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10 000 gouttelettes pour tester en masse des réactions biochimiques complexes

 


 

 

 

 

 

Paris, 20 juin 2016
10 000 gouttelettes pour tester en masse des réactions biochimiques complexes

Pour mieux comprendre le vivant, les chercheurs utilisent des systèmes biochimiques de plus en plus sophistiqués dont ils doivent trouver le point de fonctionnement optimal. Pour cela, ils testent en général un très grand nombre de combinaisons de concentrations de réactifs, ce qui avec les techniques traditionnelles prend des semaines ou des mois. Une équipe de chercheurs de l'unité mixte internationale LIMMS (CNRS/Université de Tokyo)1, accueillie dans le laboratoire de microfluidique du Pr Fujii à l'institut des sciences industrielles de Tokyo, vient de mettre au point un outil inédit capable de réaliser et de caractériser 10 000 réactions biochimiques différentes simultanément, dans des gouttelettes microscopiques. Cette nouvelle technique, qui procure un gain très substantiel en temps et en matières premières, pourrait ouvrir une nouvelle fenêtre sur le comportement des systèmes moléculaires complexes. Ces résultats sont publiés le 20 juin 2016 dans Nature Chemistry.
Les réactions biochimiques in vivo, ou encore celles in vitro impliquées dans le diagnostic de marqueurs pathogènes ou cancéreux sont dites « non-linéaires » : une très faible variation des paramètres de la réaction, telle qu'une infime augmentation de la concentration d'un des réactifs peut amener le système à bifurquer, c'est-à-dire à se comporter d'une manière totalement différente. C'est donc avec une grande précision que les chercheurs doivent étudier ces réactions biochimiques. Pour ces systèmes multicomposants, explorer tous les jeux de concentrations possibles implique de tester des milliers de réactions en laboratoire. Les chercheurs ont donc conçu un nouvel outil : une plate-forme microfluidique qui permet d'effectuer cette large gamme de tests dans des gouttelettes microscopiques. Ce nouveau protocole permet de réaliser plusieurs dizaines de milliers de réactions en un jour, en faisant varier deux à trois paramètres simultanément. Conduite de manière « traditionnelle », une expérimentation aussi complète prendrait des semaines ou des mois et consommerait des dizaines de milliers de fois plus de réactifs biochimiques coûteux.

S'appuyant sur une technologie microfluidique développée en collaboration avec leurs collègues japonais, les chercheurs ont divisé chaque microlitre de la solution à étudier en dizaines de milliers de petits compartiments : des gouttelettes d'une centaine de picolitres2, dispersées dans une émulsion. La principale innovation se situe dans le fait de varier les concentrations en réactifs dans chaque goutte, lors de leur genèse (fig. 1). Des marqueurs fluorescents, associés aux biomolécules, sont co-encapsulés dans les gouttelettes. Ils permettront d'identifier chaque goutte en renseignant sur les concentrations des réactifs qu'elle contient. Les gouttes sont ensuite analysées par microscopie en fluorescence, en cours ou en fin de réaction, pour caractériser la cinétique de la réaction (fig.2).

Au final, la plate-forme microfluidique permet de générer une cartographie du système biochimique étudié qui, confrontée aux prédictions fournies par des modèles numériques, permet aux chercheurs de mieux comprendre le fonctionnement intime du réseau de réactions. Ce nouvel outil, potentiellement généralisable à de nombreux protocoles biochimiques, a également permis aux chercheurs de pointer le comportement étonnant de systèmes non linéaires typiques près de leurs points de bifurcation, c'est-à-dire quand un infime changement de concentration induit une modification qualitative du comportement du système, ouvrant une fenêtre à de futures découvertes.

Ces travaux ont été coordonnés par des chercheurs aujourd'hui basés au LIMMS (Laboratory for Integrated Micro Mechatronics System). Ils ont également impliqué d'autres laboratoires : le LAAS (CNRS), le Laboratoire de chimie et biochimie pharmacologiques et toxicologiques (CNRS/Université Paris Descartes), le département électronique et électronique automatique de l'ENS Cachan, le Laboratoire Gulliver (CNRS/ESPCI Paris), l'Institut des systèmes intelligents et robotiques (CNRS/UPMC), le Laboratoire de conception et application de molécules bioactives (CNRS/Université de Strasbourg), le laboratoire Médecine personnalisée, pharmacogénomique, optimisation thérapeutique (Inserm/Université Paris Descartes), le Earth-life Science Institute du Tokyo Institute of Technology et l'Université de Ochanomizu à Tokyo.


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La curieuse partition des nouveaux neurones

 

 

 

 

 

 

 

La curieuse partition des nouveaux neurones
Pierre-Marie Lledo dans mensuel 367
daté septembre 2003 -  Réservé aux abonnés du site


Centre vocal des oiseaux, bulbe olfactif des rongeurs, hippocampe des primates : autant de structures cérébrales où, chez l'adulte, naissent de nouveaux neurones. Cette plasticité, jointe à celle qui fait naître et disparaître des synapses entre neurones, est opérationnelle la vie durant. Mais à quoi sert-elle ?
Des neurones naissent dans le cerveau adulte et viennent s'ajouter aux neurones préexistants, ou les remplacent : à présent largement reconnu par les neurobiologistes, ce phénomène était inimaginable il y a seulement quinze ans. La population neuronale était décrétée maximale à la naissance, et tout changement ultérieur ne pouvait consister qu'en une diminution de ce stock. Le cerveau adulte n'était pas pour autant considéré comme figé. Certes, une fois sa maturation achevée à l'adolescence chez l'homme, le cerveau devient de plus en plus réfractaire aux leçons de l'expérience. Mais chez nombre d'espèces, des réseaux de neurones restent suffisamment malléables pour que l'expérience imprime sa marque quel que soit l'âge de l'animal. Cette « plasticité » découlait uniquement – du moins le croyait-on – du changement de certaines connexions synaptiques entre neurones. Or, l'existence d'une prolifération de neurones dans le cerveau adulte est venue bouleverser ce point de vue. Qualifié de neurogenèse secondaire, par opposition à la neurogenèse primaire qui se déroule au cours du développement embryonnaire, ce processus permet le renouvellement de certains réseaux neuronaux. Mais à quoi sert-il d'un point de vue fonctionnel ?

C'est l'étude neurophysiologique des systèmes impliqués dans l'apprentissage et la production du chant des oiseaux qui a largement ouvert la voie dans ce domaine. Pour la plupart d'entre nous, le chant des oiseaux est l'un des signes avant-coureurs de l'arrivée du printemps. Mais pour l'éthologiste, il représente essentiellement une adaptation comportementale aux fonctions de reproduction. Généralement développé par le mâle, le chant de cour a pour but d'attirer la partenaire sexuelle, de la retenir sur son territoire et d'éloigner les éventuels rivaux. Produit d'un apprentissage vocal similaire à l'apprentissage du langage parlé chez l'homme, il débute par une phase au cours de laquelle le jeune oiseau mâle écoute et mémorise le chant d'un mâle adulte de son espèce. Une fois ce chant assimilé, l'oiseau apprend à l'exécuter de façon identique à celui qu'il conserve en mémoire. Il est in fine capable de l'exécuter avec une extrême précision. Ce type d'apprentissage, relativement classique pour de nombreuses acquisitions sensorielles ou motrices comme la vision binoculaire ou le langage parlé chez l'homme, s'accompagne de changements morphologiques importants des réseaux neuronaux. Or chez certaines espèces comme le canari, l'oiseau réapprend un nouveau chant chaque année. Ces réapprentissages annuels chez l'adulte correspondent-ils également à des changements d'organisation cérébrale ?

Quand il lança, dans les années soixante-dix, un ambitieux programme visant à identifier les mécanismes neurophysiologiques de l'appren- tissage du chant chez l'oiseau, Fernando Nottebohm, chercheur à l'université Rockefeller New York, était alors loin d'imaginer l'ampleur des remaniements morphologiques qu'il allait finalement découvrir [2]. La première étape de ses travaux consista à identifier les groupes de neurones impliqués dans l'apprentissage moteur et l'exécution du chant, puis à caractériser en détail leur organisation morphologique et fonctionnelle. Il démontra alors que le système du chant comporte deux circuits placés sous le contrôle d'un noyau* de neurones appelé « centre vocal supérieur ». D'un côté, une voie motrice qui contrôle l'exécution du chant, de l'autre, une boucle régulatrice qui intègre les informations auditives et permet à l'oiseau de comparer le chant qu'il exé-cute au chant mémorisé [fig. 1].

Prolifération et renouvellement

L'une des contributions majeures de l'équipe new-yorkaise fut la découverte, en 1983, de l'intégration de nouveaux neurones dans le centre vocal supérieur de l'oiseau adulte. Contre toute attente, elle démontra l'existence d'un processus de prolifération et de renouvellement : de nouveaux neurones remplaçaient continuellement d'anciens de même nature qui dégénéraient. Ce renouvellement était spécifique. Il concernait exclusivement une sous-population bien particulière du centre vocal supérieur, les neurones de la voie motrice, ou neurones Np [fig. 1]. L'autre sous-population de ce même centre, celle des neurones de la voie régulatrice ou neurones Na, n'était pas concernée [2]. Dès lors, se posa la question de savoir quelle pouvait bien être la signification fonctionnelle de cette incorporation de nouveaux neurones.

Les chercheurs américains montrèrent alors que ces processus de neurogenèse suivaient les saisons et étaient corrélés avec le cycle annuel d'exécution et d'apprentissage du chant de cour. Chez l'oiseau étudié, le canari mâle, ce chant n'est en effet effectué de façon stéréotypée et stable qu'au printemps, l'oiseau cessant de l'exécuter à la fin de l'été. Arrive ensuite, à l'automne, une période caractérisée par l'exécution de chants modifiés et instables, puis, au sortir de l'hiver, une phase de réapprentissage. Au printemps suivant, enfin, un nouveau chant se stabilise, qui diffère de celui de l'année précédente par l'incorporation, la suppression ou la modification de certaines syllabes. F. Nottebohm et ses collaborateurs détectèrent deux pics de mort des neurones Np dans le centre vocal supérieur : l'un en août et l'autre en janvier, soit deux périodes durant lesquelles le chant du canari perd sa stabilité et se dégrade. Cette élévation de la mort cellulaire précédait l'augmentation de l'incorporation de nouveaux neurones Np, maximale en octobre et en mars. Ces observations conduisirent F. Nottebohm à proposer que l'acquisition de nouvelles syllabes découle du remplacement d'anciens neurones Np par de nouveaux.

