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Protéomique

 


 

 

 

 

 

Protéomique

Sous titre
L’histoire de la chenille et du papillon

La protéomique, c’est l’histoire de la chenille et du papillon. Ces deux organismes apparemment si différents ont exactement le même génome. Ce qui les distingue, ce sont les produits finaux d’expression de leurs gènes, c’est à dire leurs protéines. Cet exemple montre à quel point il est nécessaire, pour comprendre un organisme, de s’intéresser à ses protéines et pas seulement à son génome.
       

Dossier réalisé en collaboration avec Jérôme Garin, directeur de recherche au sein de la Direction des sciences du vivant du CEA, directeur de l’Institut de recherche en technologies et sciences pour le vivant (IRTSV), directeur de l’unité U1038 (Inserm/CEA/UJF) et coordonnateur de l’infrastructure nationale de protéomique (ProFI)

Comprendre la protéomique
La protéomique consiste à étudier l’ensemble des protéines d’un organisme, d’un fluide biologique, d’un organe, d’une cellule ou même d’un compartiment cellulaire. Cet ensemble de protéines est nommé « protéome ».
Le protéome est une entité dynamique et complexe. Au sein de chaque cellule, le contenu de protéines se modifie en permanence en fonction des conditions intra ou extra cellulaires. De plus, par le biais de réarrangements qui modifient ses fonctions biologiques, un même gène peut donner naissance à plusieurs protéines. Le protéome contient donc un nombre beaucoup plus important de protéines que le génome ne contient de gènes.

L’étude du protéome révolutionne la connaissance du vivant
Les principaux objectifs de la protéomique sont d’identifier et de quantifier les protéines présentes dans un échantillon biologique à un instant T, et d’obtenir des données fonctionnelles : localisation, identification de protéines partenaires, sites de liaison de ligands
ligands
Molécule qui se lie spécifiquement à une autre.
... Ces données permettent de mieux comprendre les mécanismes moléculaires impliquées dans les grandes fonctions cellulaires. Il est par exemple possible d’étudier des voies de signalisation impliquées dans des processus biologiques ou dans l’apparition de maladies. En comparant les échantillons de personnes en bonne santé et de personnes malades (inclues dans de grandes cohortes), la protéomique permet également de découvrir et valider l’utilisation de biomarqueurs
biomarqueurs
Paramètre physiologique ou biologique mesurable, qui permet par exemple de diagnostiquer ou de suivre l’évolution d’une maladie.
protéiques utiles au dépistage de maladies, au suivi de leur évolution ou encore à l’évaluation de l’efficacité d’un traitement.

Human Protein Project (HPP)
Un vaste projet international de protéomique, sur le modèle de celui qui existe en génomique
génomique
Étude conduite à l’échelle du génome, portant sur le  fonctionnement de l’organisme, d’un organe, d’une pathologie...
, a été lancé en 2011. Piloté par l’Human Proteome Organisation (HUPO), une organisation internationale, il consiste à créer une base de données unique permettant de décrire les protéines correspondant aux 20 300 gènes codants chez l’homme. Les différents pays partenaires de ce projet se sont répartis les chromosomes qu’ils annotent progressivement. La France est en charge du chromosome 14. D’autres volets de ce projet consistent à caractériser les protéomes du plasma, du foie, du cerveau, du système immunitaire, du rein, de l’urine ou encore du système cardiovasculaire. L’hétérogénéité des protéomes d’un individu à l’autre et leur caractère dynamique rendent cet exercice difficile, mais il présente l’avantage de promouvoir la protéomique et de stimuler les coopérations internationales.

La spectrométrie de masse au service de l’étude des protéines
L’étude des protéines a connu un essor spectaculaire au cours des années 90, avec l’avènement d’appareils - les spectromètres de masse - compatibles avec l’analyse de ces grosses molécules (ce qui valu le prix Nobel de chimie en 2002 à John Fenn et Koichi Tanaka). Jusque-là, les scientifiques utilisaient une méthode chimique qui nécessitait de purifier des quantités importantes de chaque protéine avant de pouvoir en déterminer la séquence en acides aminés. Aujourd’hui, les spectromètres de masse permettent d’analyser des échantillons biologiques complexes, pouvant contenir des milliers de protéines, dont certaines présentes en faible quantité.

La spectrométrie de masse
spectrométrie de masse
Technique physique d’analyse permettant de détecter et d’identifier des molécules par mesure de leur masse, et de caractériser leur structure chimique.

consiste à identifier des molécules en fonction de la mesure précise de leur masse. Pour réaliser une étude protéomique, il faut d’abord digérer les protéines de l’échantillon à étudier grâce à une enzyme, afin d’obtenir des fragments protéiques (ou « peptides
peptides
Enchaînement d’acides aminés. L’assemblage de plusieurs peptides forme une protéine.
») qui sont solubles dans la solution qui est injectée dans le spectromètre de masse. Ces peptides sont ensuite fragmentés par la machine. Les masses de chaque peptide et des fragments sont mesurées. Elles permettent d’identifier les peptides contenus dans l’échantillon, en comparant les données expérimentales aux données déjà existantes dans des banques.
Les données sont restituées sous une forme que l’on peut comparer à un puzzle. C’est aux scientifiques de reconstituer le puzzle pour retrouver l’identité des protéines qui étaient présentes dans l’échantillon. Ce travail est bien sûr facilité par des logiciels informatiques de plus en plus performants et des bases de données de plus en plus riches.

Collaborer pour progresser toujours plus vite
L’étude d’un protéome très complexe qui contient des milliers de protéines, comme celui du sang, du liquide séminal ou encore du liquide céphalo-rachidien, reste une aventure périlleuse qui nécessite l’expertise et la contribution de plusieurs laboratoires pendant plusieurs années. Trois sites français, localisés respectivement à Grenoble, Toulouse et Strasbourg, mettent actuellement leurs outils d’analyse et leurs données de protéomique en commun, grâce au financement des investissements d’avenir. L’objectif est de partager les expériences, de développer des logiciels et des protocoles communs pour harmoniser les données issues des différentes plateformes, puis d’élargir ce travail à d’autres sites en France et à l’étranger.

Grâce aux spectromètres de masse les plus récents, il devient possible d’étudier des protéines entières, sans avoir à les digérer préalablement. Cette pratique devrait connaître un essor important au cours des années à venir.

L’imagerie par spectrométrie de masse MALDI permet par ailleurs de faire du « profiling » du contenu protéique. L’appareil est par exemple capable de balayer une coupe d’échantillon et de restituer les masses mesurées sous forme de signaux de couleurs avec une très bonne résolution. Chaque protéome possède ainsi un profil sous forme de pics de couleurs.
En cancérologie, le fait de comparer le profil issu des cellules d’un patient présentant une tumeur avec celui de personnes saines peut par exemple aboutir à la mise au point d’un protocole permettant de détecter une tumeur maligne.
Ce dispositif est également de plus en plus utilisé en milieu hospitalier dans le domaine de l’infectiologie, pour caractériser des agents pathogènes en fonction de leur « profil MALDI ».

Les enjeux de la protéomique

La protéomique pour comprendre, détecter et suivre les maladies

La protéomique permet d’étudier un échantillon biologique de façon globale, sans a priori sur les protéines susceptibles d’y être présentes. Cette approche permet d’obtenir une liste de protéines avec des données quantitatives. C’est ce qu’a fait l’équipe de Charles Pineau (Inserm U1085) pour identifier des marqueurs de la spermatogenèse
spermatogenèse
Processus de formation des spermatozoïdes.

. Les chercheurs ont effectué une analyse protéomique du liquide séminal et ont identifié 699 protéines parmi lesquelles au moins trois ont des niveaux d’expression associés à la fertilité ou, au contraire, l’infertilité.
De façon complémentaire, la protéomique permet également de réaliser des analyses ciblées qui visent à quantifier une protéine d’intérêt dans différents échantillons, afin d’étudier son rôle dans un système biologique. C’est par exemple ce qui est fait pour valider l’intérêt un biomarqueur dont le niveau d’expression est corrélé à un état physiologique normal ou pathologique, ou encore à la réponse à un traitement. Ce type d’approche permet aussi de suivre l’évolution d’un groupe de protéines pendant plusieurs semaines pour établir un profil d’expression en réponse à une perturbation. Cette stratégie a par exemple été utilisée pour étudier les effets du docetaxel, un traitement anti-cancéreux. Les analyses ciblées permettent enfin d’identifier des complexes de protéines. C’est ainsi que l’équipe du Pr Aleksander Edelman (Inserm U845) a pu mettre en évidence une protéine jouant un rôle clé dans la mucoviscidose : la kératine 8. Les chercheurs ont montré que, chez une majorité de patients, la kératine 8 se lie à la protéine responsable de la maladie (CFTR) et altère son fonctionnement.

