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Petit arrangement entre cellules : une affaire de forces

 

 

 

 

 

 

 

Petit arrangement entre cellules : une affaire de forces

30 mai 2017    RÉSULTATS SCIENTIFIQUES

Comment les cellules régulent-elles leurs contacts pour former des structures variées, tissus et organes dont l’organisation est essentielle à la fonction biologique ? S’arrangent-elles de la même façon si elles sont du même type ou d’un type différent ? L’équipe de Pierre-François Lenne à I’Institut de biologie du développement de Marseille, a étudié comment les molécules d’adhésion et le squelette contractile des cellules déterminent la forme des contacts cellulaires dans un organe complexe, la rétine de la drosophile. Les résultats, publiés le 24 mai 2017 dans la revue eLife, mettent en lumière les rôles mécaniques directs et indirects de molécules d’adhésion et ouvrent la voie à une meilleure compréhension de certaines transformations tissulaires et de l’organisation des organes.

Dans les tissus et les organes, les cellules acquièrent différentes formes et adhèrent les unes aux autres de manière variée en fonction de leur micro-environnement et de leurs propriétés intrinsèques. Ainsi, les neurones ont des formes allongées et filamenteuses caractéristiques, connectées par des interfaces assez réduites, essentielles à l’efficacité de la transmission électrique dans un réseau complexe, tandis que les cellules épithéliales s’assemblent de manière compacte et souvent régulière, agissant comme une barrière physique et chimique avec l’extérieur.
 
Il y a exactement un siècle, dans son ouvrage « On Growth and Form », D’Arcy Thomson a proposé que quelques principes mathématiques et physiques généraux gouvernent la diversité des formes cellulaires, tissulaires et des organismes. Un des principes énoncés est l’existence d’une tension de surface entre cellules, grandeur physique déterminante de la forme des contacts. Nous savons aujourd'hui que la tension mécanique aux contacts cellulaires dépend de deux systèmes biologiques: d’une part, le cytosquelette, réseau actif générant des forces contractiles et d’autre part, les molécules adhésives, qui lient les cellules et les maintiennent en contact.
 
Comment ces deux systèmes régulent la tension mécanique est une question largement débattue. En particulier, quelle est la contribution respective de ces deux systèmes? Comment des cellules présentant des molécules d’adhésion différentes interagissent-elles et s’assemblent-elles?
 
Pour répondre à ces questions, l’équipe de Pierre-François Lenne étudie la rétine de la drosophile. Constituée de multiples facettes, elles-mêmes organisées en motifs cellulaires réguliers, la rétine de la mouche est un système idéal pour tenter de relier les concentrations et distributions des molécules d’adhésion et du cytosquelette aux formes et arrangements cellulaires. À chacune des interfaces entre les cellules cônes et les cellules pigmentaires (contacts homotypiques et hétérotypiques), les chercheurs ont mesuré les tensions en utilisant la nano-dissection laser, un outil capable de rompre localement les forces contractiles et d’adhésion. Les chercheurs ont observé et quantifié la concentration et la distribution des principales molécules d’adhésion dans ce système, la E- et la N-cadhérine, et celles du moteur moléculaire Myosine-II. Cette approche quantitative révèle que les forces contractiles dépendant de la Myosine-II contribuent largement à la tension, de 2 à 5 fois plus que l'adhésion. Cependant, les molécules d’adhésion, en particulier la N-cadhérine, ont un rôle indirect sur la forme, en régulant la localisation de la Myosine-II aux contacts cellulaires. Aux contacts hétérotypiques entre les cellules cônes (exprimant la E- et la N-cadhérine) et les cellules pigmentaires (n'exprimant que la E-cadhérine), les molécules de N-cadhérine ne sont pas liées. Cette asymétrie locale augmente la concentration de la Myosine-II, réduisant ainsi la surface de contact entre les cellules de type différent. En incluant ces données quantitatives dans un modèle mécanique, les chercheurs peuvent prédire les formes et arrangements des différentes cellules, dans les cas sauvage et mutants, à partir de la mesure des concentrations moléculaires aux contacts. En combinant mesures mécaniques, perturbations génétiques et modélisation, cette étude établit un lien quantitatif entre adhésion, contractilité et formes cellulaires. Il révèle également un rôle insoupçonné de la N-cadhérine dans la morphogenèse.
 
Ces résultats portent un éclairage nouveau sur de nombreux mécanismes biologiques, impliquant l’expression différenciée de molécules d'adhésion, parmi lesquels on peut citer le « lineage sorting », l’élimination de cellules mal spécifiées ou la transition épithélium-mésenchyme.
 

Figure : Formes et arrangements cellulaires dans la rétine de la drosophile. (A) La rétine est composée de 750 facettes (ommatidia), chacune d’elles comprenant plusieurs cellules aux formes régulières. Comparaison des formes cellulaires entre une ommatidie sauvage et des ommatidies dont l’une ou plusieurs des cellules centrales (marquées par un disque blanc) n’expriment(nt) plus la molécule d’adhésion N-cadhérine. Ces modifications produisent des changements de forme qu’un modèle mécanique simple permet d’expliquer (Prédictions théoriques). (B) Les formes cellulaires sont mécaniquement déterminées par les tensions aux interfaces. Celles-ci résultent de la balance entre la tension corticale produite par l’activité du moteur moléculaire Myosine-II et l’adhésion. (C) La tension est fonction de la nature du contact : elle est plus grande entre cellules qui expriment des molécules différentes (contact hétérotypique) qu’entre cellules qui expriment les mêmes molécules d’adhésion (contacts homotypiques).

© Eunice HoYee Chan, Pruthvi Chavadimane Shivakumar, Pierre-François Lenne. eLife
 
 
En savoir plus
*         Patterned cortical tension mediated by N-cadherin controls cell geometric order in the Drosophila eye.
Eunice H.Y. Chan, Pruthvi C. Shivakumar, Raphaël Clément, Edith Laugier and Pierre-François Lenne.
eLife 2017;6:e22796. http://dx.doi.org/10.7554/eLife.22796
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Pierre-François Lenne

04 91 26 93 65

 

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LES FAMILLES ANIMALES

 

 

 

 

 

 

 

LES FAMILLES ANIMALES

Les discussions sur la famille se restreignent en général à des familles exclusivement humaines. Jusqu'où peut-on étendre la notion de famille sans qu'elle explose ? Une véritable phylogenèse de la famille s'est exprimée chez de multiples espèces animales dans des systèmes d'une très grande diversité. La question des familles animales doit cependant moins servir à illustrer des lieux communs qu'à les mettre en difficulté. Une colonie de fourmi, par exemple, peut-elle être considérée comme une famille monoparentale ?
Dans cette perspective, les familles qui se composent d'agents d'espèces différentes attirent l'attention. Les Gardner, qui ont enseigné un langage symbolique à des chimpanzés en les intégrant à leur famille parlaient de « cross-fostering families» dans lesquelles des membres d'une espèce éduquent les petits d'une autre espèce. Plus répandues qu'on ne l'imagine chez l'animal (y compris en y incluant des humains comme on a pu le voir avec les enfants loups), les familles polyspécifiques constituent plutôt la norme que l'exception chez l'humain. Jusqu'où la famille humaine peut-elle donc ainsi s'étendre et se recomposer avec du non humain et est-elle si différente des principes fondamentaux