Taux de survie neuronale

Mais quels étaient les mécanismes physiologiques sous-jacents ? Alors qu'il travaillait encore dans le laboratoire de Nottebohm, son élève Arturo Alvarez-Buylla montra que les nouveaux neurones du centre vocal supérieur naissaient dans une autre région du cerveau, puis migraient dans le centre vocal supérieur, où seule une partie d'entre eux survivait [3]. Autrement dit, l'ampli-tude du renouvellement neuronal dépendait non pas de la quantité de neurones produits, mais de leur taux de survie. En 1999, soit près de dix ans plus tard, les neurobiologistes trouvèrent une explication à cette survie périodique. Ils mirent en évidence l'implication, dans ce processus, du BDNF Brain-Derived Neurotrophic Factor, un facteur* de survie des neurones. Chez le canari, la production du BDNF dans le centre vocal supérieur est contrôlée par la testostérone, qui est elle-même régulée par la durée d'éclairement quotidien : elle augmente donc de façon très importante au printemps. Quand, à l'automne, la concentration de testostérone chute, l'expression du BDNF diminue et la mort neuronale augmente. Inversement, lorsque cette concentration s'élève, au printemps, l'expression du BDNF augmente et favorise la survie des neurones nouvellement produits [4]. Le changement annuel du répertoire de chant répond donc étroitement aux changements de l'environnement saisonnier du canari.

Notons au passage la très grande spécificité de ce système régulateur : des expériences réalisées par le même groupe chez un autre oiseau, le diamant mandarin, montrent en effet que la destruction sélective des neurones Np, qui entraîne dans la plupart des cas une détérioration du chant, augmente de façon très importante le recrutement de nouveaux neurones Np. En revanche, la destruction sélective des neurones Na n'induit aucunement leur remplacement. Ainsi, au sein d'un noyau cérébral relativement simple, seuls certains types de nouveaux neurones peuvent être insérés [2]. Cette observation est d'importance à l'heure où de nombreuses équipes tentent de développer des stratégies pour, à terme, mettre à profit la neurogenèse adulte afin de compenser les pertes neuronales chez l'homme.

L'ensemble des travaux résumés ci-dessus suggère que le renouvellement neuronal dans le centre vocal supérieur est impliqué dans une forme adulte d'apprentissage, conférant à l'animal la possibilité d'apprendre de nouveaux chants. Toutefois, cette conclusion se heurte à un paradoxe : un renouvellement faible et régulier des neurones Np existe aussi chez des espèces dont le chant reste inchangé tout au long de la vie c'est le cas, par exemple, du diamant mandarin. Plus surprenant encore, l'existence d'une neurogenèse secondaire est observée chez les femelles canaris, qui n'exécutent pourtant aucun chant de cour ! Le renouvellement neuronal serait-il, dans ces deux cas, inutile ?

Rétrocontrôle actif

C'est en 1999 que l'énigme du diamant mandarin a été en partie résolue [5]. L'équipe menée par Masakazu Konishi, au California Institute of Technology, a mis en évidence la capacité de ces oiseaux à modifier leur chant dans certaines circonstances bien particulières : lorsque l'on « fait croire » à un diamant mandarin que son chant est incorrect par exemple en diffusant de courtes syllabes pendant qu'il chante, il modifie son exécution de façon à corriger les anomalies perçues. Cela montre que l'oiseau entend les sons qu'il produit et les compare constamment au chant de référence inscrit dans sa mémoire. La « tromperie » auditive infligée par les expérimentateurs aboutit in fine à une dérive progressive du chant produit.

Toutefois, cette dérive est réversible : si on lui permet à nouveau de s'écouter chanter normalement, l'oiseau récupère son chant initial après quelques mois. À condition toutefois que les noyaux cérébraux du système régulateur soient intacts. En plus de son rôle crucial pendant les phases juvéniles d'apprentissage vocal, le rétrocontrôle auditif du système régulateur sert donc, chez l'adulte, à empêcher le chant acquis de dériver. D'une façon ou d'une autre, il faut donc que ce système interagisse avec les neurones Np. Mais comment ? L'équipe californienne a montré que sa destruction entraîne une diminution du renouvellement des neurones Np dans le centre vocal supérieur. Il est donc probable que le système régulateur oriente la différenciation des neurones nouvellement produits en neurones Np – par un mécanisme, pour l'heure, inconnu.

Dans le cas des canaris femelles, qui ne chantent jamais, le paradoxe demeure presque entier. Les recherches réalisées par Eliot Brenowitz, de l'université de Washington Seattle, indiquent toutefois un rôle critique du centre vocal supérieur des canaris femelles dans la perception du chant du mâle, qui déclenche le comportement de « sollicitation d'accouplement » [6]. Le centre vocal supérieur ayant un double rôle, à la fois moteur via les neurones Np et perceptif via les neurones intégrant les informations auditives, les nouveaux neurones produits chez les femelles pourraient donc exercer une fonction percep- tive, à défaut d'avoir un rôle moteur.

La démonstration des potentialités de renouvellement neuronal des oiseaux adultes et de ses conséquences fonctionnelles resta, au cours des années quatre-vingt, une curiosité, voire une exception zoologique parmi les vertébrés. Certes, les travaux pionniers de Joseph Altman plaidaient, dès les années soixante, en faveur d'une neurogenèse adulte dans certaines structures cérébrales des mammifères – en particulier le bulbe olfactif, l'hippocampe* et le cortex. Cependant, ces résultats restèrent très longtemps sujets à caution en raison des méthodes utilisées. Au cours des années quatre-vingt-dix, toutefois, plusieurs avancées technologiques majeures bousculèrent les idées reçues en matière de production neuronale chez les mammifères.

Performances accrues

C'est en 1993 que fut démontrée, de façon formelle, l'existence d'une neurogenèse secondaire dans le système olfactif de rongeurs adultes – sans que ses conséquences fonctionnelles soient alors pressenties [7, 8]. Mais les recherches menées dans le laboratoire de l'un d'entre nous ont récemment montré qu'un changement du nombre des nouveaux neurones modifiait de façon importante les performances olfactives des souris [9]. En cas de baisse, les souris, en l'occurrence des mutantes chez lesquelles les précurseurs neuronaux ne migrent pas correctement dans le bulbe olfactif, ont des difficultés à distinguer deux odeurs différentes. Inversement, les performances olfactives augmentent lorsque l'incorporation des nouveaux neurones dans le bulbe est élevée. En témoignent des souris adultes normales, élevées dans un environnement riche en stimuli olfactifs des odeurs naturelles changées quotidiennement durant quarante jours : à l'issue de cette période, le nombre de neurones nouvellement générés et incorporés dans le bulbe olfactif est multiplié par deux par rapport à ceux des animaux élevés dans un environnement normal, et leur mémoire olfactive est bien meilleure [10]. L'ensemble de ces résultats indique l'existence d'une relation possible entre la production de nouveaux neurones et l'accroissement de certaines performances cognitives.

Cette hypothèse est compatible avec d'autres résultats concernant une région cérébrale fortement impliquée dans la constitution de nouveaux souvenirs, l'hippo- campe. Joseph Altman avait, dès 1965, décrit chez les rongeurs adultes la présence de nouvelles cellules dans cette structure. Mais la démonstration irrévocable d'une neurogenèse secondaire dans l'hippocampe des primates homme compris ne date que de 1998 [11]. Ce phénomène est à présent au centre de recherches très actives. Un aspect fascinant de cette neurogenèse est sa modulation par l'expérience et l'activité du sujet. Par exemple, elle diminue chez un rat lorsque l'animal est exposé à un stress tel que l'odeur d'un prédateur [12]. Inversement, elle augmente en cas d'accroissement de l'activité physique. Mais quel rôle joue-t-elle ? Alors que, chez les oiseaux, un lien de cause à effet a été clairement établi entre la neurogenèse du centre vocal et le contrôle du chant, la fonction de la neurogenèse hippocampique des mammifères demeure hypothétique. Certes, les capacités d'apprentissage d'une souris se dégradent lorsqu'on empêche la prolifération neuronale [13]. Mais si les corrélations entre neurogenèse et amélioration des performances mnésiques sont nombreuses, aucun lien de cause à effet n'a, pour l'instant, été formellement établi.

9 000 nouveaux neurones par jour

En fait, l'hypothèse d'une telle relation laissait d'autant plus perplexe la communauté scientifique que le nombre de neurones nouvellement générés semblait relativement faible par rapport à la population déjà existante. Cependant, des travaux publiés en 2001 par Heather Cameron et Ron McKay, du NIH de Bethesda, indiquent que ce nombre serait beaucoup plus élevé qu'on ne le pensait initialement : plus de 250 000 neurones s'inséreraient chaque mois dans l'hippocampe d'un rat adulte, soit 6 % de la population neuronale concernée [14]. Ces 9 000 nouveaux neurones journaliers peuvent-ils rendre compte des multiples acquisitions mnésiques réalisées quotidiennement ? Cette hypothèse, bien qu'attrayante, n'est pas la seule en lice. Sachant que les traces mnésiques résident dans l'activité des réseaux de neurones bien plus que dans chaque neurone pris individuellement, on ne peut en effet pas exclure que ces nouveaux neurones servent à tout autre chose que prendre en charge des souvenirs supplémentaires.

Depuis les travaux fondateurs effectués dans les années soixante par les neurobiologistes David Hubel et Torsten Wiesel, prix Nobel de physiologie-médecine en 1981, nous ne cessons de voir combien l'expérience et l'environnement jouent un rôle essentiel dans la maturation du cerveau au cours du développement post-natal, et dans l'émergence de certaines fonctions cognitives et comportementales. Les remaniements des connexions neuronales qui se déroulent alors inscrivent dans nos réseaux de neurones des marques propres à chacun. Mais, à la lumière des observations de neurogenèse secondaire, il apparaît nettement que les capacités d'adaptation du système nerveux des oiseaux et des mammifères adultes ne résultent pas uniquement de variations des connexions synaptiques. Elles reposent aussi sur la production ou le renouvellement de certaines populations de neurones dans quelques régions bien précises – régions qui ont pour caractéristique commune d'avoir des fonctions liées à l'apprentissage et/ou à la mémoire. Dans ce contexte, la neurogenèse secondaire semble elle aussi permettre que l'expérience personnelle d'un sujet imprime régulièrement sa marque au sein des réseaux neuronaux, sous la forme de remaniements morphologiques et fonctionnels réguliers. La neurogenèse adulte, en tant que mécanisme extrême de plasticité fortement contrôlée par l'expérience personnelle d'un sujet et ses interactions avec l'environnement, constitue donc très probablement un mécanisme additionnel d'individuation. Avec cette différence majeure qu'il serait, lui, opérationnel durant toute la vie.

P.-M. L., P. G. et A. T.

Le contextE En 1969, le biologiste américain Joseph Altman décrivait pour la première fois l'existence d'une prolifération de neurones dans le cerveau de rats adultes [1]. Mais, à l'époque, ces résultats contredisaient trop le dogme central de la neurobiologie pour être acceptés : le cerveau adulte ne pouvait que perdre des neurones, pas en gagner. Il fallut attendre les années quatre-vingt pour que la notion de production neuronale dans le cerveau adulte soit réhabilitée. Le canari, chez qui ces premiers résultats furent obtenus, et un autre oiseau chanteur, le diamant mandarin, sont depuis deux modèles de référence, à la pointe des recherches dans ce domaine. Car si l'existence d'une neurogenèse adulte a ensuite été décrite chez les rongeurs et les primates, c'est dans l'apprentissage du chant d'oiseau que ses conséquences fonctionnelles ont été le plus clairement démontrées.
[1] J. Altman et J. Comp, Neurol., 137, 433, 1969.

