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LE MÉKONG

 

LE  MÉKONG

1 Fleuve international drainant le sud-est du continent asiatique après avoir pris sa source au Tibet, le Mékong est au cœur de bien des enjeux économiques géostratégiques et environnementaux de cette région du monde. Parmi ses pays ripariens, la République Populaire de Chine (PRC), située en amont, occupe une position particulière qui lui donne la haute main sur les cinq pays d’Asie du Sud-est en aval. Les questions concernant l’aménagement du fleuve, tant du point de vue de l’énergie que de l’irrigation agricole ou de la disponibilité en eau potable sont particulièrement sensibles puisqu’elles touchent aux besoins du développement de cette région du monde et qu’elles conditionnent la qualité de vie et parfois jusqu’à la survie même des populations riveraines, soit environ 250 millions de personnes. La gestion du Mékong et de ses ressources est donc un enjeu de puissance à la fois économique et géostratégique, que ce soit au sein de l’Asie du sud continentale ou entre les pays de cette région et la PRC.

2 L’un des enjeux majeurs de la gestion du Mékong concerne la question de l’exploitation hydro-électrique, les conditions naturelles assurant à ce fleuve un très fort potentiel dans ce domaine (ADB, 2012b), et du fait de la demande croissante d’énergie dans les pays riverains, au premier rang desquels on retrouve bien entendu la Chine, mais aussi la Thaïlande et le Vietnam. Si plusieurs de ces pays ont décidé de construire des barrages hydro-électriques sur le Mékong, ceux construits sur la portion chinoise du fleuve soulèvent particulièrement des controverses dépassant les considérations économiques et environnementales.

3 La soif d’énergie de l’industrie chinoise n’est pas récente, mais elle ne cesse de croître, alors que le développement des ressources hydro-électriques du pays est devenu un objectif d’autant plus prioritaire que le XIIe plan quinquennal a mis de l’avant d’ambitieux objectifs de développement durable et de mise en valeur d’énergies plus « vertes ». Dans un tel contexte, le harnachement du Mékong apparaît donc comme une évidence et comme une question d’intérêt national, mais aussi régional, puisque c’est principalement dans la province du Yunnan que les principaux efforts de mise en valeur du fleuve se sont concentrés jusqu’ici, que ce soit pour la consommation locale ou l’exportation vers le littoral oriental chinois en pleine croissance économique. Mais tous ne voient pas la situation d’un bon œil, notamment parmi les pays situés en aval, lesquels tentent depuis plusieurs décennies, avec plus ou moins de succès, de coordonner leurs efforts de mise en valeur du Mékong. Ces derniers se trouvent en effet désarmés face aux initiatives chinoises en amont, d’où des tensions à l’échelle régionale.

4 Le présent article décrit en premier lieu le contexte politico-économique du développement hydro-électrique de la portion chinoise du Mékong, en mettant ensuite l’accent sur la province du Yunnan, qui est concernée au premier chef. Par la suite, le contexte régional, les divers impacts des barrages en amont et la position des intervenants extérieurs à la PRC sont abordés. Pour finir, la réponse de la Chine et sa manière de gérer le conflit sont évoquées, en se basant sur des sources chinoises de première main et sur des entrevues menées dans le pays, ainsi qu’une évocation prospective de la manière dont la situation pourrait évoluer à moyen terme, sous l’effet de la croissance économique et de la dépendance énergétique de la PRC, et des changements climatiques et de leurs impacts.

LA NOUVELLE STRATÉGIE ÉNERGÉTIQUE DE LA RPC : TRANSITION VERS LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ?

UN DÉVELOPPEMENT RAPIDE, MAIS À QUEL PRIX ?

5 En République Populaire de Chine (PRC), la politique d’ouverture et de réformes lancée dans les années 1970 par Deng Xiaoping a sans contredit eu de nombreux résultats positifs, notamment en matière de développement économique. Elle a d’abord favorisé une croissance continue de l’économie du pays, au rythme vertigineux de plus de 7 % par an en moyenne au cours des dix dernières années. Ce développement ultra rapide, s’il a permis à des millions de Chinois d’échapper à la pauvreté ou à tout le moins d’améliorer considérablement leurs conditions de vie, n’a pas été exempt d’importantes conséquences négatives. Il est en effet à l’origine des principales menaces environnementales qui pèsent sur l’avenir du pays et du peuple chinois. De fait, la pollution croissante de l'air, du sol et de l'eau, ainsi que l'augmentation rapide de la demande d’énergie et en ressources naturelles sont devenues extrêmement préoccupantes et suscitent des doutes sur la durabilité et sur le coût caché du « miracle économique chinois ».

1 Selon les estimations des chercheurs chinois, en 2015, la RPC aurait besoin 2, 8 milliards de tonne (...)
2 Le reste du mix énergétique chinois est composé de pétrole (18 %) et de gaz naturel (4 %); l’hydroé (...)
6Un autre aspect négatif de cette croissance économique fulgurante a été la forte progression de la demande énergétique primaire. En 2010, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) indiquait que la Chine venait de souffler aux États-Unis le titre de premier consommateur mondial d’énergie et que sa consommation devrait continuer à croître à un rythme proche de 6% par an jusqu’en 20151 (AIEa, 2012). La principale source d’énergie du pays reste néanmoins toujours le charbon (photo 1), qui satisfait environ 70% des besoins énergétiques de l’industrie et des ménages chinois2. Cette utilisation massive du charbon en Chine est particulièrement problématique puisqu’elle est entre autres à l’origine de l’augmentation importante des émissions de gaz à effet de serre, de la récurrence des pluies acides et, globalement, du réchauffement de la planète.

7 L’impact environnemental du modèle de développement chinois fait donc l’objet de vifs débats politiques et scientifiques à l’échelle internationale, ainsi que de reportages et de publications dans les médias du monde entier. Généralement peu enclin à se laisser influencer par les opinions et pressions externes, le gouvernement chinois a semblé finir par prendre conscience des dangers de son modèle énergivore de développement économique actuel. Depuis quelques années, Pékin a en effet choisi l’option de réduire sa consommation de charbon, en le remplaçant par le pétrole et le gaz, tout en développant d’autres sources d’énergie, principalement l’hydroélectricité et le nucléaire, en plus de promouvoir des solutions alternatives comme l’éolien, le solaire et la biomasse. Cette tâche s’avère particulièrement difficile, du fait de l’augmentation conjoncturelle de la demande en électricité de la part des ménages et de l’industrie, corollaire du développement rapide du pays. La majeure partie de l’électricité requise demeure donc fournie par des centrales thermiques alimentées au charbon, combustible qui reste encore facilement accessible, abondant et relativement bon marché.

8 Les raisons de la nette augmentation de consommation énergétique chinoise sont multiples. D’une part, en devenant « l’usine du monde » la RPC a favorisé l’essor des industries lourdes et manufacturières, à vocation exportatrice et très énergivores. À ceci s’ajoute aussi l’accroissement des investissements dans les infrastructures et la construction, qui a favorisé le développement rapide d’industries tout aussi fortement consommatrices d’énergie (ciment, verre plat, sidérurgie, chimie, métaux non-ferreux) (YANG, YANG et CHEN, 2011).

9 D’autre part, les changements économiques et sociaux survenus en Chine depuis les trente dernières années ont modifié la structure de la consommation des ménages. L’urbanisation accélérée de la société et la forte croissance de la classe moyenne sont à l’origine de l’évolution du niveau d’équipement des ménages chinois. La demande croissante en biens et en services (immobilier, voiture, produits électroménagers etc.) exerce sur la société une forte pression en faveur d’une structure de consommation intensive en énergie (KAHRL et al, 2013).

LE XIIE PLAN QUINQUENNAL : UNE ORIENTATION NOUVELLE

10 Le gouvernement chinois semble avoir finalement pris conscience de la gravité de la situation et chercher des solutions à ces enjeux énergétiques et environnementaux. Il a en effet adopté de nouvelles législations et mis en place des politiques allant dans le sens du concept de développement durable. C’est également dans cette optique qu’en 2011, la RPC a adopté dans son XIIe plan quinquennal les grandes lignes du futur développement du pays. Pour la première fois depuis le début des réformes et de la politique d’ouverture, ce plan n’est pas axé uniquement sur les mesures économiques en faveur d’un rythme de croissance soutenu. De fait, le XIIe plan quinquennal de la RPC (2011-2015), qualifié de « vert » par les médias et les experts internationaux et chinois, met fortement l’accent sur les questions du développement durable et de l’énergie (WATTS, 2011).

3 « 12e plan quinquennal: fondamental pour soutenir le développement durable », China Daily, 14 octob (...)
11Pékin souhaite désormais favoriser les activités économiques capables de préserver davantage l’environnement et inciter aux économies d’énergie et à la réduction de la pollution afin de promouvoir une économie « écologique » et un nouveau modèle industriel3. L’adoption de ce XIIe plan quinquennal semble donc être un réel tournant dans la politique chinoise de développement. Les slogans incitant les Chinois à consommer moins d’énergie et à respecter l’environnement, diffusés depuis des années, sont à présent appuyés par de véritables mesures politiques. Cela se traduit par un double contrôle gouvernemental sur la consommation totale d’énergie mais aussi sur l’intensité énergétique au niveau local. De plus, les administrations provinciales qui étaient auparavant évaluées principalement en fonction de leur degré de réussite économique, devront désormais rendre aussi compte de leur progrès dans ces deux domaines (CORNOT-GANDOLPHE S., 2012).

PRIORITÉ AUX ÉNERGIES VERTES

12 L’atteinte des objectifs du XIIe plan constituerait pour la Chine une opportunité d’ajuster son mode de développement économique, de régler les déséquilibres socioéconomiques et écologiques existants et d’assurer la durabilité de sa croissance. La nouvelle politique chinoise semble viser le passage d’une croissance à tout prix à une croissance plus durable et la transformation du modèle économique chinois qui ne serait dès lors plus fondé sur la surconsommation d’énergie et de main-d’œuvre, mais sur le capital et la technologie.

4 « Les principaux objectifs du 12e plan quinquennal chinois », China.org, 5 mars 2011, [En ligne] ht (...)
13Dans ce but, la Chine s’est par exemple engagée à réduire son intensité énergétique de 16 % et ses émissions de dioxyde de carbone de 17 % par unité de PIB au cours des cinq prochaines années4. De plus, le gouvernement compte allouer des financements importants au développement des énergies renouvelables en vue de réduire sa dépendance vis-à-vis des ressources fossiles et notamment de diminuer sa consommation de charbon. A l’horizon 2015, la part des énergies renouvelables devrait constituer 11,4% de l'énergie primaire et 30 % de la production totale d'électricité (JIE Z., ZHANG Y., 2010). Parmi ces énergies renouvelables, l’hydroélectricité occupe bien entendu une place privilégiée (figure 1), loin devant les autres sources d’énergie non-fossiles, car c’est principalement grâce au développement massif de la houille blanche que le gouvernement chinois entend atteindre les objectifs « verts » du XIIe plan quinquennal (THIBAULT H., 2011).