Les discussions sur la famille se restreignent souvent à des familles exclusivement humaines. Jusqu'où peut-on étendre la notion de famille sans qu'elle explose ? Une véritable phylogenèse de la famille s'est exprimée chez de multiples espèces animales dans des systèmes d'une très grande diversité. La question des familles animales doit cependant moins servir à illustrer des lieux communs qu'à les mettre en difficulté. Une colonie de fourmi, par exemple, peut-elle être considérée comme une famille monoparentale ? Dans cette perspective, les familles qui se composent d'agents d'espèces différentes attirent l'attention. Les Gardner, qui ont enseigné un langage symbolique à des chimpanzés en les intégrant à leur famille parlaient de « cross-fostering families» dans lesquelles des membres d'une espèce éduquent les petits d'une autre espèce. Plus répandues qu'on ne l'imagine chez l'animal (y compris en y incluant des humains comme on a pu le voir avec les enfants loups), les familles polyspécifiques constituent plutôt la norme que l'exception chez l'humain. Jusqu'où la famille humaine peut-elle donc ainsi s'étendre et se recomposer et est-elle si différente des principes fondamentaux qui régissent les familles animales ? Dans les dessins animés comme ceux de Walt Disney, il n'est pas rare de rencontrer des familles animales, copies conformes de familles américaines WASP idéalisées. Papa, maman, les enfants ; parfois les grand-parents ou les cousins, oncles et tantes. Souvent papa travaille et maman fait la vaisselle. Nul n'y cherchera bien évidemment la moindre vérité éthologique, mais on peut néanmoins se poser la question de savoir si certains animaux vivent dans des associations sociales qu'on pourrait qualifier de « familiale ». Pour éviter de heurter d'emblée les esprits forts qui sont prêts à cracher de l'anthropomorphisme au moindre faux pas, donnons-en une définition de travail préalable : on appellera « famille » un agencement particulier constitué autour d'un ou plusieurs éléments reproducteurs et composée d'individus appartenant à des générations différentes qui vivent ensemble. Indiquons donc tout de suite ce qui va m'intéresser ici ; non point tant de savoir si de telles familles existent chez certains animaux que l'extension possible de la notion de famille animale ce qui n'est pas exactement la même question. C'est moins la notion de famille qui m'intéresse ici que le verbe, encore inexistant qui est composé à partir de lui : Jusqu'où « familie-t-on » ? Jusqu'où peut-on le faire ? Peut-on introduire dans de telles familles des membres d'une autre espèce ou des artefacts ? Des familles à problèmes Si Shakespeare avait appris l'éthologie, c'est-à-dire la science des comportements animaux, il aurait trouvé une inspiration morbide chez les membres d'un certain nombre d'espèces plus ou moins connues du grand public et des psychiatres. La famille, telle que je l'ai grossièrement caractérisée dans l'introduction, tourne autour de la reproduction. Quoiqu'a priori évidente, une telle orientation est loin d'aller de soi, en particulier parce que les conditions de cette reproduction sont d'une diversité à laquelle nous ne sommes pas suffisamment accoutumée. On pense en général que cette reproduction s'effectue en effet naturellement autour d'un (ou plusieurs) couple reproducteur – en particulier un mâle et une femelle. Cette dichotomie elle-même est plus que problématique, et ces difficultés auront une importance au cours de ma discussion comme on s'en rendra vite compte. Sans rechercher la moindre exhaustivité, je veux indiquer trois problèmes : celui de savoir pourquoi il existe des mâles et des femelles, c'est-à-dire tout bonnement une sexualité ; comment on peut caractériser une femelle et enfin comment on pourrait aborder la question du genre de façon intéressante. · On peut légitimement se demander pourquoi il existe des mâles et des femelles. Evoquer mâles et femelles est d'ailleurs déjà une façon de parler un peu contestable ; à ce stade, il faudrait plutôt parler d'individus sexués et compatibles. Certains organismes ont d'ailleurs des relations sexuelles avec eux-mêmes – et ils n'ont pas disparu à tout jamais de la surface de la planète par ailleurs. Certains se portent même plutôt bien. La paramécie, qui n'est pas vraiment considérée comme une espèce en voie de disparition, recycle ses gènes à l'intérieur de son propre corps ; elle teste ainsi de nouvelles combinaisons génétiques – sans qu'aucune sexualité ne soit jamais requise en préalable. Evoquer la variation génétique pour expliquer la sexualité n'est pas aussi convaincant qu'on le dit souvent. Les individus de certaines espèces peuvent d'ailleurs échanger des gènes sans être sexués pour autant. Par ailleurs, quelques espèces le sont sans que ce que nous considérons comme étant les caractéristiques classiques du féminin et du masculin n'apparaissent clairement. Chez certaines algues, chez les bactéries ou chez les champignons, la taille des gamètes masculines est par exemple comparable à celle des gamètes féminines. · Il n'est pas très facile de déterminer la femelle. C'est la fertilisation interne qui constitue vraiment une spécificité de la femelle quand elle existe. Mais même quand le zoologue peut distinguer des mâles et des femelles, ce n'est pas toujours le cas. Poissons et grenouilles mâles se contentent ainsi de jeter un nuage de sperme sur les oeufs déposés. La fécondation interne introduit une contrainte forte supplémentaire qui conduit à une responsabilité inédite en ce sens que la femelle garde l'accès aux oeufs. Le rapport potentiel de cette femelle à ses petits est déjà très différent de celui que pourra jamais avoir le mâle. Chez de nombreuses espèces, être femelle n'est pas un statut qui est donné une fois pour toute. Au sein de plusieurs d'entre elles, la distinction en mâles et femelles ne signifie pas pour autant qu'un même individu restera toute sa vie mâle ou femelle. Il peut fusionner avec l'autre sexe jusqu'à constituer une créature sexuée quasi-asexuée. C'est le cas du poisson-grenouille mâle qui commence comme un jeune poisson de surface, en tout point semblable aux autres. Sa croissance le conduit cependant à se cramponner de façon permanente à une femelle qu'il rencontre – jusqu'à littéralement devenir une partie de cette dernière puisque les systèmes circulatoires de l'un et de l'autre finissent par fusionner et que le mâle devient totalement dépendant de la femelle. « Lisant » les messages hormonaux du sang de cette dernière, il lâche son nuage de sperme au moment ad hoc. Le mâle est ainsi devenu une pure fonctionnalité pour la femelle. · Le genre comme position dans un dispositif topologique. L'individu peut aussi revêtir simultanément les deux sexes, en endosser la spécificité de l'un un jour et de l'autre un autre jour (c'est par exemple le cas des crevettes Pandalus.), ou changer de sexe à un moment ou à un autre de sa vie, en fonction de sa propre histoire personnelle ou des circonstances auxquelles il aura été confronté. Les Labroides dimidiatus, qui sont des poissons nettoyeurs de la Grande Barrière Australienne, entrent dans cette catégorie. Dans chaque ‘station', un mâle domine une demi-douzaine de femelles. Il peut copuler une fois par jour avec chacune. Le mâle disparu, ce n'est pourtant pas un mâle voisin qui profite de l'aubaine et s'approprie le ‘harem' ainsi délaissée, mais la femelle la plus âgée qui se transforme en mâle et ‘honore' chaque jour avec virilité chacune de ses ex-consoeurs. A noter que la situation inverse existe également chez les poissons-clowns, Amphiprion, dont les mâles (qui s'occupent d'ailleurs des petits) se transforment en femelles quand la femelle dominante disparaît. Le changement de sexe présente un avantage économique certain sur l'hermaphrodisme simultané car il est coûteux de maintenir deux systèmes sexuels à la fois. Les mites du genre Pyemote font même plus étranges encore puisqu'elles ont la particularité de naître adultes. Le sexe est déterminé chez ces animaux par l'ordre de naissance. Les premiers qui arrivent deviennent des mâles qui s'empressent immédiatement de jouer les obstétriciens en insérant leurs jambes, comme des pinces, dans leurs mères pour tirer leurs soeurs... et s'empresser de copuler avec elle. Un mâle peut ainsi systématiquement renouveler cet inceste avec ses 20 soeurs. Il y a mieux. Ou pire. Chez une autre mite (Adactylium spp.), fils et filles, pour émerger, doivent commencer par manger leur mère de l'intérieur, et frères et soeurs commencent même à copuler lorsqu'ils sont encore dans la matrice de leur mère. C'est donc dans leur grand-mère même que certains de ces petits seront conçus ! On dira sans doute que chez ces créatures pour le moins primitives nous ne sommes pas encore dans le cirque familial. En vérité, qu'en savons-nous vraiment ? La famille comme topologie complexe et dynamique des sexes et des âges Les familles animales se déclinent selon une étonnante diversité. A une extrémité du spectre des possibles, on trouve par exemple les colonies de certaines espèces de fourmis. Toutes les fourmis y sont biologiquement liées entre elles puisqu'elles sont toutes les filles de la même mère (la reine) même si rares sont celles qui sont d'un même père, et tous les mâles, qui sont sans pères, sont les fils des ouvrières du nid. Les colonies polygynes (à plusieurs reines) sont plus complexes puisque des fourmis coexistant dans le même nid peuvent avoir des pères et des mères différentes. Toutes les colonies sont cependant des organisations familiales dans un sens assez classique – celui qui mêle structure sociale et structure génétique. Il est en effet audacieux de considérer que les sociétés humaines sont les seules qui soient structurées par des règles de parenté élaborées. Sur ce point, Robin Fox estimait en 1978 et à propos des primates non-humains, qu'aucune espèce ne possède des « systèmes de parenté » qui comportent les éléments des systèmes humains de parenté, combinés de la façon qui est propre à l'humain. La parenté n'est pourtant pas seulement une affaire de catégorie. R.Fox défendait une thèse précise : il suggérait que les deux piliers sur lesquels reposent les structures de parenté chez l'humain, la filiation et l'alliance, sont présents chez les singes, mais ne coexistent jamais dans le système d'une même espèce. Par conséquent, le caractère unique du système humain ne repose pas sur l'invention d'une nouveauté, mais plutôt sur la combinaison de ces deux éléments de façon à ce que le mode de filiation lui-même détermine le type d'attribution des partenaires reproducteurs, c'est-à-dire l'exogamie. Fox évoquait en particulier des études sur des macaques japonais (Macaca fuscata) et rhésus (Macaca mulatta) qui montraient que dans de nombreuses circonstances sociales, les membres d'un lignage matrilinéaire n'agissent pas entre eux comme ils le font à l'égard des non-membres. On sait aujourd'hui que le système social de quelques autres espèces que l'humain repose aussi sur la filiation et l'alliance, comme chez les chimpanzés. Fox posait néanmoins ainsi la question fondamentale de la famille : quels types d'associations permet-elle donc autour de la reproduction ? Avec qui ou avec quoi fournit-elle la possibilité d'associer qui ou quoi ? La notion même de famille fait appel à une topologie des sexes et des âges qui s'organise autour du renouvellement des membres du groupe. Elle apparaît comme un noeud fondamental par lequel s'agencent le biologique et le social autour de la reproduction de l'espèce. Ce mélange constant des affiliations et des apparentements, des filiations et des alliances qu'on observe chez de nombreuses espèces rend extrêmement difficile de penser la famille. Comme dans toute topologie, nous devons définir une proximité. Ce fut sans doute l'une des intuitions majeures de la sociobiologie qui en restreignit cependant considérablement la porté en en faisant une caractéristique purement génétique. Le philosophe canadien Michael Ruse a justement décrit le darwinisme comme une histoire de famille. Non seulement nous sommes tous cousins, mais nous sommes tous des cousins de cousins. Une telle idée doit être prise à deux niveaux. Nous n'avons pas seulement tous un ancêtre commun mais nos modes de vie sont fondamentalement familiaux. Tout être vivant est avant tout une excroissance de sa propre famille – pour le meilleur et pour le pire. Il me semble néanmoins important de la concevoir non seulement dans le contexte d'une parenté biologique mais aussi dans celui d'une parenté plus élective, qu'on pourrait appeler sociale si on veut, mais qui est certainement aussi beaucoup plus. Si on ne choisit jamais ses parents ni sa progéniture, on choisit fréquemment son conjoint. Enfin, il m'apparaît essentiel d'étendre l'espace de la famille de façon radicale. C'est précisément ce dont je veux parler dans cette conférence. Portrait d'une famille « typique » : les dauphins La structure familiale d'une espèce dépend de multiples facteurs et on peut en observer une très grande variabilité en fonction des espèces. J'ai évoqué les fourmis ; à une autre extrémité du spectre, il me semble intéressant de décrire une famille « typique » chez les mammifères, et se rendre compte que même là, de tels agencements sont plus problématiques que ce à quoi on aurait pu initialement s'attendre. On pourrait évoquer les « familles » chez les loups, les éléphants, les suricates ou les primates mais j'ai choisi l'exemple des dauphins. Chez ces mammifères marins, certaines structures sociales semblent se rapprocher beaucoup de celles des structures familiales humaines . A Sarasota, chez les dauphins Tursiops truncatus (ceux comme Flipper qui ont un nez en forme de bouteille) la famille constitue un agencement a priori très soudée. Cet agencement s'inscrit lui-même dans des associations sociales plus larges. Le taux d'émigration est très faible chez ces animaux puisqu'il concerne seulement deux à trois pour cent des animaux du groupe. Sur vingt-deux veaux femelles et seize veaux (c'est le terme consacré pour parler des petits des dauphins) mâles nés et élevés par leur mères à Sarasota, et qui ont survécu à la séparation avec la mère, tous sont restés dans la communauté. Huit de ces femelles ont donné naissance à des petits dans la communauté. Ces petits représentent la quatrième génération d'un lignage maternel observé à Sarasota par les cétologues. Les dauphins ne sont d'ailleurs pas les seuls à avoir adopté une organisation de ce style. On retrouve par exemple une telle philopatrie chez les orques (Orcinus orca). Chez les populations résidentes du Pacifique Nord Est (environ 289 individus en 1998), aucun individu de sexe mâle n'a quitté le groupe en vingt et un ans et aucune immigration n'a par ailleurs été enregistrée. Un aspect particulièrement intéressant de ces groupes de mammifères marins s'exprime dans des agencements familiaux très particuliers autour d'une solidarité très forte qui lie les femelles les unes aux autres. Cette solidarité des femelles à l'intérieur de la solidarité du groupe est suscitée par la nécessité dans laquelle elles se trouvent de se défendre contre les agressions, celles des prédateurs comme le requin (qui est, rappelons-le, la première cause de mortalité chez les dauphins après l'homme) mais aussi contre celle des mâles qui les harcèlent sexuellement. A Shark Bay, en Australie Occidentale la plupart des femelles appartiennent à des bandes de femelles. Les femelles solitaires restent rares car un tel choix est finalement très coûteux : la probabilité qu'un petit atteigne son développement adulte est plus forte s'il est élevé par une mère en bande que par une mère solitaire. En revanche, les femelles ne se lient pas pour défendre des ressources et les partager mais seulement pour se protéger et