[2] F. Nottebohm, Brain Res. Bull., 57, 737, 2002.

[3] A. Alvarez-Buylla et al., Science, 249, 1444, 1990.

[4] S. Rasika et al., Neuron, 22, 53, 1999.

[5] A. Leonardo et M. Konishi, Nature, 399, 466, 1999.

[6] E.A. Brenowitz, Science, 251, 303, 1991.

[7] M.B. Luskin, Neuron, 11, 173, 1993.

[8] C. Lois et A. Alvarez-Buylla,

PNAS, 90, 2074, 1993.

[9] G. Gheusi et al., PNAS, 97, 1823, 2000.

[10] C. Rochefort et al., J. Neurosci., 22, 2679, 2002.

[11] P.S. Eriksson et al., Nat. Med., 4, 1313, 1998.

[12] E. Gould et P. Tanapat, Biol. Psychiatry, 46, 1472, 1999.

[13] T.J. Shors et al., Nature, 410, 372-376, 2001.

[14] H.A. Cameron et R.D. McKay, J. Comp. Neurol., 435, 406, 2001.
NOTES
* Le mot noyau désigne, dans le système nerveux central, tout amas bien délimité de corps cellulaires de neurones.

* Facteur est le terme générique pour désigner une molécule qui favorise une fonction physiologique ou un processus pathologique.

* L'hippocampe est une circonvolution corticale du cortex cérébral, impliquée dans la mémoire.
NOUVEAUX NEURONES ET CONTRÔLE DU CHANT
LE SYSTèME DU CHANT CHEZ L'OISEAU comporte deux circuits, placés sous le contrôle d'un noyau* de neurones appelé centre vocal supérieur. Le circuit moteur en bleu commande l'organe du chant, la syrinx, via deux relais : le noyau RA et le noyau moteur du nerf XII. Le circuit régulateur en jaune forme une boucle entre le centre vocal supérieur et le noyau RA. Le centre vocal supérieur comprend deux types de neurones : les neurones Np, constamment renouvelés, et les neurones Na, produits une fois pour toutes au cours de l'embryogenèse. Les précurseurs des nouveaux neurones Np naissent à distance du centre vocal supérieur, dans une région qui borde le ventricule latéral et contient des cellules souches nerveuses. Ces précurseurs entament ensuite une migration tangentielle de plus d'une semaine, avant d'atteindre le centre vocal supérieur, dans lequel ils s'intègrent et se différencient en neurones Np. Une fraction importante jusqu'à 50 % de ces neurones meurt très rapidement, deux à trois semaines seulement après leur naissance. Les autres ont une durée de vie qui ne dépasse généralement pas un an. © Infographie : sylvie dessert
PROCESSUS LA NEUROGENÈSE ADULTE RÉCAPITULE-T-ELLE L'EMBRYOGENÈSE ?
Les mécanismes régissant la production de nouveaux neurones sont-ils les mêmes chez l'adulte que lors du développement embryonnaire ? Non, semble-t-il. L'équipe de l'un d'entre nous, associée à celle d'Arturo Alvarez-Buylla université de Californie, à San Francisco, vient pour la première fois de décrire la façon dont, chez la souris adulte, un précurseur neural acquiert les propriétés fonctionnelles d'un véritable neurone [1]. Les nouveaux neurones reçoivent leurs premiers contacts synaptiques pendant la migration qui les mène à leur destination finale – en l'occurrence le bulbe olfactif. Mais ils ne deviennent excitables qu'à l'issue de cette migration, une fois insérés dans le réseau neuronal. À l'inverse, chez l'embryon, la première propriété acquise par les cellules en cours de migration est l'excitabilité, et ce n'est qu'une fois la migration achevée que les contacts synaptiques se multiplient.

Les mécanismes mis en oeuvre dans le cerveau adulte sont particulièrement adaptés à ce cas particulier. L'acquisition précoce de synapses fonctionnelles durant la migration cellulaire offre probablement la possibilité aux cellules migrantes de trouver des repères de navigation, tandis que le retard de l'apparition de l'excitabilité leur permet de s'intégrer silencieusement dans un réseau qui, rappelons-le, est mature. Les nouveaux neurones ne perturbent pas le fonctionnement de ce réseau lors de leur insertion, ni les tâches cognitives qui en dépendent, puisque ce n'est qu'une fois insérés qu'ils acquièrent la capacité de communiquer avec leurs voisins en émettant des potentiels d'action.

[1] A. Carleton et al., Nat. Neurosci., 6, 507, 2003.
DOUBLE NEUROGENÈSE
chez les mammifÈres ci-contre un rat, l'existence d'une neurogenèse adulte a été clairement établie dans deux structures : le bulbe olfactif d'une part, le gyrus denté de l'hippocampe d'autre part. Les cellules souches donnant naissance aux neurones renouvelés du bulbe olfactif sont localisées à distance de ce dernier, dans une zone située sous le ventricule latéral. Elles migrent tangentiellement avant d'atteindre leur destination finale – chez la souris, la distance parcourue par les précurseurs neuronaux ou neuroblastes pour atteindre le bulbe olfactif est d'environ 8 millimètres. En revanche, les neurones néoformés de l'hippocampe, situés dans la zone granulaire du gyrus denté, ont pour origine des cellules souches présentes localement, dans la zone sous-granulaire de l'hippocampe. La migration de ces cellules est donc très courte. Chez le rat, 80 000 nouveaux neurones s'insèrent chaque jour dans le bulbe olfactif, et 9 000 dans le gyrus denté de l'hippocampe.

© Infographie : sylvie dessert
SAVOIR
H. Cameron, « Naissance des neurones et mort d'un dogme », La Recherche, dossier « Neurones à volonté », mars 2000.

S. Laroche, « Neuro-modelage des souvenirs », La Recherche, numéro spécial « La mémoire et l'oubli », juillet-août 2001.

A. Prochiantz, Machine-Esprit, Odile Jacob, 2001.

T. Carew, Behavioral Neurobiology, Sinauer, 2000.

M.S. Brainard et A.J. Doupe, « What songbirds teach us about learning », Nature, 417, 351, 2002.

G. Miller, « Singing in the brain », Science, 299, 646, 2003.

F.H. Gage, « Neurogenesis in the adult brain », J. Neurosci., 22, 612, 2002.

P. Rakic, « Adult neurogenesis in mammals : an identity crisis », J. Neurosci., 22, 614, 2002.

www.npa.uiuc.edu/neuroethol

/models/birdsong_learning/bird

_song.html

 

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POLLUTION ET ÉPURATION DES EAUX

 


 

 

 

POLLUTION ET ÉPURATION DES EAUX
Les problèmes posés par l'exploitation de l'eau, ressource vitale et vulnérable, au bénéfice des sociétés humaines, exigent de la part des scientifiques une approche transdisciplinaire qui reste à construire. Les actions structurantes dans cette optique rapprochent les " sciences du savoir " et les " sciences de la valeur ". Sur cette trajectoire - du savoir au faire valoir - en matière de gestion qualitative de l'eau, le parcours est complexe mais l'exhaustivité n'est pas indispensable. Dans le présent contexte, la conférence fera découvrir quelques " épisodes significatifs " de recherche et d'action. D'ores et déjà on notera que la " technologie curative " est un remède aux pollutions localement contrôlables, mais qu'elle est inapte à " repenser " un hydrosystème où se sont accumulés des contaminants de l'eau dont les conséquences apparaissent graduellement dans le temps.

 

Texte de la 287e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 13 octobre 2000.


