généralement proportionnelle au
degré de développement des différents pays. Le recyclage des papiers et cartons prend une
importance croissante.
L’exemple des lignines second biopolymère en abondance après la cellulose chez les
végétaux (25 % de la biomasse terrestre) nous conduit au concept d’évolution biochimique.
Les lignines ne sont caractérisables que chez les plantes vasculaires ou trachéophytes. Les
premières plantes terrestres les Bryophytes (les mousses) n’en possèdent pas. Les lignines
sont des polymères phénoliques extrêmement complexes dont une représentation est donnée
sur la figure 2. Leur synthèse résulte de la polymérisation d’un nombre limité (au plus 3)
d’unités monomères, les monolignols, mais leur complexité résulte de l’association potentielle
de ces unités par différentes liaisons chimiques sans aucun caractère ordonné ni répétitif. Il en
résulte un polymère amorphe et hydrophobe qui en se déposant dans les parois leur confère
une grande rigidité et résistance mécanique et augmente leur hydrophobicité. Les lignines ont
permis une transition importante dans l’évolution du monde végétal : le passage d’un port
rampant (mousses) à un port dressé (fougères) qui est celui que nous connaissons pour toutes
les plantes les plus évoluées gymnospermes et angiospermes. Cette nouvelle architecture
permettant une meilleure occupation de l’espace conférait un avantage adaptatif évident, la
mise en place d’un système vasculaire vrai au niveau de cellules lignifiées (vaisseaux,
trachéides) autorisant des échanges à grande distance à l’intérieur de la plante. Cette transition
s’est produite il y a environ 350 millions d’années, et il est intéressant de noter que la
complexité chimique des lignines s’est accrue au cours de l’évolution.
5
La plante pour acquérir une nouvelle architecture et de nouvelles fonctions a dû mettre en
place des solutions chimiques à la fois complexes et onéreuses au plan énergétique qui
tranchent avec ce que nous avons vu dans le cas des polymères glucidiques.
Si les lignines sont indispensables aux stratégies adaptatives des plantes à port dressés,
l’homme ne sait pas, contrairement aux polymères précédents, les exploiter. Elles nuisent à la
digestibilité des fourrages par les ruminants et doivent être extraites du bois à travers des
procédés énergétiquement coûteux et polluants au niveau des industries de la pâte à papier.
3/ La chimie fine : diversité et complexité des produits, pluralité des fonctions pour la
plante et dans les activités humaines
Les composés de la chimie fine ont été parfois regroupés dans la catégorie des métabolites
secondaires parce que sur le plan de la biogenèse ils dérivent des métabolites primaires mais
aussi parce qu’ils ne sont pas nécessaires au fonctionnement de base de la cellule. Les travaux
des dernières années contribuent à démontrer que ces composés sont étroitement impliqués
dans les interactions entre la plante et son environnement et particulièrement l’environnement
biotique. Ils sont le fruit de l’évolution biochimique qui a mis en place des chaînes de
réactions enzymatiques nouvelles et souvent complexes à l’image de ce que nous avons
analysé au niveau des lignines et qui résultent souvent de phénomènes de co-évolution entre
la plante et les autres organismes de son environnement.
Les trois familles chimiques majeures représentatives des produits de la chimie fine sont les
composés phénoliques, les terpènes et les alcaloïdes. Elles comprennent chacune
individuellement une dizaine de milliers de structures chimiques différentes. Cette liste n’est
pas exhaustive pourraient s’y ajouter les saponines, les bétalaïnes (responsables des couleurs
6
rouge, violet de la betterave, des fleurs de bougainvillier) les glucosinolates qui confèrent leur
saveur acre aux cruciferes, les glucosides cyanogénétiques…
Leur localisation dans la plante est très diversifiée au niveau des organes, mais au niveau
cellulaire il s'agit fréquemment d'une accumulation vacuolaire. Ils ont un rôle dans la
communication et l'adaptation à l'environnement biotique et abiotique.
Les composés phénoliques possèdent au moins en commun un hydroxyle phénolique sur un
noyau benzénique. Les flavonoïdes, composés à 15 atomes de carbone, sont souvent
responsables de la couleur des fleurs et des fruits.
La figure 3 nous donne les détails des voies de synthèse des flavonols et des anthocyanes
deux sous classes de la grande famille des flavonoïdes, à partir d’un précurseur général de la
synthèse phénolique le coumaroyl-coenzyme A (ester entre l’acide coumarique et le
coenzyme A). Les flavonols de type quercetine ou kaempferol sont souvent responsables de la
couleur jaune, les anthocyanes du bas de la planche sont bien représentées chez le pétunia. Il
s’agit de glucosides tels que la pelargonidine (couleur rouge brique) la cyanidine (couleur
rouge) ou la delphinidine (couleur bleue).
7
La nature des étapes enzymatiques et les gènes correspondants, catalysant les différentes
réactions sont bien connus (ce qui n’est pas le cas pour tous les composés phénoliques ou
d’autres familles de substances naturelles). Il est de plus démontré que
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- Des variations minimes de la structure chimique d’une molécule de base, par exemple le
nombre d’hydroxyles pour les anthocyanines, sont responsables de modification de la
coloration,
Enfin ces structures sont fréquemment rencontrées sous forme de glycosides (liaisons avec le
glucose ou d’autres oses) ce qui facilite leur hydrosolubilité et permet leur accumulation
vacuolaire.
Les composés phénoliques possèdent des fonctions multiples chez les plantes. Dans de
nombreux cas, ces composés ont un rôle protecteur, dissuasif ou toxique vis à vis de
microorganismes pathogènes ou d’insectes. En ce qui concerne les microorganismes, nous