protéger leurs petits. Cette solidarité est familiale parce qu'elle inclut des générations différentes. Outre les mères et leurs petits, celles des orques et des globicéphales, par exemple, incluent des femelles post-reproductives, qui vivent plus de vingt ans après la naissance de leur dernier petit, et qui jouent un rôle de véritables grand-mères sociales dont la présence est plutôt rare chez les mammifères. Des données physiologiques et démographiques indiquent de façon non équivoque une ménopause . Quel est donc le rôle de ces femelles particulières ? La fonction de la ménopause elle-même est mal connue. Plusieurs explications adaptatives ont été proposées pour l'expliquer, sans qu'aucune ne soit réellement satisfaisante. L'hypothèse de l'arrêt précoce de la fécondité suggère que les femelles qui s'engagent dans un investissement maternel extensif peuvent avoir de plus grands succès reproductifs en cessant de se reproduire et en élevant de façon efficace leur dernier petit et les petits de leur propre progéniture. Ce qui sera connue sous le nom ‘d'hypothèse de la grand-mère' est proposée en 1998. Elle suggère qu'une longue vie post-ménopausale favorise l'extension du partage de nourriture entre mères et petits et permet à de plus vieilles femelles d'accroître la fertilité de leurs filles en investissant directement dans des grand enfants et d'autres membres proches de la ‘famille '. La famille comme espace d'agencements multiples et affinités électives En partant de cet exemple des mammifères marins, on comprend que la famille animale constitue une organisation sociale particulière à l'intérieur du groupe et qu'elle s'organisent autour de trois caractéristiques centrales qu'on va retrouver chez d'autres espèces de mammifères : la famille est une organisation parmi d'autres au sein du groupe, elle suscite des attachements affectifs très forts et elle fonctionne en partie comme une PME inter-générationnelle pour l'élevage et la protection des petits. · La famille est une organisation sociale parmi d'autres dans les sociétés animales. La société des femelles éléphants est complexe et en est un exemple particulièrement frappant. Elle consiste en relations qui partent du lien mère/petit et s'étendent à travers des unités familiales, des liens de groupe et des clans. Dans l'éléphant, l'unité sociale de base est composée d'une ou de plusieurs femelles adultes qui sont liées entre elles et leur petit immature. Cette unité sociale peut comprendre de un à trente individus. Ian Douglas-Hamilton note que des relations privilégiées lient certaines familles avec d'autres. Cynthia Moss montre qu'elles ne sont pas forcément apparentées. La notion de clan y a une utilité incontestable. · Des attachements affectifs très forts. Chez les espèces cognitivement les plus complexes, ce qui frappe est que la famille apparaît aussi comme un espace où se produisent des attachements d'une singulière force. L'attachement de certains animaux vis-à-vis de certains apparentés est littéralement étonnant. Les rapports mère/enfant sont particulièrement frappants de ce point de vue, comme les partages entre mères et enfants chez les chimpanzés ont été décrits pour la première fois par Jane Lawick-Goodall (1968) à Gombe. A propos des éléphants africains, Cynthia Moss a décrit l'attachement exceptionnel d'une mère pour son petit qui était né handicapé. Le lien mère/enfant n'est pas le seul à pouvoir être aussi fort. Il est intéressant de signaler à cet égard que des « lunes de miel » ont été observées entre chimpanzés mâles et chimpanzés femelles qui s'éloignent du groupe. Les données obtenues à Gombe laissent penser que les petits sont conçus pendant ces lunes de miel. Ce « romantisme » est très utile. Le père qui y trouve un avantage en s'assurant de la paternité qui en résulte . La mère craint moins la violence subséquente du mâle vis-à-vis de son petit. · La famille constitue une PME pour l'élevage et la protection des petits. Cette caractéristique qu'on a vu chez les dauphins, les chimpanzés et les éléphants se retrouvent chez de nombreuses autres espèces. Chez les coyotes de Grand Teton National Park, près de Jackson, dans le Wyoming, des coyotes aident les parents sans l'être eux-mêmes, et peuvent prendre soin des petits en défendant des territoires ou des sites de terrier ou en faisant du baby-sitting quand les parents sont partis chasser. On sait que ces aides, qui ont initialement été décrits par Alexander Skutch à propos des oiseaux, accroissent considérablement la survie de la progéniture, au moins dans leur enfance, et pas seulement chez les coyotes, mais également chez les nombreuses espèces où existe de telles associations. Dans ces agencements sociaux le mâle a souvent une position qui est très différente de celle de la femelle. Il convient cependant de rester prudent et de réaliser que tout peut changer d'une espèce à une autre. Pour revenir un peu aux primates, leur potentiel paternel est très limité, sauf chez les callitrichidés sud-américains chez qui les mâles participent aux tâches « familiales » . En règle générale, parler d'une division des tâches serait pourtant audacieux, même s'il existe souvent une complémentarité des activités. La famille comme espace dangereux Tout n'est pourtant pas rose dans la vie familiale de l'animal. J'ai évoqué la protection des petits. La situation est loin d'être simple de ce point de vue. La famille n'est pas seulement un lieu au sein duquel se multiplient affinités électives et agencements surdéterminés, mais aussi comme un espace d'évitement et d'élimination. La famille est souvent un espace dans lequel s'exprime une très grande violence entre membres d'une même fratrie et entre ceux de générations différentes. · Fratricide. Comme chez les dramaturges classiques, la famille peut être le théâtre de passions extrêmes. Racine aurait adoré les hyènes tachetées qui conçoivent habituellement des jumeaux très particuliers. Chaque bébé naît en effet avec des dents de devant pleinement fonctionnelles, longues et perforantes. Ses yeux sont ouverts, son cou et ses mâchoires très puissants. Les jumeaux qui cherchent d'emblée à mordre se tuent entre eux dans un fratricide routinier. Les attaques peuvent commencer avant même la sortie du sac amniotique. C'est parfois le cadet qui gagne, mais c'est le plus souvent le plus faible qui meurt, ayant été incapable d'avoir accès au lait de la mère. Dans la réserve de chasse Mara des Masaï, ¼ des bébés hyènes sont tués par leur frère jumeau. Toutes les rivalités entre des frères n'impliquent cependant pas des rivalités dures. Les hyènes sont particulièrement sordides, mais les conflits fratricides sont assez communs chez d'autres espèces aussi. Chez les rouge-gorges américains, des petits se positionnent eux-mêmes mieux que leurs frères pour avoir plus de nourriture de leurs parents et ils peuvent se battre à mort. Ce qui arrive aussi chez les aigles noirs, les égrettes de bétail, les grands hérons bleus et quelques autres. · Infanticide. Tuer des petits est un comportement très répandu chez de nombreuses espèces. Observé d'abord dans les années 1960, il passe alors pour un comportement anormal. Il fut d'abord suggéré que les humains qui interagissaient avec ces animaux étaient responsables de ces infanticides. La réalité est plus sordide. L'infanticide est un comportement routinier chez de nombreuses espèces de poissons, d'oiseaux et d'insectes. Pourquoi ? L'enfant devient nourriture et sa mort accélère la disponibilité sexuelle de la mère (une mère allaitante est inféconde). A Serengiti, ¼ des enfants lions sont ainsi sacrifiés par des mâles. Dian Fossey découvrit un jour le cadavre d'un bébé gorille, Godi. C'était la première trace d'infanticide qui fut repérée à Visoke. En 1989, sur 50 enfants gorilles morts, 38 % avaient moins de trois ans et 37 % au moins l'avaient été au cours d'un infanticide. On considère aujourd'hui qu'une femelle gorille a un de ses enfants tué au moins une fois dans sa vie. La majorité des enfants qui ne sont pas protégés par un silverback, par un grand mâle dominant, finissent par être tués. La femelle dont le bébé a été tué rejoint en général la troupe de son meurtrier et a un enfant avec lui. Le mâle tueur est toujours étranger à la troupe à laquelle appartient alors la mère. · Inceste. L'interdit de l'inceste existe-t-il chez l'animal ? On ne connaît quasiment aucune espèce animale qui pratique l'inceste et des accouplements consanguins réguliers dans des conditions naturelles (Bischof, 1978). Il ne s'agit pas pour autant d'interdits stricto sensu, mais plutôt de mécanismes d'évitement. Dans les sociétés polygynes, les adolescentes sont séparées de leur père à la suite de leur enlèvement par de jeunes mâles. C'est ce qui se passe par exemple chez les zèbres. Chez les babouins Hamadryas, les femelles sont mêmes kidnappées par des mâles non apparentés dès leur enfance. Dans d'autres cas, on peut sans doute parler de « castration psychologique », au cours duquel l'intérêt sexuel disparaît complètement et s'accompagne parfois de transformations somatiques correspondantes. En règle générale, l'inceste apparaît peu fréquent chez l'animal sauf chez les animaux à taux de reproduction élevé (en particulier certains parasites surtout des acariens et des vers), chez les animaux domestiques, et chez les animaux de zoo. J'ai dit que la question qui m'intéressait ici était celle des extensions de la famille. Où commence une famille et où s'arrête-t-elle ? A partir de quand commence-t-on à « familier » et au-delà de quelle limite ne « familie »-t-on plus ? Il me semble prématuré de m'engager sur la voie d'une théorie générale de la famille. La mise en place d'organisations sociales particulières (de protection et d'élimination) autour de la reproduction de l'espèce me semble être une caractérisation fonctionnelle de la famille et sa pratique se retrouve chez un très grande nombre d'espèces – ceux chez qui se perçoit précisément au moins les prémisses d'une vie familiale. On peut aller plus loin pour comprendre les nouveaux visages de la vie de famille de l'animal – car celle-ci se transforme bien évidemment aussi vite (ou presque) que la vie de famille humaine. Deux caractéristiques me semblent particulièrement importantes pour comprendre ce que pourrait signifier ce « familier » que j'invente pour l'occasion: l' identité partagée, d'une part, et les extensions matérielles de la famille, d'autre part. Identité partagée Au sein de ce complexe d'affinités et d'évitements qu'est l'espace familial, on peut considérer que se constitue une identité partagée plutôt qu'une association d'individus plus ou moins autonomes. Font partie de la famille ceux qui entrent dans le cercle de l'identité de ceux qui y participent. Nous adoptons trop souvent une définition psychologique de l'identité qui n'est pas toujours la plus fructueuse. Chaque membre de la famille n'est-il pas être un membre de soi et certains ne sont-ils pas plus membres de soi que d'autres ? Quand un individu ne peut plus vivre et se laisse mourir à la disparition d'un proche, on peut justement se poser la question. Quand les deux membres d'un couple ne se quittent plus, comme on le voit chez certains oiseaux, on peut aussi s'interroger sur l'individuation de chacun d'eux : n'est-ce pas le couple lui-même qui constitue alors l'individualité pertinente à prendre en compte ? · Etre lié jusqu'à la mort. Les associations familiales de l'animal ne sont pas seulement fonctionnelles ; elles sont souvent très émotionnelles chez les mammifères et même aller jusqu'à la mort, ce qui en constitue l'une des manifestations les plus spectaculaires. Jane Goodall a ainsi observé Flint, un jeune chimpanzé qui s'est mis à part de son groupe, a cessé de se nourrir et est mort d'un arrêt cardiaque après que sa mère, Flo, soit morte. Flint est devenue de plus en plus léthargique, a refusé la nourriture et avec son système immunitaire affaibli, s'est senti malade. Flint est resté pendant plusieurs heures près de Flo, a lutté un peu plus, s'est roulé en boule et n'a plus jamais bougé. On estime qu'entre 50 % et 70 % d'enfants gorilles orphelins captifs vont probablement mourir. La mort ne rompt d'ailleurs pas toujours le lien. Joyce Poole a également décrit très précisément comment des éléphants montrent des comportements d'attachement très forts vis-à-vis des ossements de leurs proches. · Monogamie. La prétendue monogamie de nombreux oiseaux – plus de 90 % espèces sont supposées l'être – peut être comprise comme une extension de leur identité. Des oies qui sont faiblement liées ne produisent pas autant de petits que des oies qui sont fortement liées. Chez les mouettes, les mâles et les femelle qui se retrouvent d'une année sur l'autre ont un taux de reproduction plus élevé…L'amour « romantique » peut également être inféré de la tristesse profonde que les individus montrent quand leur partenaire sexuel disparaît ou meurt. Certaines oies mâles ne copulent plus après la disparition de leur partenaire sexuel. Elles agissent comme si elles ne pouvaient surmonter cette épreuve. Des familles aussi fusionnelles que celles qui viennent d'être décrites paraissent symbiotiques par essence. J'ai déjà dit que la famille était un noeud entre le biologique, le psychologique et le social. Se pourrait-il qu'elle mime comportementalement des symbioses plus franchement biologiques ? Ces questions conduisent naturellement à se demander ce qui distinguerait vraiment la famille de formes plus biologiques de symbioses. Un élément de réponse se trouve dans la façon dont les divers éléments des agencements en cause sont liés les uns aux autres. La symbiose peut être caractérisée comme une relation rigide, dont les agencements constitutifs s'expriment toujours de la même façon, autour de la stabilité de l'espèce. La famille est plutôt constituée d'agencements en équilibre constant. La famille est une fragilité qui se constitue autour de la reproduction de l'individu. La symbiose est un verrou, alors que la famille est une serrure. La symbiose est appelée à rester fermée alors que la famille tend constamment à s'ouvrir. Pourquoi n'éclate-t-elle donc pas constamment ? Parce qu'elle s'inscrit dans une matérialité qui la lie et qui est constamment sous-estimée. Extensions matérielles de la famille Comme nous restons avec une conception très « walt disneyenne » de la famille, nous négligeons ce qui pourrait constituer des extensions matérielles de la famille. Sans doute à tort. Le nid fait-il partie de la famille de l'oiseau ? Le terrier fait-il partie de celle du renard ? Le territoire fait-il partie de celle du loup ? Qu'il faille peut être prendre le nid de l'oiseau comme extension matérielle de la famille est une idée qui m'est venue à la suite d'une observation de Bernd Heinrich (1999) qui était arrivé à la conclusion que c'était l'état du nid du corbeau plutôt que la condition de la femelle qui conduisait à l'accouplement. Le nid joue donc un rôle majeur dans un comportement qui n'engage a priori que le mâle et la femelle. A la suite de cette prise de conscience, d'autres comportements, abondamment commentés mais toujours très étonnants, ont pu prendre une signification éclairante. Les oiseaux à berceaux de Nouvelle-Guinée qui font des nids remarquables pour attirer les femelles, font plutôt ces nids comme faisant déjà partie de la famille qu'ils veulent constituer avec la femelle. Plutôt que de choisir une habitation à son goût, la femelle choisirait alors une famille à sa convenance, chacune ayant des caractéristiques matérielle qui lui sont propres. Ces comportements sont d'ailleurs non seulement génétiquement déterminés mais de surcroît culturellement acquis, comme le dialecte des oiseaux. Durant une longue adolescence, les oiseaux à berceau de plusieurs espèces prennent beaucoup de temps à observer