POLLUTION ET EPURATION DES EAUX

par Lothaire ZILLIOX


LA QUALITE DE L’EAU, UN ENJEU DURABLE


L’eau est indispensable à la vie. Fragile « miroir de notre avenir »(1), elle est au coeur des
préoccupations de toutes les civilisations. Essentielle à de multiples activités humaines
(énergétiques, domestiques, industrielles, agricoles) l’eau est une priorité de santé publique.
Les causes majeures des menaces sur les ressources en eau et sur leur qualité ne sont-elles pas à
chercher dans les comportements humains et dans la méconnaissance d’innombrables acteurs
concernés, plus que dans l’absence de connaissances scientifiques et de solutions techniques ?
Les interrogations au sujet de la pollution et de l’épuration des eaux s’inscrivent utilement dans
le schéma de la figure 1.
Elle visualise l’interactivité entre Homme et Société, Nature et Système de production, en
matière d’environnement-développement.
(1) source : Opération « Europe bleue » du Conseil de l’Europe (1993), 25 ans après la proclamation de la Charte
européenne de l'Eau (Strasbourg, 6 mai 1968)
2
fig. 1
Représentation schématique du champ de recherche, « Environnement-Développement »,
dans l’optique de la durabilité.
Pour la gestion qualitative de l’eau, les processus de décision qui intègreront au mieux les trois
« sphères » – l’Homme, la Nature, l’Industrie - constitueront une avancée dans la prise en compte
d’une durabilité à la fois écologique, économique et sociale.
La figure 1 associe dans une même représentation des sujets humains, des êtres de la nature, des
objets techniques et des règles juridiques.
Les décisions nécessaires pour gérer l’eau et pour en préserver la qualité devront tenir compte
d’une part de l’évolution de la demande sociale et d’autre part de l’évolution de l’offre physique.
Côté demande, les besoins en eau sont liés à la croissance démographique, à des facteurs
technologiques et à des choix de société, en termes de confort, de santé, de solidarité, voire de
survie.
Côté offre, la disponibilité de l’eau dépendra de variations climatiques, d’impacts d’activités
humaines sur le régime et la qualité des eaux, ainsi que de l’émergence de techniques nouvelles
pour dépolluer, traiter, recycler, comme pour réguler, protéger et épargner l’eau.
De fait, il n’y a pas un problème de l’eau commun à l’ensemble de la planète Terre, mais une
grande diversité de problèmes concrets et localisés.
(1) - interfaces instrumentées pour analyses, mesures, modélisations.
(2) - apports (cadre de vie, matières premières,...)
(3) - pollution (effets de comportements, d'activités,...)
(4) - innovation et création de richesse (garanties de la prévention active)
"L'Homme"
homme et sociétés
humaines
"La Nature"
milieux, ressources,
processus naturels
ou perturbés
"L'industrie"
procédés, incidences
de technologies et
systèmes de
réglementation
(2)
(4)
(1) (1)
(1)
. .
.
(3)
(2)
(3) Cadre de vie Innovation
Pollution
Matières
premières
3
L’HYDROSYSTEME, UNITE DE GESTION
L’hydrosystème continental, schématiquement représenté par la figure 2, servira de support aux
éléments développés dans la suite.
puits de
captage
infographie ACPA: C.Sira (ACPA / CEREG - ULP / CNRS)
fig. 2
Représentation d’un hydrosystème continental(2)
Les flèches visualisent des interfaces à fort gradient hydraulique.
Ceux-ci peuvent accélérer ou ralentir les polluants transportés par l’eau.
L’eau du système, représentant l’unicité de la ressource de tout bassin fluvial, est répartie dans
divers compartiments : l’eau des précipitations, les eaux douces superficielles, l’eau du sol, les
eaux souterraines. Les compartiments, naturellement reliés par le cycle de l’eau, forment un
système cohérent, qui intègre des éléments naturels et des éléments issus d’activités humaines.
L’eau y circule à des vitesses très différentes sur ses parcours aériens, superficiels, ou
souterrains. Le rapport des vitesses mesurées dans la nappe alluviale (eau souterraine) aux
vitesses relevées dans le cours du fleuve est de l’ordre de 1 à 100 000 : il indique l’importance de
l’échelle de temps à prendre en compte dans le transport de polluants dans les compartiments de
l’hydrosystème.
La persistance d’une pollution sera liée à la nature et au degré d’intensité de toutes les
interrelations au sein de l’hydrosystème. Toute dégradation de l’un des compartiments aura des
répercussions sur les autres.
DES SOURCES ET MECANISMES DE POLLUTION DE L’EAU
La notion d’hydrosystème indique bien la nécessité de ne plus dissocier un problème de pollution
de l’eau (le « contenu ») de la dégradation du milieu (le « contenant ») à travers lequel circule
l’eau (atmosphère, cours d’eau, sols et aquifères).
(2) source : Zilliox (L.), « la qualité des eaux continentales », p. 17-22, dans 12 Questions d’actualités sur
l’Environnement, Ministère de l’Environnement, Z’éditions (juin 1996)
4
Les durées de séjour d’un polluant dans l’hydrosystème varient à l’extrême : quelques jours dans
l’atmosphère, quelques semaines dans les rivières, des décennies ou des siècles dans les
aquifères. Les durées de renouvellement de l’eau ont un impact certain sur la persistance des
pollutions. La détérioration de la qualité des eaux souterraines peut même devenir irréversible.
Pour pouvoir évaluer la progression d’une pollution, il ne suffira pas de connaître le seul
« transport » par l’eau. Il faudra prendre en compte les diverses interactions entre le polluant et
les milieux traversés dont les effets n’apparaissent que graduellement dans le temps.
Pollutions et origines
La pollution est multiple et on parlera « des pollutions de l’eau ». Elles se distinguent grosso
modo par leurs causes (accidents, éliminations de déchets et résidus, sollicitations excessives du
milieu naturel,…) par leur nature (physique, chimique, bactériologique, radioactive,…) et par
leur ampleur (locale ou étendue, occasionnelle ou saisonnière) dans l’espace et dans le temps.
Certaines pollutions seront appelées “diffuses” à l’exemple des pollutions par nitrates sur des
régions entières.
La pollution se définit selon des situations de référence variées. Pour l’écologue, il s’agit de la
dégradation de l’eau par l’introduction d’un agent altéragène. Cet agent (biologique, chimique ou
physique) provoque, à partir d’une certaine concentration ou intensité, une altération gênante (ou
nuisible) de la qualité de l’eau.
Pour l’utilisateur, l’eau est polluée quand sa qualité ne correspond plus aux exigences de certains
usages. Dans ses usages l’eau remplit de multiples fonctions (pour la boisson, l’hygiène,
l’irrigation, l’agroalimentaire, l’énergie, le transport, les loisirs, etc…).
La pollution atmosphérique issue de sources multiples – usines, chauffage urbain,
automobiles…- a un impact sur la qualité des eaux et des sols. La pollution des eaux de surface
s’est diversifiée à partir d’activités humaines comme la déforestation (provoquant inondation et
érosion), la construction de barrages, la canalisation de rivières, le comblement de zones
humides. L’irrigation massive et l’agriculture industrielle ont fait croître la contamination directe
des sols et des eaux souterraines. De multiples accidents de transport de produits toxiques, (par
route, rail, voies d’eau, conduites enterrées…) provoquent des pollutions de durées aléatoires. La
pollution des nappes phréatiques peut résulter d’échanges avec les cours d’eau dégradés et
d’affleurement au niveau de sols contaminés.
Tableau I : Principales causes de pollution des eaux (3)
TYPE DE POLLUTION NATURE CHIMIQUE SOURCE OU AGENT CAUSAL
1- Physique
pollution thermique
pollution radioactive
rejets d’eau chaude
radio-isotopes
centrales électriques
installations nucléaires
2- Chimique
pollution par les fertilisants
pollution par des métaux et métalloïdes
toxiques
pollution par les insecticides et pesticides
pollution par les détersifs
nitrates – phosphates
mercure, cadmium, plomb, aluminium,
arsenic, etc…
insecticides, herbicides, fongicides
agriculture (lessives)
industrie, agriculture, combustions (pluies
acides)
agriculture (industrie)
(3) source : Ramade (F.) ; « l’eau une ressource menacée » dans le Journal après-demain, févr.-mars 1992, Paris.
5
pollution par les hydrocarbures
pollution par des composés organochlorés
pollution par les autres composés
organiques de synthèse
agents tensioactifs
pétrole brut et ses dérivés (carburants p.e.)
PCB, insecticides, solvants chlorés
très nombreuses molécules (plus de
70 000 !)
effluents domestiques
industrie pétrolière, transports
industries
industries (usages dispersifs pour certains)
3- Organique
pollution par matières fermenticides
glucides, lipides, protides
effluents domestiques, agricoles,
d’industries agro-alimentaires, du bois
(papeteries)
4- Microbiologique
pollution par microorganismes
bactéries, virus entériques, champignons
effluents urbains, élevages, secteur agroalimentaire
Pour la partie apparente du cycle de l’eau, les processus de contamination sont visibles et leurs
conséquences généralement détectables. L’entraînement de polluants dans le sol et le sous-sol,
constitue le départ de mécanismes plus difficiles à appréhender et dont l’évolution reste cachée.
Non visibles, ces pollutions seront détectées avec des retards de plusieurs années. Trop tardives,
les actions de dépollution dureront des dizaines d’années, voire au-delà.
Mécanismes de pollution
Si l’on prend le cas des produits pétroliers, les carburants et les fiouls de chauffage
représentent le plus gros volume de produits organiques journellement manipulés et transportés
dans les pays industrialisés. De ce fait, ils sont impliqués dans de nombreuses pollutions. Ces
produits, globalement non miscibles à l’eau, sont des mélanges complexes de nombreux
composés hydrocarbonés. Lors d’un déversement accidentel on distingue trois phases
successives :
- le produit s’infiltre dans le sol de couverture perméable de l’aquifère ; la nappe d’eau
souterraine est directement atteinte lorsque la quantité déversée est supérieure à celle
que le sol et la partie aérée de l’aquifère sont capables de retenir ;
- le produit en contact avec l’eau lui transmet des traces d’hydrocarbures les plus
solubles ;
- le transfert d’hydrocarbures, sans cesse réactivé par les mouvements de l’eau, constitue
la véritable source de contamination de l’eau entraînant la persistance de la pollution.
Les traces dissoutes sont véhiculées par l’eau souterraine dont la vitesse d’écoulement est de
l’ordre de quelques mètres par jour en aquifère poreux (milieu alluvial). Outre le risque de
pollution des captages d’eau, l’évaporation d’hydrocarbures dans le sol peut engendrer des
risques d’explosion.
Dans le cas de la dispersion d’un polluant miscible à l’eau, une émission locale (fuite d’un
réservoir enterré) à débit constant d’un polluant miscible à l’eau provoque dans l’aquifère la
dispersion du polluant entraîné par l’eau souterraine. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la
source, le polluant est dilué par le jeu de mécanismes dispersifs et d’effets de mélange dans
l’aquifère poreux.
Les concentrations dans l’eau décroissent dans la direction de l’écoulement et s’estompent
transversalement. La figure 3 visualise cette évolution.
6
x1 x2 x3
CL / 2
CL Cx2 x = L
C ( x=x3, y)
Σ ( C = CL)
Σ' ( C = CL/2)
x
y
0
source
direction de
l'écoulement
moyen
de la nappe
Délimitation du domaine contaminé : Σ ( C = CL)
(ici, section longitudinale médiane du domaine tridimensionnel)
CL : Valeur de concentration limite
domaine contaminé : C ≥ CL
profils transversaux des concentrations
fig. 3
Pollution locale d’un aquifère : délimitation du domaine contaminé(4)
Connaissant les vitesse de l’eau dans la direction de l’écoulement, le coefficient de dispersion
dans le plan perpendiculaire à l’écoulement, le débit de la source (en masse de contaminant par
unité de temps), la variation spatiale de la concentration dans l’eau peut être calculée dans des
conditions hydromécaniques de stationnarité.
Si une « norme » définit, pour le polluant concerné, une concentration limite (par exemple une
valeur critique à ne pas dépasser au plan de la toxicité), on peut déterminer l’enveloppe frontière
de la zone de contamination et savoir ainsi à quelle distance de la source émettrice la pollution
s’estompe.
L’hétérogénéité de l’aquifère et les potentialités naturelles de transformation biochimique,
(l’activité microbiologique sera d’autant plus efficace que la vitesse de circulation de l’eau sera
plus lente) contribueront à déformer, respectivement à réduire, le domaine contaminé dans la
réalité. Le modèle présenté en figure 3, fondé sur la seule approche hydrodynamique, se place du
côté de la sécurité lorsqu’il s’agit d’évaluer le risque de contamination d’un captage d’eau situé
en aval.
LES EAUX PRELEVEES, UTILISEES, EPUREES, DEPOLLUEES
Les eaux « brutes », prélevées dans l’hydrosystème continental (pluies, eaux de surface, nappes)
sont de composition très variable. Leur utilisation nécessite souvent une adaptation de leurs
(4) source : Zilliox (L.), « Porous media and aquifer systems », in Groundwater ecology, Academic Press, San Diego,
1994.
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caractéristiques physiques, chimiques et biologiques. Tout usage altérant la qualité sera suivi
d’une régénération des eaux.
Le rejet d’eau usée ne se fera qu’après un diagnostic de la capacité d’autoépuration du milieu
naturel. Une trop forte sollicitation durant les dernières décennies a considérablement amoindri le