La découverte de biomarqueurs, objectif majeur de la protéomique
Même si les domaines d’application de la protéomique sont vastes, la découverte de biomarqueurs permettant de dépister des maladies, de suivre leur évolution ou l’efficacité d’un traitement est actuellement le principal moteur de développement de cette science. De tels biomarqueurs sont déjà connus, tel le PSA dans le cancer de la prostate, mais ils sont encore rares car ils doivent être sensibles, spécifiques et leur utilisation doit être validée sur de grandes cohortes de patients.

L’utilisation d’association de biomarqueurs paraît prometteuse pour détecter des pathologies multifactorielles. En 2010, les autorités de santé américaine ont par exemple approuvé un test fondé sur la détection de cinq biomarqueurs protéiques sanguins afin d’évaluer le volume de la tumeur maligne de l’ovaire avant chirurgie (OVA1). Le projet européen DECanBio, coordonné par le Dr Jérôme Garin (CEA/Inserm/UJF U1038), va également dans ce sens. Il consiste à découvrir et valider l’utilisation de biomarqueurs urinaires permettant de détecter de façon précoce des récidives du cancer de la vessie.
Pour cela, les chercheurs étudient le protéome urinaire de personnes atteintes de ce cancer, identifient des biomarqueurs potentiels et confirment leur validité dans une large cohorte de patients issue de deux pays européens et atteints de pathologies pouvant être confondues avec le cancer de la vessie. L’objectif est de s’assurer de la spécificité des biomarqueurs découverts.

Ces biomarqueurs sont utiles en cancérologie mais également dans bien d’autres domaines thérapeutiques. Ainsi, l’équipe de Virginie Brun (CEA/Inserm/UJF U1038) a validé l’intérêt du dosage sérique de cinq biomarqueurs de l'infarctus du myocarde ainsi que celui du dosage sérique extrêmement sensible d'une toxine staphylococcique (entérotoxine A) responsable de plus de 70 % des intoxications alimentaires en France.

 

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Attention danger : reconnaissance de dommage cellulaire

 

 

 

 

 

 

 

Attention danger : reconnaissance de dommage cellulaire

mercredi 1 janvier 2014

Une blessure de la peau est une voie d’entrée potentielle de microbes pathogènes. Détecter une blessure est crucial pour l’organisme qui doit coordonner des mécanismes de défense antimicrobienne avec la cicatrisation. Une équipe du Centre d’Immunologie de Marseille Luminy en collaboration avec un laboratoire de chimie du Boyce Thompson Institute (USA) a mis en évidence un nouveau couple ligand-récepteur activé par la blessure et l’infection chez le ver nématode Caenorhabditis elegans. Ce travail publié dans la revue Nature Immunology propose un rôle inédit de sentinelle pour des dérivés de l’acide aminé tyrosine et révèle un rôle ancien des récepteurs de type GPCR dans la défense de l’hôte.
Les invertébrés ne possèdent pas de système immunitaire sophistiqué comme les vertébrés, mais ils partagent avec tous les organismes multicellulaires une immunité innée. Cette première ligne de défense reconnait l’infection et produit des peptides antimicrobiens capables de tuer ou inactiver les microbes pathogènes, comme l’a élégamment montré l’équipe de Jules Hoffman chez la drosophile. Pour parer à une éventuelle infiltration de microbes, des réponses antimicrobiennes sont aussi induites lors d’une blessure en parallèle avec la réparation du tissu lésé. Comme la drosophile, le nématode C. elegans est capable de répondre à une blessure ou une infection de l’épiderme en induisant rapidement l’expression de gènes codant des peptides antimicrobiens. Si les voies de signalisation impliquées avaient déjà été caractérisées, la réception du signal en amont de cette réponse n’était pas connue, et n’impliquait pas d’orthologues des récepteurs identifiés chez les autres espèces, comme les TLR (Toll-Like Receptor). L’équipe de N. Pujol et J. Ewbank a couplé des analyses génétiques à un crible par ARN interférence de l’ensemble des 20 000 gènes du génome de C. elegans. Ces études ont identifié un récepteur de la famille des récepteurs couplés aux protéines G (GPCR), DCAR-1, requis pour la réponse innée de l’épiderme. Ce récepteur active une voie de transduction du signal conservée qui aboutit à la synthèse de peptides antimicrobiens. Ce récepteur était connu pour être activé par des catécholamines dans le système nerveux, mais il restait à identifier le ligand endogène produit lors d’une infection dans l’épiderme. L’équipe de chimistes de F. Schroeder à l'université Cornell a comparé les métabolites présents chez des nématodes infectés ou blessés à une situation témoin par spectrométrie de masse et chromatographie liquide. L’acide hydroxyphenyl lactique (HPLA), un dérivé de la tyrosine, a été identifié et validé in vivo comme le ligand endogène du récepteur. Présent chez les humains, HPLA est retrouvé en abondance dans certains désordres métaboliques, bien que sa voie de biosynthèse ne soit pas complètement élucidée. Il sera intéressant de savoir si des infections ou des blessures provoquent la production de HPLA ou d’un produit dérivé chez d’autres espèces. De plus, si certains GPCR ont déjà été caractérisés comme reconnaissant des molécules de dommage (ou DAMP pour Damage Associated Molecular Pattern), tels que les récepteurs purinergiques, les GPCR restent une classe de récepteurs sous-explorée dans le contexte de l’infection. C. elegans possède un énorme répertoire de plus de 1000 GPCR. Il est donc possible que plusieurs de ces récepteurs aient un rôle dans la détection de l’infection ou de dommages cellulaires et permettent une réponse de l’hôte contre des attaques de pathogènes. De plus, l'expression de centaines de GPCR dans l'intestin humain ouvre la possibilité d’un rôle conservé dans les interactions avec les microbes chez l'homme.

Figure : Un nématode adulte infecté par un champignon à travers sa cuticule externe déclenche dans son épiderme, visualisé par la protéine fluorescente RFP (rouge), l’expression de peptides antimicrobiens, visualisée par la protéine fluorescente GFP (vert).
© Nathalie Pujol

Figure :Chez le nématode, une infection par un champignon ou une blessure provoquant une modification de la cuticule induisent la production d’un ligand dérivé de la tyrosine, probablement dans la cuticule. Ce ligand, HPLA, active le récepteur DCAR-1 couplé à la protéine G alpha GPA-12 dans la cellule de l’épiderme. Une protéine à domaine TIR relie l’activation de la protéine kinase C à un module p38 MAPK. Le facteur de transcription de type STAT, STA-2, active en aval la transcription des gènes codant des peptides antimicrobiens de type nlp-29.
© Olivier Zugasti et Nathalie Pujol

Références :
*         Activation of a G protein-coupled receptor by its endogenous ligand triggers the innate immune response of Caenorhabditis elegans.
Zugasti O, Bose N, Squiban B, Belougne J, Kurz CL, Schroeder FC, Pujol N, Ewbank JJ.
Nat Immunol. 2014 Sep;15(9):833-8. doi: 10.1038/ni.2957. 

Contacts :
*         Nathalie Pujol
*         Equipe Immunité innée chez C. elegans
Centre d’Immunologie de Marseille Luminy
Campus Luminy case 906
13288 Marseille Cedex 9
Tel :04 91 26 91 24

 

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Petit arrangement entre cellules : une affaire de forces

 

 

 

 

 

 

 

Petit arrangement entre cellules : une affaire de forces

30 mai 2017    RÉSULTATS SCIENTIFIQUES

Comment les cellules régulent-elles leurs contacts pour former des structures variées, tissus et organes dont l’organisation est essentielle à la fonction biologique ? S’arrangent-elles de la même façon si elles sont du même type ou d’un type différent ? L’équipe de Pierre-François Lenne à I’Institut de biologie du développement de Marseille, a étudié comment les molécules d’adhésion et le squelette contractile des cellules déterminent la forme des contacts cellulaires dans un organe complexe, la rétine de la drosophile. Les résultats, publiés le 24 mai 2017 dans la revue eLife, mettent en lumière les rôles mécaniques directs et indirects de molécules d’adhésion et ouvrent la voie à une meilleure compréhension de certaines transformations tissulaires et de l’organisation des organes.

Dans les tissus et les organes, les cellules acquièrent différentes formes et adhèrent les unes aux autres de manière variée en fonction de leur micro-environnement et de leurs propriétés intrinsèques. Ainsi, les neurones ont des formes allongées et filamenteuses caractéristiques, connectées par des interfaces assez réduites, essentielles à l’efficacité de la transmission électrique dans un réseau complexe, tandis que les cellules épithéliales s’assemblent de manière compacte et souvent régulière, agissant comme une barrière physique et chimique avec l’extérieur.
 