des adultes qui construisent des berceaux. Leurs premières constructions sont très rudimentaires. Ce n'est qu'avec l'entraînement qu'ils deviennent plus experts en construisant et en décorant leurs berceaux . Le nid fait vraiment partie de la famille. De la même façon, le territoire du coyotte fait partie de la famille. Un mâle observé par Marc Bekoff, Bernie, est resté pendant trois ans dans sa meute pour aider à élever des petits. Bernie ne pouvait pas se reproduire quand son père était présent et aider tenait lieu de substitut à la reproduction. Quand son père a quitté la meute, Bernie a hérité du territoire de la meute, et a copulé avec une femelle qui a rejoint la meute après que la mère de Bernie soit partie. Bernie et sa partenaire ont reçu de l'aide pour l'élevage de ses petits de ceux dont Bernie s'était auparavant occupés quand ils étaient petits . Portrait de l'humain comme ‘pater-familias universel'. La matérialité de la famille et le rôle de l'identité partagée qu'elle suscite et autour de laquelle elle se constitue sont importants parce que ces ingrédients manipulés conduisent parfois à d'étonnantes recompositions familiales. Plus que jamais, les questions de savoir qui fait partie de la famille et où passent les frontières de la famille acquièrent une actualité d'autant plus troublantes que ces frontières s'avèrent très largement manipulables. La question de l'extension de la famille de l'animal s'avère particulièrement intéressante quand l'humain entre en jeu. Les expériences sur les « singes parlants » qui ont commencé vraiment aux USA dans les années 1960 ont poussé très loin ces pratiques en conceptualisant l'idée initialement exprimée par les Gardner de la « cross-fostering family » - la famille dans laquelle les membres d'une espèce élèvent les petits d'une autre espèce. Dans ces situations qui sont propres aux cultures occidentales, les humains élèvent vraiment les petits d'autres espèces, puisqu'il ne s'agit pas seulement de les aider à vivre mais également leur permettre de pénétrer dans le monde du symbolique à travers la maîtrise d'un authentique langage. La véritable « vie de famille » que constituent ces communautés hybrides homme/animal de partage de sens, d'intérêts et d'affects ne surgit pas de nulle part . Elle s'inscrit au contraire dans une tendance très profonde de l'histoire du vivant qui a cependant été très largement négligé par les historiens de la culture. La domestication peut être vue, fondamentalement, comme une manipulation très efficace des familles animales par l'humain et l'animal de compagnie est sur-domestiqué. L'historien James Serpell en défend la pratique contre ses détracteurs qui trivialisent ou dénigrent les relations affectives qu'hommes et animaux peuvent entretenir dans notre culture. Ces sarcasmes, il est vrai, profitent d'un terrain mal connu et peu fréquenté. Pourquoi les pratiques de l'animal de compagnie ont-elles reçu si peu d'attention en sciences sociales ? Aux USA, par exemple, il y a autant de chats et de chiens que de postes de TV, et les gens tendent à traiter leurs animaux familiers comme s'ils étaient leurs enfants. On a évoqué le parasitisme social à propos de ces relations. Comme les coucous. Il faudrait plutôt dire que l'humain a une propension profonde à jouer un rôle de « parent honoraire » vis-à-vis de nombreuses espèces animales, en s'occupant de petits animaux vis-à-vis desquels ils se sentent investis des mêmes responsabilités que vis-à-vis de leurs petits enfants, et vis-à-vis desquels ils ont un engagement affectif proche. Ces pratiques peuvent même atteindre une intimité parfois étonnante comme dans le cas de ces femmes qui sont décrites par l'ethnologue Jacqueline Millet et qui allaitent au sein des petits animaux qu'elles ont recueillis ou que les hommes du village ont ramenés de leurs chasses en forêts. L'universalité de ces pratiques, qui constituent la norme plutôt que l'exception chez les chasseurs-cueilleurs problématique. L'adoption d'animaux de compagnie n'est pas un phénomène rare chez de nombreux peuples autour du monde. Au 19e siècle, le naturaliste Bates, qui voyage en Amazonie, envoie à Galton une liste de 22 espèces de quadrupèdes dont il a observé l'apprivoisement dans les campements indiens. Les Guyanais nourrissent de nombreux animaux comme leurs propres enfants. Les Caraja du Brésil du sud-est sont pareillement dévoués à leurs enfants et à leurs animaux favoris. Les indiens Kalapalo du Brésil se spécialisent dans l'apprivoisement de l'oiseau avec lesquels ils entretiennent des rapports spéciaux. Les femmes sont les principaux apprivoiseurs d'animaux de compagnie, mais certains hommes, en particulier les chamans, s'y impliquent également avec une virtuosité remarquable. On cite même des cas où des indiens amazoniens traitent leurs animaux familiers ou leur volaille avec plus d'attention que leurs propres enfants. Quant aux Dayacks de Borneo et aux Indiens subarctiques, ils incluent ces animaux dans un système de nomination dans lequel les parents sont appelés d'après l'un de leurs enfants. La représentation occidentale moderne de la famille n'a aucun monopole. Il serait faux de conclure à la facilité des procédures mobilisées à partir de la multiplicité des exemples relevés. Ces agencements homme/animal s'appuient sur des manipulations parfois extrêmement subtiles. Pour ne donner qu'un seul exemple, les Fulani d'Afrique sont connus pour la façon dont ils utilisent leur connaissance des signaux de dominance du bétail et les comportements d'affiliation des animaux qui le composent pour s'introduire eux-mêmes dans les troupeaux comme dominants sociaux et leaders . La domestication pourrait-elle fondamentalement être comprise comme un phénomène d'extension de la sphère familiale au-delà de l'espèce ? Les historiens de la domestication se demandent encore comment l'humain a commencé à domestiquer les premiers animaux et pourquoi une telle pratique est devenue si courante. Je ferais l'hypothèse qu'il faut chercher ce phénomène extraordinaire dans les dérives de la famille. Ces animaux qui sont justement appelés familiers se sont tout simplement introduits dans les familles humaines et ces dernières leur ont donné une place au sein de leurs familles. Le chat de la famille, comme on dit, est d'abord un chat de famille. C'est parce que l'animal est un animal de famille qu'il peut étendre cette dernière à l'humain. Rappelons-nous que deux caractéristiques de la famille animale m'ont semblées particulièrement importantes : l'identité partagée, d'une part, et ses extensions matérielles, d'autre part. Nous les retrouvons totalement dans la domestication. Celle-ci inclut en effet une matérialité qui fait partie de la famille (comme la laisse, la niche ou le panier) et le partage d'identité est ce qui frappe tout observateur extérieur d'un couple homme/animal. « Docteur, nous avons mal au ventre », dit la dame en amenant son chien chez le vétérinaire. On peut certainement sourire de cette confusion des genres, mais on peut surtout se demander s'il n'y a pas là quelque chose de très vrai qui est le fait qu'à force de vivre ensemble, le chien et sa maîtresse ont fini par partager une « identité communiquante ». Je n'ai pas rappelé les bases biologiques de la famille pour rien. Elles me semblent toujours tout aussi importantes pour expliquer pourquoi un animal et un humain peuvent devenir si attachés l'un à l'autre – et pourquoi l'arrivée d'un enfant dans la famille peut être perçue comme une menace ou un concurrent direct par l'animal. Même dans le cas des animaux d'élevage intensif, une telle responsabilité ne laisse pas l'homme insensible, comme l'a très bien montré un film récent de Manuela Frasil. Les humains ne se contentent d'ailleurs pas d'introduire des animaux non humains dans leur propre famille ; ils manipulent de surcroît les familles animales elles-mêmes. Les chiens de berger, comme les patous, qui doivent protéger les moutons contre les loups sont élevés avec les moutons avec lesquels « ils font famille ». Ces chiens se croient moutons et communiquent de façon privilégiée avec les ovins qu'ils doivent garder. Ouverture J'ai suggéré que de nombreux animaux étaient beaucoup plus sensibles à une topologie des procédures qu'à une psychologie sensu stricto – et que les familles animales constituaient des noeuds auxquels l'animal était particulièrement attentif. L'éthologue Konrad Lorenz s'est rendu célèbre à la suite de ses expériences sur l'empreinte. Pour Lorenz, l'oie ou le canard par exemple, sont prêts à reconnaître comme mère le premier mobile qu'ils rencontrent à condition toutefois que cet événement se produise au cours d'une fenêtre temporelle très précise de quelques heures ou moins. Tout le monde a vu ces célèbres images sur lesquelles on voit l'éthologue barbu adopté comme mère par les petits canards ou les petites oies. L'éthologue fait d'ailleurs si bien partie de la famille que l'oiseau devenu pubère cherchera à s'accoupler avec … des éthologues barbus ! Et c'est bien protection, affection et identité que l'animal recherche avec l'humain avec lequel il vit. Les expériences de Lorenz sont assez troublantes, parce qu'elles suggèrent non seulement que n'importe qui peut faire partie de la famille de l'animal, mais que n'importe quoi peut également être adopté de cette façon à condition d'être au bon moment au bon endroit. Les agencements homme/animal, sans être pour autant symétriques, sont néanmoins réversibles. C'est ce que montrent à l'envi les histoires d'enfant-loups, et plus généralement d'enfants humains adoptés par des familles animales. L'écrivain anglais Rudyard Kipling a popularisé la figure de l'enfant-loup avec Mowgli, le héros du « Livre de la Jungle ». Ce n'est pas seulement une belle histoire. L'anthropologue belge Lucienne Strivay a fait une remarquable étude historique des enfants loups . A-t-on jamais observé des enfants-loups vivant dans leur famille exotique ? Pas à ma connaissance. Il existe en revanche un tel témoignage, très intéressant et peu connu, de l'explorateur Jean-Claude Armen, à propos d'un enfant humain qui a été adopté par des gazelles qui constituaient sa famille au Sahara Espagnol. L'un des aspects les plus intéressants de l'enfant-gazelle concernait son « engazellement », c'est-à-dire son appropriation des caractéristiques comportementales des gazelles qui l'avaient recueilli. Le petit d'homme, pour parler comme Kipling, se déplaçait par bonds puissants, flairait constamment autour de lui, cou tendu face au vent, avec un nez constamment agité de petits soubresauts entraînant le troupeau à sa suite ou au contraire se laissant entraîner par le troupeau. Il reniflait en permanence « le flanc des bêtes, des brindilles, des bouts d'épineux, des fleurs, des baies, des dattes tombées, des billes de crottin, des traces d'urine » – et même l'arrière-train des gazelles ! Ce n'est pas tout. Jean-Claude Armen décrit en détail comment l'enfant-gazelle frémissait également « des oreilles et du cuir chevelu au moindre bruit suspect ou insolite, muscles tendus et spasmodiques » - comme une authentique gazelle. Le jeune garçon communiquait de surcroît avec ses compagnes herbivores comme elles, par « souffles, rots, petits cris et surtout signes de tête ou de pattes ». Plus tard, et après de plus longues observations, Armen affine sa perception de la complexité des communications qui liaient l'enfant aux gazelles : coups de talons ou de sabots frappés, torsion de col, coups de tête, remuements rythmés de queue, d'oreilles, de cornes, de poignets ou de doigts. Il se roulait comme elles dans des dépressions argileuses pour se protéger de la chaleur et du soleil. Il coupait même sur une paroi verticale de rocher un chou du désert d'un coup de dents arasées d'herbivore. Enfin, il participait avec les autres gazelles à tous ces signes d'affection qui liaient les animaux les uns aux autres : flairements, échanges de coups de langue rapides, « susurrements ». Et quand tombait le crépuscule, l'enfant s'endormait sous le cou d'une grande gazelle. Même endormi, il se « gazellifiait » d'ailleurs : il frémissait des oreilles malgré un sommeil profond, dressait la tête au moindre bruit insolite, humait les alentours, les paupières mi-closes. Tout ne relevait cependant pas de l'imitation. L'enfant gazelle avait des caractéristiques inconnues de ses compagnes. Il grimpait à quatre « pattes » sur des palmiers-dattiers. Inversement, nombre d'expressions humaines semblaient lui faire totalement défaut. Il ne pleurait pas, il ne riait pas, et il ne se mettait pas en colère… J'ai insisté sur les transformations comportementales et physiologiques de l'enfant qui vivait dans une famille de gazelles. C'est un point qui me semble essentiel. Nous avons souvent tendance à considérer que les « familles » animales sont purement biologiques alors que les familles humaines seraient essentiellement sociales et culturelles. Je pense que les unes et les autres sont à la fois biologiques (toute famille se constitue autour de la reproduction de l'individu, même si on peut constituer des associations très familiales qui n'ont pourtant rien à voir avec la famille) et sociales, et que c'est l'une des raisons qui rendent si difficile toute caractérisation de la famille. L'animal domestique lui-même, celui qui entre dans la famille de l'homme, subit d'importantes transformations biologiques. Une sélection sur de nombreuses générations peut encore accentuer les différences. Les travaux de l'éthologue hongrois Adam Miklosi sur le chien le montrent amplement. Comparant les capacités cognitives du loup et du chien, il met en évidence la capacité de ce dernier à pouvoir communiquer avec l'homme par l'intermédiaire d'échanges visuels et de signes gestuels qui restent hors de porté du premier. Le chien, conclut-il, a été sélectionné pendant des centaines d'années pour devenir un bon interlocuteur de l'homme. J'ai commencé cet exposé en rappelant quelques bizarretés de la reproduction chez l'animal, et la difficulté à trouver une explication satisfaisante à l'apparition de la sexualité et sur les formes étonnantes qu'en prend parfois l'expression chez certaines espèces. Il faut être extrêmement prudent vis-à-vis de ce qu'on pourrait appeler les conditions de la reproduction. Celles-ci sont sans aucun doute biologiques, mais elles sont également et fondamentalement sociales et matérielles même chez l'animal. Les familles hybrides homme/animal sont incontestablement reproductives, à cette différence près, mais somme toute assez secondaire, du point de vue qui m'intéresse, que cette reproduction s'établit peu entre l'homme et l'animal. Je dis peu et non qu'elle ne s'établit jamais, non pas parce que je veux choquer les âmes sensibles ou faire de la provocation, mais parce que l'humain joue souvent un rôle non négligeable dans la reproduction de l'animal – ce qui est normal puisqu'il fait partie de la famille. Dans le contexte des sexualités baroques de l'animalité, l'invention de la famille telle que je l'ai caractérisée apparaît comme une étape significative et le passage par l'humain n'est pas aussi absurde qu'on aurait pu initialement le croire mais en constitue au contraire une extension somme toute assez raisonnable. La famille reconstituée serait plutôt la norme que l'exception, et dans une extension beaucoup plus radicale que ce qu'on était prêt à imaginer a priori. Reste à savoir jusqu'où la famille va pouvoir s'étendre. Un film récent de Steven Spielberg est intéressant de ce point de vue : AI raconte comment une machine intelligente vient s'installer dans une famille humaine sous la forme d'un enfant « parfait ». la vogue des tamagushis nous avaient déjà mis la puce électronique à l'oreille : après l'animal de compagnie, nous sommes prêts à accepter des artefacts dans le cercle familial.