pouvoir épurateur des milieux réceptacles d’eaux usées.
Les effets de rejets d’eaux insuffisamment épurées s’ajoutent aux impacts des pollutions in situ.
La restriction d’usage des eaux prélevées s’en trouve accrue. Seuls des procédés de traitement,
fiables mais coûteux, autoriseront le maintien de certains usages de l’eau.
Ces traitements, les techniques d’épuration d’eaux usées et la décontamination de sites pollués,
relèvent de technologies évolutives. Celles-ci permettent de réhabiliter le milieu naturel,
d’adapter les caractéristiques de l’eau aux divers besoins (industriels, agricoles, domestiques) et
de garantir au consommateur l’accès à l’eau potable indispensable à la santé humaine. (L’eau
insalubre est le premier « transmetteur » de maladies au monde et tue encore près de 10 000
enfants par jour).
Dans le secteur de l’eau, l’innovation en génie des procédés de traitement et en ingénierie pour
les écosystèmes aquatiques, exige un niveau de croissance qui doit générer suffisamment de
« richesses » pour la mise en oeuvre des technologies. Nombreux sont les pays qui souffrent d’un
manque de croissance minimale pour assurer à leur population l’accès à une eau de qualité.
L’eau : origine et composition
Les eaux douces exploitées par l’homme ont pour origine, dans l’hydrosystème continental, le
ciel (eaux des précipitations collectées), le territoire, (« eaux de surface », cours d’eau et plans
d’eau à l’air libre) et le sous-sol (eaux souterraines contenues dans les aquifères alluviaux ou des
roches réservoirs ; ces eaux, protégées des activités en surface, sont captées aux sources
naturelles ou par des forages). Elles représentent à peine 0,5 % des ressources de la planète dont
97,5 % sont des eaux de mer salées et 2 % des eaux douces à l’état solide (banquise et glaciers).
La qualité de l’eau se définit par sa composition en sels minéraux et gaz dissous, en
microorganismes et matières en suspension. Les composés minéraux en solution proviennent de
la constitution des roches traversées. Les gaz dissous sont essentiellement l’oxygène et le gaz
carbonique en provenance du milieu ambiant. Les matières en suspension sont d’origine minérale
(silice, argiles, oxydes de fer,…) ou organique (bactéries, virus, champignons, matières végétales
en décomposition…).
L’eau prélevée : préparation aux usages
Les eaux « brutes » sont préparées pour des usages spécifiques : alimentaires, industriels,
agricoles, hospitaliers.
L’eau potable
Sa préparation doit conserver les sels minéraux indispensables à la santé. L’eau de boisson sera
dépourvue de matières organiques, de germes pathogènes ; elle sera oxygénée, limpide, inodore,
incolore et fraîche (critères comprenant plus de soixante paramètres). Les traitements concernent
surtout les eaux de surface. Les eaux souterraines subiront un traitement simplifié ; dans certains
cas elles pourront être distribuées en l’état (secteurs de l’aquifère en plaine d’Alsace).
Dans la chaîne de traitement classique, se suivent les étapes de prétraitement (tamisage,
dégrillage, avec préozonation ou préchloration), de clarification (floculation, décantation) et
d’affinage (stérilisation, filtration sur sable ou charbon actif). Pour maintenir sa qualité potable
dans les canalisations du réseau de distribution, une légère chloration achève la préparation.
8
Une technologie nouvelle est l’utilisation de membranes filtrantes. L’avantage est d’exclure les
réactifs chimiques. Les procédés membranaires fonctionnent à la manière d’un tamis aux pores
inférieurs au micron. La microfiltration arrête les bactéries, parasites et colloïdes. L’ultrafiltration
élimine les virus et macromolécules organiques. La nanofiltration retient les sels dissous et
descend avec l’hyperfiltration (ou osmose inverse) à des tailles d’éléments (ions) n’excédant pas
le millionième de millimètre.
La composition et les conditions de fabrication d’une membrane permettent de jouer sur la taille
des pores, sur sa perméabilité et sur la durée de transfert des molécules à travers la membrane.
Les techniques membranaires, grandes consommatrices d’énergie, coûtent encore cher.
Les eaux pour l’industrie
Les processus de fabrication sont tributaires de la qualité de l’eau dans d’innombrables
applications. L’eau filtrée permet d’obtenir en papeterie une meilleure qualité de papier. Dans la
fabrication de composants électroniques la pureté de l’eau est déterminante pour la performance
de produits, tels les « puces ». Le traitement de surface est incontournable dans de nombreuses
activités industrielles : les « rinçages de surfaces » nécessitent de l’eau préparée pour éviter
corrosion et agressivité. Le goût d’une bière dépend du dosage des sels minéraux dans l’eau
utilisée pour sa fabrication. L’industrie pharmaceutique utilise de grandes quantités d’eau ultrapure
: il faut jusqu’à cinq millions de litres pour produire un kilo d’antibiotique.
L’eau pour l’agriculture
L’eau d’irrigation a des effets sur la qualité des plantes et des sols : une eau salée déstabilise le
sol, une eau chargée de résidus organiques ou métalliques nuit aux cultures. Certaines régions
arides recourent au dessalement d’eau de mer : l’osmose inverse innove par rapport à la
distillation.
Les eaux hospitalières
Les membranes permettent de donner à l’eau l’état de pureté nécessaire à son rôle médical. L’eau
ultra pure, obtenue par osmose inverse, permet de soigner les plaies des grands brûlés ; en
hémodialyse, son rôle est primordial dans le fonctionnement des reins artificiels.
Dans la préparation de l’eau, les procédés sont basés sur des mécanismes aux interfaces liquidesolide.
(cf. tableau II)
Tableau II : Les procédés de la technologie pour les eaux(4)
Procédés Mécanismes physico-chimiques aux interfaces
Floculation (ou coagulation) Déstabilisation des colloïdes
Filtration et filtration avec floculation Fixation des particules sur le matériau filtrant
Filtration par membranes Élimination des colloïdes et des substances macromoléculaires par
membranes (osmose inverse)
Flottation Séparation de matières particulaires à l’aide de bulles d’air et des
propriétés hydrophobes de composés
Échange d’ions Échange d’ions sur des résines synthétiques
(4) source : Sigg (L.), Behra (P.), W. Stumm (W.), Chimie des milieux aquatiques.. (3e éd.), Dunod, Paris, 2000.
9
Élimination des phosphates Précipitation chimique, filtration avec floculation
Biofloculation, biofilm Floculation de microorganismes, par exemple dans les procédés de
boues activées ; utilisation de cultures fixées pour la décomposition
et la transformation des substances organiques
Sorption sur le charbon actif Rétention de substances organiques sur le charbon actif
Les eaux résiduaires : épuration d’eaux usées
Les eaux résiduaires comprennent les effluents urbains, (eaux usées domestiques, alimentées par
des eaux pluviales chargées de polluants atmosphériques), les effluents industriels aux
caractéristiques très variables et les effluents agricoles provenant de cultures (avec utilisation de
phytosanitaires), d’élevages (hors-sol), de fabrications agro-alimentaires (fromagères,
vinicoles…). Le rejet direct d’eaux résiduaires dans les compartiments de l’hydrosystème aurait
une triple répercussion :
- la dégradation de l’écosystème et la destruction des capacités d’autoépuration du milieu
mettant la “santé écologique” en péril ;
- la détérioration du plus précieux patrimoine de vie, portant atteinte à la santé humaine ;
- la disparition sectorielle d’une matière première exclusive, ou le surcoût pour l’adapter
aux besoins de fabricants et producteurs, menaçant la “santé économique”.
Les systèmes d’épuration des eaux usées mettent en oeuvre des procédés qui correspondent, à des
degrés divers, à ceux utilisés dans la préparation des eaux « brutes ».
C’est le coût de la mise en place et de l’exploitation des stations de traitement d’eaux usées qui
reste le facteur limitant.
La filière -dégrillage, floculation, décantation- est utilisée pour la dépollution des rejets urbains.
S’y ajoutent, selon la station d’épuration, un traitement secondaire par lits bactériens et des
traitements spécifiques (tertiaires), tels ceux qui éliminent l’azote ou le phosphore.
Les industriels mettent de plus en plus en oeuvre les procédés de séparation membranaires sur le
site même de l’usine. L’agriculture n’est en soi ni plus ni moins polluante que d’autres activités
productives, utilisatrices d’eau. Vu son échelle d’exploitation, elle a un rôle crucial à jouer dans
la gestion intégrée de l’hydrosystème et doit assumer sa part de l’effort de dépollution des eaux.
L’épuration d’eaux usées bénéficie de la combinaison expérimentale de technologies.
L’association du procédé membranaire et du traitement biologique a fait naître les « bioréacteurs
à membranes » : l’effluent chargé en matière organique passe dans un bioréacteur contenant des
bactéries qui vont digérer la « charge » ; l’eau ainsi traitée traverse ensuite une membrane
sélective qui retient les microbes et assure sa désinfection. Ce système permet de recycler les
eaux sanitaires épurées d’un immeuble.
Les eaux polluées : action in situ
Les stratégies de réhabilitation de sols et aquifères contaminés, de dépollution et de protection
d’eaux souterraines, sont une préoccupation majeure dans les pays industrialisés. L’objectif est
double : utiliser des technologies d’épuration entraînant un minimum d’effets négatifs pour
l’homme et les milieux naturels, et assurer une protection efficace de l’hydrosystème par un
aménagement du territoire adapté à la conservation de la qualité de l’eau.
Le champ d’action est vaste et priorité sera donnée aux stratégies préventives. Le tableau III
résume les concepts et méthodes d’intervention, plus particulièrement à proximité de captages
d’eau potable.
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Tableau III : Méthodologie d’action et de contrôle de sites et aquifères pollués (5)
Mesures préventives :
éviter l’émission de polluants dans les
sols et aquifères
• appliquer la réglementation des périmètres de protection
• restreindre l’usage de substances à risque
• réguler les manipulations et modes de transport des produits
dangereux
• interdire la fabrication de certains produits toxiques
Intervention immédiate :
minimiser l’infiltration après
déversement accidentel
• prélever, traiter et mettre en dépôt les sols contaminés
Actions à la source
de pollution :
éviter la dispersion du contaminant
• mesures géotechniques de confinement (parois étanches …)
• mesures hydrauliques (extraire par pompage…)
• mesures chimiques et biologiques in situ (fixer par réactifs,
dégrader par bactéries…)
• mesures par circulation d’air (capter les substances volatiles)
• mesures de traitement et de décontamination in situ (épuration
localisée)
Traitement des “panaches”
de polluants dissous :
réduire le domaine contaminé par
dispersion à l’aval de la source
• mesures hydrauliques (création de barrières hydrodynamiques
et pompage des eaux contaminées), combinées avec des
traitements biochimiques pour épurer l’eau prélevée
Protection hydraulique
des ouvrages de captage d’eaux
• gérer le réseau de puits captants par sélection entre forages de
production d’eau et forages d’extraction de polluants
Mesures techniques
pour fournir durablement de l’eau
potable aux consommateurs
• traiter l’eau “brute” prélevée
• mélanger l’eau prélevée avec des eaux provenant d’autres
sources d’alimentation
• pratiquer un système en réseau régional (et non local) pour
l’approvisionnement en eau d’une collectivité.
INTERROGATIONS AU FIL DE L’EAU
Les limites actuelles d’un développement garantissant une eau de qualité sont celles
qu’imposent : l’état de nos techniques, l’état de notre organisation sociale, éducative et culturelle
et la capacité de la biosphère à « digérer » les pollutions résultant d’activités humaines.
La recherche et la technologie fournissent des solutions pour résoudre les problèmes liés à la
qualité des ressources « brutes », à leur prélèvement, à leur préparation, à leur distribution, aux
usages de l’eau, ou encore à l’épuration d’eaux usées, voire à la dépollution in situ.
L’organisation de la société pour une gestion durable de l’hydrosystème continental pose
question sur des points tels
(5) source :Groundwater and Subsurface Remediation, Kobus (H.), Barczewski (B.), Koschitzky (H.P.) (Eds),
Springer, 1996
11
- la notion du temps : comment expliquer le « temps écoulé » entre le déclenchement d’une
pollution, sa détection puis la décision d’intervenir ? Comment expliquer le « temps décalé »
entre l’événement physique et la réponse juridico-administrative attendue ?
- le choix d’un mode d’action : où va-t-on appliquer les mesures de protection des eaux ?
S’agit-il d’éliminer les causes (prévention) ou de traiter des symptômes (acte curatif) ?
- le besoin de métiers nouveaux pour répondre aux enjeux de l’eau : comment susciter une
nouvelle catégorie professionnelle « d’ingénieurs de la vie et du développement durable », à
différencier de biotechnologues non formés à une démarche intégrée ?
Pour répondre, ne faudrait-il pas inscrire nos comportements comme la Conscience collective
dans les représentations des figures 1 et 2 ?
Je remercie vivement Muriel Eichhorn pour son aide à la mise en forme de cette présentation.
J’exprime ma reconnaissance aux amis, collègues et partenaires qui m’ont accompagné dans la
pratique scientifique transdisciplinaire utile au thème présenté.