Il y a exactement un siècle, dans son ouvrage « On Growth and Form », D’Arcy Thomson a proposé que quelques principes mathématiques et physiques généraux gouvernent la diversité des formes cellulaires, tissulaires et des organismes. Un des principes énoncés est l’existence d’une tension de surface entre cellules, grandeur physique déterminante de la forme des contacts. Nous savons aujourd'hui que la tension mécanique aux contacts cellulaires dépend de deux systèmes biologiques: d’une part, le cytosquelette, réseau actif générant des forces contractiles et d’autre part, les molécules adhésives, qui lient les cellules et les maintiennent en contact.
 
Comment ces deux systèmes régulent la tension mécanique est une question largement débattue. En particulier, quelle est la contribution respective de ces deux systèmes? Comment des cellules présentant des molécules d’adhésion différentes interagissent-elles et s’assemblent-elles?
 
Pour répondre à ces questions, l’équipe de Pierre-François Lenne étudie la rétine de la drosophile. Constituée de multiples facettes, elles-mêmes organisées en motifs cellulaires réguliers, la rétine de la mouche est un système idéal pour tenter de relier les concentrations et distributions des molécules d’adhésion et du cytosquelette aux formes et arrangements cellulaires. À chacune des interfaces entre les cellules cônes et les cellules pigmentaires (contacts homotypiques et hétérotypiques), les chercheurs ont mesuré les tensions en utilisant la nano-dissection laser, un outil capable de rompre localement les forces contractiles et d’adhésion. Les chercheurs ont observé et quantifié la concentration et la distribution des principales molécules d’adhésion dans ce système, la E- et la N-cadhérine, et celles du moteur moléculaire Myosine-II. Cette approche quantitative révèle que les forces contractiles dépendant de la Myosine-II contribuent largement à la tension, de 2 à 5 fois plus que l'adhésion. Cependant, les molécules d’adhésion, en particulier la N-cadhérine, ont un rôle indirect sur la forme, en régulant la localisation de la Myosine-II aux contacts cellulaires. Aux contacts hétérotypiques entre les cellules cônes (exprimant la E- et la N-cadhérine) et les cellules pigmentaires (n'exprimant que la E-cadhérine), les molécules de N-cadhérine ne sont pas liées. Cette asymétrie locale augmente la concentration de la Myosine-II, réduisant ainsi la surface de contact entre les cellules de type différent. En incluant ces données quantitatives dans un modèle mécanique, les chercheurs peuvent prédire les formes et arrangements des différentes cellules, dans les cas sauvage et mutants, à partir de la mesure des concentrations moléculaires aux contacts. En combinant mesures mécaniques, perturbations génétiques et modélisation, cette étude établit un lien quantitatif entre adhésion, contractilité et formes cellulaires. Il révèle également un rôle insoupçonné de la N-cadhérine dans la morphogenèse.
 
Ces résultats portent un éclairage nouveau sur de nombreux mécanismes biologiques, impliquant l’expression différenciée de molécules d'adhésion, parmi lesquels on peut citer le « lineage sorting », l’élimination de cellules mal spécifiées ou la transition épithélium-mésenchyme.
 

Figure : Formes et arrangements cellulaires dans la rétine de la drosophile. (A) La rétine est composée de 750 facettes (ommatidia), chacune d’elles comprenant plusieurs cellules aux formes régulières. Comparaison des formes cellulaires entre une ommatidie sauvage et des ommatidies dont l’une ou plusieurs des cellules centrales (marquées par un disque blanc) n’expriment(nt) plus la molécule d’adhésion N-cadhérine. Ces modifications produisent des changements de forme qu’un modèle mécanique simple permet d’expliquer (Prédictions théoriques). (B) Les formes cellulaires sont mécaniquement déterminées par les tensions aux interfaces. Celles-ci résultent de la balance entre la tension corticale produite par l’activité du moteur moléculaire Myosine-II et l’adhésion. (C) La tension est fonction de la nature du contact : elle est plus grande entre cellules qui expriment des molécules différentes (contact hétérotypique) qu’entre cellules qui expriment les mêmes molécules d’adhésion (contacts homotypiques).

© Eunice HoYee Chan, Pruthvi Chavadimane Shivakumar, Pierre-François Lenne. eLife
 
 
En savoir plus
*         Patterned cortical tension mediated by N-cadherin controls cell geometric order in the Drosophila eye.
Eunice H.Y. Chan, Pruthvi C. Shivakumar, Raphaël Clément, Edith Laugier and Pierre-François Lenne.
eLife 2017;6:e22796. http://dx.doi.org/10.7554/eLife.22796
Contact
Pierre-François Lenne

04 91 26 93 65

 

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LES FAMILLES ANIMALES

 

 

 

 

 

 

 

LES FAMILLES ANIMALES

Les discussions sur la famille se restreignent en général à des familles exclusivement humaines. Jusqu'où peut-on étendre la notion de famille sans qu'elle explose ? Une véritable phylogenèse de la famille s'est exprimée chez de multiples espèces animales dans des systèmes d'une très grande diversité. La question des familles animales doit cependant moins servir à illustrer des lieux communs qu'à les mettre en difficulté. Une colonie de fourmi, par exemple, peut-elle être considérée comme une famille monoparentale ?
Dans cette perspective, les familles qui se composent d'agents d'espèces différentes attirent l'attention. Les Gardner, qui ont enseigné un langage symbolique à des chimpanzés en les intégrant à leur famille parlaient de « cross-fostering families» dans lesquelles des membres d'une espèce éduquent les petits d'une autre espèce. Plus répandues qu'on ne l'imagine chez l'animal (y compris en y incluant des humains comme on a pu le voir avec les enfants loups), les familles polyspécifiques constituent plutôt la norme que l'exception chez l'humain. Jusqu'où la famille humaine peut-elle donc ainsi s'étendre et se recomposer avec du non humain et est-elle si différente des principes fondamentaux