5 Zhongguo dianli nianjian – [中国电力年鉴], 2012, China Electric Power, Beijing, China Electric Power Pres (...)
14Selon le plan, la production d’hydroélectricité devrait atteindre en 2015 300 000 MW par an, dont près de la moitié (48 %) proviendrait de l’Ouest du pays et des barrages construits sur des fleuves jusqu’ici peu touchés par le développement hydroélectrique tels que le Mékong, la Salouen, le Brahmapoutre, le Dadu, le Jinsha et le Yalong. En 2020, la part de ces fleuves dans la production d’hydroélectricité à l’échelle nationale devrait encore augmenter, pour atteindre 63 % de la production totale5.

LE MÉKONG DANS LES OBJECTIFS DU DÉVELOPPEMENT NATIONAL ET RÉGIONAL DE LA CHINE

UN VASTE POTENTIEL

15 Dans sa quête au développement hydroélectrique intensif, la Chine peut compter sur un vaste potentiel naturel, ses ressources exploitables représentant 16,7% du total mondial. Ce potentiel demeure encore relativement sous-exploité, malgré la croissance importante récente de la production hydroélectrique nationale. En 2010, la capacité hydroélectrique installée du pays a dépassé 200 000 MW et selon les experts chinois, elle devrait atteindre 250 000 MW en 2015 (XU K., 2011). Cette volonté exprimée par Pékin de développer la houille blanche n’est certes pas une idée si récente, puisque c’est l’achèvement en 2009 du gigantesque barrage des Trois Gorges, sur le Yangzi, qui a réellement marqué le début de l’ère de la réalisation des grands projets hydroélectriques chinois. Mais l’aménagement hydraulique des fleuves du pays semble aujourd’hui s’accélérer afin de réduire sa dépendance vis-à-vis des énergies non-renouvelables et de confirmer son choix de modèle de développement durable (voir figure 2).

6 Les quatre provinces du sud-ouest de la Chine (Sichuan, Yunnan, Tibet et Guizhou) concentrent envir (...)
16Selon les prévisions gouvernementales, la capacité hydroélectrique installée de la Chine devrait atteindre 300 000 MW en 2020, dont 225 000 MW seraient fournis par des installations hydroélectriques de grande et moyenne taille, et 75 000 MW par des petits et micro barrages (HUANG H, YAN Z, 2009). Pour atteindre ces objectifs, les autorités chinoises multiplient le nombre de grands barrages construits dans des délais de plus en plus brefs sur les fleuves « traditionnels » (notamment le Yangzi et le Huanghe et leurs affluents, mais aussi sur les cours d’eau du Sud-Ouest et de l’Ouest du pays ayant un potentiel électrique important et peu exploité : Mékong, Salouen, Brahmapoutre et Tarim6). Parallèlement, on voit aussi apparaitre un grand nombre de projets hydrauliques concernant les petits et les moyens cours d’eau et qui devraient alimenter en électricité des zones rurales et des territoires peu-développés (ZHOU S., ZHANG X., LIU J., 2009).

LA RUÉE VERS L’OUEST

7 Ce large ensemble géographique comprend cinq régions autonomes (Tibet, Qinghai, Xinjiang, Mongolie (...)
8 Depuis le lancement du programme, le PIB de l’Ouest chinois a augmenté de 600 dollars américains, a (...)
17 Cet aménagement hydroélectrique intensif des régions périphériques fait écho aux orientations de la politique interne du gouvernement de la RPC, laquelle vise à favoriser le développement socioéconomique du Grand Ouest chinois7 qui n’a que peu bénéficié jusqu’à présent du boom économique des trente dernières années (BURNET M.-C. et al., 2011). Intitulé « grande stratégie de développement de l’Ouest » (xibu da kaifa –西部大开发), le premier volet de ce plan a été lancé par Pékin en 2000. Il prévoyait d’orienter l’investissement public et privé ainsi que les prêts et les compétences étrangers vers la partie occidentale du pays afin de dynamiser l’économie de ce large ensemble géographique. Une décennie après le début du programme, les résultats demeurent toutefois relativement modestes8. Malgré les investissements gouvernementaux initiaux, les contraintes géographiques et climatiques, l’absence d’infrastructures et le manque de main-d’œuvre qualifiée n’ont pas permis le décollage économique rapide de ces territoires. Certes, selon un rapport officiel publié le 21 juillet 2013, le PIB de la région Ouest a augmenté de 12,48% en 2012, affichant ainsi la meilleure croissance annuelle à l’échelle du pays. Mais bien que l’économie de l’Ouest représente désormais 19,75% du PIB total du pays, elle est toujours extrêmement dépendante des investissements de Pékin et sa croissance repose sur les industries minières et énergétiques (HE N., 2013).

9 MOXLEY M., 2010, « China renews 'Go West' effort », op.cit.
18La conjoncture économique et sociopolitique intérieure et extérieure de la RPC a beaucoup évolué depuis le lancement de ce projet. Riche en ressources naturelles, le Grand Ouest chinois recèle un potentiel énergétique important, dont le coût d’exploitation, jugé trop élevé au début des années 2000, est désormais devenu acceptable au vu des besoins croissants en énergie et en matières premières de l’économie nationale. Ce potentiel serait donc devenu, selon le gouvernement, l’un des moteurs principaux de la croissance économique du pays dans les années à venir. En suivant cette logique, Pékin a lancé en 2010 le deuxième volet de son plan de développement du Grand Ouest, soulignant l’importance que sa réalisation pourrait avoir pour l’avenir de la nation (LIANG J., 2010). Le gouvernement a ainsi décidé d’investir plus de 100 milliards de dollars américains dans le développement d’infrastructures (construction de chemins de fer et d’aéroports, mise en place d’exploitations minières et de réseaux électriques etc.9). L’aménagement hydroélectrique du Mékong et des autres fleuves de l’ouest du pays font donc partie de ce vaste et ambitieux programme de développement socioéconomique des régions périphériques de la RPC.

LE POTENTIEL DU LANCANG JIANG

10 « Lancangjiang ganliu shuidian jidi [澜沧江干流水电基地] – Les
19Appelé dans sa portion chinoise Lancang jiang [澜沧江], ce qui signifie « le fleuve turbulent », le Mékong traverse les régions montagneuses des provinces du Yunnan et du Tibet (figure 3). Il coule en Chine sur une longueur de 2 130 km, et la superficie de son bassin versant y est d’environ 174 000 km². À cause de sa morphologie et du relief abrupt le long de ses rives, le Lancang jiang est peu navigable, mais il est propice à un développement hydroélectrique d’enverLe potentiel du Lancagure. Le potentiel hydroélectrique de la section chinoise du Mékong est ainsi estimé à 36 560 MW, dont plus de 80 % se trouvent dans la province du Yunnan (ZHONGGUO, 2011). En 2013, on recense dans cette province six barrages dont la construction est achevée et deux autres projets en cours de réalisation (voir tableau 1 et figure 3). Ces huit barrages formeront une gigantesque cascade dont la capacité installée totale se situera entre 15 900 et 20 000 MW10. Au Tibet, les autorités planifient également de construire six barrages en cascade qui auraient une capacité installée totale de 6 300 MW11, ce qui ne va pas sans soulever de vives controverses12. La construction de ces six barrages devrait s’amorcer en 2015 et s’achever en 2030.

20 La portion chinoise du Mékong se trouve donc de plus en plus transformée par les installations hydro-électriques, auxquelles s’ajoutent diverses activités industrielles. Selon certains experts, une fois achevée la construction de l’ensemble des barrages projetés, ces derniers pourraient potentiellement répondre à environ 20 % de la consommation électrique de la RPC13.

LE YUNNAN : UNE VOCATION D’EXPORTATEUR D’ÉLECTRICITÉ

14 Zhongguo dianli nianjian, op.cit, p.
21 L’essentiel du développement hydraulique du Mékong est aujourd’hui concentré dans le Yunnan, province pauvre du sud-ouest, dont un tiers de la population appartient à différents groupes ethniques minoritaires. Son économie est encore largement dominée par le secteur agricole, malgré l’accélération du processus d’industrialisation lancé dans les années 1990. Située à la frontière du Vietnam, du Laos et de la Birmanie, cette province chinoise se trouve au cœur de la stratégie de développement socioéconomique régional et représente un carrefour commercial qui assurerait le lien entre les industries chinoises et les consommateurs des pays d’Asie du Sud-Est. Son potentiel hydroélectrique provient principalement des fleuves Mékong, Salouen et Yangzi, et est estimé à 103 640 MW, ce qui représente environ 15% des réserves nationales (YEUNG Y., SHEN J., 2008). L’aménagement hydraulique massif dans le Yunnan a un double objectif : il devrait non seulement satisfaire les besoins en électricité de la province, mais aussi fournir de l’énergie aux régions voisines, que ce soit en Chine ou à l’étranger. Cet objectif est illustré par deux slogans officiels qui définissent la stratégie du gouvernement chinois par rapport au développement de la province du Yunnan et de ses ressources hydroélectriques : « 西电东送 » (xidian dongsong) – « acheminer l’électricité de l’Ouest pour en alimenter l’Est » et « 云电外送 » (yundian waisong) - – « acheminer l’électricité du Yunnan à l’étranger »14.

22 Dans un premier temps, la construction des barrages sur le Mékong a pour objectif de mettre fin à la pénurie d’électricité touchant les provinces intermédiaires lancées plus tardivement dans les réformes, mais il s’agit aussi et surtout de satisfaire la demande croissante en électricité des régions côtières orientales dynamiques et en voie d’intégration au système économique mondial. Ainsi, selon les estimations, en 2015, environ 8 000 MW d’hydroélectricité produite au Yunnan seront acheminés ainsi vers l’est de la Chine (GOH E., 2007). L’électricité fournie actuellement par les barrages du Yunnan alimente principalement les industries et les foyers de la province du Guangdong (figure 2), devenue l’un des principaux moteurs de l’économie du pays grâce à la création en 1978 sur son territoire de trois zones économiques spéciales bénéficiant de privilèges fiscaux et douaniers (Shenzhen, Zhuhai et Shantou).


23 Ces vingt dernières années, le Guangdong a enregistré des taux de croissance supérieurs à la moyenne nationale : son PIB représente 10 % du PIB national et son négoce 25% du commerce extérieur de la Chine15. Pour appuyer ce dynamisme économique et assurer sa continuité, la province a donc besoin d’une source fiable, abordable et continue d’énergie. Depuis 2005 sa demande en électricité a dépassé l’offre disponible localement et le Guangdong a connu des périodes de coupures prolongées (GREACEN C., PALETTU A., 2007). Ainsi, en 2011, le Yunnan a vendu 37 631 000 MWh, dont 32 303 000 MWh ont été achetés par la province de Guangdong, 3 976 000 MWh par la Birmanie et 104 000 MWh par le Laos16. L’hydroélectricité produite par des barrages du Yunnan serait donc une source majeure d’énergie pour le Guangdong, et l’aménagement rapide et la gestion efficace des ressources du Mékong apparaît comme l’une des principales conditions du futur développement de cette province (MAGEE D., 2006).