 

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HOMMES ET HOMINIDÉS

 

 

 

 

 

 

 

HOMMES ET HOMINIDÉS


Il s'agit d'explorer la dichotomie entre les grands singes et l'Homme et comment comprendre cette divergence aujourd'hui. En consultant les médias, on voit souvent évoquer le fait que l'Homme partage 99% de son matériel génétique avec le chimpanzé. Les Hommes et les chimpanzés, mais aussi les gorilles, sont extrêmement similaires. Les travaux en biologie moléculaire nous permettent de dire qu'il y a environ 7 millions d'années, à la fin du miocène, les ancêtres des humains, des chimpanzés et des gorilles actuels sont partis sur leurs propres chemins évolutifs et leurs propres régions géographique.

Quelles sont les certitudes, les interrogations concernant cette évolution ? Il est impossible de vraiment trancher pour savoir qui du chimpanzé ou du gorille et plus proche de l'Homme. Il s'agirait plutôt d'une trichotomie au sein d'une même population. Le problème peut être abordé sous plusieurs aspects : anatomique, géographique et climatique, environnemental qui façonnent les êtres fossiles et qui ont fait ce que nous sommes avec nos variabilités physiques et culturelles.

Texte de la 439e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 18 juillet 2002

Grands singes - Hommes : histoire d'une divergence

Par Brigitte Senut,

La divergence entre les grands singes et l'homme est un des sujets les plus discutés de la paléontologie humaine, probablement car il touche directement à nos origines. Les données permettant d'appréhender cette séparation sont fournies par toute une série de disciplines allant de la paléontologie, la géologie, la sédimentologie à la biologie moléculaire. Car il faut, en effet, resituer cette question évolutive dans un cadre bio-éco-géographique plus vaste, plutôt que de se limiter à un cadre anatomique. Les résultats des différents domaines ne concordent pas toujours, c'est ainsi souvent le cas de la biologie moléculaire et de la paléontologie, car les données néontologiques ne prennent pas la dimension essentielle de l'évolution, la quatrième dimension : le temps. L'étude des grands singes et des hommes actuels nous permet de clarifier les relations de parenté, mais le tempo de leur histoire ne nous est fourni que par la paléontologie. Les données de terrain très fructueuses ces dix dernières années nous obligent à remonter au-delà de 6-7 millions d'années, pour comprendre la manière dont la lignée des grands singes s'est isolée de celle de l'homme. Quelles sont ces nouvelles découvertes? Quels sont les nouveaux enjeux? C'est à ces questions que nous allons essayer de répondre dans la suite de cet exposé.

L'apport de la biologie moléculaire

La phylogénie en question

Les molécularistes et les paléontologues s'accordent aujourd'hui sur le fait que les grands singes asiatiques sont des parents relativement éloignés de nous, alors que leurs cousins africains semblent nous être plus proches ; mais au sein de ces derniers, peut-on isoler un genre une espèce plus privilégiée? En d'autres termes, le chimpanzé est-il notre plus proche cousin ? Est-ce le bonobo (ou chimpanzé nain) ? Ou bien l'ensemble gorille-chimpanzé ? Ou bien les chimpanzés, les gorilles et les hommes sont-ils aussi éloignés les uns des autres ? Selon les méthodes d'analyses, il apparaît que tous ces schémas sont possibles. Toutefois, certains auteurs ont largement médiatisé un rapprochement exclusif chimpanzés-hommes. Ceci serait conforté par les études sur l'ADN et l'ADN mitochondrial, alors que d'autres travaux révèlent des branchements différents. Ce qui reste sûr aujourd'hui est que les plus proches parents de l'homme sont africains et que leur ancêtre est, lui aussi, plus vraisemblablement africain.

L'horloge moléculaire

Le concept d'horloge moléculaire est basé sur la constatation que la mesure des divergences des séquences d'acides aminés est corrélée au temps. Les changements sont censés s'opérer à des rythmes constants à partir d'une date de divergence paléontologique donnée (soit celle des ruminants, soit celle des cercopithèques, etc.) ; ce n'est donc pas une méthode indépendante. Or, selon les auteurs, ou selon les groupes utilisés pour calibrer, les résultats sont très différents et on a obtenu des dates variant de 2 millions d'années à plus de 15 millions d'années pour la dichotomie hommes/grands singes. Toutefois, il a été démontré que l'horloge moléculaire ne marche pas, en fait, à vitesse constante. Le taux auquel les changements sont incorporés dans les populations varient en fonction des temps de génération, l'isolation génétique etc. C'est pourquoi, l'horloge est différente entre les éléphants et les souris, il est évident que la souris se reproduisant plus vite, le renouvellement génétique est plus rapide. Par ailleurs, il y a une variation au sein d'une même espèce. La même chose est vraie au sein des primates si on compare des lémuriens ou des chimpanzés. Enfin, il apparaît que sur de longues périodes, l'horloge devient imprécise. L'horloge moléculaire ne marche pas donc pas à la même vitesse dans tous les groupes de mammifères et pour dater les divergences, il convient donc d'utiliser les données temporelles fournies par les fossiles.

Les grands singes et leurs caractères de vie.

Dimorphisme sexuel

Les grands singes de grande taille se caractérisent généralement par de forts dimorphismes de taille et de morphologie liés au sexe. Un des caractères les plus utilisés chez les primates est la canine. Chez les mâles, la racine est massive et a pratiquement la même taille que la base de la couronne. Chez les femelles, la racine plus petite est rétrécie à la base de la couronne. Ce caractère s'observe chez les grands singes actuels et fossiles. Par ailleurs, chez les mâles, les racines étant beaucoup plus grandes, le museau est gonflé et aussi plus projeté vers l'avant, ce qu'on appelle le prognathisme. Quelquefois, cette projection est si importante que la morphologie faciale des mâles et des femelles est aussi très différente. C'est ce qui rend souvent l'interprétation des fossiles isolés difficile. C'est le cas notamment du fameux Kenyapithèque du Kenya considéré longtemps comme un hominidé ancien car sa canine était petite et sa face peu projetée. Or, la une nouvelle études de ces matériels a montré que les spécimens incriminés appartenaient en fait à des individus femelles et Kenyapithecus était une forme éteinte de grand singe, pas placée en position particulière dans notre arbre phylogénétique. La même chose est arrivée avec les Ramapithèques asiatiques. Mais il est intéressant de constater que de nombreux spécimens sensés être nos ancêtres étaient en fait des femelles de grands singes et que les ancêtres de grands singes étaient de mâles... ! C'est le cas typique du groupe des Sivapithèques et Ramapithèques: les premiers ont été considérés comme des ancêtres des orangs-outans et les Ramapithèques, ancêtres de l'homme. Toutefois, lorsque les études sur le dimorphisme sexuel ont été développées au début des années 1980, on s'est rendu compte que les ramapithèques étaient les femelles des sivapithèques, ancêtres des grands singes de Bornéo et Sumatra. Cela allait même plus loin, car le genre Sivapithecus ayant été créé bien avant que celui de Ramapithecus, ce dernier nom devait être abandonné. Les ramapithèques qui avaient eu leur heure de gloire dans les années 1960 à 1980, disparaissaient du paysage paléontologique par le coup du dimorphisme sexuel.

Alimentation

Les primates actuels sont parmi les mammifères les plus diversifiés dans leur alimentation. Ayant accès à toutes les strates des canopées, comme au milieu terrestre, ils se nourrissent de feuilles, et/ou de fruits, et/ou de viande. Il n'est pas rare que les chimpanzés mangent des petites antilopes ou des petits cercopithèques. La morphologie dentaire observée reflète le mode d'alimentation le plus fréquent, mais un animal peut de temps à autres adapter son régime à ce que lui offre son environnement. Les gorilles sont inféodés à des milieux forestiers et se nourrissent de végétaux variés, herbacées et fruits. Le régime alimentaire peut être déduit non seulement des dents, mais aussi des os maxillaire et mandibulaire et de leurs insertions musculaires. Sur l'anatomie des dents, la morphologie des cuspides est assez typée chez les chimpanzés avec des tubercules placés à la périphérie de la couronne et montrant un grand bassin central ; et chez les gorilles avec des tubercules placés à la périphérie mais plus acérés et un bassin central moins élargi. Chez l'homme, qui est un hominoïde à part entière, les tubercules sont globuleux, assez bas et plus centraux. Un autre aspect de la morphologie dentaire concerne l'émail : la variation de son épaisseur reflète également la qualité de ce que l'animal ingère ; ainsi si l'animal consomme plus fréquemment des fruits, l'émail est plus fin et s'il consomme des aliments plus coriaces, l'épaisseur de l'émail est plus épais. En gros, cela semble vrai, mais il faut aussi prendre en compte la surface triturante de la dent, sa croissance et donc sa taille. Les replis de l'émail plus prononcé chez les chimpanzés nous apportent aussi des informations sur le style de nourriture qu'ingurgitent les grands singes. On voit tout l'intérêt de bien comprendre les morphologies actuelles pour déduire des interprétations sur les fossiles.

Locomotion

Les modes de locomotion sont aussi très diversifiés chez les grands singes puisqu'ils varient de la suspension, au grimper vertical, marche sur les branches sur les quatre pattes arrière ou sur les deux pattes arrière. Mais les grands singes pratiquent aussi une marche particulière appelée le knuckle-walking, littéralement la marche sur l'articulation des phalanges antérieures repliées.