Les discussions sur la famille se restreignent souvent à des familles exclusivement humaines. Jusqu'où peut-on étendre la notion de famille sans qu'elle explose ? Une véritable phylogenèse de la famille s'est exprimée chez de multiples espèces animales dans des systèmes d'une très grande diversité. La question des familles animales doit cependant moins servir à illustrer des lieux communs qu'à les mettre en difficulté. Une colonie de fourmi, par exemple, peut-elle être considérée comme une famille monoparentale ? Dans cette perspective, les familles qui se composent d'agents d'espèces différentes attirent l'attention. Les Gardner, qui ont enseigné un langage symbolique à des chimpanzés en les intégrant à leur famille parlaient de « cross-fostering families» dans lesquelles des membres d'une espèce éduquent les petits d'une autre espèce. Plus répandues qu'on ne l'imagine chez l'animal (y compris en y incluant des humains comme on a pu le voir avec les enfants loups), les familles polyspécifiques constituent plutôt la norme que l'exception chez l'humain. Jusqu'où la famille humaine peut-elle donc ainsi s'étendre et se recomposer et est-elle si différente des principes fondamentaux qui régissent les familles animales ? Dans les dessins animés comme ceux de Walt Disney, il n'est pas rare de rencontrer des familles animales, copies conformes de familles américaines WASP idéalisées. Papa, maman, les enfants ; parfois les grand-parents ou les cousins, oncles et tantes. Souvent papa travaille et maman fait la vaisselle. Nul n'y cherchera bien évidemment la moindre vérité éthologique, mais on peut néanmoins se poser la question de savoir si certains animaux vivent dans des associations sociales qu'on pourrait qualifier de « familiale ». Pour éviter de heurter d'emblée les esprits forts qui sont prêts à cracher de l'anthropomorphisme au moindre faux pas, donnons-en une définition de travail préalable : on appellera « famille » un agencement particulier constitué autour d'un ou plusieurs éléments reproducteurs et composée d'individus appartenant à des générations différentes qui vivent ensemble. Indiquons donc tout de suite ce qui va m'intéresser ici ; non point tant de savoir si de telles familles existent chez certains animaux que l'extension possible de la notion de famille animale ce qui n'est pas exactement la même question. C'est moins la notion de famille qui m'intéresse ici que le verbe, encore inexistant qui est composé à partir de lui : Jusqu'où « familie-t-on » ? Jusqu'où peut-on le faire ? Peut-on introduire dans de telles familles des membres d'une autre espèce ou des artefacts ? Des familles à problèmes Si Shakespeare avait appris l'éthologie, c'est-à-dire la science des comportements animaux, il aurait trouvé une inspiration morbide chez les membres d'un certain nombre d'espèces plus ou moins connues du grand public et des psychiatres. La famille, telle que je l'ai grossièrement caractérisée dans l'introduction, tourne autour de la reproduction. Quoiqu'a priori évidente, une telle orientation est loin d'aller de soi, en particulier parce que les conditions de cette reproduction sont d'une diversité à laquelle nous ne sommes pas suffisamment accoutumée. On pense en général que cette reproduction s'effectue en effet naturellement autour d'un (ou plusieurs) couple reproducteur – en particulier un mâle et une femelle. Cette dichotomie elle-même est plus que problématique, et ces difficultés auront une importance au cours de ma discussion comme on s'en rendra vite compte. Sans rechercher la moindre exhaustivité, je veux indiquer trois problèmes : celui de savoir pourquoi il existe des mâles et des femelles, c'est-à-dire tout bonnement une sexualité ; comment on peut caractériser une femelle et enfin comment on pourrait aborder la question du genre de façon intéressante. · On peut légitimement se demander pourquoi il existe des mâles et des femelles. Evoquer mâles et femelles est d'ailleurs déjà une façon de parler un peu contestable ; à ce stade, il faudrait plutôt parler d'individus sexués et compatibles. Certains organismes ont d'ailleurs des relations sexuelles avec eux-mêmes – et ils n'ont pas disparu à tout jamais de la surface de la planète par ailleurs. Certains se portent même plutôt bien. La paramécie, qui n'est pas vraiment considérée comme une espèce en voie de disparition, recycle ses gènes à l'intérieur de son propre corps ; elle teste ainsi de nouvelles combinaisons génétiques – sans qu'aucune sexualité ne soit jamais requise en préalable. Evoquer la variation génétique pour expliquer la sexualité n'est pas aussi convaincant qu'on le dit souvent. Les individus de certaines espèces peuvent d'ailleurs échanger des gènes sans être sexués pour autant. Par ailleurs, quelques espèces le sont sans que ce que nous considérons comme étant les caractéristiques classiques du féminin et du masculin n'apparaissent clairement. Chez certaines algues, chez les bactéries ou chez les champignons, la taille des gamètes masculines est par exemple comparable à celle des gamètes féminines. · Il n'est pas très facile de déterminer la femelle. C'est la fertilisation interne qui constitue vraiment une spécificité de la femelle quand elle existe. Mais même quand le zoologue peut distinguer des mâles et des femelles, ce n'est pas toujours le cas. Poissons et grenouilles mâles se contentent ainsi de jeter un nuage de sperme sur les oeufs déposés. La fécondation interne introduit une contrainte forte supplémentaire qui conduit à une responsabilité inédite en ce sens que la femelle garde l'accès aux oeufs. Le rapport potentiel de cette femelle à ses petits est déjà très différent de celui que pourra jamais avoir le mâle. Chez de nombreuses espèces, être femelle n'est pas un statut qui est donné une fois pour toute. Au sein de plusieurs d'entre elles, la distinction en mâles et femelles ne signifie pas pour autant qu'un même individu restera toute sa vie mâle ou femelle. Il peut fusionner avec l'autre sexe jusqu'à constituer une créature sexuée quasi-asexuée. C'est le cas du poisson-grenouille mâle qui commence comme un jeune poisson de surface, en tout point semblable aux autres. Sa croissance le conduit cependant à se cramponner de façon permanente à une femelle qu'il rencontre – jusqu'à littéralement devenir une partie de cette dernière puisque les systèmes circulatoires de l'un et de l'autre finissent par fusionner et que le mâle devient totalement dépendant de la femelle. « Lisant » les messages hormonaux du sang de cette dernière, il lâche son nuage de sperme au moment ad hoc. Le mâle est ainsi devenu une pure fonctionnalité pour la femelle. · Le genre comme position dans un dispositif topologique. L'individu peut aussi revêtir simultanément les deux sexes, en endosser la spécificité de l'un un jour et de l'autre un autre jour (c'est par exemple le cas des crevettes Pandalus.), ou changer de sexe à un moment ou à un autre de sa vie, en fonction de sa propre histoire personnelle ou des circonstances auxquelles il aura été confronté. Les Labroides dimidiatus, qui sont des poissons nettoyeurs de la Grande Barrière Australienne, entrent dans cette catégorie. Dans chaque ‘station', un mâle domine une demi-douzaine de femelles. Il peut copuler une fois par jour avec chacune. Le mâle disparu, ce n'est pourtant pas un mâle voisin qui profite de l'aubaine et s'approprie le ‘harem' ainsi délaissée, mais la femelle la plus âgée qui se transforme en mâle et ‘honore' chaque jour avec virilité chacune de ses ex-consoeurs. A noter que la situation inverse existe également chez les poissons-clowns, Amphiprion, dont les mâles (qui s'occupent d'ailleurs des petits) se transforment en femelles quand la femelle dominante disparaît. Le changement de sexe présente un avantage économique certain sur l'hermaphrodisme simultané car il est coûteux de maintenir deux systèmes sexuels à la fois. Les mites du genre Pyemote font même plus étranges encore puisqu'elles ont la particularité de naître adultes. Le sexe est déterminé chez ces animaux par l'ordre de naissance. Les premiers qui arrivent deviennent des mâles qui s'empressent immédiatement de jouer les obstétriciens en insérant leurs jambes, comme des pinces, dans leurs mères pour tirer leurs soeurs... et s'empresser de copuler avec elle. Un mâle peut ainsi systématiquement renouveler cet inceste avec ses 20 soeurs. Il y a mieux. Ou pire. Chez une autre mite (Adactylium spp.), fils et filles, pour émerger, doivent commencer par manger leur mère de l'intérieur, et frères et soeurs commencent même à copuler lorsqu'ils sont encore dans la matrice de leur mère. C'est donc dans leur grand-mère même que certains de ces petits seront conçus ! On dira sans doute que chez ces créatures pour le moins primitives nous ne sommes pas encore dans le cirque familial. En vérité, qu'en savons-nous vraiment ? La famille comme topologie complexe et dynamique des sexes et des âges Les familles animales se déclinent selon une étonnante diversité. A une extrémité du spectre des possibles, on trouve par exemple les colonies de certaines espèces de fourmis. Toutes les fourmis y sont biologiquement liées entre elles puisqu'elles sont toutes les filles de la même mère (la reine) même si rares sont celles qui sont d'un même père, et tous les mâles, qui sont sans pères, sont les fils des ouvrières du nid. Les colonies polygynes (à plusieurs reines) sont plus complexes puisque des fourmis coexistant dans le même nid peuvent avoir des pères et des mères différentes. Toutes