pouvons donner deux exemples :
a) des composés préformés comme les flavanes qui chez certains cultivars de bananiers
accumulés dans les tissus sous épidermiques confèrent une résistance à la cercosporiose .
b) des composés néosynthétisés en réponse à l’attaque par un pathogène dont certains
composants (les éliciteurs) vont déclencher l’apparition de produits de défense (les
phytoalexines). Le resveratrol, stilbéne de la vigne ou les isoflavones de type pisatine chez le
pois, en sont des exemples.
Des composés simples volatils sont responsables de l’arôme de divers produits (vanilline chez
la vanille, eugénol chez la banane, cinnamate de méthyle chez la fraise…). Les flavonoïdes
confèrent parfois une sensation d’astringence (tannins des pommes vertes, coings) ou
d’amertume (naringine chez le pamplemousse). D’autres composés interviennent de façon
plus négative dans les phénomènes de brunissement causés par des blessures ou des accidents
de conservation (cas des températures trop fraîches, pour de l’ananas).
Sur un plan nutritionnel, les propriétés antioxydantes des flavonoïdes de notre alimentation
peuvent être liées à un rôle protecteur vis à vis des grandes pathologies, maladies cardiaques
et cancers.
Les terpènes se caractérisent par une grande homogénéité chimique. Ilsdérivent d’un motif
structural unique, le pyrophosphate d’isopentenyle issu de l’acétylcoenzyme A dont la
polymérisation conduira à des terpènes de plus en plus complexes, le latex de l’hévéa qui
donne le caoutchouc représentant un exemple de polyterpène.
Les monoterpènes volatils représentant les principes des essences odorantes de différentes
espèces ont des structures chimiques variées : géranium (géraniol) rose (nérol) menthe
(menthol) thym (thymol….). Ces composés sont souvent regroupés sous le vocable d’huiles
essentielles et ont une utilisation importante dans les industries du parfum de la cosmétique ou
de la pharmacie.
Les terpènes volatils peuvent avoir des rôles tout à fait importants dans les relations plantesinsectes.
L'espèce la plus cultivée de terre Solanum tuberosum est sensible aux pucerons
Myzus persicae qui sont des vecteurs de virus très dommageables au niveau des rendements
(figure 4). Une variété sauvage S. berthaulti n’est pas infestée par les pucerons et ce
comportement spécifique a été associée à l’émission au niveau de poils glandulaires foliaires
d’un sesquiterpène : le βfarnesene, structure chimique qui joue normalement le rôle de
phéromone d’alarme chez les pucerons. Ce signal chimique est émis par ces insectes dans des
situations de danger pour avertir les insectes au voisinage et induire leur fuite.
9
D'une manière plus générale de nombreuses plantes émettent lorsqu’elles sont parasitées par
des chenilles, des terpènes volatils qui attirent des guêpes prédateurs de ces chenilles. Ce
signal chimique volatil, beaucoup plus efficace qu’une détection visuelle de ces proies, est, en
fait, produit à la suite d’une interaction complexe entre la plante et la chenille parasite.
Les alcaloïdes comprennent le plus grand nombre de structures. Les molécules sont souvent
complexes et structuralement hétérogènes. Leurs voies de biosynthèse sont souvent très mal
connues.
Leurs points communs sont :
- la présence d’un atome d’azote dans la molécule,
- une réaction alcaline en solution,
- de fréquentes propriétés biologiques et pharmacologiques au niveau de différentes fonctions
physiologiques chez l’homme.
Quelques alcaloïdes ont des noms qui nous sont familiers étant donné leurs activités
stimulantes ou leurs utilisations en thérapeutique : nicotine, caféine, quinine, codéine,
morphine, vinblastine….
L’exemple du taxol à propriétés anticancéreuses très intéressantes (ovaire, sein….) mérite une
analyse un peu plus approfondie. Cette molécule (figure 5) a été initialement identifiée dans
l’écorce d’une variété d’if de la Côte Pacifique aux USA (Taxus brevifolia). L’efficacité du
taxol a entraîné une demande importante en taxol qui pouvait conduire à la destruction
massive de cette espèce. La synthèse chimique du composé extrêmement complexe comprend
30 étapes et n’apparaît pas commercialement rentable. A la suite de différentes tentatives
infructueuses envisageant la production du composé par des cultures de cellules végétales ou
10
par des cultures fongiques, la solution de l’hémisynthèse s’est avérée la plus satisfaisante.
L’équipe du Professeur Potier à Gif/Yvette a en effet découvert qu’un constituant du feuillage
de l’if européen (Taxus baccata) : la baccatine pouvait être converti par voie chimique en
taxol. Dans ce cas d’hémisynthèse, la plante assure la moitié du travail et le chimiste la
seconde moitié. Ce procédé qui a conduit en particulier à la commercialisation du Taxol par
Rhône-Poulenc (Taxotère) est tout à fait illustratif des courants de recherche actuels dans le
domaine des substances à effets thérapeutiques (criblage biologique, aide de la chimie pour la
synthèse du composé ou de dérivés...).
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La diversité chimique des substances naturelles représente le résultat d’un processus
d’évolution biochimique, souvent spécifique de groupes végétaux particuliers, ayant conduit à
de nouvelles propriétés enzymatiques. Les nouvelles enzymes résultent elles-mêmes de
l’expression de séquences géniques légèrement modifiées (mutations ponctuelles, échanges de
domaines…) au cours de l’évolution.
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Certaines substances naturelles qui ont une distribution relativement étroite parmi les
végétaux peuvent être utilisées comme marqueurs dans des études de taxonomie visant à
classer les végétaux et à définir des proximités évolutives entre familles et espèces. On parle