C'est le mode classique de déplacement des chimpanzés, qui est un peu modifié chez les gorilles, beaucoup plus lourds. Le mode de déplacement est lié en grande part à la taille de l'animal : ainsi, un gorille mâle de plus de 200 kgs peut difficilement se suspendre aux branches d'arbres, alors que le petit beaucoup plus léger en sera capable. Mais aucun de ces grands singes n'est assez léger pour pratiquer le déplacement acrobatique adopté par les gibbons d'Asie du Sud-Est. Un mode de déplacement utilisé par tous les grands singes plus ou moins fréquemment ou plus ou moins occasionnellement est la marche bipède. Aujourd'hui, le seul hominoïde capable de se déplacer pour la plus grande partie de son temps sur ses deux pattes arrière est l'homme. L'adaptation à la bipédie permanente est un des caractères qui est généralement utilisé pour définir le genre Homo. Chez les fossiles, on observe des bipédies différentes de celles de l'homme actuel, celle des Oréopithèques de Toscane étant probablement la plus éloignée de la nôtre, celle des Australopithèques en étant la plus proche. Les paléontologues n'ont pas à leur disposition tous les ligaments, muscles, etc... , mais l'os enregistre le mouvement le plus fréquemment réalisé ; et par comparaison avec les animaux actuels on peut reconstituer des types de mouvements, puis des associations de mouvements qui débouchent sur des scénarios locomoteurs. Pendant près d'un siècle, les anthropologues ont focalisé leurs travaux sur les restes crâniens et dentaires, parties nobles du squelette pour reconstituer les scénarios de nos origines, mais depuis la fin des années 1970, on s'aperçoit que les modes de locomotion apporte eux aussi des informations à cette quête, et ils sont aujourd'hui considérés comme des éléments à part entière. En fait, la reconstitution des modes locomoteurs passés est essentielle.

Les grands singes fossiles

Les grands singes fossiles sont connus dès l'Oligocène supérieur en Afrique orientale et sont représentés par quelques pièces dentaires attribuées à Kamoyapithecus. Mais c'est au Miocène inférieur que les grands singes vont s'épanouir en Afrique. Si pendant longtemps, on les a cru confinés à l'Afrique orientale, on les a retrouvés au début des années 90 en Egypte, puis en Afrique du Sud en 1996. Les restes extérieurs à l'Afrique orientale sont très peu nombreux : un humérus en Egypte au Wadi el Moghara et une demi-dent supérieure dans la mine de diamants de Ryskop en Afrique du Sud. En raison de leur faible nombre, ils n'ont pas pu être nommés formellement.

En Afrique orientale, par contre, on connaît de très nombreux grands singes de grande taille (dont certains équivalents à un gorille) et de petite taille (proche de celle des gibbons). Nous nous focaliserons sur ceux de grande taille parmi lesquels nous recherchons nos ancêtres.

Les plus connus des grands singes de la période de 22 à 17 Millions d'années environ sont les Proconsul. Très bien représentés au Kenya et en Ouganda par plusieurs formes qui ont la taille des chimpanzés et colobes actuels. Ce sont des grands singes généralisés par leur dentition et leur locomotion. Probablement adaptés à un régime plutôt frugivore, ils habitaient dans des environnements de forêt sèche où ils se déplaçaient à quatre pattes sur les branches, ou au sol. Ces reconstitutions sont basées sur les restes de plantes, de grands mammifères, de micromammifères et ceux d'escargots fossiles, notamment des très riches gisements de l'île de Rusinga au Kenya.

A la même époque les Ugandapithecus, de la taille du gorille, vivaient sur les pentes des volcans de Napak en Ouganda et à Songhor au Kenya. Assez lourds, ils vivaient probablement en partie au sol, mais ils pratiquaient également un grimper vertical. Leurs canines présentent un caractère tout particulier : le sommet de la dent est en forme de lame plutôt que conique. Leurs dents assez massives suggèrent qu'ils se nourrissaient de nourritures assez coriaces. Les Ugandapithèques sont connus jusqu'à la base du Miocène moyen (16-17 Millions d'années) en Afrique orientale, et spécialement sur le gisement de Moroto en Ouganda où ils côtoient les Afropithèques, de taille plus modeste, découverts également sur la rive occidentale du Lac Turkana au Kenya. Entre 17 et 12 millions d'années les grands singes connaissent un second buissonnement avec les Turkanapithèques du Lac Turkana, les Nacholapithèques des Collines Samburu. Dans les gisements de l'île de Maboko on trouve les Kenyapithèques, dont l'espèce présente à Fort Ternan ( Kenyapithecus wickeri) sera considérée, dès sa découverte, comme un hominidé ancien. Cependant, les caractères utilisés à l'époque (petite canine, face plate, émail épais) se sont avérés, pour les premiers, des caractères de dimorphisme sexuel et, pour le dernier, un caractère classique des grands singes du Miocène moyen dont les l'alimentation est basée sur des végétaux plutôt durs. Le Kenyapithèque de Fort Ternan avait aussi été considéré comme un hominidé sur la base de présence de galets utilisés trouvés avec les fossiles. Toutefois, ces cailloux « utilisés » se sont avérés être des pierres de lave brisés naturellement. Par ailleurs, on sait aujourd'hui que d'autres primates utilisent des outils ou manipulent et cela ne leur donne pas automatiquement le statut d'hominidé.

Après avoir longtemps été considérés comme des animaux typiquement est-africains, les grands singes voyaient leur aire de répartition considérablement augmentée par la découverte d' Otavipithecus namibiensis au nord-est de la Namibie. Ils avaient toutefois été signalés en 1975 en Arabie saoudite qui, à l'époque où ils vivaient, était rattachée à l'Afrique orientale. L'Otavipithèque ne ressemble à aucun des grands singes classiques est-africains de l'époque, par sa mâchoire étroite, ses dents aux cuspides gonflées, mais cela n'est pas surprenant car il vivait dans une région très excentrée, par rapport à celle où vivaient les autres grands singes de la même époque.

C'est probablement vers ce moment-là que les grands singes vont émigrer vers l'Eurasie; ainsi, on les retrouve en France, en Espagne, en Hongrie, en Grèce, en Inde, au Pakistan, en Turquie, en Chine... où ils prennent les noms de Dryopithèques, Ankarapithèques, Sivapithèques, Ouranopithèques, Lufengpithèques, etc... Certains d'entre eux, bien que considérés par plusieurs auteurs comme des ancêtres potentiels des Hominidés, semblent plus probablement se rapprocher des grands singes asiatiques modernes. Les caractères utilisés pour en faire des Hominidés se sont avérés être souvent des caractères hérités des grands singes africains antérieurs et non pas dérivés d'Hominidés, et dans certains cas dérivés d'Orangs-outans ou même encore liés au dimorphisme sexuel observé classiquement chez les grands singes actuels et fossiles.

Le trou noir- la divergence

Le trou noir correspond à cette période pendant laquelle nous ne connaissions pratiquement rien au début des années 1990 entre les grands singes du Miocène et les premiers Hominidés avérés, les Australopithèques, c'est à dire environ entre 10-12 millions d'années et 4,2 millions d'années. A l'époque, les quelques pièces fossiles, toutes kenyennes, pouvaient se compter sur les doigts des deux mains: un fragment de maxillaire trouvé au début des années 80 dans les Samburu Hills et vieux de 9,5 millions d'années, une dent isolée dans la Formation de Lukeino datée de 6 millions d'années, un fragment d'humérus vieux de 5,1 millions d'années, un fragment de mandibule à Tabarin vieille de 4,5 millions d'années, un fragment de mandibule à Lothagam (aujourd'hui redatée à 4,2 millions d'années environ). Les nombreuses expéditions menées en Afrique depuis la dernière décennie ont pratiquement triplé le matériel connu au début des années 1990; il n'est donc pas surprenant que les scénarios de nos origines soient largement discutés. A part le maxillaire des Samburu, tous ces fossiles étaient rapportés aux Hominidés. Dans tous les scénarios évolutifs ces restes ont été considérés comme appartenant obligatoirement à des ancêtres des Australopithèque et donc des Hominidés. En fait, les chercheurs dans leur grande majorité ont focalisé leurs travaux sur les Australopithèques et toute pièce hominidée trouvée dans des niveaux plus anciens était systématiquement considérée comme un ancêtre de ceux-ci et donc des hommes. L'évolution était linéaire, ce qui malheureusement ne semble pas très biologique. En effet, jusqu'à 12 millions d'années environ, les grands singes sont largement représentés en Afrique; il faudrait donc admettre que ces derniers disparaissent pour laisser la place à une seule lignée et que celle-ci soit obligatoirement ancestrale à l'homme. Cette interprétation nie le phénomène de radiation chez les grand singes et les hominidés anciens. Vers 6 millions d'années environ, on sait que les grands groupes de mammifères sont très diversifiés et il est probable que les primates (grands singes et hommes inclus) n'ont pas échappé à la règle.

Samburupithecus

Le premier acteur dans ce trou noir est Samburupithecus; découvert au début des années 1980 dans les Samburu Hills au Kenya (mais publié seulement en 1994), il est connu exclusivement par un fragment de maxillaire portant les 2 prémolaires et les 3 molaires. Par certains aspects, il rappelle les gorilles, notamment pas la morphologie de son museau, la position de l'arcade zygomatique relativement basse et antérieure sur la mâchoire. Les tubercules de ses dents sont, en revanche, gonflés; il s'agit sans doute d'une femelle comme le suggère l'alvéole préservée de la canine qui indique que la racine de cette dernière était petite. Par ses caractères, cette pièce pourrait être considérée comme un ancêtre des grands singes et de l'homme, ou un ancêtre de gorilles, mais il faut plus de matériel pour conclure.

Ardipithecus ramidus

En 1994/1995, Ardipithecus ramidus, vieux de 4,4 millions d'années venait combler une lacune dans l'histoire de la dichotomie des grands singes et de l'homme. Découverts en Ethiopie dans la Vallée moyenne de l'Aouache, les restes attribués à cette espèce se composent de dents isolées, de quelques os postcrâniens fragmentaires un petit fragment crânien et un squelette partiel qui n'est toujours pas publié. Ces éléments furent rapportés à un hominidé, mais si certains caractères de ses canines l'en rapprochent effectivement, toute une suite d'autres l'en isolent comme l'épaisseur de l'émail dentaire ou la taille de la canine par rapport aux dents jugales. Le squelette indiquerait une adaptation à la bipédie, mais les restes publiés à ce jour ne permettent pas cette affirmation. Ardipithecus ramidus est-il un hominidé ou un grand singe? Il est bien difficile de conclure à la lueur des éléments disponibles.