24 Le Yunnan exporte aussi de l’électricité vers les pays voisins : en Birmanie, depuis 1995, au Laos, depuis 2002, et en Thaïlande et au Vietnam depuis 2004 (GOH E., 2007). Le principal consommateur d’hydroélectricité chinoise dans la région est la Thaïlande, qui reçoit annuellement 1 500 MW, fournis par le barrage de Jinghong. Cette entente devrait perdurer et se renforcer, puisqu’en 2017, selon les accords bilatéraux sino-thailandais, la quantité d’électricité importée de Chine en Thaïlande devrait atteindre 3 000 MW (MEHTONEN K., 2008). Les installations hydroélectriques sur le Mékong sont donc de plus en plus intégrées dans la logique du commerce international et régional d’énergie, elles font donc partie d’un système socioéconomique complexe et multiniveaux.

25 Ces quinze dernières années, la RPC a multiplié les accords avec ses voisins du Sud dans le domaine de la coopération énergétique. Le gouvernement chinois a notamment réalisé une série d’importants investissements dans le développement des infrastructures et des installations électriques sur les territoires des régions frontalières avec le Yunnan. Cela a permis l’intégration progressive des régions voisines au réseau électrique chinois du Sud (China Southern Power Grid). Dans un premier temps, ce réseau a d’abord assuré des transferts d’électricité d’Ouest en Est, mais cette connexion a aussi été progressivement utilisée pour le transit. Par exemple, en 2006, la Chine a investi dans la construction d’un barrage sur le fleuve Shweli, au nord de la Birmanie, pour une capacité totale installée de 600 MW (LI H., 2009). Intégrée au réseau électrique chinois, cette station hydroélectrique birmane exporte la moitié de sa production en Chine, production qui est ensuite acheminée vers le littoral oriental à travers le réseau électrique du Yunnan. Un scénario similaire se produit également au Laos et au Vietnam. Le Yunnan joue donc aussi un rôle important dans la stratégie nationale de diversification des sources extérieures d’énergie, cette province étant un lieu de transit pour l’électricité que la Chine importe de plus en plus activement depuis l’Asie du Sud-Est.

17 En avril 2000, la Chine a signé un accord sur la navigation commerciale avec la Birmanie, le Laos e (...)
26La construction des barrages sur la section chinoise du Mékong vise également un objectif commercial : il s’agit d’améliorer la navigabilité du fleuve sur le territoire chinois afin de le transformer en artère de transport entre les six pays riverains. Le développement du trafic fluvial permettrait à la RPC d’exporter plus facilement ses produits manufacturés vers l’Asie du Sud-Est, allégeant ainsi l’encombrement des ports maritimes chinois. Depuis le début des années 2000, la Chine a réalisé bon nombre de travaux de déblaiement (dynamitage de blocs de pierres et de rapides, dragage du fleuve) sur le Mékong, afin d’éliminer les obstacles physiques à la navigation entre le Yunnan (le port de Simao) et les grandes villes riveraines des pays voisins – Chiang Khong en Thaïlande et Luang Prabang au Laos17.


27 Ces mesures ont permis la circulation de bateaux de 150 DWT18, ce qui a contribué à l’augmentation du trafic commercial et au développement d’une douzaine de ports fluviaux entre Simao et Luang Prabang (OSBORNE M., 2007). Suite à la croissance du trafic sur le Mékong et du commerce avec la Chine, la Thaïlande a décidé, par exemple, d’améliorer ses infrastructures portuaires en construisant un nouveau port à Chiang Khong : Chiang Saen 219. De plus, selon les autorités chinoises, les barrages sur le Lancang jiang devraient stabiliser le niveau du fleuve, réduire l’intensité des courants et augmenter la profondeur de certaines sections, ce qui devrait permettre le passage des bateaux de 500 DWT (HAMLIN T., 2008). Ce type de bateau pourra plus facilement assurer le transport des produits pétroliers que la Chine importe de Thaïlande via le Mékong au terminal de Guanlei dans le port fluvial de Jinghong au Yunnan (MACAN-MARKAR M., 2005). Ainsi, l’amélioration de la navigabilité du Mékong est officiellement au cœur des préoccupations politiques de Pékin envers ses voisins du Sud : elle a pour but de contribuer de manière importante au développement de la coopération commerciale entre les régions riveraines, en approfondissant la complémentarité de leurs économies respectives.

28 Pour le gouvernement chinois, l’aménagement hydraulique et la gestion efficace du potentiel du Mékong répondent donc non seulement aux objectifs du développement national mais aussi à ceux de la croissance économique et de l’intégration régionale. Le fleuve et ses ressources énergétiques jouent un rôle décisif dans la stratégie du développement actif de la province du Yunnan et du Grand Ouest chinois, stratégie dont la réalisation représente l’une des priorités de la politique intérieure de la RPC. Le Mékong occupe aussi une place importante au sein de la politique internationale du pays : son aménagement est devenu un moyen d’intégration économique entre la Chine en général (et le Yunnan en particulier) et l’ensemble du Sud-est asiatique.

LE CONFLIT INTERNATIONAL AUTOUR DE LA GESTION DU MÉKONG : ACTEURS ET PROBLÈMES PRINCIPAUX

UN BASSIN VERSANT INTERNATIONAL

29 Aux yeux des dirigeants chinois, le développement hydro-électrique de la portion du Mékong qui coule sur leur territoire va de soi. Confrontée à une forte demande, à la recherche d’énergie plus propres et traditionnellement centrée sur elle-même, la RPC ne se pose même pas la question, du moins officiellement, de savoir ce qu’en pensent les pays situés en aval et qui doivent composer avec les conséquences des décisions prises par le pays situé en amont. L’une des caractéristiques du Mékong est pourtant qu’il s’agit d’un bassin versant international, et que les questions liées à sa gestion ont des conséquences sur les autres pays ripariens (OSBORNE, 2000). Ces derniers, tous membres de l’Association des Nations du Sud-est Asiatique (ASEAN)20, partagent pourtant une histoire turbulente et mouvementée avec la Chine, ce qui complique les choses lorsqu’il s’agit de s’assoir à la table des négociations.

30 Long de 4 800 km, le Mékong est appelé de diverses façons selon les pays traversés mais son nom générique est une contraction de celui que lui donnent les Thaïlandais : Mae Nam Khong, qui peut se traduire par « Mère de toutes les eaux » (OSBORNE, 2000). Cela reflète à quel point il constitue une ressource importante pour les pays qu’il draine, à savoir successivement la Chine, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam, que ce soit en tant que source d’eau potable ou d’irrigation, de voie commerciale, de ressource halieutique ou de potentiel énergétique. C’est en Chine qu’il coule sur la plus longue portion (2 200km), même si son bassin versant n’y représente que 1,7 % de la superficie du pays21. Il sert ensuite à plusieurs reprises de frontière, entre Birmanie et Laos d’abord, puis entre Laos et Thaïlande plus en aval, ce qui est loin d’être anecdotique et confirme sa dimension géopolitique, à la fois de lien et de séparation entre les pays de la région. Divisant parfois les peuples, son exploitation internationale semble être une nécessité, même si chacun a tendance à lui attribuer une valeur identitaire, à commencer par les Laotiens et les Cambodgiens. Plus de 85% du territoire de la République Démocratique Populaire Lao et du Royaume du Cambodge se situent d’ailleurs dans le bassin versant du Mékong, lequel draine plus de la moitié de l’Asie du Sud-Est continentale. Au-delà des chiffres, le fleuve a de tout temps marqué de son empreinte les activités humaines de la région et sa valeur est à leurs yeux bien supérieure à sa seule valeur économique, pourtant indéniable.

LA MRC : UN MARIAGE DE RAISON ENTRE LES PAYS D’ASIE DU SUD-EST


31 En dépit d’une histoire agitée et de tensions politiques souvent très vives à l’échelle régionale, les pays de la péninsule indochinoise se sont trouvés contraints de se concerter et de collaborer pour exploiter, développer et protéger le Mékong (OSBORNE, 2000). Dès 1957, sous l’égide des Nations-Unies (et en dépit d’une situation politique encore explosive), le Comité du Mékong (Mekong Committee) a vu le jour, premier effort de gestion concertée des eaux du Mékong et de coopération à l’échelle régionale. Du fait de l’instabilité politique de l’époque, cette initiative se révéla un échec et le Comité fut dissous à la fin des années 1970. C’est en 1991, à l’instigation du Cambodge que les démarches reprirent, menant à la signature en 1995 d’un accord liant le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam et marquant la fondation de la Mekong River Commission (MRC)22. Le secrétariat de la MRC était basé à Vientiane, au Laos (photo 2) et cette organisation internationale visait initialement à fournir un cadre institutionnel permettant d’appliquer les principes de développement durable de l’accord de 1995.

Les objectifs principaux de la MRC sont au nombre de quatre :
Promouvoir et appuyer un développement coordonné, durable et favorable aux pauvres (pro-poor);

Faciliter et améliorer une coopération régionale efficace;

Renforcer à l’échelle du bassin la surveillance environnementale et l’étude des impacts

Renforcer les capacités en matière de gestion intégrée de la ressource en eau et alimenter la base de connaissances des membres de la MRC, des comités nationaux et des agences et des différentes intervenants.
32 Ces objectifs étaient ambitieux et louables, mais la MRC affichait déjà d’importantes faiblesses, notamment l’absence de la Birmanie et surtout de la Chine, mais aussi le fait qu’au même titre que l’ASEAN, elle ne possédait aucun moyen d’obliger qui que ce soit à appliquer ses recommandations. Si les deux absents précédemment mentionnés sont depuis lors devenus « partenaires de dialogue » de la MRC (en 1996), Pékin n’a jamais reconnu la moindre validité à ses avis et recommandations, même si elle s’est de toute manière rarement risquée à critiquer ouvertement la PRC à propos de sa gestion en amont du Mékong. De fait, la MRC est considérée comme un simple organisme consultatif, incapable d’empêcher ses états membres - et a fortiori la Chine - d’agir unilatéralement.