alors de chimiotaxonomie. Ces critères chimiques s’ajoutent mais ne remplacent pas les
critères morphologiques qui ont toujours été utilisés en taxonomie, ou les critères
moléculaires basés sur les homologies de séquences de gènes spécifiques.
La planche de la figure 6 illustre la distribution d’un flavonoide, la tricine chez les
monocotylédones . On peut noter la présence de ce composé dans les ordres qui sont
phylogénétiquement proches comme les Arecales, Cyperales ou Poales (qui regroupent
l’ensemble des graminées) mais aussi dans des ordres éloignés comme les Orchidales. Dans
ce cas, ces espèces sont si distantes que l’évolution, ayant abouti à la mise en place des gènes
du métabolisme de la tricine, a dû se faire de façon indépendante et parallèle dans ces ordres
distants au plan taxonomique. Ce qui illustre une des limitations de l'approche chimiotoxique.
4/ Flexibilité et subtilité de l’Usine Chimique Végétale
La plante ne produit pas avec la même intensité et à tout moment, les éléments de sa panoplie
biochimique. La synthèse de nombreux composés de la chimie fine est par exemple stimulée
dans différentes situations de stress en relation avec leur rôle dans la défense. Certains
composés d’accumulation se mettent en place de façon transitoire à certains stades du
développement. C’est le cas des acides alicycliques : quinique et shikimique qui peuvent
s’accumuler à fortes concentrations (plus de 10% de la matière sèche) dans les feuilles de
nombreuses espèces ligneuses. L’accumulation est maximale au printemps puis les teneurs
chutent pendant l’été, ces composés étant sans doute utilisés comme précurseurs dans les
synthèses phénoliques.
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Les conditions d’environnement, lumière, température en particulier, ont un impact majeur
sur les profils biochimiques des plantes. Un exemple spectaculaire est donné par des travaux
de mon laboratoire sur l’espèce Kalanchoe blossfeldiana. Cette crassulacée accumule
massivement des tannins en jours longs. Cependant, lors d’un transfert de la plante en jours
courts, les teneurs en tannins s’effondrent et corrélativement les teneurs en acide malique
initialement faibles augmentent considérablement. Le paramètre durée du jour influence donc
de façon décisive l’orientation du carbone vers l’un ou l’autre des produits d’accumulation.
Au plan de la localisation spatiale des composés accumulés, il existe généralement une
adéquation entre localisation et fonction. Les flavonoïdes, à rôle d’écran vis à vis du
rayonnement UV ont une localisation épidermique. D’autres composés impliqués dans la
défense peuvent avoir des localisations sous épidermiques(les flavanes du bananier). Les
composés terpéniques volatils sont accumulés dans des poils glandulaires ou des poches
secrétrices à la surface des organes.
Au niveau sub-cellulaire, le stockage de nombreux composés du métabolisme végétal a lieu
dans la vacuole. Cette enclave hydrophile de la cellule végétale, métaboliquement inerte, peut
occuper jusqu’à 90% du volume cellulaire et les substances naturelles où certains produits
d’accumulation y sont concentrés sans dommages éventuels pour les fonctions métaboliques
du cytosol. L’accumulation vacuolaire du glucoside de l’acide ortho-coumarique chez
Melilotus alba peut illustrer un des intérêts de cette compartimentation. Ce composé peut
s’accumuler dans la vacuole à de fortes concentrations sous forme de 2 isomères -cis/trans-
(jusqu’à 4% de la masse sèche chez certains cultivars). Lorsque le glucoside cis est hydrolysé
sous l’action d’une glucosidase, l’acide libéré se lactonise spontanément pour former la
coumarine composé toxique en particulier pour les animaux (anticoagulant…). Chez la plante,
la glucosidase active est strictement localisée dans la paroi. Lors d'une décompatimentation
cellulaire résultant d'une blessure ou de l'attaque par un insecte ou un herbivore, il y a mise en
contact. La formation de coumarine toxique suit l’hydrolyse du glucoside et représente un
mécanisme dissuasif vis à vis des prédateurs. La glucoside de l’acide ortho coumarique,
compartimenté dans la vacuole, représente ainsi une "bombe à retardement" dont le
déclenchement est assuré par l’organisme agresseur.
5/ Epilogue et prospective
L’organisme végétal autotrophe vis à vis du carbone mais immobile, a su définir diverses
stratégies chimiques pour s’adapter sur place à son environnement changeant. Ces stratégies
chimiques reposent sur des phénomènes d’attraction de répulsion, d’inhibition de croissance
de partenaires, parasites ou prédateurs. Elles peuvent également intervenir dans l’adaptation
aux paramètres physiques de l’environnement. (lumière, sécheresse, températures extrêmes,
salinité…). Les plantes semblent ainsi avoir mis en place des modalités adaptatives le plus
souvent efficace et étant donné l’extrême diversité chimique il est envisageable que diverses
espèces végétales aient développé différentes solutions pour résoudre un problème identique.
Si l’on revient aux composés impliqués dans les défenses naturelles des plantes, nombreux
sont ceux qui présentent une certaine toxicité ou induisent chez les productions végétales des
caractéristiques dissuasives au niveau de la consommation : astringence, amertume de certains
composés phénoliques, saveur acre causée par les glucosinolates chez les crucifères par
exemple. La sélection, pratiquée par les améliorateurs de plantes, a conduit progressivement à
éliminer ou à réduire les proportions de ces composés au niveau des grandes cultures ou des
productions végétales utilisées dans l’alimentation de façon à les rendre plus facilement
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acceptables par le consommateur. Et, c’est une sorte de paradoxe qui nous conduit maintenant