 

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QU'EST-CE QUE LA VIE ?

 

 

 

 

 

 

 

QU'EST-CE QUE LA VIE ?

Longtemps savants et philosophes ont cherché à élucider la nature de la vie. L'idée de vie suggérait l'existence de quelque substance ou de quelque force spéciale. On pensait que la "matière vivante", comme on disait alors, différait de la matière ordinaire par une substance ou une force qui donnait des propriétés particulières. Et pendant des siècles, on a cherché à découvrir cette substance ou cette force vitale. En réalité la vie est un processus, une organisation de la matière. Elle n'existe pas en tant qu'entité indépendante qu'on pourrait caractériser. On peut donc faire l 'étude du processus ou de l'organisation, mais pas de l'idée abstraite de vie. On peut tenter de décrire, on peut tenter de définir ce qu'est un organisme vivant et non-vivant. Mais il n'y a pas de "matière vivante". Il y a de la matière qui compose les êtres vivants et cette matière n'a pas de propriété particulière que n'aurait pas ce qui compose les corps inertes.

Texte de la 1ère conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le1er janvier 2000 par François Jacob

Qu'est-ce que la vie ?

Pour inaugurer dignement l'an 2000, qui ne signifie rien, sinon un salut à la gloire des zéros, on m'a demandé de répondre à la question : Qu'est-ce que la vie ? Cette question me paraît d'autant plus appropriée qu'elle n'a pas de réponse. Depuis qu'il y a des hommes et qui pensent, ils ont dû se poser une telle question. Chacun apprend rapidement qu'il est, tôt ou tard, destiné à mourir. Chacun a vu des animaux ou des humains morts. Chacun sait que la vie est un état éphémère. Chacun voudrait bien savoir en quoi il consiste. Le malheur est qu'il est particulièrement difficile, sinon impossible, de définir la vie. C'est un peu comme le temps. Chacun a une idée intuitive de ce qu'est le temps. Mais quand il faut le définir, on y arrive rarement.
Mais si chacun parle de la vie en relation avec la mort, rares sont ceux qui en parlent en relation avec les choses inanimées, avec les montagnes, les rochers, le sable, l'eau, etc. En effet, en science, la division entre vivant et non vivant est relativement récente. Jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, on étudiait les animaux et les plantes. On comparait leur morphologie. On les classait. On faisait de l'histoire naturelle.
C'est seulement au début du XIXème siècle que plusieurs auteurs, dont Lamarck, s'intéressent aux propriétés des êtres vivants, par opposition aux objets inanimés et utilisent le mot biologie. Il est intéressant de noter que l'avènement de la biologie survient avec celui du romantisme. On commence à parler du vivant au moment du premier suicide de la littérature : celui du jeune Werther.
Longtemps savants et philosophes ont chercher à élucider la nature de la vie. L'idée de vie suggérait l'existence de quelque substance ou de quelque force spéciale. On pensait que la "matière vivante", comme on disait alors, différait de la matière ordinaire par une substance ou une force qui lui donnait des propriétés particulières. Et pendant des siècles, on a cherché à découvrir cette substance ou cette force vitale. En réalité la vie est un processus, une organisation de la matière. Elle n'existe pas en tant qu'entité indépendante qu'on pourrait caractériser. On peut donc faire l'étude du processus ou de l'organisation, mais pas de l'idée abstraite de la vie. On peut tenter de décrire, on peut tenter de définir ce qu'est un organisme vivant. On peut chercher à établir la ligne de démarcation entre vivant et non vivant. Mais il n'y a pas de "matière vivante". Il y a de la matière qui compose les êtres vivants et cette matière n'a pas de propriété particulière que n'aurait pas ce qui compose les corps inertes.
Si le vitalisme a duré si longtemps, si jusqu'au début du XXème siècle, beaucoup de biologistes ont encore invoqué une force mystérieuse pour animer les êtres vivants, c'est que de toute évidence la théorie qu'on leur opposait ne pouvait suffire. Ceux, en effet, qui considéraient que les êtres vivants ne sont pas fondamentalement de nature différente de la matière inanimée, estimaient avec Descartes que tous les organismes - à l'exception peut-être de l'homme - ne sont que des machines. Bien évidemment le modèle de la machine appliqué aux organismes est très insuffisant : on n'a jamais vu de machine s'autoconstruire, s'autorépliquer, ou se procurer toute seule l'énergie dont elle a besoin. Cependant cette idée n'a été finalement abandonnée que récemment.
Le premier et important coup a été porté au vitalisme par les chimistes. Comme les corps vivants et les corps inanimés semblaient être de nature différente, on estimait que les chimistes ne pouvaient fabriquer les constituants du vivant, appelés corps organiques. Mais en 1828, Frederik Wöhler réussit en laboratoire la synthèse d'une substance organique, l'urée, à partir de composants minéraux. C'était la preuve qu'il est possible au laboratoire de convertir les composés inorganiques en une molécule organique.
La fin du XIXème siècle a été pour la biologie une période d'exceptionnelle fécondité. C'est l'époque des grandes théories :
- La théorie des germes avec Pasteur. Les microorganismes avaient été découverts à la fin du XVIIème siècle, grâce à l'invention du microscope. Mais pendant longtemps on n'a su ni qu'en faire ni où les ranger. C'est seulement avec Pasteur que fut mis en évidence le rôle de ces petits êtres vivants dans les maladies de l'homme et des animaux ainsi que dans certaines industries, comme celles du vin et de la bière. En outre, Pasteur démontra que les microbes naissent des microbes et que la génération spontanée n'existe pas.
- La théorie cellulaire avec Schleiden chez les végétaux et Schwann chez les animaux. Tous les organismes sont faits de cellules. La cellule est l'unité du vivant. C'est le plus petit élément ayant toutes les propriétés du vivant. La reproduction se fait par la fécondation, c'est-à-dire la fusion de deux cellules sexuelles : spermatozoïde et ovule. Le développement de l'embryon se fait à partir de l'Suf ainsi formé, par la multiplication des cellules et leur différenciation en cellules spécialisées (musculaires, nerveuses, hépatiques, etc.).
- La théorie de l'évolution avec Darwin. Le monde vivant tel que nous le voyons autour de nous, y compris nous-mêmes les humains, est le résultat de l'histoire de la Terre. Les espèces dérivent les unes des autres par un mécanisme imaginé par Darwin et appelé sélection naturelle. En fin de compte, tous les êtres vivants descendent de un -ou d'un très petit nombre- d'organismes initiaux. Ce qui conduit à poser la question de l'origine de cet organisme, c'est-à-dire l'origine du vivant.
Au début du XXème siècle ce sont développées deux disciplines nouvelles : la biochimie et la génétique. La biochimie cherche à analyser les constituants et les réactions de la cellule. C'est avec elle que l'expérimentation trouve un accès à la chimie du vivant. Elle analyse un nombre considérable de réactions relativement simples. Elle suit les transformations par quoi se constituent les réserves d'énergie et s'élaborent les matériaux de construction.
Quand on analyse les composants de la cellule, on constate que celle-ci est formée de molécules de deux types : des petites molécules et de très grosses molécules. Les petites molécules sont formées par une chaîne de réactions successives. A chaque étape un petit groupe d'atomes est ajouté ou retranché. Chaque réaction est catalysée de manière spécifique par un enzyme particulier.