les colonies sont cependant des organisations familiales dans un sens assez classique – celui qui mêle structure sociale et structure génétique. Il est en effet audacieux de considérer que les sociétés humaines sont les seules qui soient structurées par des règles de parenté élaborées. Sur ce point, Robin Fox estimait en 1978 et à propos des primates non-humains, qu'aucune espèce ne possède des « systèmes de parenté » qui comportent les éléments des systèmes humains de parenté, combinés de la façon qui est propre à l'humain. La parenté n'est pourtant pas seulement une affaire de catégorie. R.Fox défendait une thèse précise : il suggérait que les deux piliers sur lesquels reposent les structures de parenté chez l'humain, la filiation et l'alliance, sont présents chez les singes, mais ne coexistent jamais dans le système d'une même espèce. Par conséquent, le caractère unique du système humain ne repose pas sur l'invention d'une nouveauté, mais plutôt sur la combinaison de ces deux éléments de façon à ce que le mode de filiation lui-même détermine le type d'attribution des partenaires reproducteurs, c'est-à-dire l'exogamie. Fox évoquait en particulier des études sur des macaques japonais (Macaca fuscata) et rhésus (Macaca mulatta) qui montraient que dans de nombreuses circonstances sociales, les membres d'un lignage matrilinéaire n'agissent pas entre eux comme ils le font à l'égard des non-membres. On sait aujourd'hui que le système social de quelques autres espèces que l'humain repose aussi sur la filiation et l'alliance, comme chez les chimpanzés. Fox posait néanmoins ainsi la question fondamentale de la famille : quels types d'associations permet-elle donc autour de la reproduction ? Avec qui ou avec quoi fournit-elle la possibilité d'associer qui ou quoi ? La notion même de famille fait appel à une topologie des sexes et des âges qui s'organise autour du renouvellement des membres du groupe. Elle apparaît comme un noeud fondamental par lequel s'agencent le biologique et le social autour de la reproduction de l'espèce. Ce mélange constant des affiliations et des apparentements, des filiations et des alliances qu'on observe chez de nombreuses espèces rend extrêmement difficile de penser la famille. Comme dans toute topologie, nous devons définir une proximité. Ce fut sans doute l'une des intuitions majeures de la sociobiologie qui en restreignit cependant considérablement la porté en en faisant une caractéristique purement génétique. Le philosophe canadien Michael Ruse a justement décrit le darwinisme comme une histoire de famille. Non seulement nous sommes tous cousins, mais nous sommes tous des cousins de cousins. Une telle idée doit être prise à deux niveaux. Nous n'avons pas seulement tous un ancêtre commun mais nos modes de vie sont fondamentalement familiaux. Tout être vivant est avant tout une excroissance de sa propre famille – pour le meilleur et pour le pire. Il me semble néanmoins important de la concevoir non seulement dans le contexte d'une parenté biologique mais aussi dans celui d'une parenté plus élective, qu'on pourrait appeler sociale si on veut, mais qui est certainement aussi beaucoup plus. Si on ne choisit jamais ses parents ni sa progéniture, on choisit fréquemment son conjoint. Enfin, il m'apparaît essentiel d'étendre l'espace de la famille de façon radicale. C'est précisément ce dont je veux parler dans cette conférence. Portrait d'une famille « typique » : les dauphins La structure familiale d'une espèce dépend de multiples facteurs et on peut en observer une très grande variabilité en fonction des espèces. J'ai évoqué les fourmis ; à une autre extrémité du spectre, il me semble intéressant de décrire une famille « typique » chez les mammifères, et se rendre compte que même là, de tels agencements sont plus problématiques que ce à quoi on aurait pu initialement s'attendre. On pourrait évoquer les « familles » chez les loups, les éléphants, les suricates ou les primates mais j'ai choisi l'exemple des dauphins. Chez ces mammifères marins, certaines structures sociales semblent se rapprocher beaucoup de celles des structures familiales humaines . A Sarasota, chez les dauphins Tursiops truncatus (ceux comme Flipper qui ont un nez en forme de bouteille) la famille constitue un agencement a priori très soudée. Cet agencement s'inscrit lui-même dans des associations sociales plus larges. Le taux d'émigration est très faible chez ces animaux puisqu'il concerne seulement deux à trois pour cent des animaux du groupe. Sur vingt-deux veaux femelles et seize veaux (c'est le terme consacré pour parler des petits des dauphins) mâles nés et élevés par leur mères à Sarasota, et qui ont survécu à la séparation avec la mère, tous sont restés dans la communauté. Huit de ces femelles ont donné naissance à des petits dans la communauté. Ces petits représentent la quatrième génération d'un lignage maternel observé à Sarasota par les cétologues. Les dauphins ne sont d'ailleurs pas les seuls à avoir adopté une organisation de ce style. On retrouve par exemple une telle philopatrie chez les orques (Orcinus orca). Chez les populations résidentes du Pacifique Nord Est (environ 289 individus en 1998), aucun individu de sexe mâle n'a quitté le groupe en vingt et un ans et aucune immigration n'a par ailleurs été enregistrée. Un aspect particulièrement intéressant de ces groupes de mammifères marins s'exprime dans des agencements familiaux très particuliers autour d'une solidarité très forte qui lie les femelles les unes aux autres. Cette solidarité des femelles à l'intérieur de la solidarité du groupe est suscitée par la nécessité dans laquelle elles se trouvent de se défendre contre les agressions, celles des prédateurs comme le requin (qui est, rappelons-le, la première cause de mortalité chez les dauphins après l'homme) mais aussi contre celle des mâles qui les harcèlent sexuellement. A Shark Bay, en Australie Occidentale la plupart des femelles appartiennent à des bandes de femelles. Les femelles solitaires restent rares car un tel choix est finalement très coûteux : la probabilité qu'un petit atteigne son développement adulte est plus forte s'il est élevé par une mère en bande que par une mère solitaire. En revanche, les femelles ne se lient pas pour défendre des ressources et les partager mais seulement pour se protéger et protéger leurs petits. Cette solidarité est familiale parce qu'elle inclut des générations différentes. Outre les mères et leurs petits, celles des orques et des globicéphales, par exemple, incluent des femelles post-reproductives, qui vivent plus de vingt ans après la naissance de leur dernier petit, et qui jouent un rôle de véritables grand-mères sociales dont la présence est plutôt rare chez les mammifères. Des données physiologiques et démographiques indiquent de façon non équivoque une ménopause . Quel est donc le rôle de ces femelles particulières ? La fonction de la ménopause elle-même est mal connue. Plusieurs explications adaptatives ont été proposées pour l'expliquer, sans qu'aucune ne soit réellement satisfaisante. L'hypothèse de l'arrêt précoce de la fécondité suggère que les femelles qui s'engagent dans un investissement maternel extensif peuvent avoir de plus grands succès reproductifs en cessant de se reproduire et en élevant de façon efficace leur dernier petit et les petits de leur propre progéniture. Ce qui sera connue sous le nom ‘d'hypothèse de la grand-mère' est proposée en 1998. Elle suggère qu'une longue vie post-ménopausale favorise l'extension du partage de nourriture entre mères et petits et permet à de plus vieilles femelles d'accroître la fertilité de leurs filles en investissant directement dans des grand enfants et d'autres membres proches de la ‘famille '. La famille comme espace d'agencements multiples et affinités électives En partant de cet exemple des mammifères marins, on comprend que la famille animale constitue une organisation sociale particulière à l'intérieur du groupe et qu'elle s'organisent autour de trois caractéristiques centrales qu'on va retrouver chez d'autres espèces de mammifères : la famille est une organisation parmi d'autres au sein du groupe, elle suscite des attachements affectifs très forts et elle fonctionne en partie comme une PME inter-générationnelle pour l'élevage et la protection des petits. · La famille est une organisation sociale parmi d'autres dans les sociétés animales. La société des femelles éléphants est complexe et en est un exemple particulièrement frappant. Elle consiste en relations qui partent du lien mère/petit et s'étendent à travers des unités familiales, des liens de groupe et des clans. Dans l'éléphant, l'unité sociale de base est composée d'une ou de plusieurs femelles adultes qui sont liées entre elles et leur petit immature. Cette unité sociale peut comprendre de un à trente individus. Ian Douglas-Hamilton note que des relations privilégiées lient certaines familles avec d'autres. Cynthia Moss montre qu'elles ne sont pas forcément apparentées. La notion de clan y a une utilité incontestable. · Des attachements affectifs très forts. Chez les espèces cognitivement les plus complexes, ce qui frappe est que la famille apparaît aussi comme un espace où se produisent des attachements d'une singulière force. L'attachement de certains animaux vis-à-vis de certains apparentés est littéralement étonnant. Les rapports mère/enfant sont particulièrement frappants de ce point de vue, comme les partages entre mères et enfants chez les chimpanzés ont été décrits pour la première