à épandre des milliers de tonnes de pesticides sur ces plantes privées de leurs défenses
naturelles.
Les exemples suivants évoquent des voies renouvelées d'exploitations des ressources de
l'usine chimique végétale.
(1) Le médicament et le criblage à haut débit
Cent vingt structures chimiques dérivées d’une centaine d’espèces végétales peuvent être
considérées comme la base de médicaments importants. Les trois quarts ont été découvertes
par exploitation des plantes utilisées dans les médecines traditionnelles, plantes utilisées
empiriquement en thérapeutique. Si l’on considère que seulement 15% des 300 000 espèces
végétales terrestres ont été systématiquement étudiées pour leurs activités biologiques, un
immense champ de prospection apparaît ouvert.
Après une phase où les dérivés de la chimie de synthèse ont été privilégiés on assiste ainsi à
un regain d’intérêt pour les substances naturelles dans le domaine du médicament et les
nouvelles potentialités du criblage à haut débit permettent d’envisager l’émergence de
nouvelles molécules actives. Ces stratégies reposent sur trois dimensions complémentaires :
- La robotisation des tests « in vitro » de criblage permettant d’évaluer jusqu’à 200 000
molécules/mois au niveau d’un site pour une activité biologique spécifique.
- La définition de plus en plus pertinente de cribles simplifiés dérivant des progrès de la
génomique et du post-génome qui permettent de mieux identifier les cibles moléculaires
importantes dans les grandes pathologies.
- L’exploitation accrue de flores déjà étudiées par d’autres tests ou non encore évaluées
(tropicale, sub-tropicale…) ce qui pose, par ailleurs, les problèmes juridique et éthique de la
propriété ou de l’appropriation des ressources génétiques et de la biodiversité végétale.
(2) La nutraceutique
Ce néologisme résultant du rapprochement entre les 2 termes nutrition et thérapeutique
recouvre des recherches et des réflexions très actuelles (on retrouve la même association de
termes dans le vocable alicament). Au delà d’une satisfaction des besoins nutritionnels de
base, il est de plus en plus envisagé que certains composants mineurs de l’alimentation (par
leur apport énergétique) peuvent exercer des effets préventifs vis à vis de grandes pathologies
(cancers, maladies cardiovasculaires…) ou des troubles associés à des transitions
physiologiques comme la ménopause.
Les études se multiplient dans ce sens et les groupes industriels de l’Agro-alimentaire
s’intéressent particulièrement à ce créneau qui vise un maintien en bonne santé par une
optimisation raisonnée de l’alimentation.
Deux niveaux peuvent être schématiquement considérés dans le domaine de la nutraceutique :
1/ Celui des carences en vitamines, acides aminés indispensables…. qui affectent
essentiellement les pays en voie de développement à l’exception du problème de la carence en
folate plus général.
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2/ Celui plus subtil des facteurs protecteurs : phytooestrogènes, antioxydants…dont les effets
positifs sont basés le plus souvent sur des corrélations, mais ne sont pas indiscutablement
démontrés. Des études épidémiologiques et des recherches approfondies visent à l’heure
actuelle à apporter une base scientifique solide à l’existence de ces effets positifs potentiels
pouvant autoriser les fameuses allégations santé que les législations des différents états
délivrent avec plus ou moins de parcimonie.
(3) La plante bioréacteur au champ
Ce dernier secteur se situe à l’interface entre réalisations effectives et scénarios futuristes. Il
s’agit en exploitant les méthodes de l’ingénierie métabolique de faire produire à des plantes
de grande culture considérées comme des bioréacteurs au champ, des molécules utiles
qu’elles produisent naturellement ou non.
Ainsi, le colza a été abondamment utilisé aux USA pour la production de matières lipidiques
enrichies en acides gras spécifiques à usages alimentaires ou industriels. Les progrès dans la
connaissance des enzymes, clés des voies de synthèse des acides gras et des gènes
correspondants et l’aptitude du colza, deuxième oléagineux au plan mondial à être transformé
génétiquement, ont conduit à retenir cette espèce, à grande échelle, pour ces manipulations
des profils lipidiques.
La figure 7 montre les modifications qui ont été ainsi induites par génie génétique au niveau
de l’huile de colza dont la composition naturelle en acide gras est donnée dans l’encadré du
bas. Des plantes transformées produisant de nouvelles proportions d’acides gras ont déjà été
cultivées au champ à grande échelle (flèches doubles) ou produites au niveau du laboratoire
(flèches simples). Cette maîtrise de la production de corps gras spécifiques devrait s’amplifier
et se diversifier dans le cadre d’utilisations industrielles.
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D’autres applications illustrent le potentiel des plantes bioréacteurs au champ. Il s’agit du
"molecular pharming" qui vise à faire produire par les plantes des produits thérapeutiques :
vaccins, protéines ou enzymes à effets thérapeutiques.
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On peut également évoquer la production par les plantes de polyhydroxybutyrates, matières
plastiques biodégradables. Le secteur des biocarburants devrait également bénéficier de ces
applications.
L’homme, dépendant des plantes pour sa survie, a cherché, depuis des millénaires, à les
exploiter de façon optimale pour en extraire un maximum de ressources. Il a acquis, depuis
peu, une aptitude supplémentaire, celle de modifier à son avantage le fonctionnement de
l’Usine Végétale. Cette capacité s’ajoutant à une exploitation raisonnée de la Biodiversité doit
apporter dans les décennies à venir de nouveaux bénéfices et produits issus du monde des
plantes.
© Utls.