Les grosses molécules sont fabriquées de manière très différente. Ce sont des polymères formés par la répétition d'une même réaction. A chaque étape est ajouté un même type de petite molécule. Ces polymères peuvent ainsi contenir des centaines, voire des milliers de résidus. Il en existe deux sortes qui jouent chacune un rôle primordial dans la cellule :
- les acides nucléiques sont des polymères de ce que les chimistes appellent des bases puriques et pyrimidiques, présentes au nombre de quatre ; il en existe deux types : l'acide désoxyribonucléique (ADN) qui assure la conservation et la reproduction de l'information cellulaire ; l'acide ribonucléique (ARN) qui sert surtout aux transferts d'information.
- les protéines sont des polymères d'acides aminés dont il existe vingt sortes. Les protéines servent à déterminer les structures de la cellule et à former les enzymes, les catalyseurs des réactions chimiques.
Plus se précisent la composition des êtres vivants et les réactions dont elles sont le siège, moins elles se distinguent de celles réalisées au laboratoire. L'originalité des êtres vivants réside surtout dans les enzymes, dans leur fonction de catalyseurs. C'est grâce à la précision, à l'efficacité et à la spécificité de la catalyse enzymatique que peut se tisser le réseau de toutes les opérations chimiques dans l'espace minuscule de la cellule. Ces activités enzymatiques sont associées à la présence de protéines. Si la chimie des êtres vivants a un secret, c'est dans la nature et les qualités des protéines qu'il faut le chercher.
L'autres domaine nouveau, la génétique est née avec le siècle et a grandi avec lui. Les travaux de Mendel, exécutés et publiés dans les années 1860, n'avaient pas retenu grande attention. Ils sont "redécouverts" au début du siècle par plusieurs biologistes simultanément. Ils conduisent à l'idée que le "caractère", ce qu'on voit, est sous-tendu par une "particule" qu'on ne voit pas, qui est cachée au cSur de la cellule. Cette particule a été appelée "gène". Depuis lors, la génétique a poursuivi une recherche inlassable pour tenter de comprendre ce qu'est un gène, son fonctionnement, ses propriétés. Et plus nous avons appris, plus il est apparu clairement que les gènes se situent au cSur de toute cellule, de tout organisme, que la génétique sous-tend toute la biologie.
Le premier tiers du siècle a été occupé par une recherche de mutations chez divers animaux et végétaux ainsi que par des croisements entre organismes différant par plusieurs mutations. La démonstration qu'un gène donné occupe une position précise, qu'on peut lui assigner une place sur un chromosome particulier, date de 1910. L'arrangement linéaire des gènes sur un chromosome et la première carte génétique avec plusieurs marqueurs furent publiés en 1913.

Tant que les généticiens ont circonscrit leurs recherches à l'étude d'organismes complexes, ils ont surtout repéré des gènes gouvernant des traits de morphologie ou de comportement. Mais à la fin des années 1930 est apparu, chez les généticiens, un intérêt nouveau pour la biochimie. L'analyse génétique a été étendue aux microorganismes. Elle a permis de déceler des gènes déterminant des réactions biochimiques. Il est ainsi devenu possible de disséquer les voies métaboliques, d'établir l'ordre des réactions successives, de montrer que la catalyse de chaque étape, dont la protéine qui sert de catalyseur, est sous la dépendance d'un gène spécifique.
Pendant toute cette période, les gènes apparaissaient comme des "êtres de raison", des structures imaginaires requises pour rendre compte des faits connus. Personne n'en avait jamais vu. On ne pouvait ni les purifier, ni les mettre en bouteille. On les représentait le plus souvent comme d'hypothétiques perles enfilées sur d'hypothétiques fils, correspondant aux chromosomes. Avec les travaux montrant que c'est l'acide désoxyribonucléique, l'ADN, qui est porteur des traits héréditaires chez les bactéries et les virus, le gène jusque-là pure construction mentale, commençait à prendre de l'épaisseur, de la consistance.
Au milieu de ce siècle, survint un changement nouveau dans la manière de considérer les organismes vivants. Cette transformation, qui correspondait à la naissance de la biologie moléculaire, est partie d'une idée que l'expérimentation est venue étayer seulement après coup. L'idée était que les propriétés des êtres vivants doivent nécessairement s'expliquer par la structure et les interactions des molécules qui les composent. Cette conception était due à un groupe de physiciens notamment Bernal, Niels Bohr, Delbrück, Schrödinger pour qui toute explication biologique devait avoir une base moléculaire. Quitte à trouver des lois nouvelles qui, sans échapper à la physique, auraient pu n'être découvertes que chez les êtres vivants. Ce qui, jusqu'à ce jour n'a pas été observé.

C'est en pathologie qu'a été obtenue la première explication moléculaire avec l'étude de l'hémoglobine dans l'anémie falciforme. Mais c'est surtout la connaissance de la structure moléculaire de l'ADN qui devait prouver de façon éclatante le bien-fondé de la manière de voir des physiciens et donner un fondement à la biologie moléculaire. Avec la structure proposée par Watson et Crick venait se résoudre, dans les propriétés d'une molécule, l'une des plus grandes questions posées à l'humanité, l'hérédité.
La biologie moléculaire a tout d'abord centré ses recherches sur les structures les plus simples : bactéries et virus. L'avantage des bactéries, c'est que, à partir d'un individu, on peut, en quelques heures, obtenir une population homogène de quelques milliards d'individus. Et inversement, à partir d'une population de milliards d'individus, on peut isoler un mutant particulier pour peu que l'on sache imaginer un milieu sélectif permettant la multiplication de ce seul mutant. D'où l'intérêt de ces bactéries pour les biochimistes et les généticiens. Après les travaux de Pasteur, on ne s'est intéressé aux microbes que pour leur rôle dans les maladies des hommes et des animaux ou dans l'industrie. Telle était leur importance dans ces domaines que leur étude biologique en fut éclipsée. Au milieu de ce siècle, il devint clair que les bactéries étaient formées des mêmes composés chimiques que tous les organismes vivants. Et aussi que, comme les autres organismes, ils possédaient des gènes localisés sur un chromosome.
Les travaux effectués au milieu de ce siècle démontrèrent ainsi l'unité de structure et de fonction du monde vivant. Et pour l'étude de nombreux problèmes les bactéries apparurent alors comme un matériel particulièrement favorable. Quant aux virus, ils sont si petits qu'on peut les voir, non au microscope optique, mais seulement au microscope électronique. On s'est longtemps demandé si les virus étaient vivants. Aujourd'hui, la réponse est clairement non. Ce ne sont pas des organismes vivants. Placés en suspension dans un milieu de culture, ils ne peuvent ni métaboliser, ni produire ou utiliser de l'énergie, ni croître, ni se multiplier, toutes fonctions communes aux êtres vivants. Les virus sont dépourvus de tout équipement enzymatique. Ils ne peuvent se multiplier qu'au sein d'une cellule où ils ont pénétré par infection, en utilisant à leur profit l'équipement enzymatique de la cellule.
La biologie moléculaire est longtemps restée confinée à l'étude des bactéries et des virus. Les organismes multicellulaires demeuraient hors d'atteinte d'une telle analyse. Leur ADN présentait une complexité qui défiait les possibilités de la génétique moléculaire. Et puis, peu à peu, on a appris à manier cet ADN. On a trouvé le moyen d'en couper les longs filaments en des points choisis, d'en raccorder les fragments, d'en insérer des segments dans un chromosome. Toutes ces manipulations connues sous le nom de génie génétique. Il est ainsi devenu possible de manipuler les énormes quantités d'ADN contenus dans le génome des organismes complexes.

En quelques années, ce fut alors une transformation totale de la manière de considérer et d'étudier les êtres vivants, leur fonctionnement, leur évolution. L'exigence d'explication moléculaire a gagné les branches les plus diverses de la biologie, la biologie cellulaire, la virologie, l'immunologie, la physiologie, la neurobiologie, l'endocrinologie, etc. Dans la période qui a suivi, et dans laquelle nous sommes encore, cette nouvelle manière de voir le monde vivant a apporté, dans la plupart des domaines de la biologie, une extraordinaire moisson de données nouvelles. C'est une période de raffinement et d'exploitation. Un effort technologique sans précédent a permis d'affiner les méthodes en jeu dans l'analyse des macromolécules, acides nucléiques et protéines. Pour un étudiant commençant aujourd'hui et pénétrant pour la première fois dans un laboratoire, il est difficile d'imaginer ce qu'était, il y a encore vingt ou vingt-cinq ans, l'étude des protéines et surtout des acides nucléiques. Aujourd'hui, ce même étudiant apprend en quelques semaines à découper en morceaux le génome de n'importe quel organisme ; à isoler des fragments et purifier des gènes ; à en produire des grammes, à en faire la séquence ; à réassortir avec n'importe quel autre fragment d'ADN n'importe quel gène ou n'importe quelle séquence ; à injecter un gène dans une cellule et même dans le noyau d'un Sufs fécondé. Bref en quelques semaines, il apprend à bricoler en laboratoire, comme un vulgaire moteur de 2 CV, la molécule même de l'hérédité. La stupéfaction a été de constater que les chromosomes, ces structures naguère encore considérées comme pratiquement intangibles, sont en réalité l'objet de remaniements permanents, que la molécule de l'hérédité est raboutée, modifiée, coupée, rallongée, raccourcie, retournée. Bref que notre présence sur cette terre est le résultat d'un immense bricolage cosmique.
Car aujourd'hui, aucun biologiste ne met plus en doute que le monde vivant, tel que nous le voyons autour de nous, est le résultat d'une évolution qui a duré plusieurs milliards d'années. C'est un fait aujourd'hui admis même par l'Église catholique. Rien de ce que l'on a appris depuis 100 ans, et en particulier les résultats de la biologie moléculaire, ne peuvent s'expliquer sans la théorie de l'évolution. Il y a en biologie un grand nombre de généralisation mais fort peu de théories. Parmi celles-ci, la théorie de l'évolution l'emporte de beaucoup en importance sur les autres parce qu'elle rassemble, dans les domaines les plus variés, une masse d'observations qui sans elle resteraient isolées ; parce qu'elle lie entre elles toutes les disciplines qui s'intéressent aux êtres vivants ; parce qu'elle instaure un ordre dans l'extraordinaire variété des organismes et les unit étroitement au reste de la terre ; bref parce qu'elle fournit une explication causale du monde vivant et de son hétérogénéité. Mais si tout le monde biologique admet aujourd'hui le rôle de l'évolution dans la genèse du monde vivant, des désaccords subsistent sur certains aspects des mécanismes en jeu. C'est le propre d'une théorie scientifique d'être discutée dans ses détails et de donner lieu à de nouvelles recherches.
La biologie moléculaire permet d'éclairer plusieurs des questions qui se posent à propos de l'évolution. Ici je voudrais en évoquer seulement deux. La première est la question de savoir si -et comment- les molécules des différents organismes sont différentes. On a longtemps pensé qu'elles étaient entièrement différentes. Et même que c'était la nature de leurs molécules qui donnait aux organismes leurs propriétés et particularités. En d'autres termes que les chèvres avaient des molécules de chèvre et les escargots des molécules d'escargot. Que c'étaient les molécules de chèvre qui donnaient à la chèvre ses particularités.
Peu à peu, à mesure que s'amélioraient les moyens d'analyse des protéines et des gènes, à mesure qu'on étudiait des organismes plus nombreux, on s'est aperçu que certaines molécules, comme l'hémoglobine par exemple, ou les hormones, étaient les mêmes ou presque, chez les organismes très différents. Progressivement, il est ainsi apparu que tous les animaux, tous les êtres vivants sont apparentés à un point naguère encore soupçonnable. Gènes et protéines ne sont plus chacun des objets uniques, des idiosyncrasies propres à une espèce. On retrouve des structures extrêmement voisines d'une espèce à une autre. Mieux, dans une même espèce, on retrouve souvent des structures extrêmement voisines assurant des fonctions très différentes. En outre, on voit souvent des segments de séquence commune insérés parmi des séquences différentes. Gènes et protéines sont pour la plupart des sortes de mosaïques formées par l'assemblage de quelques éléments, de quelques motifs portant chacun un site de reconnaissance. Ces motifs existent en nombre limité, mille ou deux mille. C'est la combinatoire de ces motifs qui donne aux protéines leur infini variété. C'est la combinaison de quelques motifs particuliers qui donne à une protéine ses propriétés spécifiques.