DES BARRAGES CONTROVERSÉS

33 La question du développement hydro-électrique du Mékong a toujours été un point sensible, même au sein de la MRC. En fait, comme le regrette Milton Osborne dans The Economist, les gouvernements des pays concernés sont plutôt favorables aux projets de barrages sur le cours principal du Mékong, la principale question étant surtout de savoir où les installer et qui va en bénéficier et non s’il faut en construire23. Parmi les nombreux projets qui ont fleuri au cours des dernières années, c’est celui de Xayabouri, au Laos, qui semble le plus à même d’en être la première concrétisation (PEARSE-SMITH, 2011). Toutefois, il est peu douteux qu’une fois ce premier projet réalisé, d’autres suient à un rythme accéléré (PEARSE-SMITH, 2011). En dépit des objectifs affichés de la MRC, il n’y a donc pas d’opposition gouvernementale à des projets hydroélectriques sur le Mékong. Mais la question des barrages chinois en amont n’est pas vue de la même manière et elle soulève bien des controverses, de diverses origines, même si les gouvernements concernés demeurent très discrets, résignés en fait. (OSBORNE, 2000)

34  Les principales contestations proviennent donc de ceux que Yong et Grundy-Warr qualifient de « lobby-anti barrages ». Ce « lobby » regroupe un ensemble hétérogène d’acteurs, d’agences et de réseaux, s’opposant au lobby pro-hydroélectricité, et soulignant le besoin « urgent et critique » de connaissances concernant les impacts de ces ouvrages, de leurs effets et sans lesquels il ne peut y avoir de développement durable et efficace du bassin du Mékong (YONG et GRUNDY-WARR, 2012).

35  En fait, la principale pierre d’achoppement, comme souvent dans des situations de bassin versant international, est l’évaluation des effets des barrages sur le débit du fleuve, sa biodiversité et sa navigabilité. En ce qui concerne ce dernier point, et même s’il ne s’agit pas de la fonction première des barrages du Lancang Jiang, les autorités chinoises ont précisé que ces ouvrages allaient plutôt avoir un effet bénéfique sur le contrôle des crues et donc améliorer la navigabilité en question (PEARSE-SMITH, 2011). Le second point litigieux est l’impact des barrages sur les ressources halieutiques, notamment la migration des espèces à travers les ouvrages, en dépit des passes installées à cet effet. Du point de vue des écologistes, le résultat de ces mesures de mitigation est un échec et l’impact sur les populations riveraines risque d’être catastrophique24.

36  En fait la principale pomme de discorde est en fait la ressource en eau elle-même. Le régime du Mékong est devenu particulièrement irrégulier ces dernières années et chaque sécheresse a maintenant une dimension particulièrement alarmante aux yeux des populations riveraines. La dernière en date, en 2010, a soulevé une tempête médiatique et les barrages chinois ont été pointés du doigt, en dépit des dénégations de Pékin. Il semblerait que les causes de cette sécheresse aient été autres (PEARSE-SMITH, 2011), mais la méfiance à ce sujet demeure, surtout dans le contexte des changements climatiques.

EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

37  En effet, il semble que l’un des principaux facteurs de l’évolution du Mékong n’est pas les efforts de développement hydro-électrique, mais les changements climatiques. Selon l’ADB (ADB, 2012a) ces derniers vont avoir d’importants effets, notamment sur le Mékong et sur sa production hydro-électrique, à savoir :

38- Une augmentation de l’écoulement annuel (estimée à 21%), entraînant une forte augmentation de la charge en sédiments;

39- Une augmentation du débit de 9% à 22%, et ceci autant dans le bassin supérieur que dans le bassin inférieur du Mékong et ses tributaires.

40- Un accroissement du nombre, de la profondeur et de la durée des inondations, ce qui pourrait endommager les barrages lors d’évènements extrêmes.

41- Selon l’ADB, les liens complexes entre les changements climatiques, les barrages sur le cours principal et plusieurs autres phénomènes dans le bassin pourraient mener à :

Des problèmes de sécurité alimentaire,
Une dégradation de la qualité de l’eau,
Des pertes en biodiversité,
Des limitations aux efforts de réduction de la pauvreté,
Une augmentation du potentiel hydro-électrique dans le bassin du Mékong.
42  La quantification de ces effets tels qu’identifiés par l’ADB doit être nuancée, car elle n’est pas partagée par tous les chercheurs ayant travaillé sur le sujet. Kingston et al., sans nier les changements climatiques et leur impact potentiel sur la région, mettent particulièrement l’emphase sur le degré d’incertitude quant à l’effet de ces changements sur les précipitations et par voie de conséquence sur le débit du Mékong. S’appuyant sur des modèles statistiques sophistiqués, les auteurs précisent que cette incertitude est telle qu’il est même difficile de savoir si l’effet résultant sera une diminution ou une augmentation du débit du fleuve (KINGSTON et al., 2011). Il faut par ailleurs distinguer l’impact sur le débit du fleuve de ces changements climatiques et celui des barrages, qui est évoqué plus loin, et qui est bien plus important en termes d’ampleur.


43  Il est également important de mentionner que l’impact des barrages chinois sur le débit est d’autant plus faible au fur et à mesure qu’on progresse vers l’aval, tout d’abord parce que de nouveaux tributaires viennent alors se jeter dans le Mékong, apportant leur propre contribution à ce débit et venant éventuellement compenser dans une certaine mesure le déficit. Toutefois, il existe déjà des installations hydroélectriques sur ces tributaires, notamment au Laos et au Vietnam, et leur impact est déjà important, bien que variant selon le type de production électrique proposé par le barrage25 (HECHT et al, 2013), et ce tant sur la disponibilité de l’eau, que les ressources halieutiques ou le transport de sédiments.

44  Il semblerait de toute manière qu’on se dirige vers une évolution du contexte dans lequel les barrages vont être amenés à opérer, laquelle n’était pas planifiée lors de leur construction. Quelle qu’en soit sa cause réelle et son ampleur, la seule perspective d’une raréfaction de la ressource tant en ce qui concerne l’eau que les poissons, aurait des conséquences catastrophiques sur les populations riveraines. Les tensions risquent de se raviver, tant à l’échelle internationale que régionale. Risque-t-on pour autant une guerre de l’eau dans le Mékong ? Selon Pearse-Smith, si l’accroissement des tensions est fort probable, il n’en est pas de même pour un éventuel conflit armé, notamment du fait de ce qu’il a appelle « l’impraticabilité stratégique » d’un tel conflit et parce que les protagonistes semblent avant tout rechercher la modernisation et le développement, ce qu’un conflit ne pourrait que freiner ou empêcher (PEARSE-SMITH, 2011).

LA GESTION DU MÉKONG VUE DE LA CHINE

UN PROBLÈME RAMENÉ À DES DIMENSIONS LOCALES

45 En Chine aussi, l'aménagement hydro-électrique du Mékong a fait l'objet de nombreux articles académiques ces quinze dernières années. Pour mieux comprendre la perspective chinoise de la gestion du Mékong et de l’utilisation de ses ressources, nous avons réalisé des recherches bibliographiques en Chine en étudiant les publications des chercheurs et des experts chinois consacrées aux différents aspects du développement hydroélectrique du fleuve. Les résultats de ce travail ont été affinés et complétés par des entretiens conduits auprès d’experts et de fonctionnaires locaux concernés par la question. L’ensemble des informations recueillies nous permet de dresser un portrait d’ensemble du point de vue chinois et sur la politique adoptée par Pékin dans ce dossier.

46 Une recherche bibliographique dans la plus grande base de données chinoise - Wanfang Data26 (万方数据), a révélé plus de cinq cents publications de chercheurs chinois, toutes disciplines confondues, consacrées au Lancang jiang (utilisant ce nom comme mot-clé). Cela couvre un grande variété de sujets, allant des études techniques sur la faisabilité des barrages, aux différents modèles de turbines et types de ciment à utiliser, aux rapports qui évaluent l'impact écologique des barrages déjà construits, ou qui présentent les vues de la population concernée sur le déplacement et l'inondation de leurs terres ancestrales.

47 Une grande partie de ces articles ont été publiés dans des journaux régionaux ou dans ceux des universités provinciales, comme par exemple Yunnan shehui kexue [云南社会科学] – Social Sciences in Yunnan ou Yunnan daxue xuebao [云南大学学报] – Journal of Yunnan University. Cela illustre bien la volonté de la Chine d'attribuer à la question de gestion et de développement des ressources du Mékong un caractère régional, de la circonscrire à une dimension locale plutôt que nationale et encore moins internationale (SUMMERS T., 2008). On retrouve d’ailleurs cette notion de "problème régional" dans la plupart des publications chinoises officielles sur l'aménagement du Lancang Jiang, lesquelles soulignent son importance pour le "développement local" de la province de Yunnan, parfois pour la région du Sud-est de la Chine, mais jamais au-delà.

48 Cette stratégie a permis au gouvernement chinois de déplacer le centre de décision concernant l'exploitation des ressources du fleuve vers le niveau provincial. C'est donc aux autorités du Yunnan qu’il revient de planifier et de réaliser tous les projets d'aménagement du Mékong mais aussi d'assumer les responsabilités qui en découlent, y compris à répondre aux critiques internationales et aux demandes des autres pays riverains. En faisant de la gestion du Mekong un problème d'ampleur régionale, Pékin entend transférer la discussion sur ce sujet vers une autre perspective, un niveau de moindre importance dont le potentiel de nuisance internationale est beaucoup plus réduit.

49 Les sources chinoises mettent l’accent sur le fait que l’aménagement hydroélectrique du Mékong joue tout d’abord un rôle très important dans le développement économique local. Les barrages ont pour fonction de produire l’énergie indispensable au décollage économique du Yunnan bien entendu, mais aussi des régions voisines. On dispose là d’une énergie stable, renouvelable, considérée comme moins polluante et dangereuse pour l’équilibre environnemental que les autres sources d’énergie utilisées en Chine. Sa mise en valeur répond donc à deux grands objectifs primordiaux pour la politique intérieure de Pékin ces dernières années : le maintien des rythmes de croissance économique et le changement du modèle de développement en encourageant l’utilisation des énergies renouvelables et des technologies vertes. Ce sont aussi les deux critères principaux d’évaluation des hauts cadres du Parti Communiste Chinois locaux, dont la promotion et la future carrière dépendent de leur capacité à atteindre les objectifs économiques et écologiques fixés par le gouvernement central. De fait, la construction et la mise en service des barrages sur le Mékong répond non seulement à des ambitions économiques, mais aussi à des motivations d’ordre politique particulièrement puissantes en Chine et qui encouragent les autorités locales à poursuivre et à adopter les projets de développement hydroélectrique.

UNE VISION OPTIMISTE DES EFFETS DES BARRAGES


50 En défendant la construction de la cascade de barrages sur la section chinoise du Mékong, les autorités locales soulignent souvent que son coût humain et écologique a été relativement peu élevé, surtout comparativement à d'autres projets, notamment le barrage des Trois Gorges. En effet, la plupart de barrages sur le Lancang Jiang se situent dans les zones peu peuplées, loin des régions agricoles ou industrielles développées. Au total, les sources chinoises indiquent que la construction de la cascade de barrages sur Mékong n’a causé la perte « que » de 10 294 hectares de terres agricoles et a nécessité le déplacement de 79 908 personnes (tableau 2)27 . À titre de comparaison, le barrage des Trois Gorges a impliqué le déplacement de plus d’un million de personnes et l'inondation de 245 000 ha de terres agricoles. De ce point de vue, « la construction des barrages sur le Mékong est beaucoup plus rentable, elle n'engendre pas de coûts supplémentaires comme c'est le cas des barrages sur le Yangzi et ses affluents qui sont néanmoins en phase de construction initiale ou d’étude de faisabilité et d’adoption officielle de projet »28.