fois par Jane Lawick-Goodall (1968) à Gombe. A propos des éléphants africains, Cynthia Moss a décrit l'attachement exceptionnel d'une mère pour son petit qui était né handicapé. Le lien mère/enfant n'est pas le seul à pouvoir être aussi fort. Il est intéressant de signaler à cet égard que des « lunes de miel » ont été observées entre chimpanzés mâles et chimpanzés femelles qui s'éloignent du groupe. Les données obtenues à Gombe laissent penser que les petits sont conçus pendant ces lunes de miel. Ce « romantisme » est très utile. Le père qui y trouve un avantage en s'assurant de la paternité qui en résulte . La mère craint moins la violence subséquente du mâle vis-à-vis de son petit. · La famille constitue une PME pour l'élevage et la protection des petits. Cette caractéristique qu'on a vu chez les dauphins, les chimpanzés et les éléphants se retrouvent chez de nombreuses autres espèces. Chez les coyotes de Grand Teton National Park, près de Jackson, dans le Wyoming, des coyotes aident les parents sans l'être eux-mêmes, et peuvent prendre soin des petits en défendant des territoires ou des sites de terrier ou en faisant du baby-sitting quand les parents sont partis chasser. On sait que ces aides, qui ont initialement été décrits par Alexander Skutch à propos des oiseaux, accroissent considérablement la survie de la progéniture, au moins dans leur enfance, et pas seulement chez les coyotes, mais également chez les nombreuses espèces où existe de telles associations. Dans ces agencements sociaux le mâle a souvent une position qui est très différente de celle de la femelle. Il convient cependant de rester prudent et de réaliser que tout peut changer d'une espèce à une autre. Pour revenir un peu aux primates, leur potentiel paternel est très limité, sauf chez les callitrichidés sud-américains chez qui les mâles participent aux tâches « familiales » . En règle générale, parler d'une division des tâches serait pourtant audacieux, même s'il existe souvent une complémentarité des activités. La famille comme espace dangereux Tout n'est pourtant pas rose dans la vie familiale de l'animal. J'ai évoqué la protection des petits. La situation est loin d'être simple de ce point de vue. La famille n'est pas seulement un lieu au sein duquel se multiplient affinités électives et agencements surdéterminés, mais aussi comme un espace d'évitement et d'élimination. La famille est souvent un espace dans lequel s'exprime une très grande violence entre membres d'une même fratrie et entre ceux de générations différentes. · Fratricide. Comme chez les dramaturges classiques, la famille peut être le théâtre de passions extrêmes. Racine aurait adoré les hyènes tachetées qui conçoivent habituellement des jumeaux très particuliers. Chaque bébé naît en effet avec des dents de devant pleinement fonctionnelles, longues et perforantes. Ses yeux sont ouverts, son cou et ses mâchoires très puissants. Les jumeaux qui cherchent d'emblée à mordre se tuent entre eux dans un fratricide routinier. Les attaques peuvent commencer avant même la sortie du sac amniotique. C'est parfois le cadet qui gagne, mais c'est le plus souvent le plus faible qui meurt, ayant été incapable d'avoir accès au lait de la mère. Dans la réserve de chasse Mara des Masaï, ¼ des bébés hyènes sont tués par leur frère jumeau. Toutes les rivalités entre des frères n'impliquent cependant pas des rivalités dures. Les hyènes sont particulièrement sordides, mais les conflits fratricides sont assez communs chez d'autres espèces aussi. Chez les rouge-gorges américains, des petits se positionnent eux-mêmes mieux que leurs frères pour avoir plus de nourriture de leurs parents et ils peuvent se battre à mort. Ce qui arrive aussi chez les aigles noirs, les égrettes de bétail, les grands hérons bleus et quelques autres. · Infanticide. Tuer des petits est un comportement très répandu chez de nombreuses espèces. Observé d'abord dans les années 1960, il passe alors pour un comportement anormal. Il fut d'abord suggéré que les humains qui interagissaient avec ces animaux étaient responsables de ces infanticides. La réalité est plus sordide. L'infanticide est un comportement routinier chez de nombreuses espèces de poissons, d'oiseaux et d'insectes. Pourquoi ? L'enfant devient nourriture et sa mort accélère la disponibilité sexuelle de la mère (une mère allaitante est inféconde). A Serengiti, ¼ des enfants lions sont ainsi sacrifiés par des mâles. Dian Fossey découvrit un jour le cadavre d'un bébé gorille, Godi. C'était la première trace d'infanticide qui fut repérée à Visoke. En 1989, sur 50 enfants gorilles morts, 38 % avaient moins de trois ans et 37 % au moins l'avaient été au cours d'un infanticide. On considère aujourd'hui qu'une femelle gorille a un de ses enfants tué au moins une fois dans sa vie. La majorité des enfants qui ne sont pas protégés par un silverback, par un grand mâle dominant, finissent par être tués. La femelle dont le bébé a été tué rejoint en général la troupe de son meurtrier et a un enfant avec lui. Le mâle tueur est toujours étranger à la troupe à laquelle appartient alors la mère. · Inceste. L'interdit de l'inceste existe-t-il chez l'animal ? On ne connaît quasiment aucune espèce animale qui pratique l'inceste et des accouplements consanguins réguliers dans des conditions naturelles (Bischof, 1978). Il ne s'agit pas pour autant d'interdits stricto sensu, mais plutôt de mécanismes d'évitement. Dans les sociétés polygynes, les adolescentes sont séparées de leur père à la suite de leur enlèvement par de jeunes mâles. C'est ce qui se passe par exemple chez les zèbres. Chez les babouins Hamadryas, les femelles sont mêmes kidnappées par des mâles non apparentés dès leur enfance. Dans d'autres cas, on peut sans doute parler de « castration psychologique », au cours duquel l'intérêt sexuel disparaît complètement et s'accompagne parfois de transformations somatiques correspondantes. En règle générale, l'inceste apparaît peu fréquent chez l'animal sauf chez les animaux à taux de reproduction élevé (en particulier certains parasites surtout des acariens et des vers), chez les animaux domestiques, et chez les animaux de zoo. J'ai dit que la question qui m'intéressait ici était celle des extensions de la famille. Où commence une famille et où s'arrête-t-elle ? A partir de quand commence-t-on à « familier » et au-delà de quelle limite ne « familie »-t-on plus ? Il me semble prématuré de m'engager sur la voie d'une théorie générale de la famille. La mise en place d'organisations sociales particulières (de protection et d'élimination) autour de la reproduction de l'espèce me semble être une caractérisation fonctionnelle de la famille et sa pratique se retrouve chez un très grande nombre d'espèces – ceux chez qui se perçoit précisément au moins les prémisses d'une vie familiale. On peut aller plus loin pour comprendre les nouveaux visages de la vie de famille de l'animal – car celle-ci se transforme bien évidemment aussi vite (ou presque) que la vie de famille humaine. Deux caractéristiques me semblent particulièrement importantes pour comprendre ce que pourrait signifier ce « familier » que j'invente pour l'occasion: l' identité partagée, d'une part, et les extensions matérielles de la famille, d'autre part. Identité partagée Au sein de ce complexe d'affinités et d'évitements qu'est l'espace familial, on peut considérer que se constitue une identité partagée plutôt qu'une association d'individus plus ou moins autonomes. Font partie de la famille ceux qui entrent dans le cercle de l'identité de ceux qui y participent. Nous adoptons trop souvent une définition psychologique de l'identité qui n'est pas toujours la plus fructueuse. Chaque membre de la famille n'est-il pas être un membre de soi et certains ne sont-ils pas plus membres de soi que d'autres ? Quand un individu ne peut plus vivre et se laisse mourir à la disparition d'un proche, on peut justement se poser la question. Quand les deux membres d'un couple ne se quittent plus, comme on le voit chez certains oiseaux, on peut aussi s'interroger sur l'individuation de chacun d'eux : n'est-ce pas le couple lui-même qui constitue alors l'individualité pertinente à prendre en compte ? · Etre lié jusqu'à la mort. Les associations familiales de l'animal ne sont pas seulement fonctionnelles ; elles sont souvent très émotionnelles chez les mammifères et même aller jusqu'à la mort, ce qui en constitue l'une des manifestations les plus spectaculaires. Jane Goodall a ainsi observé Flint, un jeune chimpanzé qui s'est mis à part de son groupe, a cessé de se nourrir et est mort d'un arrêt cardiaque après que sa mère, Flo, soit morte. Flint est devenue de plus en plus léthargique, a refusé la nourriture et avec son système immunitaire affaibli, s'est senti malade. Flint est resté pendant plusieurs heures près de Flo, a lutté un peu plus, s'est roulé en boule et n'a plus jamais bougé. On estime qu'entre 50 % et 70 % d'enfants gorilles orphelins captifs vont probablement mourir. La mort ne rompt d'ailleurs pas toujours le lien. Joyce Poole a également décrit très précisément comment des éléphants montrent des comportements d'attachement très forts vis-à-vis des ossements de leurs proches. · Monogamie. La prétendue monogamie de nombreux oiseaux – plus de 90 % espèces sont supposées l'être – peut être comprise comme une extension de leur identité. Des oies qui sont faiblement liées ne produisent pas autant de petits que des oies qui sont fortement liées. Chez les mouettes, les mâles et les femelle