Orrorin tugenensis

A l'automne 2000, une douzaine de restes dentaires, mandibulaires et postcrâniens d'un hominidé étaient trouvés dans la Formation de Lukeino au Kenya qui avait déjà livré une dent isolée en 1974. Les gisements qui ont livré les fossiles s'échelonnent dans le temps entre 6,0 et 5,7 millions d'années; le gisement le plus riche étant celui de Kapsomin situé à la base de la formation. Les dents en général sont petites, proches en taille de celles de chimpanzés et des hommes actuels, mais leur forme plus carrée les rapproche des seconds. La morphologie de la canine supérieure portant une gouttière verticale ou la première prémolaire inférieure avec ses racines décalées rappelle la morphologie observée chez les grands singes actuels et fossiles. Toutefois, les tubercules dentaires ne présentent pas les ridulations d'émail classique chez les grands singes, la morphologie de la canine inférieure est intermédiaire entre celle des grands singes et celle de l'homme, l'émail est épais, la face interne des molaires est verticale. La partie antérieure de la mandibule est droite et on n'observe aucun espace (diastème) entre la canine et la première prémolaire inférieures. L'ensemble des caractères dentaires rapprochent Orrorin des hominidés.

La découverte d'Orrorin était importante également par le fait que des restes postcrâniens étaient signalés, dont des fémurs relativement bien conservés. C'est l'étude du fémur qui a montré que Orrorin était bipède. Ceci s'exprime par un col fémoral allongé et aplati antéro-postérieurement, la position de la tête fémorale, la position des insertions musculaires, la distribution de l'os cortical (épaissi à la partie inférieure et plus mince à la partie supérieure) sur la coupe du col fémoral, et la présence en vue postérieure d'une gouttière pour le muscle obturator externus. La plupart de ces caractères sont présents chez les Australopithèques et l'homme et sont classiquement associés à la bipédie. Cependant, certaines différences d'avec les Australopithèques (en particulier, orientation de la tête fémorale, position du petit trochanter) et une meilleure ressemblance avec les hommes indiquent que cette bipédie est plus humaine que celles de Australopithèques. Cet hominidé pratiquait donc probablement habituellement la bipédie; toutefois, il n'est pas encore affranchi du milieu arboré, comme le montrent son humérus et ses phalanges de main.

Orrorin n'est pas un être petit puisque les mesures de son humérus et de son fémur indiquent qu'il était une fois et demie plus grand que Lucy, la célèbre Australopithèque de l'Afar. Cette dernière est de taille modeste, mais possède des dents assez grosses (mégadonte); en revanche, chez Orrorin, l'inverse est vrai, le corps est plus grand mais les dents plus petites (microdonte). Si Orrorin devait être un ancêtre des Australopithèques, eux-mêmes ancêtres de l'homme, il faudrait admettre que des êtres microdontes auraient donné naissance à des mégadontes, qui eux-mêmes auraient donné naissance à des microdontes. Ces aller-retours anatomiques qui touchent à la fois le système masticateur et le système locomoteur semblent douteux et c'est pour cela que nous considérons les Australopithèques comme une branche à part de notre famille. Lors de sa découverte en 2000, Orrorin était le premier Hominidé connu antérieur à 5 millions d'années et sa présence si ancienne remettait en cause les données moléculaires en suggérant une dichotomie entre les grands singes et l'homme très ancienne (bien antérieure à 6 millions d'années).

Ardipithecus ramidus kadabba

Le débat sur nos origines était relancé en juillet 2001 avec la publication d'une sous-espèce d'Ardipithèque, Ardipithecus ramidus kadabba, découverte en Ethiopie dans des niveaux vieux de 5,7 à 5,2 millions d'années. Elle est représentée par des dents et os isolés (notamment fragment d'humérus et phalanges du pied et de la main). Elle se différencie des grands singes actuels par la tendance des canines à être incisiformes et la morphologie générale de ces dernières; mais, elle s'isole également d' Ardipithecus ramidus ramidus par la morphologie des P3 et M3 supérieures et de la canine inférieure. Les caractères des éléments post-crâniens rappellent ceux des grands singes et de certains spécimens de Hadar et suggéreraient des adaptations à la vie arboricole. Même si selon les auteurs, on peut considérer cette sous-espèce d'Hominoïde comme un Hominidé, il n'en reste pas moins qu'un certains nombre de caractères rappellent les grands singes et que les différences d'avec l'autre sous-espèce méritent clarification.

Sahelanthropus tchadensis

Puis, un an après la découverte éthiopienne étaient publiés les restes d'un hominoïde vieux de 6 à 7 millions d'années, trouvés au Tchad, très loin à l'Ouest de la fameuse faille est-africaine. La pièce la plus médiatique est un crâne légèrement écrasé rapporté par ses inventeurs à un Hominidé sur la base en particulier de la petite taille de la canine, le mode d'usure de cette dernière, l'aplatissement de la face, la position dite « plus antérieure » du foramen magnum. Selon les auteurs, le bourrelet sus-orbitaire très massif indiquerait que le crâne appartenait à un individu mâle. Les autres caractères incluent entre autres: des dents jugale (molaires et prémolaires basses), l'émail intermédiaire en épaisseur entre celui des chimpanzés et des Ardipithèques, une morphologie supra-orbitaire robuste (probablement mâle selon les auteurs), un plancher nuchal plat et des insertions musculaires puissantes dans la région nuchale.

La petite canine n'est pas un caractère d'Hominidé sensu stricto comme signalé plus haut; en effet, chez les grands singes miocènes et modernes, la taille de la canine est le plus souvent l'expression du dimorphisme sexuel. La canine du mâle étant beaucoup plus développée, il s'ensuit un gonflement de la région faciale qui reçoit la racine de la dent, alors que chez la femelle, le gonflement est réduit en liaison avec une racine de taille plus modeste; d'où l'aspect plus plat de la face.

La taille du bourrelet sus-orbitaire n'est pas classiquement utilisé pour sexer des crânes isolés. Chez les chimpanzés ou les gorilles actuels, le bourrelet sus-orbitaire apparaît fort chez les mâles, comme chez les femelles au sein d'une même population; il est en général un peu plus fort chez les mâles. Sur un crâne isolé, il est très difficile de déterminer le sexe de l'individu à partir de ce seul caractères. En dehors du fait que la position antérieure du foramen magnum n'est pas confirmée, il faut être prudent car celle-ci n'est pas liée exclusivement à la bipédie, elle aurait, pour certains, un lien avec le développement cérébral Parmi les caractères décrits, certains semblent rapprocher plus volontiers la pièce des grands singes : aplatissement du plancher nuchal, systèmes des crêtes postérieures et le spécimen, probablement femelle n'apparaît pas très différent de celui des grands singes actuels, en particulier des gorilles. Si cette hypothèse s'avérait confirmée, cela rendrait la découverte tchadienne encore plus intéressante scientifiquement, car elle commencerait à combler l'immense lacune de l'histoire des grands singes africains entre 12 millions d'années et aujourd'hui.

L'origine de l'homme : une histoire de climat ?

Si on veut comprendre l'histoire de nos origines, on ne peut pas se limiter à l'étude des modifications anatomiques de nos ancêtres potentiels. Ces derniers ont vécu dans un environnement qui s'est transformé au cours des temps géologiques en liaison avec les modifications climatiques, géographiques, tectoniques et autres. Un vieux mythe qui encombre encore certains de nos ouvrages est la naissance de l'homme et de sa bipédie dans un milieu ouvert de savane. Or, les dernières données suggèrent que le milieu dans lequel vivait Orrorin ou ses parents Ardipithecus était plutôt humide. En particulier, dans l'environnement d' Orrorin, les colobes et les impalas dominaient la faune; ces espèces ne vivent pas en milieu ouvert : les colobes sont des animaux très arboricoles et les impalas vivent plutôt dans des fourrés. D'où probablement les adaptations à la vie arboricole encore bien marqués chez eux comme chez les premiers australopithèques.

Une hypothèse séduisante a été proposée par Coppens au début des années 1980 : la fameuse « East Side Story ». Dans cette hypothèse éco-climatico-géographique, le rift jouait un rôle majeur: des grands singes auraient été largement distribués en Afrique au Miocène, puis vers 8 millions d'années, une réactivation de la faille aurait engendré la coupure en deux de cette population ancestrale, l'une à l'Ouest aurait donné les grand singes actuels africains restés inféodés au milieu forestier et l'autre aurait évolué vers l'homme dans un milieu plus sec (mais pas forcément de savane sèche, ni de désert). Toutefois, vers 8 millions d'années, il y a une modification du climat à l'échelle du monde. L'établissement de la calotte polaire arctique a entraîné le mouvement vers le Sud des ceintures climatiques mondiales, affectant ainsi la température de l'eau de océans, la répartition des faunes et leur composition. Les grands singes faisant partie de cette faune n'ont probablement pas échappé à ce grand remaniement. L'événement a été ressenti à l'échelle du globe de l'Amérique à l'Europe en passant par l'Afrique. C'est à cette époque que se met en place le Sahara. Le changement faunique a aussi coïncidé avec l'effondrement du rift et des changements à l'échelle locale ont pu avoir lieu. Si l'hypothèse de l'East Side Story a souvent été caricaturée, elle n'en demeure pas moins valide dans l'état actuel de nos connaissances d'un point de vue chronologique et climatique.

Quel(s) ancêtre(s)

Selon certains auteurs, les hominidés antérieurs à 3,5 millions d'années sont les ancêtres des Australopithèques, eux-mêmes ancêtres des hommes. Les découvertes réalisées récemment dans le Miocène supérieur et le Pliocène suggèrent que la diversité des formes a été plus importante et en fait, il semble bien qu'il y ait eu une lignée mégadonte Australopithèque qui s'est éteinte vers 1,4 Millions d'années avec peut-être certains ardipithèques à sa base et une lignée plus microdonte avec Orrorin, Praeanthropus et les Homo anciens. L'origine de ces lignées est à rechercher au-delà de 6 millions d'années et peut-être jusqu'à 12-13 Millions d'années. Qui sont les ancêtres des grands singes africains modernes ? Des fossiles découverts récemment au Kenya suggèrent que des formes proches des chimpanzés auraient pu être présents dès 12,5 millions d'années dans la Formation de Ngorora, Certains Ardipithèques en seraient-ils les descendants? Une dent fragmentaire de 6 millions d'années trouvée au Kenya semble proche des gorilles et à la même époque ces derniers auraient pu être au Tchad. Quoiqu'il en soit, il apparaît que la dichotomie entre les grands singes africains et l'homme est plus ancienne que ne le suggèrent les données moléculaires et que la découverte de tout jalon sur la lignée des premiers sera un apport essentiel à la compréhension des autres. Mais où se situe l'origine des hominidés ? est-elle donc à l'Est ? ou ailleurs ? Si on en croit l'Abbé Breuil, le berceau est à roulettes. Si on s'en tient aux données actuelles, l'Afrique orientale semble renfermer les plus anciennes traces d'hominidés. Si le matériel tchadien était confirmé dans son statut d'hominidé, l'Afrique centrale tiendrait peut-être le flambeau. Mais finalement, cela n'a pas grande importance lorsqu'on réalise que 3% peut-être du continent africain sont aujourd'hui prospectés. Nos scénarios sont forcément voués à changer. En revanche, on peut affirmer aujourd'hui que des êtres bipèdes très anciens sont connus vers 6 millions d'années en Afrique et qu'ils vivaient dans un milieu plus humide qu'on ne le pense généralement.

 

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