51 L’impact écologique de la construction de ces barrages a fait l’objet d’un certain nombre d’études du côté chinois aussi, certaines d’entre elles répertoriant les conséquences négatives déjà notées, faisant état du monitoring de la situation environnementale autour des sites de construction et évaluant les futurs risques écologiques pour des projets en cours de réalisation (ZHONG H., WANG J., 2010). Ces études font aussi état, sans que ce soit contestable, de l’effet régulateur potentiel des ouvrages de ce genre sur le débit du fleuve, lorsque gérés de manière efficace. Cependant, à notre connaissance, il n’existe aucune étude chinoise sur l’influence de la cascade de barrages tout entière sur l’environnement des zones concernées ou sur le fleuve en général. La plupart des publications concernent uniquement la section chinoise du Mékong, ou bien analysent l’impact écologique d’un barrage en particulier, très peu d’études mettent leurs recherches en perspective en incluant les données recueillies en aval du fleuve par les autres pays.

DÉVELOPPEMENT D’UNE EXPERTISE EXPORTABLE

52 Quant aux préoccupations des autres pays riverains concernant l’impact des barrages chinois sur le fleuve et le droit de la Chine à construire ses barrages sans avoir consulté ses voisins, elles sont jugées peu légitimes par le gouvernement de la RPC. Pékin ne conteste pas le fait que la construction des barrages chinois a joué un certain rôle dans les changements écologiques observés en aval du fleuve depuis quelques dernières années. Cependant, selon les autorités et les experts chinois les barrages n’en sont pas la seule cause et l’ampleur des conséquences négatives du développement hydroélectrique chinois pour l’environnement du Mékong est surestimée (FENG Y., HE D., GAN S., 2005).


53 Les chercheurs et les experts chinois défendent d’ailleurs activement dans les journaux académiques le droit de la Chine d'utiliser les ressources du Mékong situées sur son territoire national. Cette position s’appuie sur plusieurs arguments facteurs économiques et sociopolitiques d’ordre général : parmi les six pays riverains du Mékong, c’est la Chine qui a la plus vaste superficie et la plus forte population, ainsi que la vitesse de développement économique continue la plus rapide (LONG Q., LIN C., 2006). Étant le pays le plus développé de la région, la RPC a les opportunités financières mais surtout le savoir-faire technique d'entreprendre l'aménagement hydroélectrique du Mékong à grande échelle. Il est donc logique que la Chine soit le premier pays à le faire. Quant aux autres pays riverains, cela leur sera par la suite bénéfique puisqu’ils pourront ensuite bénéficier de son expérience et de ses techniques déjà éprouvées dans des conditions et des terrains similaires29.


54   Cet argument a été adopté par les entreprises chinoises impliquées dans les différents projets hydroélectriques sur le Mékong et sur d’autres fleuves internationaux. On le retrouve souvent dans le discours public de ces entreprises (dans les interviews de leurs employés et dirigeants, dans leurs brochures et sur leurs sites officiels). Les pays en aval, comme le résume cet employé de China Guodian Corporation, « ont des ressources [en eau], nous avons l’argent, la technologie et le management. […] Au lieu de se quereller inutilement sur qui a le droit de développer le potentiel hydroélectrique du Mékong, il faut agir ensemble et établir une coopération efficace [entre les pays riverains], ainsi tout le monde sera gagnant. La construction de barrages est une solution durable et abordable à des problèmes de pénurie d’énergie dans les régions concernées. Cela donnerait aux sociétés locales une chance de se développer plus rapidement et d’augmenter considérablement leur niveau de vie »30.

55  Ce type de discours semble relever d’une rhétorique officielle plus large : il fait partie des arguments avancés par le gouvernement chinois pour promouvoir sa stratégie du going out [走出去战略zouchuqu zhanluë], lancée en 1999, qui encourageait les entreprises chinoises à investir à l’étranger. En effet, depuis le lancement de cette politique, certaines compagnies ont commencé à participer de plus en plus activement aux projets de construction de barrages à l’étranger, exportant ainsi le savoir-faire et les méthodes de travail et de gestion chinois (MCDONALD K., BOSSHARD P., BREWER N., 2009). Leur premier terrain d'action fut l'Afrique, où la Chine a décroché de nombreux contrats gouvernementaux grâce entre autres au moindre coût de ses installations par rapport à celles des compagnies européennes ou américaines. Tel est le cas, par exemple, du barrage Tekeze sur le Nil, en Éthiopie, ou du celui de Dickge Hong au Botswana, construits tous les deux par Sinohydro Corporation. Entreprise d’État, Sinohydro est la plus grande entreprise hydroélectrique de Chine. Elle contrôle 70 % du secteur hydroélectrique national et a réalisé plus de 260 projets dans 55 pays étrangers (GUO A., 2011).

31 Zhongguo dianli nianjian, op.cit., p. 29 sq
56Riches de leurs expériences africaines, les compagnies chinoises souhaitent désormais élargir leur champ d'action et pénétrer les autres marchés prometteurs, dont ceux de l'Asie du Sud-Est. Ainsi, au Cambodge, les grandes compagnies chinoises, dont Sinohydro Corporation, construisent aujourd’hui trois barrages – ceux de Stung Atay, ayant une capacité installée de 120 MW, Sambor (108 MW), et de Kamchay (9 500 MW)31. Cette stratégie de going out des compagnies hydroélectriques chinoises en Asie du Sud-Est est soutenue par les banques de la RPC, notamment la China Export-Import Bank et la China Development Bank, qui financent de nombreux projets dans le cadre de programmes d’aide de la Chine aux pays en développement et des accords de coopér

 
 
 
 

CUBA - HISTOIRE

 



 

 

 

CUBA : HISTOIRE
1. La domination espagnole
2. La tutelle américaine
3. L'ère Batista
4. Le régime castriste
4.1. La défense de la révolution
4.2. L'institutionnalisation du régime
4.3. Les « missions » de Cuba en Afrique, dans la Caraïbe et en Amérique latine
4.4. La fin de l'ère soviétique et l'isolement du régime
5. Cuba à l'heure de la transition
5.1. Vers la fin de l'isolement
5.2. La question des droits de l'homme
5.3. D'inévitables réformes économiques
5.4. Vers la normalisation des relations avec les États-Unis
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Cuba : histoire
Che Guevara
1. La domination espagnole

Découverte en 1492 par Christophe Colomb, Cuba est conquise entre 1511 et 1513 par Diego Velázquez. Ici comme ailleurs, la conquête produit un effondrement rapide de la population indienne. Jusqu'en 1540 environ, l'île sert de base d'opérations pour la conquête du continent américain, fournissant aussi bien des hommes (Herńan Cortés part de Cuba, en 1519, pour son expédition au Mexique) que l'équipement et le ravitaillement (farine et bétail). À cette époque, l'importance de Cuba est surtout stratégique : La Havane, escale pour les flottes espagnoles et port fortifié, contrôle le détroit de la Floride et l'entrée de la mer des Antilles.
L'économie de plantation se développe très tôt. Le tabac, dont l'Espagne se réserve le monopole, et les plantes tinctoriales sont les premières productions. La canne à sucre, apparue vers 1548 autour de Santiago, se répand au xviie s. et triomphe au xviiie siècle ; mais, pendant les deux premiers siècles de la présence espagnole, l'élevage reste l'activité dominante de l'île. L'occupation momentanée de La Havane par les Anglais (1762-1763) accélère cependant le mouvement de modernisation administrative : les Cubains reçoivent alors la liberté de commerce avec l'Espagne.
De 1791 à 1804, la guerre d'indépendance de la colonie française de Saint-Domingue provoque la ruine de ce qui était la plus riche colonie sucrière esclavagiste du monde américain. Cuba prend alors la place de Saint-Domingue comme premier producteur de sucre au monde. Au même moment, la culture du café est introduite par les immigrants français fuyant la révolution de Saint-Domingue.
L'accroissement du nombre d'esclaves noirs et la crainte des révoltes expliquent la fidélité de l'élite créole à l'Espagne, lors des guerres d'indépendance de l'Amérique latine. Malgré des soulèvements noirs (province d'Oriente en 1812), des conspirations créoles et des tentatives américaines pour racheter l'île, la présence espagnole ne sera pas sérieusement mise en cause avant 1868. Le soulèvement, cette année-là, de Carlos Manuel de Céspedes, qui libère alors ses esclaves, marque le début de la « guerre de Dix Ans » (1868-1878). L'insurrection, puissante dans les provinces d'Oriente et Camagüey, n'arrive pas à s'étendre à l'ouest du pays et à la ville de La Havane. Par la paix de Zanjón, Cuba obtient finalement une certaine autonomie et, en 1880, l'esclavage y est aboli. Cependant, les troubles continuent et, en 1895, à la faveur d'une crise sucrière, le poète José Martí et les généraux rebelles Máximo Gómez et Antonio Maceo se soulèvent de nouveau et proclament la république. La répression brutale du général espagnol Weyler indigne les Américains, qui contrôlent déjà le marché du sucre cubain. L'explosion du cuirassé Maine (février 1898), en rade de La Havane, provoque une guerre entre l'Espagne et les États-Unis. Battue, l'Espagne renonce à sa colonie, lors de la signature du traité de Paris (10 décembre 1898). Mais les insurgés cubains sont tenus à l'écart des négociations, l'île étant soumise à un gouvernement militaire américain.
Pour en savoir plus, voir les articles Antilles, canne à sucre, histoire de l'Espagne, La Havane, José Martí.
2. La tutelle américaine

En 1901, le général américain Wood organise l'élection par les Cubains d'une assemblée constituante, qui adopte, sitôt élue, une Constitution de type présidentiel. Mais le Congrès américain impose l'amendement Platt, aux termes duquel Cuba doit soumettre tout accord diplomatique et militaire à l'autorisation de Washington. Les États-Unis imposent, en outre, un droit d'intervention en cas de troubles et la cession de deux bases navales ; en échange, les produits cubains – le sucre, en particulier – bénéficient de privilèges douaniers aux États-Unis. Les Américains évacuent l'île en 1902, et le gouvernement se constitue sous la présidence de Tomás Estrada Palma. En 1906, les incidents provoqués par la réélection du président Palma et le soulèvement des libéraux de José Miguel Gómez amènent une nouvelle occupation américaine, qui dure jusqu'en 1912. Les États-Unis interviennent de nouveau en 1917, lors de l'insurrection de Gómez contre le président Mario García Menocal (1917-1919). Pendant cette période, les liens unissant l'économie cubaine à celle des États-Unis se resserrent, en particulier grâce à la loi du 17 novembre 1914, qui institue la parité entre le peso et le dollar. L'île est alors soumise à la quasi-monoculture de la canne à sucre.
Après la Première Guerre mondiale, la dépression économique provoque des troubles sociaux accompagnés d'un vif ressentiment à l'égard des États-Unis, confirmé par l'élection contestée d'Alfredo Zayas, en 1921. Puis le pays est soumis à la dictature du général Gerardo Machado (1925-1933). La crise de 1929, qui touche durement l'économie sucrière et accroît le mécontentement, se termine par la chute du gouvernement, en partie renversé par l'armée cubaine et le sergent Fulgencio Batista. Mais, devant la persistance du sentiment anti-américain, les États-Unis renoncent à leur droit d'intervention à Cuba dès 1934.
3. L'ère Batista