qui se retrouvent d'une année sur l'autre ont un taux de reproduction plus élevé…L'amour « romantique » peut également être inféré de la tristesse profonde que les individus montrent quand leur partenaire sexuel disparaît ou meurt. Certaines oies mâles ne copulent plus après la disparition de leur partenaire sexuel. Elles agissent comme si elles ne pouvaient surmonter cette épreuve. Des familles aussi fusionnelles que celles qui viennent d'être décrites paraissent symbiotiques par essence. J'ai déjà dit que la famille était un noeud entre le biologique, le psychologique et le social. Se pourrait-il qu'elle mime comportementalement des symbioses plus franchement biologiques ? Ces questions conduisent naturellement à se demander ce qui distinguerait vraiment la famille de formes plus biologiques de symbioses. Un élément de réponse se trouve dans la façon dont les divers éléments des agencements en cause sont liés les uns aux autres. La symbiose peut être caractérisée comme une relation rigide, dont les agencements constitutifs s'expriment toujours de la même façon, autour de la stabilité de l'espèce. La famille est plutôt constituée d'agencements en équilibre constant. La famille est une fragilité qui se constitue autour de la reproduction de l'individu. La symbiose est un verrou, alors que la famille est une serrure. La symbiose est appelée à rester fermée alors que la famille tend constamment à s'ouvrir. Pourquoi n'éclate-t-elle donc pas constamment ? Parce qu'elle s'inscrit dans une matérialité qui la lie et qui est constamment sous-estimée. Extensions matérielles de la famille Comme nous restons avec une conception très « walt disneyenne » de la famille, nous négligeons ce qui pourrait constituer des extensions matérielles de la famille. Sans doute à tort. Le nid fait-il partie de la famille de l'oiseau ? Le terrier fait-il partie de celle du renard ? Le territoire fait-il partie de celle du loup ? Qu'il faille peut être prendre le nid de l'oiseau comme extension matérielle de la famille est une idée qui m'est venue à la suite d'une observation de Bernd Heinrich (1999) qui était arrivé à la conclusion que c'était l'état du nid du corbeau plutôt que la condition de la femelle qui conduisait à l'accouplement. Le nid joue donc un rôle majeur dans un comportement qui n'engage a priori que le mâle et la femelle. A la suite de cette prise de conscience, d'autres comportements, abondamment commentés mais toujours très étonnants, ont pu prendre une signification éclairante. Les oiseaux à berceaux de Nouvelle-Guinée qui font des nids remarquables pour attirer les femelles, font plutôt ces nids comme faisant déjà partie de la famille qu'ils veulent constituer avec la femelle. Plutôt que de choisir une habitation à son goût, la femelle choisirait alors une famille à sa convenance, chacune ayant des caractéristiques matérielle qui lui sont propres. Ces comportements sont d'ailleurs non seulement génétiquement déterminés mais de surcroît culturellement acquis, comme le dialecte des oiseaux. Durant une longue adolescence, les oiseaux à berceau de plusieurs espèces prennent beaucoup de temps à observer des adultes qui construisent des berceaux. Leurs premières constructions sont très rudimentaires. Ce n'est qu'avec l'entraînement qu'ils deviennent plus experts en construisant et en décorant leurs berceaux . Le nid fait vraiment partie de la famille. De la même façon, le territoire du coyotte fait partie de la famille. Un mâle observé par Marc Bekoff, Bernie, est resté pendant trois ans dans sa meute pour aider à élever des petits. Bernie ne pouvait pas se reproduire quand son père était présent et aider tenait lieu de substitut à la reproduction. Quand son père a quitté la meute, Bernie a hérité du territoire de la meute, et a copulé avec une femelle qui a rejoint la meute après que la mère de Bernie soit partie. Bernie et sa partenaire ont reçu de l'aide pour l'élevage de ses petits de ceux dont Bernie s'était auparavant occupés quand ils étaient petits . Portrait de l'humain comme ‘pater-familias universel'. La matérialité de la famille et le rôle de l'identité partagée qu'elle suscite et autour de laquelle elle se constitue sont importants parce que ces ingrédients manipulés conduisent parfois à d'étonnantes recompositions familiales. Plus que jamais, les questions de savoir qui fait partie de la famille et où passent les frontières de la famille acquièrent une actualité d'autant plus troublantes que ces frontières s'avèrent très largement manipulables. La question de l'extension de la famille de l'animal s'avère particulièrement intéressante quand l'humain entre en jeu. Les expériences sur les « singes parlants » qui ont commencé vraiment aux USA dans les années 1960 ont poussé très loin ces pratiques en conceptualisant l'idée initialement exprimée par les Gardner de la « cross-fostering family » - la famille dans laquelle les membres d'une espèce élèvent les petits d'une autre espèce. Dans ces situations qui sont propres aux cultures occidentales, les humains élèvent vraiment les petits d'autres espèces, puisqu'il ne s'agit pas seulement de les aider à vivre mais également leur permettre de pénétrer dans le monde du symbolique à travers la maîtrise d'un authentique langage. La véritable « vie de famille » que constituent ces communautés hybrides homme/animal de partage de sens, d'intérêts et d'affects ne surgit pas de nulle part . Elle s'inscrit au contraire dans une tendance très profonde de l'histoire du vivant qui a cependant été très largement négligé par les historiens de la culture. La domestication peut être vue, fondamentalement, comme une manipulation très efficace des familles animales par l'humain et l'animal de compagnie est sur-domestiqué. L'historien James Serpell en défend la pratique contre ses détracteurs qui trivialisent ou dénigrent les relations affectives qu'hommes et animaux peuvent entretenir dans notre culture. Ces sarcasmes, il est vrai, profitent d'un terrain mal connu et peu fréquenté. Pourquoi les pratiques de l'animal de compagnie ont-elles reçu si peu d'attention en sciences sociales ? Aux USA, par exemple, il y a autant de chats et de chiens que de postes de TV, et les gens tendent à traiter leurs animaux familiers comme s'ils étaient leurs enfants. On a évoqué le parasitisme social à propos de ces relations. Comme les coucous. Il faudrait plutôt dire que l'humain a une propension profonde à jouer un rôle de « parent honoraire » vis-à-vis de nombreuses espèces animales, en s'occupant de petits animaux vis-à-vis desquels ils se sentent investis des mêmes responsabilités que vis-à-vis de leurs petits enfants, et vis-à-vis desquels ils ont un engagement affectif proche. Ces pratiques peuvent même atteindre une intimité parfois étonnante comme dans le cas de ces femmes qui sont décrites par l'ethnologue Jacqueline Millet et qui allaitent au sein des petits animaux qu'elles ont recueillis ou que les hommes du village ont ramenés de leurs chasses en forêts. L'universalité de ces pratiques, qui constituent la norme plutôt que l'exception chez les chasseurs-cueilleurs problématique. L'adoption d'animaux de compagnie n'est pas un phénomène rare chez de nombreux peuples autour du monde. Au 19e siècle, le naturaliste Bates, qui voyage en Amazonie, envoie à Galton une liste de 22 espèces de quadrupèdes dont il a observé l'apprivoisement dans les campements indiens. Les Guyanais nourrissent de nombreux animaux comme leurs propres enfants. Les Caraja du Brésil du sud-est sont pareillement dévoués à leurs enfants et à leurs animaux favoris. Les indiens Kalapalo du Brésil se spécialisent dans l'apprivoisement de l'oiseau avec lesquels ils entretiennent des rapports spéciaux. Les femmes sont les principaux apprivoiseurs d'animaux de compagnie, mais certains hommes, en particulier les chamans, s'y impliquent également avec une virtuosité remarquable. On cite même des cas où des indiens amazoniens traitent leurs animaux familiers ou leur volaille avec plus d'attention que leurs propres enfants. Quant aux Dayacks de Borneo et aux Indiens subarctiques, ils incluent ces animaux dans un système de nomination dans lequel les parents sont appelés d'après l'un de leurs enfants. La représentation occidentale moderne de la famille n'a aucun monopole. Il serait faux de conclure à la facilité des procédures mobilisées à partir de la multiplicité des exemples relevés. Ces agencements homme/animal s'appuient sur des manipulations parfois extrêmement subtiles. Pour ne donner qu'un seul exemple, les Fulani d'Afrique sont connus pour la façon dont ils utilisent leur connaissance des signaux de dominance du bétail et les comportements d'affiliation des animaux qui le composent pour s'introduire eux-mêmes dans les troupeaux comme dominants sociaux et leaders . La domestication pourrait-elle fondamentalement être comprise comme un phénomène d'extension de la sphère familiale au-delà de l'espèce ? Les historiens de la domestication se demandent encore comment l'humain a commencé à domestiquer les premiers animaux et pourquoi une telle pratique est devenue si courante. Je ferais l'hypothèse qu'il faut chercher ce phénomène extraordinaire dans les dérives de la famille. Ces animaux qui sont justement appelés familiers se sont tout simplement introduits dans les familles humaines et ces dernières leur ont donné une place au sein de leurs familles. Le chat de la famille, comme on dit, est d'abord un chat de famille. C'est parce que l'animal est un animal de famille qu'il peut