 
 
 
 

LES ABEILLES SAUVAGES ....

 

 

 

 

 

 

 

 Les abeilles sauvages, butineuses menacées
Lise Barnéoud dans mensuel 483
daté janvier 2014 -  Gratuit
L'année 2013 signe leur revanche. Discrets et le plus souvent solitaires, les insectes pollinisateurs sauvages étaient jusqu'alors éclipsés par leur cousine domestique : l'abeille Apis mellifera, considérée comme la reine des butineuses et à ce titre vue comme un précieux auxiliaire agricole. En effet, nombreuses sont les plantes qui nécessitent, à des degrés divers, l'intervention d'insectes pour leur reproduction. Sans ces transporteurs de pollen, la plupart des fruits et légumes de nos contrées n'existeraient pas. Adieu également café, cacao, poivre ou encore vanille... Or, selon une étude internationale publiée en mars, cette distinction était largement usurpée : les abeilles sauvages (dont les bourdons), mais aussi certaines guêpes et mouches sont des pollinisateurs bien plus efficaces que l'abeille domestique [1].

De quoi réjouir les agriculteurs, confrontés à l'hécatombe de cette dernière (lire « Les abeilles domestiques s'effondrent », p. 27) ? Hélas, peut-être pas. Car la reconnaissance du rôle des pollinisateurs sauvages s'accompagne d'un signal d'alarme : eux aussi déclinent [2].

Et c'est plus qu'inquiétant puisque, comme l'a montré une troisième étude, la disparition de quelques espèces dans une zone donnée suffit parfois à diminuer la productivité des plantes [3].

Voilà des millénaires que l'homme n'en a que pour les abeilles mellifères, domestiquées dès l'Antiquité. Et pour cause : le miel qu'elles produisent en grandes quantités est l'aliment le plus concentré en sucres disponible à l'état sauvage. Reste qu'au-delà des sept espèces connues dans le monde (Apis mellifera étant la plus représentée d'entre elles), il existe environ 20 000 espèces d'abeilles sauvages, au mode de vie essentiellement solitaire, qui vivent cachées dans le sol, dans le bois, contre les murs ou les rochers. Mais aussi quelque 6 000 espèces de syrphes, petites mouches rayées qui se nourrissent de nectar, environ 5 000 espèces de guêpes, sans parler des papillons et même des fourmis qui passent de fleur en fleur.

Tous ces insectes, qui appartiennent à des groupes très différents, sont susceptibles de participer à la pollinisation des plantes en transportant les grains de pollen depuis les étamines (organe mâle) d'une fleur jusqu'au stigmate (organe femelle) d'une autre. Mais jusqu'alors, leur efficacité pollinisatrice n'avait fait l'objet que de rares études.

Tournesols, courges et amandiers
En 2006, un premier article avait montré que certaines cultures de tournesols produisaient jusqu'à cinq fois plus de semences lorsqu'elles étaient visitées par les abeilles domestiques et les abeilles sauvages [4]. Un constat complété en 2008 sur les cultures de courges puis d'amandiers : dans les deux cas, la présence d'abeilles sauvages permet d'augmenter le taux de fructification, c'est-à-dire le pourcentage de fleurs qui donnent des fruits. « Ces exemples individuels étaient intéressants, mais ils ne permettaient pas d'extrapoler à l'ensemble des cultures dites "entomophiles" qui dépendent des insectes pour leur pollinisation », retrace Bernard Vaissière, spécialiste de la pollinisation à l'Institut national de la recherche agronomique d'Avignon.