Devenu général, Fulgencio Batista domine, à partir de 1933, la vie politique de Cuba. Soutenu par les États-Unis, il s'oppose au libéral Ramón Grau San Martín, assure l'élection des présidents Carlos Mendieta (1934) et Miguel Mariano Gómez (1936) puis, de 1940 à 1944, détient le pouvoir à titre personnel. En 1944, à la faveur d'élections libres, Grau San Martín devient président ; mais son successeur, en 1948, Carlos Prío Socarrás, se discrédite aux yeux de tous. Fulgencio Batista reprend alors le pouvoir (10 mars 1952), bien accueilli par les syndicats et les communistes, qui ont déjà collaboré avec lui en 1940. Cependant, l'arbitraire et la corruption poussent l'opposition intellectuelle et paysanne hors des partis traditionnels : une première rébellion armée, qui s'est attaquée à la caserne de la Moncada, à Santiago de Cuba (26 juillet 1953), est réprimée brutalement, et son promoteur, Fidel Castro Ruz, emprisonné ; amnistié, ce dernier se réfugie au Mexique.

Che Guevara

Fulgencio Batista est ensuite réélu en 1954. Cependant, le 2 décembre 1956, Fidel Castro débarque avec 80 partisans dans la province de l'Oriente, mais seule une poignée d'hommes, dont Che Guevara, réussit avec lui à prendre le maquis dans la sierra Maestra où, pendant deux ans, ils tiennent tête au gouvernement. La résistance urbaine, organisée par d'autres mouvements, se développe également, la guérilla rurale de Castro s'étendant dans les provinces orientales. Les États-Unis hésitent sur la politique à suivre. En mars 1958, ils suspendent l'envoi d'armes à Batista. Malgré l'échec d'une grève générale en avril, les insurgés brisent en juin la dernière grande offensive du gouvernement et lancent, à Noël 1958, une contre-offensive générale qui aboutit, en janvier 1959, au départ de Batista et à la proclamation d'Urrutia comme président (5 janvier 1960) par Fidel Castro. Une semaine plus tard, les États-Unis reconnaissent le nouveau régime.
4. Le régime castriste

4.1. La défense de la révolution

Fidel Castro
Bénéficiant d'un soutien populaire très favorable, le nouveau régime entreprend immédiatement des changements radicaux. Sur le plan institutionnel, une « loi fondamentale » remplace la Constitution de 1940. Créé le 16 octobre 1959, le ministère des Forces armées révolutionnaires (MINFAR) – l'organisation d'avant-garde la plus sûre du régime – est placé sous le commandement de Raúl Castro Ruz, frère cadet de Fidel. La volonté de rupture avec le passé se prolonge par le lancement, la même année, d'une vaste réforme agraire (suivie d'une seconde en 1963) et la nationalisation des entreprises industrielles et commerciales du pays. Cette nouvelle politique mettant en péril les intérêts américains dans l'île, les États-Unis décrètent, le 10 octobre 1960, l'embargo total sur les importations et exportations cubaines.

Fidel Castro, 1960
En avril 1961, 2 000 contre-révolutionnaires cubains, entraînés par la CIA, débarquent dans la baie des Cochons (Playa Girón), dans le sud de l'île, mais les assaillants sont rapidement écrasés par les forces castristes. L'orientation communiste du régime s'accélère alors, aboutissant, en décembre 1961, à la proclamation par Fidel Castro du caractère socialiste de la révolution. Les États-Unis obtiennent l'exclusion de Cuba de l'Organisation des États américains (OEA) en janvier 1962, et complètent ensuite leur arsenal répressif en imposant à l'île révolutionnaire un blocus économique et commercial.
L'Union soviétique profite alors de la confrontation entre Cuba et les États-Unis pour s'introduire dans la région des Caraïbes, longtemps domaine réservé de l'influence américaine : une aide massive en armes, matériel, conseillers et techniciens est fournie à Cuba, ce qui ne fait que conforter les Américains dans leur politique agressive.

John Fitzgerald Kennedy, le 22 octobre 1962
En 1962, le monde apprend que des missiles soviétiques ont été disposés sur le territoire cubain et pointés vers les États-Unis ; cette découverte provoque une crise internationale majeure (crise de Cuba). Les États-Unis, menaçant de déclencher une guerre, procèdent au blocus naval de l'île. La conflagration mondiale est évitée par Nikita Khrouchtchev, qui, démonstration faite de la puissance soviétique, accepte de démanteler les rampes de missiles.
Pour en savoir plus, voir l'article crise de Cuba.
4.2. L'institutionnalisation du régime

Le régime castriste consolide son pouvoir exclusif avec la création, le 1er octobre 1965, du parti communiste cubain (PCC), dont Fidel Castro est le secrétaire général. Issu des FAR, le PCC est exempt de toute lutte d'influence avec elles et constitue le second pilier du pouvoir. Poursuivant son intégration dans le monde communiste, Cuba obtient du « grand frère » soviétique qu'il s'engage à acheter chaque année, bien au-dessus du cours mondial, la moitié de la production de sucre cubaine. L'intégration économique de Cuba, qui intègre le Comecon en 1972, aux pays d'Europe de l'Est s'opère de plus en plus par le biais de commissions bilatérales, Fidel Castro se réservant les domaines de la réforme agraire et de la santé. Cependant, le principe général du Comecon étant fondé sur la spécialisation régionale ou nationale de la production, la politique économique ne fait que renforcer la dépendance de Cuba vis-à-vis de la production sucrière. Les progrès réalisés par le régime en matière d'éducation et de santé sont une grande réussite et, forte de son expertise, Cuba dispensera, à partir de 1963, une aide médicale gratuite dans de très nombreux pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie. Le premier congrès du PCC, en décembre 1975, puis l'adoption d'une Constitution socialiste, en février 1976, complètent l'organisation institutionnelle du régime, dont la radicalisation se poursuit. Déjà, dans les années 1960, des mesures d'encadrement social et politique avaient accompagné le durcissement du régime (en 1968, nationalisation du commerce privé ; en 1969, livret de travail obligatoire ; en 1971, lois antiparesse, centres de rééducation pour les absentéistes et les « éléments antisociaux », entraînement militaire obligatoire dans les écoles, etc.). Après la première vague d'émigration, consécutive à l'arrivée au pouvoir des révolutionnaires, 125 000 Cubains sont autorisés à partir pour la Floride (1980).
Malgré les pressions américaines, qui, à partir de 1987, pointent les manquements aux droits de l'homme, malgré l'activité des dissidents et les appels au pluralisme politique dans l'île, Cuba ne s'éloigne pas de la voie communiste tracée par Fidel Castro. Le vaste renouvellement qui a lieu à l'occasion du IIIe Congrès du PCC, en février 1986, où de nombreux vétérans sont écartés au profit de femmes, de jeunes et de Noirs, ne modifie pas la ligne du régime. Pourtant, en juin 1989, un procès retentissant ébranle les dirigeants du régime. Le général Arnaldo Ochoa, plusieurs officiers de haut rang ainsi que plusieurs ministres, dont le ministre de l'Intérieur, sont condamnés pour trafic de drogue, corruption et connivence avec une organisation criminelle colombienne, le cartel de Medellín. La secousse est forte, mais Fidel Castro la retourne à son profit et l'utilise pour fustiger la bureaucratie et appeler à son remplacement.
4.3. Les « missions » de Cuba en Afrique, dans la Caraïbe et en Amérique latine

À partir de 1961, plusieurs pays africains (Guinée, Congo-Brazzaville, Angola, Tanzanie, Somalie) ont recours à des instructeurs cubains pour assurer l'entraînement de leurs guérillos sur place ou à Cuba. L'île intervient militairement en 1976 en Angola et apporte, en 1977, une aide militaire massive au gouvernement éthiopien marxiste de Mengistu Hailé Mariam. L'ouverture à La Havane, le 3 septembre 1979, du sixième sommet des non-alignés est pour Castro un incontestable succès personnel. À partir de 1969, Cuba met en sourdine l'expansion de la révolution en Amérique latine. Cette décision, qui rompt avec le guevarisme originel de la révolution cubaine, permet le rétablissement des relations diplomatiques avec plusieurs pays hispano-américains. Cependant, Cuba continue d'apporter un soutien actif aux gouvernemenst caribéens et sud-américains qui s'engagent dans la voie socialiste (Guyana, Nicaragua, Grenade) ainsi qu'à la guérilla du Salvador, ce qui provoque une forte tension avec les États-Unis de Ronald Reagan.
Pour en savoir plus, voir les articles non-alignement, tiers-monde.
L'hostilité américaine permet à Fidel Castro de consolider son régime et de mobiliser le pays, en le préparant à une agression nord-américaine imminente, menace régulièrement brandie par la suite. En 1983, l'état d'alerte national est proclamé après l'invasion de l'île de la Grenade par l'armée américaine, où cette dernière met fin à l'expérience socialiste qui s'y était développée avec l'aide cubaine. La page du soutien actif aux révolutions d'Amérique latine et aux régimes communistes d'Afrique paraît alors définitivement tournée : après avoir mis un terme en 1989 à sa présence militaire en Éthiopie, Cuba procède en 1989-1990 au retrait de ses troupes d'Angola, consacrant ainsi son désengagement du continent africain. Par ailleurs, à la suite du départ des sandinistes, elle interrompt son aide au Nicaragua.
4.4. La fin de l'ère soviétique et l'isolement du régime