L'élément de base, celui qui est directement impliqué dans la chimie de la cellule, c'est le site de reconnaissance contenu dans un domaine protéique. La reconnaissance moléculaire avait semblé, tout d'abord, limitée à l'interaction entre enzyme et substrat ou entre antigène et anticorps. On lui attribue maintenant le premier rôle dans toute une série de phénomènes : polymérisation des protéines pour former des structures telles que les protéines du muscle, le cytosquelette, les ribosomes, les capsides des virus ; interaction protéine-ADN dans la régulation de l'activité des gènes ; interaction récepteur-ligand dans toute une série de phénomènes, telle la transduction des signaux ou les interactions de cellules, l'adhérence cellulaire, etc. Nombre de sites de reconnaissance moléculaire persistent sans changement à travers toute l'évolution. De sorte qu'on les retrouve à peu près identiques chez les organismes les plus variés.
On voit les changements apportés ainsi dans la manière de considérer l'évolution biochimique. Tant que chaque gène, donc chaque protéine, était regardé comme un objet unique, résultat d'une séquence unique de nucléotides ou d'acides aminés, chacun d'eux ne pouvait se former que par une création nouvelle, de toute évidence hautement improbable. Mais l'existence d'importantes familles de protéines de structures identiques, la formation de protéines en mosaïque formées de motifs retrouvés dans de nombreuses protéines, ce fait surprenant que, au cours de l'évolution, les protéines conservent leurs motifs spécifiques et leurs sites actifs malgré une énorme diversification morphologique, tout cela montre bien que l'évolution procède de manière bien différente de ce qu'on avait cru jusque-là. En fait, l'évolution biochimique paraît fonctionner selon deux principes, concernant l'un la création de molécules nouvelles, l'autre leur sélection.
La part créative de l'évolution biochimique ne se fait pas à partir de rien. Elle consiste à faire du neuf avec du vieux. C'est ce que j'ai appelé le "bricolage moléculaire". Les premiers gènes ont dû se former à partir de courtes séquences de nucléotides, trente ou quarante. Ces segments se sont ensuite agrandis, soit en s'aboutant les uns aux autres, soit en se dédoublant chacun une ou plusieurs fois. On trouve, en effet, dans de nombreux gènes la trace de une, deux, trois ou même plusieurs duplications successives suivies de diversifications plus ou moins importantes. La duplication soit de segments d'ADN, soit de gènes entiers paraît être l'un des grands modes de bricolage moléculaire. C'est par duplications successives que ce sont formées les nombreuses familles de gènes comme ceux des hémoglobines, de nombreux facteurs de régulation ou les gènes de la famille des immunoglobulines qui remplissent des fonctions voisines, reconnaissance d'antigènes, adhérence cellulaire ou guidage des axones.
Second mode de production des gènes : le réassortiment de fragments préexistant pour former des gènes mosaïques. Là intervient aussi l'aspect sélection. Une formidable surprise a été de constater, chez les protéines, la persistance, presque l'intangibilité, au cours de l'évolution, des motifs de reconnaissance spécifiques. Cette stabilité, malgré l'énorme variété des espèces, s'explique par les fortes contraintes pesant sur ces sites de reconnaissance, base de toutes les interactions moléculaires ; donc de toutes les activités chimiques de la cellule. Il est nécessaire de conserver la spécificité des interactions moléculaires. D'où une inertie, à travers l'évolution, des structures en jeu. Cette inertie s'applique au segment d'un gène, un segment codant ou exon, qui détermine ce site de reconnaissance. Elle ne s'applique pas aux segments non codant du gène ou introns. Ni au voisinage, à la nature des segments qui jouxtent l'exon en cause. Introns et segments d'ADN voisins peuvent donc varier librement. D'où le second mode de bricolage moléculaire : le réassortiment de fragments d'ADN, d'exons, pour former des molécules mosaïques.

Une fois encore, c'est donc une combinatoire d'éléments en nombre limité qui produit une énorme variété de structures pour former les principaux constituants cellulaires. L'évolution biochimique ne repose que secondairement sur des mutations comme on l'avait longtemps cru. Elle est due avant tout à la duplication de segments d'ADN et à leur réassortiment. Dans cette évolution existent de véritables points fixes, des îlots formés par les sites de reconnaissance spécifique. Autour des segments d'ADN qui les codent, s'échangent plus ou moins librement, comme une sorte de ballet, d'autres fragments d'ADN. Dans ces conditions, les structures de base, les sites de reconnaissance se retrouvent dans tous les organismes dans des contextes qui peuvent être à chaque fois différents. L'ensemble du monde vivant ressemble ainsi à une sorte de Meccano géant. Les mêmes pièces peuvent être démontées et remontées de façon différente, de manière à produire des formes différentes. Mais à la base, ce sont toujours les mêmes éléments qui sont utilisés.

La structure en mosaïque des gènes et des protéines donne à celles-ci des possibilités d'interactions multiples. La formation de complexes protéiques, parfois très volumineux, accroît encore des possibilités. C'est ainsi que pour réaliser certaines opérations de base de la cellule, comportant des réactions et interactions multiples, des ensembles spécifiques sont mis en Suvre. C'est le cas notamment d'opérations impliquées dans la division de la cellule ou d'interactions cellules-cellules ou de certaines étapes de morphogenèse. Les gènes d'un ensemble qui assure de telles opérations sont liés par les reconnaissances cellulaires qui associent étroitement leurs produits. L'ensemble des gènes qui gouvernent la division de la cellule sont les mêmes chez la levure et chez l'homme. Ils ont conservé leurs fonctions et une bonne part de leurs structures au long d'une évolution qui s'étend sur plus de cinq cent millions d'années. De tels ensembles ont été baptisés "syntagmes" par Antonio Garcia-Bellido. Ils fonctionnent comme des sortes de modules utilisés dans l'architecture de toutes les cellules.
C'est aussi une construction en modules régis par des ensembles de gènes que l'on observe dans le développement embryonnaire de nombreuses espèces. Peut-être même de toutes. Les organismes, insectes notamment, paraissent se développer sous forme de segments répétés, c'est-à-dire de modules multicellulaires. Tout d'abord identiques, ces modules se différencient secondairement de manière spécifique sous l'effet d'ensembles de gènes régulateurs, tels les homéogènes. Le rôle de ces gènes est de modifier les règles qui régissent le développement du module type. Ils définissent ainsi un territoire bien défini et donnent à chaque segment une identité particulière. Chacun de ces territoires, de ces segments est défini par la combinaison de plusieurs homéogènes qui fonctionnent en parallèle dans les mêmes cellules. De la même façon, la différenciation terminale, qui produit les différents types cellulaires observés dans le corps, utilise des ensembles de gènes conservés qui opèrent de concert. Par exemple, pour produire cellules musculaires ou cellules nerveuses chez tous les organismes étudiés, du nématode à l'être humain. Le monde vivant comprend des bactéries et des baleines, des virus et des éléphants, des organismes vivants dans les régions polaires à -20°C. Mais tous ces organismes présentent une remarquable unité de structures et de fonctions. Ce qui distingue un papillon d'un lion ou une poule d'une mouche, c'est moins une différence dans les constituants chimiques que dans l'organisation et la distribution de ces constituants. Parmi les groupes voisins, les vertébrés, par exemple, la chimie est la même. Ce qui rend un vertébré différent d'un autre, c'est plus un changement dans le temps d'expression et dans les quantités relatives des produits des gènes au cours du développement de l'embryon que les petites différences observées dans la structure de ces produits.
Dans la nature, la complexité naît souvent d'une combinatoire : combinatoire de particules pour former les atomes, combinatoires d'atomes pour former les molécules, combinatoire de cellules pour former les organismes. C'est aussi le processus qui sous-tend la formation des gènes et des protéines : combinatoire de fragments ayant chacun une fonction spécifique et qui se réassortissent à l'infini pour jouer des rôles variés. Un petit nombre de ce ces fragments d'ADN suffit ainsi à former un nombre considérable de gènes.
Une surprise a été de découvrir à quel point les molécules sont conservées au cours de l'évolution. Pas seulement les protéines de structure comme les hémoglobines des globules rouges, les actines et les myosines des muscles ou les kératines des cheveux et des ongles. Pas seulement les enzymes comme la pepsine et la trypsine qui interviennent dans la digestion ou les cytochromes qui interviennent dans la respiration. Mais aussi les protéines de régulation qui dirigent par exemple le développement de l'embryon et déterminent la forme de l'animal. Deux exemples suffisent à montrer cette surprenante conservation des molécules. Chez la mouche, qui jouit d'un long passé génétique, ont été mis en évidence les gènes qui assurent, dans l'Suf, la mise en place des axes du futur embryon, puis ceux qui déterminent le destin et la forme de chacun de ces segments. A la stupéfaction générale, ces mêmes gènes ont été retrouvés chez tous les animaux examinés : coup sur coup, grenouille, ver, souris et homme. Qui eut dit, il y a encore quinze ans, que les gènes qui mettent en place le plan d'un être humain sont les mêmes que ceux fonctionnant chez une mouche ou un ver. Il faut admettre que tous les animaux existant aujourd'hui sur cette terre descendent d'un même organisme ayant vécu il y a six cent millions d'années et possédant déjà cette batterie de gènes.
Autre exemple non moins saisissant : les yeux. Il existe, chez les animaux, toute une série d'yeux bâtis sur des principes très différents. Notamment l'Sil à facettes des insectes et l'Sil à cristallin des céphalopodes et des vertébrés. Si différents que puissent être ces deux types d'Sil, ils utilisent pour leur construction, les mêmes gènes bricolés de façon différente pour produire des organes remplissant une même fonction mais d'architectures très différentes. Au cours de ce demi-siècle, on est ainsi allé de surprise en surprise. Au point que dans les quinze dernières années a émergé du monde vivant une vision complètement nouvelle.