Mais en 2011, les résultats d'une première étude de plus grande envergure sont rendus publics. Coordonnée par Lucas Garibaldi et Alexandra-Maria Klein, respectivement de l'université de Rio Negro, en Argentine, et de l'université de Lunebourg, en Allemagne, cette étude a porté sur 369 parcelles et 21 cultures différentes dans 15 pays [5]. Les observations réalisées montrent que plus les cultures sont éloignées des zones naturelles telles que des forêts, des friches ou des prairies permanentes, plus le taux de fructification diminue. Or, cette diminution est corrélée à une baisse de la diversité des pollinisateurs sauvages dans les cultures en question. Ainsi, les champs situés à 1 kilomètre des zones sauvages possèdent une diversité en pollinisateurs environ 25 % plus faible et un taux de fructification inférieur de 9 % à celui des champs qui jouxtent ces milieux préservés, alors que le nombre d'abeilles mellifères qui les visitent est identique.

Déjà importants, ces résultats sont désormais surpassés par ceux que les deux scientifiques ont publiés en 2013. Avec leurs 48 coauteurs issus de 17 pays, ils ont cette fois observé 600 parcelles réparties sur les 5 continents, incluant 41 cultures différentes, c'est-à-dire la majorité des cultures entomophiles [fig. 1]. Les pratiques culturales étaient variées, allant de la monoculture intensive à la culture biologique. Et la moitié des parcelles étudiées était située à proximité de ruches, facilitant la comparaison entre les pollinisateurs sauvages et les abeilles domestiques.

Dans chacune de ces 600 parcelles, les observateurs ont compté le nombre d'espèces de pollinisateurs visitant les fleurs d'une plante ou, dans le cas des arbres fruitiers, d'une branche, sur un certain laps de temps (allant de quelques minutes à une heure). Ils ont alors constaté qu'en moyenne chaque parcelle est fréquentée par 9 espèces différentes d'insectes pollinisateurs. Essentiellement des abeilles (sauvages et/ou domestiques), mais aussi des syrphes, ainsi que quelques papillons ou guêpes. En termes quantitatifs, Apis mellifera est la plus représentée dans la plupart des parcelles.

Fructification accrue
Pour 32 cultures, ils ont ensuite mesuré le succès de ces visites en comptant le pourcentage de fleurs ayant produit des fruits ou des graines. Les résultats sont sans appel : lorsque les visites de pollinisateurs sauvages augmentent, le taux de fructification augmente aussi, quelle que soit la culture considérée. En revanche, en cas de visites plus nombreuses des abeilles domestiques, il n'augmente que pour 14 % des cultures. Plus frappant encore : l'augmentation de fructification induite par les pollinisateurs sauvages est deux fois plus élevée que celle induite par la butineuse domestique. Enfin, le taux de fructification maximum n'est atteint que lorsque ces parcelles sont visitées à de nombreuses reprises, à la fois par des pollinisateurs sauvages et par l'abeille mellifère.

« Il s'agit d'une étude majeure qui démontre clairement l'importance de ces insectes sauvages dans la pollinisation des cultures », juge Bernard Vaissière, qui regrette toutefois que les auteurs n'aient pas pris en considération les variétés des différentes espèces cultivées. « Le niveau de dépendance aux insectes peut énormément varier en fonction des variétés végétales », explique-t-il. « C'est exact, reconnaît Lucas Garibaldi. Mais nos résultats étant identiques quelles que soient les cultures, on peut penser qu'ils ne dépendent pas non plus du type de variétés utilisées. »

Quoi qu'il en soit, il y a désormais peu de doute que les insectes pollinisateurs sauvages, et surtout les abeilles sauvages, sont plus efficaces que leurs cousines domestiques pour induire une fructification. Comment cela se fait-il ? Les chercheurs ont mis en évidence un phénomène susceptible de l'expliquer, au moins en partie. Pour 14 cultures, ils ont mesuré le nombre de grains de pollen déposé sur un stigmate après la visite des différents insectes. Or, ils ont constaté que les abeilles mellifères déposent en moyenne plus de pollen que les abeilles sauvages. Ce qui veut dire qu'un même pollen est moins efficace en termes de fécondation lorsqu'il a été transporté par Apis mellifera, qu'après son transport par une abeille sauvage.

Pollen plus disponible
Pour Bernard Vaissière, cela viendrait du fait que les abeilles mellifères mélangent le pollen avec du miel dilué ou du nectar, suc produit par les glandes nectarifères situées à la base de certaines fleurs. « Ce mélange réduit la viabilité du pollen, estime-t-il. En revanche, à part les bourdons, la plupart des abeilles sauvages transportent majoritairement le pollen à sec, dans des brosses de poils situées au niveau des pattes postérieures ou de la face ventrale de l'abdomen. Il reste ainsi plus viable et disponible pour la pollinisation. »

Lucas Garibaldi, lui, privilégie une autre piste : le fait que les abeilles domestiques sont beaucoup plus fidèles que les abeilles sauvages à leur source de nourriture, allant jusqu'à privilégier une plante individuelle donnée, dans un champ donné. « Or, pour se reproduire efficacement, de nombreuses plantes nécessitent une pollinisation croisée, le pollen devant être transporté d'une plante vers une autre de la même espèce. Les abeilles sauvages procèdent bien davantage ainsi. »

Quelle que soit l'explication, les observateurs sont confrontés à un fait alarmant : tout comme les butineuses des ruches, les pollinisateurs sauvages déclinent de façon préoccupante. On s'en est d'abord rendu compte pour les bourdons. Aux États-Unis, 4 espèces ont décru en vingt ans, la diminution atteignant 96 % par endroits [6]. Et plusieurs dizaines d'extinctions de bourdons ont aussi été recensées localement en Europe [7].