La visite de Mikhaïl Gorbatchev, en avril 1989, marque un tournant dans les relations soviéto-cubaines – Fidel Castro condamnant la politique d'ouverture et de transparence prônée par ce dernier. Le démantèlement de l'Union soviétique, le départ de ses troupes installées sur l'île et la fin des subsides provoquent une grave crise économique. Dès 1989, les services de police et de sécurité du ministère de l'Intérieur (MININT) sont placés sous le contrôle des FAR, qui sont également chargées d'administrer les secteurs clés de l'économie. En novembre 1990, le régime déclare l'entrée du pays en « période spéciale » et décrète le rationnement de tous les produits. Malgré la gravité de la situation économique et sociale, le gouvernement castriste durcit sa ligne politique. La dégradation qui s'ensuit pousse la population à des actes de désespoir : en juillet 1990, une cinquantaine de Cubains ayant trouvé refuge dans des ambassades étrangères à La Havane, la police cubaine pénètre dans l'enceinte de l'ambassade d'Espagne, provoquant ainsi une crise diplomatique aiguë entre les deux pays. En 1991, plusieurs milliers de Cubains franchissent, au péril de leur vie, le bras de mer qui sépare La Havane des îles Keys.
Cherchant à faire tomber le régime, les États-Unis durcissent leur embargo contre Cuba (qualifié par ce dernier de « blocus américain »). La loi Torricelli d'octobre 1992 rend illégal, pour un représentant étranger d'une compagnie américaine, le fait de commercer avec Cuba. Lorsqu'en 1994 des émeutes éclatent à La Havane, des milliers de Cubains tentent alors de gagner les côtes de Floride sur des radeaux de fortune : les États-Unis suspendent le droit à l'entrée automatique des Cubains sur leur territoire. En 1996, l'approbation de la loi Helms-Burton autorise l'administration américaine à poursuivre et à sanctionner des entreprises étrangères commerçant avec Cuba.
La visite du pape Jean-Paul II, en janvier 1998, est l'occasion d'une éphémère détente intérieure et internationale : plusieurs prisonniers politiques sont libérés (février) ; les États-Unis annoncent l'allégement de leurs sanctions ; les liaisons aériennes directes sont rétablies, les remesas, transferts de fonds en provenance des émigrés cubains, sont autorisés (droits bientôt étendus à tout résident américain, quelle que soit son origine), ce qui permet à de nombreuses familles de survivre.
Quant aux relations entre Cuba et les États-Unis, leur complexité est une nouvelle fois illustrée par la bataille juridique et médiatique de grande ampleur engagée autour d'Elián González, ce jeune garçon cubain secouru au large des côtes de Floride après le naufrage d'une embarcation de réfugiés (novembre 1999). Recueilli par des membres de sa famille installés à Miami, celui-ci est réclamé par son père soutenu par le régime castriste, qui en fait un symbole national. La justice américaine tranche en faveur de ce dernier, qui ramène son fils à Cuba (juin 2000). Dans les jours qui suivent, la Chambre des représentants adopte un texte autorisant désormais la vente de produits alimentaires et de médicaments à Cuba sous certaines conditions.
Au lendemain de l'élection de George Walker Bush à la présidence des États-Unis, l'administration américaine exerce une pression accrue sur l'île afin d'y hâter la fin du régime de F. Castro. Dans cette optique, Washington augmente son aide financière aux organisations anticastristes. En novembre 2001 cependant, après le passage dévastateur du cyclone Michelle, les États-Unis offrent une aide humanitaire à Cuba, essentiellement en produits humanitaires. Dans le contexte de la guerre contre le terrorisme décrétée par les États-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Cuba figure désormais sur la liste des États fomentant le terrorisme. Cette décision fait l'objet de critiques de la part de l'ancien président Jimmy Carter, qui, effectuant en mai 2002 une visite historique dans l'île communiste, appelle en faveur de la levée de l'embargo et apporte son soutien au projet Varela, une pétition initiée par des membres de la dissidence réclamant un référendum sur les libertés civiles.

Hugo Chávez et Fidel Castro
Cuba cherche à rompre son isolement en renforçant ses relations diplomatiques et économiques avec ses voisins des Caraïbes ou d'Amérique du Sud. En 2002, la visite du président mexicain Vicente Fox contribue à renouer des liens largement distendus depuis le vote par le Mexique d'une résolution contre Cuba. Le Venezuela d'Hugo Chávez constitue, à bien des égards, le plus fidèle allié de Cuba. Les deux pays ont développé des relations privilégiées, concrétisées par nombre d'accords économiques et de projets conjoints. Ainsi, Caracas fournit un tiers des besoins en hydrocarbures de l'île ; en échange, Cuba déploie des milliers de médecins, de professeurs et d'entraîneurs sportifs au Venezuela. Tous les deux hostiles au projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), lancé par Bill Clinton en 1994 et qu'ils dénoncent comme un projet néolibéral et néocolonial, Hugo Chávez et Fidel Castro lui opposent l'Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), un projet alternatif d'intégration de la Patagonie aux Caraïbes. Cuba reprend également le dialogue avec l'Union européenne qui ouvre un bureau à La Havane ; les deux parties discutent de l'adhésion de l'île aux conventions de Lomé. Par ailleurs, l'Assemblée générale de l'ONU vote à nouveau, cette fois presque à l'unanimité (à l'exception des États-Unis, d'Israël et des îles Marshall), pour la levée de l'embargo américain.
Sur le plan intérieur, le régime castriste n'annonce cependant aucune inflexion de sa ligne politique traditionnelle. Au printemps 2003, Cuba lance une nouvelle campagne de répression : 75 dissidents (dont le journaliste et poète Raúl Ribero, libéré, pour raisons de santé, en décembre 2004), accusés d'être des « mercenaires » au service des États-Unis, sont condamnés à de très lourdes peines de prison au cours de procès expéditifs ; 3 personnes ayant détourné un ferry pour se rendre aux États-Unis sont exécutées. Depuis, condamné par la Cour européenne des droits de l'homme (avril 2004) et sanctionné par l'Union européenne, le régime cubain n'a de cesse de souffler le chaud et le froid, procédant alternativement à quelques libérations et à de nouvelles arrestations et cherchant à atténuer la pression de l'Europe en la divisant. En juin 2003, les membres fraîchement élus de l'Assemblée nationale de Cuba approuvent l'inscription dans la Constitution du pays d'un amendement prévoyant l'impossibilité d'une remise en cause du système socialiste. En juin 2004, les États-Unis annoncent des restrictions limitant la fréquence des venues sur l'île des Cubains exilés aux États-Unis ; les autorités cubaines répliquent par le retrait de la devise américaine (introduite en 1993).
En 2005, F. Castro – conforté par une coopération de plus en plus étroite avec le Venezuela de Hugo Chávez, par une série de succès de la gauche latino-américaine tout au long de 2004 et par l'imminence d'autres basculements à gauche en 2005 – se convainc de la nécessité de refermer l'étroite ouverture économique et civile consentie à contre-cœur lors des années 1990. Ainsi est lancée l'opération de « rationalisation de l'économie », se traduisant essentiellement par la reprise de contrôle par l'État d'activités (microcommerce, services) qui lui avaient échappé. En avril 2006, F. Castro signe avec les présidents vénézuélien, H. Chávez, et bolivien, Evo Morales, un Traité commercial des peuples (TCP), conçu comme une alternative aux accords de libre-échange signés avec les États-Unis par la Colombie et le Pérou.
5. Cuba à l'heure de la transition

Castro (Raul)
Le 31 juillet 2006, F. Castro, malade, annonce la délégation provisoire de ses fonctions à la tête de l'État à son frère Raúl, son successeur officiellement désigné depuis 2001. Afin de pérenniser la survie de la révolution, le secrétariat du Comité central du PCC, qui avait été supprimé en 1991, mais qui restait le seul « digne héritier » de F. Castro selon les propres mots de son frère, est restauré, laissant présager une nouvelle direction collégiale à la tête du pays.
Durant les mois qui suivent, dans ses quelques rares apparitions et déclarations publiques, le nouveau chef transitoire de l'État réaffirme chaque fois la continuité du régime tout en donnant quelques timides signes d'ouverture, appelant ainsi les dirigeants à « écouter » la population et à faire preuve davantage « d'autocritique ».
Le 26 juillet 2007, dans un discours intitulé « Travailler avec un sens critique et créateur sans sclérose ni schématisme », R. Castro reconnaît la nécessité de « changements structurels et conceptuels » afin d'augmenter la productivité industrielle et agricole ainsi que les très bas salaires, tendant par ailleurs « un rameau d'olivier » aux successeurs de G. W. Bush.
Le 28 décembre, devant l'Assemblée nationale du pouvoir populaire (ANPP), il admet le poids des « prohibitions excessives » et annonce que le gouvernement continuera à faire en sorte « que la terre et les ressources soient détenues par ceux capables de produire avec efficacité ».
Après avoir ainsi préparé la succession officielle, R. Castro est élu à l'unanimité par les députés de l'ANPP à la présidence du Conseil de l'État le 24 février 2008. Depuis, le changement dans la continuité semble s'imposer. Malgré les appels à la démocratisation, la nomination d'une personnalité très orthodoxe comme numéro 2 du régime, José Ramón Machado Ventura, est interprétée plutôt comme un signe de durcissement, adressé notamment aux États-Unis. Dans cette phase de transition, les réformes économiques semblent toutefois inévitables.
5.1. Vers la fin de l'isolement

Bien accueillie par la communauté internationale, l'accession au pouvoir de R. Castro est suivie tout d'abord d'une nette amélioration des relations entre Cuba et l'Union européenne. En juin 2008, les sanctions imposées en 2003 par les Vingt-Sept sont officiellement levées et la coopération avec l'UE reprend à partir du mois d'octobre.
Ouvertement soutenu par la plupart des pays latino-américains, notamment lors du premier sommet des pays d'Amérique latine et des Caraïbes sur l'intégration et le développement (CALC, Cumbre de América Latina y el Caribe) réuni au Brésil en décembre 2008, Cuba peut aussi compter sur les nouvelles orientations de la politique étrangère des États-Unis depuis l'élection de Barack Obama à la Maison-Blanche. En février 2009, un rapport présenté par le républicain Richard G. Lugar de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, constate d'emblée « l'inefficacité » de la politique américaine en vigueur depuis 47 ans alors que « Cuba a cessé d'être une menace pour les États-Unis ».
Si la suppression de l'embargo est pour le moment écartée, l'assouplissement de certaines restrictions – dans les secteurs de l'agriculture, de la santé et des énergies renouvelables notamment – ainsi qu'une meilleure coordination dans la lutte contre le trafic de drogue et l'émigration clandestine y sont ainsi préconisés, en vue de l'instauration progressive d'un climat de confiance entre les deux pays. Dans un premier temps, les restrictions sur les voyages et les transferts d'argent des Cubano-Américains vers leur pays d'origine sont ainsi levées avant la réouverture des discussions sur l'immigration et l'envoi direct de courrier. En juin 2009, l'exclusion de Cuba de l'Organisation des États américains (OEA), décidée en 1962 à la demande des États-Unis, est annulée et si Cuba écarte son éventuelle réintégration, cette mesure, adoptée par consensus, est hautement symbolique et constitue une nouvelle étape vers la fin de son isolement.
5.2. La question des droits de l'homme