Je voudrais discuter ici d'un autre problème, un redoutable problème qui vient en corollaire à la théorie de l'évolution. C'est la question de l'origine du vivant, de l'origine de la vie. D'un côté, Pasteur a montré une bonne fois pour toutes que la génération spontanée n'existe pas. Après lui, il n'y a plus de mouches qui naissent de vieux chiffons. Le vivant vient du vivant. Toute cellule vient d'une cellule. D'autre part, après Darwin, les espèces dérivent les unes des autres. Elles dérivent toutes de un ou d'un très petit nombre d'organismes très simples. D'où la question : comment s'est formé le premier organisme vivant ?
On estime aujourd'hui que la Terre s'est formée il y a quatre milliards et demi d'années. Combien de milliers d'évènements, totalement indépendants dont chacun aurait pu ne pas avoir lieu, ont dû se produire pour que se créent l'univers, notre galaxie, le système solaire et la Terre avec les conditions nécessaires à la vie, conditions qui n'existent pas sur les autres planètes du système solaire : l'eau, la distance au soleil qui permet juste de n'avoir ni trop chaud, ni trop froid. Pour évoquer l'origine de la vie, les biologistes doivent déployer toutes les ressources de leur imagination.
Le vivant semble être apparu assez vite, probablement moins d'un milliard d'années après la formation de la Terre, sous forme de ce qu'on pourrait appeler une "protobactérie". Qui dit vivant dit reproduction. Mais l'appareil de reproduction tel qu'on l'observe aujourd'hui chez l'organisme le plus simple, chez la bactérie la plus modeste se relève déjà d'une redoutable complexité. Car la seule duplication de l'ADN met en jeu un grand nombre de protéines. La synthèse de chacune de celles-ci exige un nombre et une diversité de macromolécules plus considérables encore. Cela pour la seule duplication de l'ADN. Sans parler de toutes les autres fonctions et réactions chimiques qui s'accomplissent au sein de la cellule bactérienne moderne. Il est donc exclu qu'un tel système soit sorti ainsi tout armé de la cuisse de Jupiter. D'où la nécessité d'imaginer des scénarios plus ou moins plausibles dans lesquels se serait progressivement construite une telle complexité.
Selon le scénario actuel, le monde vivant tel que nous le connaissons et que domine l'ADN aurait été précédé par un monde où c'était l'ARN qui l'emportait en fonctionnant aussi bien pour la reproduction que pour la catalyse de certaines réactions. Inutile de dire que la mise en place de ce monde à ARN et le passage à un monde à ADN impliquent un nombre considérable d'étapes toutes plus improbables l'une que l'autre. Il est vraisemblable que l'on pourra préciser certains aspects de ce scénario, affiner certaines des hypothèses. Mais beaucoup de celles-ci ne se prêtent ni à une reconstruction en laboratoire, ni à une vérification expérimentale. En d'autres termes, s'il paraît clair que microbes, champignons, plantes, animaux, humains, bref nous autres vivants, nous descendons tous de quelque protobactérie initiale, nous ne sommes pas près de connaître dans le détail le véritable visage que présentait notre ancêtre commun.

Quand on considère l'origine de la vie, il faut admettre que, en quelque huit ou neuf cent millions d'années, des milliers d'évènements, chacun fortement improbable, se sont succédés pour permettre le passage d'une Terre sans vie à la vie d'un monde à ARN puis à un monde à ADN. De toute évidence, une pareille histoire paraît aux non initiés aussi difficile à accepter que la Création racontée par la Théogonie d'Hésiode, ou par les Upanishads ou par la Bible. Et encore, les récits mythiques semblent-ils bien souvent plus près du sens commun que les discours des biochimistes et des biologistes moléculaires.
Quant à ces derniers, placés devant les difficultés d'un problème qui risque de ne pas recevoir avant longtemps de solution, ils ont recours à trois hypothèses possibles. Les uns, et parmi les plus grands, considèrent l'apparition de la vie sur la Terre comme tellement improbable qu'ils préfèrent, mi par jeu, mi-sérieusement invoquer une sorte de panspermie. Des germes vivants seraient arrivés sur la terre à bord d'un vaisseau spatial envoyé d'une planète lointaine par une civilisation plus évoluée que la nôtre. Ce qui, bien entendu, ne fait que reculer le problème d'un cran. C'est l'opinion la plus rare.
D'autres considèrent que l'apparition du vivant sur la Terre était tellement improbable qu'elle ne s'est sans doute produite qu'une seule fois. Elle résulte d'une suite d'évènements, dont chacun aurait pu ne pas se produire, qu'il aurait aussi bien pu ne jamais y avoir de monde vivant sur la Terre. Les mêmes scientifiques ont également tendance à croire qu'il n'y a probablement pas d'autres habitants, et notamment pas d'autres habitants conscients dans l'univers.

Enfin, une troisième catégorie de scientifiques montre une attitude toute différente. Ils considèrent que toutes les étapes impliquées dans l'avènement d'un monde à ARN, puis dans le passage à un monde à ADN, sont des réactions chimiques ordinaires. Elles ne peuvent donc manquer de se produire si suffisamment d'occasions, donc de temps, leur sont données. Pour eux, le vivant ne pouvait donc pas ne pas se former sur la Terre. En outre, sensibles aux arguments des astrophysiciens pour qui l'univers contient un grand nombre de planètes dont les propriétés doivent être semblables à celles de la Terre, ils considèrent qu'il doit exister, dans l'univers, un grand nombre de foyers de vie et même probablement de vie consciente.
En l'état actuel des connaissances, le choix entre ces deux dernières options est avant tout une question de goût. Certains préfèrent cultiver l'exception que représenterait une vie restreinte à la Terre et, comme conséquence, l'unicité de la conscience humaine pour réfléchir sur l'univers et ce qui l'habite. Les autres, au contraire, préfèrent croire à la banalité du vivant dont ils pensent que les propriétés sur d'autres planètes ne pourraient être très différentes de celles observées sur la Terre. Convaincus, d'autre part, qu'une fois mise en route la vie doit nécessairement conduire à la conscience, ils s'efforcent de trouver des moyens d'entrer en contact avec les autres civilisations qui, d'après eux, doivent occuper d'autres régions de l'univers.

Jusqu'ici, toutefois, aucune trace d'un signal venu de la galaxie ou d'autres galaxies n'a pu être obtenu. Dans une série d'observatoires distribués à travers le monde on s'efforce de déceler un tel signal en utilisant les longueurs d'ondes les plus variées. Jusqu'ici en vain. Il faut dire qu'il y a des questions de distance ! Récemment l'attention a été attirée sur une météorite qui pourrait venir de la planète Mars et qui pourrait contenir une structure rappelant celle des plus vieilles structures vivantes trouvées sur la Terre. Mais les arguments avancés ne sont guère convaincants. Cette affaire paraît relever de la publicité pour la NASA en vue de ses prochains vols spatiaux vers Mars.
On voit ainsi que la science a, depuis un ou deux siècles, considérablement réduit ses ambitions par les questions qu'elle pose et les réponses qu'elle cherche. De fait, le début de la science moderne date du moment où aux questions générales se sont substituées des questions limitées. Où au lieu de se demander : "Comment l'univers a-t-il été créé ? De quoi est faite la matière ? Qu'est-ce que la vie ?", on a commencé à se demander : "Comment tombe une pierre ? Comment l'eau coule-t-elle dans un tube ? Quel est le cours du sang dans le corps ?". Ce changement a eu un résultat surprenant. Alors que les questions générales ne recevaient que des réponses limitées, les question limitées se trouvèrent conduire à des réponses de plus en plus générales. Cela s'applique encore à la science d'aujourd'hui. C'est pourquoi on n'interroge plus la vie aujourd'hui dans les laboratoires. On ne cherche plus à en cerner les contours. On s'efforce seulement d'analyser des systèmes vivants, leurs structures, leurs fonctions, leur histoire.

Il ne faut donc pas demander au scientifique de définir la vie. Mais chacun de nous sait ce qu'est la vie. Chacun de nous sait combien elle est fragile. Chacun de nous en connaît l'infini du possible et la merveilleuse diversité. Chacun de nous sait qu'il n'est pas sur la terre de bien plus précieux que la vie. Que c'est même le seul bien de ce monde. Que de donner la vie, ou plutôt transmettre la vie à un enfant, est l'acte le plus profond que puisse accomplir un être humain. "La vie ne vaut rien, disait Malraux, mais rien ne vaut la vie".

 

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Comment les cellules font-elles face à leurs propres contradictions ?

 

 

 

 

 

 

 

Comment les cellules font-elles face à leurs propres contradictions ?

28 février 2019    RÉSULTATS SCIENTIFIQUES GÉNÉTIQUE, GÉNOMIQUE

Pour assurer l'expression, le maintien et la propagation de son génome, la cellule doit mettre en place des activités enzymatiques potentiellement conflictuelles, la transcription et la réplication. Dans un article récemment publié dans la revue eLife, les chercheurs montrent, chez la levure Saccharomyces cerevisiae, que les facteurs de réplication se liant à l'ADN pour définir les endroits d'où la réplication est initiée "protègent" également ces sites de la transcription avoisinante, qu'ils terminent. Et que les niveaux faibles de transcription qui néanmoins envahissent ces sites, influencent l'activité de réplication.

Opposer les machineries de transcription et de réplication de l'ADN représente un risque. Une ARN polymérase transcrivant un génome en cours de réplication peut en effet rentrer en collision avec un réplisome. Par ailleurs, le déplacement d'une ARN polymérase peut aussi interférer avec la liaison à l'ADN de facteurs nécessaires à la réplication. Collisions et interférences conduisent à des défauts de réplication rédhibitoires pour la cellule. Parce qu'éteindre la transcription, même de façon transitoire, serait beaucoup trop incapacitant pour leur croissance, on considère que les cellules ont dû conserver au cours de leur évolution des mécanismes permettant soit de résoudre, soit de prévenir, soit de bénéficier de ces conflits qu'elles n'évitent pas.

La réplication est initiée dans des zones spécialisées du génome, les "origines de réplication", localisées, dans leur grande majorité, en dehors des gènes. Si on a pu penser que la transcription devait donc en être exclue, on sait désormais qu'une partie conséquente des ARN polymérases en cours de transcription ne se limite pas aux gènes annotés et "envahit" donc des régions qu'on attendait non-transcrites. Certaines protéines liant l'ADN peuvent limiter cette invasion en bloquant physiquement la progression de l'ARN polymérase. Cet article, qui s'intéresse à l'impact de cette transcription envahissante sur la fonction des origines de réplication, montre que les facteurs de réplication bloquent les ARN polymérases aux origines et, de fait, les "protègent". Ce blocus ne semble pas pour autant être infaillible, et les ARN polymérases qui réussissent à passer participent donc à moduler quand et avec quelle efficacité les origines de réplication sont activées.

Figure : Les origines de replication sont “protégées »  des ARN polymerases (bleu), dont la progression est terminée par un mécanisme de « road-block ». Le faible niveau de transcription qui envahit malgré tout les origines de réplication influe sur leur fonction en termes d’efficacité et de « timing » d’activation.
 
En savoir plus
Pervasive transcription fine-tunes replication origin activity.
Candelli T, Gros J, Libri D.
Elife. 2018 Dec 17;7. pii: e40802. doi: 10.7554/eLife.40802.
Contact
Domenico Libri
DR1, Chercheur CNRS, Institut Jacques Monod
+33157278065
domenico.libri@ijm.fr

 

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