Puis, début 2013, Laura Burkle de l'université Washington à Saint-Louis, dans le Missouri, a élargi ce constat. Après avoir étudié des parcelles de forêt de l'Illinois, aux États-Unis, et comparé ses observations avec des relevés effectués en ces mêmes lieux à la fin des années 1800 ainsi qu'en 1970, elle a conclu que la diversité des interactions entre plantes et insectes pollinisateurs avait diminué de moitié en l'espace de cent vingt ans. En se focalisant sur une seule espèce de plante, Claytonia virginica, petite fleur blanche très abondante au printemps, elle a découvert que ce déclin s'était en fait produit au cours des quarante dernières années. Et elle a aussi noté que chaque fleur recevait quatre fois moins de visites en 2010 qu'en 1970.

Butinage sélectif
Vu le nombre et la diversité des pollinisateurs sauvages, on aurait pu espérer que la disparition de quelques espèces n'ait pas d'impact notable sur la pollinisation. Las... L'étude publiée en août 2013 par Berry Brosi de l'université Emory, à Atlanta, et Heather Briggs de l'université de Californie montre qu'il en va tout autrement.

Les deux écologues ont d'abord délimité 20 parcelles, chacune de la taille d'un cours de tennis, dans des prairies des Rocheuses du Colorado. Ils ont ensuite déterminé quelles étaient les différentes espèces de pollinisateurs présentes. Puis, pour chaque parcelle, ils ont enlevé l'espèce la plus abondante (à chaque fois, une espèce de bourdon). Ils ont alors constaté que les pollinisateurs restants devenaient moins sélectifs. Plutôt que de butiner une seule espèce de plante, ils allaient se nourrir sur 4 ou 5 espèces différentes et en mélangeaient les pollens. Résultat : l'efficacité de la pollinisation s'en trouvait réduite, car la quantité de pollen spécifique déposé sur une plante donnée n'était pas suffisante [fig. 2]. Chez la fleur sauvage que les chercheurs avaient plus précisément choisi d'observer, Delphinium barbeyi, abondante sur le site, ils ont comptabilisé une diminution moyenne de 32 % du nombre de graines produites.

Au vu de ces résultats, il est d'autant plus important d'enrayer le déclin des abeilles sauvages afin de préserver leur apport. Comment ? « En conservant des zones naturelles intactes proches des cultures, en favorisant la diversification agricole et en évitant l'usage d'insecticides », suggèrent Lucas Garibaldi et ses coauteurs. Ce qui ne correspond pas vraiment à la tendance actuelle, qui prétend limiter l'érosion de la biodiversité, en préservant, certes, les dernières zones sauvages, mais en intensifiant les cultures. Quitte à ajouter quelques ruches pour « remplacer » les pollinisateurs sauvages.

Pratiques agricoles à réviser.
Publiée en juillet 2013, une étude financée par l'Union européenne dans le cadre du programme STEP (acronyme anglais de « situation et tendances des pollinisateurs européens ») confirme la nécessité de changer en profondeur les pratiques agricoles [8]. En comparant 71 sites de cultures et de prairies à travers l'Europe, ses auteurs montrent que la mise en place de pratiques agro-environnementales telles que la conservation des talus et des bosquets, la création de bandes fleuries ou encore un usage limité de produits phytosanitaires, augmente la richesse et l'abondance des pollinisateurs sauvages les plus communs.

Un avantage en termes de productivité agricole, certes, mais pas seulement. Car ces insectes ne butinent pas que nos plantes cultivées ! Au-delà de leur intérêt économique pour l'agriculture, les insectes pollinisateurs sont les véritables artisans de nos paysages puisque près de 80 % de notre flore en dépend. Sans eux, plus de couleurs éclatantes chaque printemps, plus d'odeurs enivrantes dans la garrigue, plus de framboises ni de mûres sauvages à déguster au détour d'un chemin. Un service inestimable, impossible à chiffrer.
L'ESSENTIEL
UNE ÉTUDE menée sur les cinq continents prouve que les abeilles sauvages sont des pollinisatrices plus efficaces que l'abeille domestique.

LES PLANTES visitées par ces pollinisateurs sauvages produisent plus de fruits et de graines.

EN DÉPIT DE LA DIVERSITÉ de ces pollinisateurs, la disparition d'une seule espèce à un endroit donné réduit la productivité.
LES ABEILLES DOMESTIQUES S'EFFONDRENT
À l'automne 2006, aux États-Unis, David Hackenberg tire la sonnette d'alarme. Cet apiculteur loue ses 2 900 colonies d'abeilles à des agriculteurs pour la pollinisation. Or, un après-midi de novembre, il découvre que plusieurs centaines de ses ruches sont vides. Les oeufs, les larves et les nymphes sont encore là, ainsi que la reine et quelques mâles, mais plus aucune ouvrière. Et pas un seul cadavre. Son alarme prend un écho particulier lorsque d'autres apiculteurs rapportent une mésaventure identique.