étendre cette dernière à l'humain. Rappelons-nous que deux caractéristiques de la famille animale m'ont semblées particulièrement importantes : l'identité partagée, d'une part, et ses extensions matérielles, d'autre part. Nous les retrouvons totalement dans la domestication. Celle-ci inclut en effet une matérialité qui fait partie de la famille (comme la laisse, la niche ou le panier) et le partage d'identité est ce qui frappe tout observateur extérieur d'un couple homme/animal. « Docteur, nous avons mal au ventre », dit la dame en amenant son chien chez le vétérinaire. On peut certainement sourire de cette confusion des genres, mais on peut surtout se demander s'il n'y a pas là quelque chose de très vrai qui est le fait qu'à force de vivre ensemble, le chien et sa maîtresse ont fini par partager une « identité communiquante ». Je n'ai pas rappelé les bases biologiques de la famille pour rien. Elles me semblent toujours tout aussi importantes pour expliquer pourquoi un animal et un humain peuvent devenir si attachés l'un à l'autre – et pourquoi l'arrivée d'un enfant dans la famille peut être perçue comme une menace ou un concurrent direct par l'animal. Même dans le cas des animaux d'élevage intensif, une telle responsabilité ne laisse pas l'homme insensible, comme l'a très bien montré un film récent de Manuela Frasil. Les humains ne se contentent d'ailleurs pas d'introduire des animaux non humains dans leur propre famille ; ils manipulent de surcroît les familles animales elles-mêmes. Les chiens de berger, comme les patous, qui doivent protéger les moutons contre les loups sont élevés avec les moutons avec lesquels « ils font famille ». Ces chiens se croient moutons et communiquent de façon privilégiée avec les ovins qu'ils doivent garder. Ouverture J'ai suggéré que de nombreux animaux étaient beaucoup plus sensibles à une topologie des procédures qu'à une psychologie sensu stricto – et que les familles animales constituaient des noeuds auxquels l'animal était particulièrement attentif. L'éthologue Konrad Lorenz s'est rendu célèbre à la suite de ses expériences sur l'empreinte. Pour Lorenz, l'oie ou le canard par exemple, sont prêts à reconnaître comme mère le premier mobile qu'ils rencontrent à condition toutefois que cet événement se produise au cours d'une fenêtre temporelle très précise de quelques heures ou moins. Tout le monde a vu ces célèbres images sur lesquelles on voit l'éthologue barbu adopté comme mère par les petits canards ou les petites oies. L'éthologue fait d'ailleurs si bien partie de la famille que l'oiseau devenu pubère cherchera à s'accoupler avec … des éthologues barbus ! Et c'est bien protection, affection et identité que l'animal recherche avec l'humain avec lequel il vit. Les expériences de Lorenz sont assez troublantes, parce qu'elles suggèrent non seulement que n'importe qui peut faire partie de la famille de l'animal, mais que n'importe quoi peut également être adopté de cette façon à condition d'être au bon moment au bon endroit. Les agencements homme/animal, sans être pour autant symétriques, sont néanmoins réversibles. C'est ce que montrent à l'envi les histoires d'enfant-loups, et plus généralement d'enfants humains adoptés par des familles animales. L'écrivain anglais Rudyard Kipling a popularisé la figure de l'enfant-loup avec Mowgli, le héros du « Livre de la Jungle ». Ce n'est pas seulement une belle histoire. L'anthropologue belge Lucienne Strivay a fait une remarquable étude historique des enfants loups . A-t-on jamais observé des enfants-loups vivant dans leur famille exotique ? Pas à ma connaissance. Il existe en revanche un tel témoignage, très intéressant et peu connu, de l'explorateur Jean-Claude Armen, à propos d'un enfant humain qui a été adopté par des gazelles qui constituaient sa famille au Sahara Espagnol. L'un des aspects les plus intéressants de l'enfant-gazelle concernait son « engazellement », c'est-à-dire son appropriation des caractéristiques comportementales des gazelles qui l'avaient recueilli. Le petit d'homme, pour parler comme Kipling, se déplaçait par bonds puissants, flairait constamment autour de lui, cou tendu face au vent, avec un nez constamment agité de petits soubresauts entraînant le troupeau à sa suite ou au contraire se laissant entraîner par le troupeau. Il reniflait en permanence « le flanc des bêtes, des brindilles, des bouts d'épineux, des fleurs, des baies, des dattes tombées, des billes de crottin, des traces d'urine » – et même l'arrière-train des gazelles ! Ce n'est pas tout. Jean-Claude Armen décrit en détail comment l'enfant-gazelle frémissait également « des oreilles et du cuir chevelu au moindre bruit suspect ou insolite, muscles tendus et spasmodiques » - comme une authentique gazelle. Le jeune garçon communiquait de surcroît avec ses compagnes herbivores comme elles, par « souffles, rots, petits cris et surtout signes de tête ou de pattes ». Plus tard, et après de plus longues observations, Armen affine sa perception de la complexité des communications qui liaient l'enfant aux gazelles : coups de talons ou de sabots frappés, torsion de col, coups de tête, remuements rythmés de queue, d'oreilles, de cornes, de poignets ou de doigts. Il se roulait comme elles dans des dépressions argileuses pour se protéger de la chaleur et du soleil. Il coupait même sur une paroi verticale de rocher un chou du désert d'un coup de dents arasées d'herbivore. Enfin, il participait avec les autres gazelles à tous ces signes d'affection qui liaient les animaux les uns aux autres : flairements, échanges de coups de langue rapides, « susurrements ». Et quand tombait le crépuscule, l'enfant s'endormait sous le cou d'une grande gazelle. Même endormi, il se « gazellifiait » d'ailleurs : il frémissait des oreilles malgré un sommeil profond, dressait la tête au moindre bruit insolite, humait les alentours, les paupières mi-closes. Tout ne relevait cependant pas de l'imitation. L'enfant gazelle avait des caractéristiques inconnues de ses compagnes. Il grimpait à quatre « pattes » sur des palmiers-dattiers. Inversement, nombre d'expressions humaines semblaient lui faire totalement défaut. Il ne pleurait pas, il ne riait pas, et il ne se mettait pas en colère… J'ai insisté sur les transformations comportementales et physiologiques de l'enfant qui vivait dans une famille de gazelles. C'est un point qui me semble essentiel. Nous avons souvent tendance à considérer que les « familles » animales sont purement biologiques alors que les familles humaines seraient essentiellement sociales et culturelles. Je pense que les unes et les autres sont à la fois biologiques (toute famille se constitue autour de la reproduction de l'individu, même si on peut constituer des associations très familiales qui n'ont pourtant rien à voir avec la famille) et sociales, et que c'est l'une des raisons qui rendent si difficile toute caractérisation de la famille. L'animal domestique lui-même, celui qui entre dans la famille de l'homme, subit d'importantes transformations biologiques. Une sélection sur de nombreuses générations peut encore accentuer les différences. Les travaux de l'éthologue hongrois Adam Miklosi sur le chien le montrent amplement. Comparant les capacités cognitives du loup et du chien, il met en évidence la capacité de ce dernier à pouvoir communiquer avec l'homme par l'intermédiaire d'échanges visuels et de signes gestuels qui restent hors de porté du premier. Le chien, conclut-il, a été sélectionné pendant des centaines d'années pour devenir un bon interlocuteur de l'homme. J'ai commencé cet exposé en rappelant quelques bizarretés de la reproduction chez l'animal, et la difficulté à trouver une explication satisfaisante à l'apparition de la sexualité et sur les formes étonnantes qu'en prend parfois l'expression chez certaines espèces. Il faut être extrêmement prudent vis-à-vis de ce qu'on pourrait appeler les conditions de la reproduction. Celles-ci sont sans aucun doute biologiques, mais elles sont également et fondamentalement sociales et matérielles même chez l'animal. Les familles hybrides homme/animal sont incontestablement reproductives, à cette différence près, mais somme toute assez secondaire, du point de vue qui m'intéresse, que cette reproduction s'établit peu entre l'homme et l'animal. Je dis peu et non qu'elle ne s'établit jamais, non pas parce que je veux choquer les âmes sensibles ou faire de la provocation, mais parce que l'humain joue souvent un rôle non négligeable dans la reproduction de l'animal – ce qui est normal puisqu'il fait partie de la famille. Dans le contexte des sexualités baroques de l'animalité, l'invention de la famille telle que je l'ai caractérisée apparaît comme une étape significative et le passage par l'humain n'est pas aussi absurde qu'on aurait pu initialement le croire mais en constitue au contraire une extension somme toute assez raisonnable. La famille reconstituée serait plutôt la norme que l'exception, et dans une extension beaucoup plus radicale que ce qu'on était prêt à imaginer a priori. Reste à savoir jusqu'où la famille va pouvoir s'étendre. Un film récent de Steven Spielberg est intéressant de ce point de vue : AI raconte comment une machine intelligente vient s'installer dans une famille humaine sous la forme d'un enfant « parfait ». la vogue des tamagushis nous avaient déjà mis la puce électronique à l'oreille : après l'animal de compagnie, nous sommes prêts à accepter des artefacts dans le cercle familial.

 

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