Dès janvier 2007, des scientifiques se penchent sur le phénomène et en chiffrent l'ampleur : durant l'hiver 2006-2007, entre 651 000 et 875 000 colonies sur les 2,4 millions que compte le pays ont ainsi subitement disparu. On parle dès lors du « syndrome d'effondrement des colonies ». Les études actuelles montrent que cette surmortalité est toujours en cours. En temps normal, le taux annuel de mortalité dans les colonies s'établit entre 10 % et 14 %. Désormais, il est de 19 % à 30 %, notamment en Europe et en Amérique du Nord. Il atteint même 80 % en Irak et en Syrie.

La plupart des spécialistes estiment qu'il s'agit d'une crise multifactorielle. Ils mettent en cause des virus, des parasites et des espèces invasives, ainsi que les pratiques agricoles : la fragmentation des habitats et les monocultures, qui réduisent la biodiversité végétale et donc les ressources nutritives ; mais aussi les pesticides. On sait désormais que certains d'entre eux, les insecticides néonicotinoïdes, altèrent le sens de l'orientation des abeilles [1]. Mais ce n'est pas tout. « Les preuves qu'ils affaiblissent l'immunité des insectes s'accumulent, commente Cyril Vidau, écotoxicologue à l'Institut de l'abeille. Et l'on se rend compte que même à des doses subléthales, ils influencent la mortalité des abeilles exposées à des agents infectieux [2]. »

En mai 2013, la Commission européenne a décidé d'interdire, pour une durée de deux ans, les trois néonicotinoïdes les plus utilisés (la clothianidine, l'imidaclopride et le thiaméthoxame) pour le traitement des semences, l'application au sol en granulés et le traitement foliaire de certains végétaux qui attirent les abeilles.

[1] M. Henry et al., Science, 336, 348, 2012.

[2] C. Vidau et al., PlosOne, 6(6), e21550, 2011.
« L'IMPORTANCE ÉCONOMIQUE DES INSECTES POLLINISATEURS EST CONSIDÉRABLE »
Jean-Michel Salles est économiste de l'environnement au laboratoire montpelliérain d'économie théorique et appliquée.

Quelle est l'importance économique des pollinisateurs ?

J.-M.S. Elle est considérable. Plus des trois quarts des espèces cultivées nécessitent, à des degrés divers, l'intervention des pollinisateurs. L'étude que nous avons menée en 2009 avec l'économiste Nicola Gallai, de l'École nationale de formation agronomique, et l'entomologiste Bernard Vaissière, de l'INRA, montre que la disparition de l'ensemble des insectes pollinisateurs ferait baisser de 30 % en moyenne les récoltes alimentaires mondiales de ces espèces végétales dites « entomophiles » [1]. En se référant aux prix du marché de 2005, cela représentait une perte d'environ 153 milliards d'euros, soit 10 % de la valeur totale de la production alimentaire mondiale. Et cela, alors que nous n'avons pas pris en compte l'importance des pollinisateurs pour la production de miel, ni pour les produits issus des jardins ou de la cueillette, par exemple les baies sauvages.

Quelles cultures seront les plus affectées ?

J.-M.S. Le café, le cacao et tous les fruits sont les cultures les plus dépendantes des insectes pollinisateurs. D'après notre étude, l'Asie sera le continent le plus touché, ainsi que la région de l'Afrique de l'Ouest, gros producteur de cacao et de café. Les zones qui cultivent surtout les céréales, comme l'Europe du Nord, devraient être beaucoup moins atteintes.

On sait que les pollinisateurs sauvages sont plus efficaces que leurs cousine domestique. Cela peut-il modifier votre évaluation économique ?

J.-M.S. Non, car nos calculs sont fondés sur la dépendance des cultures aux insectes pollinisateurs, indépendamment de la nature de ces derniers. Le problème auquel nous nous sommes heurtés était d'une autre nature : il est très difficile de donner un coefficient moyen de dépendance pour une culture. Par exemple, selon les différentes études, 10 % à 100 % de la production des pommiers résultent de la pollinisation par les insectes. Cela dépend de la variété cultivée, des conditions de culture. De plus, l'impact des pollinisateurs se situe parfois à plusieurs niveaux. Ainsi, pour le kiwi, l'absence de pollinisateur se traduit par une diminution de la taille des fruits mais aussi de leur qualité. Nous avons donc fait des choix pour établir un coefficient de dépendance moyen pour chaque culture, avant de calculer, sur la base du prix du marché et des statistiques de production, l'impact de la disparition éventuelle des insectes pollinisateurs.

Commence-t-on déjà à voir les premiers impacts économiques de ce déclin ?

J.-M.S. Aucune baisse des rendements des cultures dépendantes des pollinisateurs n'est encore constatée. Mais suite à l'effondrement des insectes pollinisateurs dans la province du Sichuan, en Chine, à cause d'une utilisation intensive de pesticides, de nombreux arboriculteurs ont cessé leur activité. D'autres sont passés à la pollinisation manuelle, ce qui représente un surcoût important. Aux États-Unis, la profession des apiculteurs spécialisés dans la pollinisation, qui louent leurs ruches aux agriculteurs, est en difficulté. Nombre d'entre eux auraient abandonné leur métier ces dernières années.

Propos recueillis par Lise Barnéoud


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