En février 2010, la mort du dissident Orlando Zapata des suites d'une grève de la faim observée pour protester contre ses conditions de détention, suscite de nouveau l'attention de la communauté internationale sur le sort des prisonniers politiques à Cuba. Cinq opposants, dont quatre détenus, faisant partie des 75 personnes arrêtées en mars 2003 et dont la plupart sont toujours en prison, cessent à leur tour de s'alimenter en signe de protestation. Outre ces 75 dissidents du « printemps de Cuba », plus de 200 prisonniers politiques seraient toujours détenus dans les geôles cubaines. R. Castro dit « regretter » ce décès qui intervient alors que les relations avec Washington se sont tendues depuis l'arrestation en décembre 2009 d'un citoyen américain, accusé d'espionnage. Si des protestations s'élèvent en Europe et aux États-Unis, et si l'Église catholique cubaine appelle le gouvernement à créer des « conditions de dialogue », les réactions sont plus rares en Amérique latine – à l'instar de celle, embarrassée, du président brésilien Lula en visite officielle dans l'île au même moment. Les démarches de l’archevêque de La Havane et du gouvernement espagnol ainsi que les protestations des mères et des épouses des prisonniers politiques (les « Dames en blanc ») portent pourtant leurs fruits : entre juillet et décembre, plus de 50 détenus sont libérés mais, dans la plupart des cas pour l’heure, à condition qu’ils s’exilent.
5.3. D'inévitables réformes économiques

Alors que Cuba pourrait bientôt devenir insolvable, un nouveau cours économique s’avère de plus en plus inévitable.
Le gouvernement a d’ores et déjà pris des mesures de libéralisation en annonçant les nouvelles activités privées qui seront dorénavant autorisées, afin de permettre en particulier le reclassement de quelque 500 000 fonctionnaires dont les postes doivent être supprimés. Rompant avec la priorité donnée jusqu’ici au plein emploi sur la productivité, le nouveau programme gouvernemental, rendu public en novembre 2010, prévoit notamment une réorientation des travailleurs sous-employés et des chômeurs vers les activités les plus productives ou en manque de main-d’œuvre comme le bâtiment et l’agriculture, la réduction des subventions dont la suppression du livret universel d’approvisionnement (la Libreta, qui permettait depuis 50 ans à la population de recevoir des aliments de base à des prix très réduits) réservé désormais aux plus démunis, le renforcement de l’autonomie de gestion des entreprises publiques, la création de zones spéciales de développement… autant de mesures qui sont entérinées parmi d’autres lors du VIe Congrès du parti communiste réuni du 16 au 19 avril 2011. Les dirigeants historiques du régime, qu’ils soient politiques – comme le n°2 J. R. Machado Ventura – ou militaires, sont reconduits pour la plupart dans leurs fonctions au sein d’un Bureau politique resserré. R. Castro – qui a par ailleurs proposé que les mandats au sein du gouvernement et du parti soient limités au maximum à deux périodes consécutives de cinq ans – succède officiellement à son frère comme premier secrétaire.
Avec l’autorisation du crédit bancaire aux petits entrepreneurs privés (environ 340 000 depuis 2010) et aux paysans, de l’ouverture de comptes courants, de la vente directe de produits agricoles aux touristes ou encore la possibilité de vendre et d’acheter son logement et sa voiture, la libéralisation partielle de l’économie cubaine, officialisée par l’Assemblée nationale en août, se poursuit à la fin de l’année.
5.4. Vers la normalisation des relations avec les États-Unis

Accueillie comme une décision historique, l’annonce solennelle faite le 17 décembre 2014 par B. Obama et par R. Castro de l’ouverture de discussions en vue de normaliser les relations entre leur pays respectif officialise une politique annoncée cinq ans auparavant. Elle est le fruit d’une longue maturation et de plusieurs mois de négociations menées avec la médiation du Vatican et la collaboration du Canada. Les intérêts économiques réciproques des deux pays et l’inefficacité de l’isolement de Cuba sont ainsi publiquement reconnus, même si plusieurs mesures d’assouplissement avaient déjà été mises en application. La détérioration de la situation économique et politique du Venezuela, principal allié de La Havane, pourrait aussi avoir accéléré ce rapprochement, qui devrait faciliter la libéralisation de l’économie de l’île.
Faute d’une véritable démocratisation, l'annonce du rapprochement suscite cependant l’hostilité d’une partie de la communauté américano-cubaine et des partisans les plus inflexibles de l’embargo. Si la levée de ce dernier et le rétablissement des relations diplomatiques devraient en découler, un tel tournant doit encore obtenir l’assentiment du Congrès, désormais contrôlé par les républicains.


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L'ORIGINE DE LA CIRCONCISION

 

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AFRIQUE DU SUD - VIE POLITIQUE DEPUIS 1961

 

Afrique du Sud : vie politique depuis 1961
Mandela et De Klerk, prix Nobel de la paix

Le 31 mai 1961, la République d'Afrique du Sud, totalement indépendante, est proclamée : Charles Swart en est le premier président. Alors qu'ailleurs en Afrique les colonies accèdent à l'indépendance, le régime de l’apartheid va encore être renforcé par le National Party. Ce dernier domine dès lors la vie politique devant l'United Party, qui représente les Anglo-Saxons partisans d'une ségrégation raciale moins rigoureuse, mais dont l’audience s’affaiblit jusqu’à sa dissolution en 1977 et la création du Nouveau parti républicain. L’opposition libérale et celle d’extrême droite ne parviendront jamais à menacer la majorité absolue des sièges détenue par le National Party à l’Assemblée nationale.
1. Les années de plomb : 1961-1989

1.1. Le passage de l'ANC à la lutte armée

Le 21 mars 1960 à Sharpeville (township de Vereeniging), à l'appel du Pan-Africanist Congress (PAC, une branche dissidente de l'ANC fondée un an auparavant par Robert Sobukwe, se proclamant antimarxiste et exclusivement noire), des manifestants réclament pacifiquement l'abrogation du pass (permis de résidence et de travail en zone blanche), ainsi qu'une augmentation des salaires. À la suite d'un mouvement de panique, les policiers tirent sur la foule, tuant 69 manifestants et faisant plus de 150 blessés. Le gouvernement d'Hendrik Verwoerd décrète l'état d'urgence, interdit l'ANC et le PAC.
L'ex-président de l'ANC Albert Luthuli, assigné en résidence surveillée pour avoir publiquement brûlé son pass après le massacre de Sharpeville, se voit décerner le prix Nobel de la paix.
Rompant avec la non-violence, l’ANC passe à la lutte armée en 1961. Les dirigeants du PAC et de l'ANC, dont Nelson Mandela pour l'ANC où son autorité s'est imposée, poursuivent leur lutte dans la clandestinité ou depuis l'étranger.
1.2. La guerre froide

Les États africains joignent leurs voix à celles des pays du tiers-monde et du bloc communiste pour dénoncer le « pays de l'apartheid ». Les puissances occidentales, quant à elles, considèrent l'Afrique du Sud blanche, qui contrôle la route maritime du Cap et où le parti communiste est interdit depuis 1950, comme un rempart indispensable contre l'expansion soviétique. Aussi, durant la guerre froide, la condamnation de l'apartheid n'entraîne que peu de conséquences pratiques. De 1963 à 1977, malgré une recommandation de l'ONU, la France fournira à l'Afrique du Sud des avions et des chars de combat, puis des navires de guerre et des sous-marins, qui feront de l'armée sud-africaine la plus puissante du continent. De même, Israël est accusé par les pays arabes de contribuer à l'équipement militaire de l'Afrique du Sud.
1.3. Le gouvernement Vorster (1966-1978)

En 1964, au procès de Rivonia, N. Mandela et plusieurs autres dirigeants de l'ANC, qui ont été arrêtés, sont condamnés à la prison à perpétuité.
En 1966, à la mort du Premier ministre Hendrik Verwoerd, Balthazar Johannes Vorster prend la tête du gouvernement, et la politique d'apartheid se durcit encore.
L'instauration de bantoustans
Malgré la recommandation de l'ONU, l'Afrique du Sud refuse, en 1969, de se retirer du Sud-Ouest africain (Namibie), devenu une province sud-africaine où l'apartheid continue d'être appliqué. Le régime entreprend de transformer les réserves tribales en bantoustans (ou homelands), États noirs autonomes et promis à une indépendance théorique, dans une sorte de fédération centrée autour d'un État blanc qui ne pourra que les dominer. Mais les réserves tribales sont, pour la plupart, constituées d'enclaves dispersées, dont la consolidation en territoires moins morcelés va entraîner des déplacements de populations dont seuls les Noirs auront à souffrir.
Les émeutes de Soweto et les sanctions internationales
En politique intérieure, l'année 1976 est marquée par une révolte des lycéens de Soweto, la banlieue noire de Johannesburg, qui protestent contre l'introduction de l'afrikaans comme langue d'enseignement à égalité avec l'anglais ; la répression fait plusieurs centaines de victimes. Le gouvernement n'en proclame pas moins l'indépendance factice du premier bantoustan, le Transkei, d'où est originaire N. Mandela, toujours incarcéré au bagne de Robben Island. Le 7 septembre 1977, la mort sous la torture du leader charismatique du mouvement de la Conscience noire (Black Consciousness Movement, BCM), Steve Biko, suscite l'indignation internationale.
L'isolement de l'Afrique du Sud
Confronté à l'hostilité quasi générale des États africains, B. J. Vorster réussit cependant à nouer des relations diplomatiques avec le Malawi, tandis que le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny prône un « dialogue » avec l'Afrique du Sud. Mais le bastion blanc de l'Afrique australe – les colonies portugaises de l'Angola et du Mozambique et la Rhodésie blanche – se fragilise sous les coups de guérillas nationalistes. En 1974, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France opposent toujours leur veto à l'expulsion de l'Afrique du Sud de l'ONU.
En 1975, les mouvements de libération marxisants de l'Angola et du Mozambique (→ MPLA et FRELIMO) contraignent le Portugal à accorder l'indépendance à ces deux pays. L'Afrique du Sud, après avoir voulu s'opposer au MPLA par une intervention militaire qui se heurte à un corps expéditionnaire cubain, va dès lors soutenir dans les deux anciennes colonies portugaises des mouvements de guérilla anticommunistes, l'Unita en Angola et la RENAMO au Mozambique. En 1977, le Conseil de sécurité de l'ONU adopte une résolution imposant un embargo sur les ventes d'armes, mais rejette les sanctions économiques.
1.4. Pieter Wilhelm Botha (1978-1989)

La nouvelle Constitution de 1984
En 1978, B. J. Vorster est élu chef de l'État après le décès du président Diederichs, et Pieter Wilhelm Botha devient Premier ministre. Impliqué dans un scandale financier sur l'utilisation de fonds secrets, Vorster démissionne en 1979.
L'ANC réussit pour sa part en décembre 1982 un spectaculaire sabotage de la centrale nucléaire de Koeberg, tandis que l’opposition intérieure au régime se consolide : en août 1983, plusieurs centaines d’associations se regroupent dans le Front démocratique uni – dont l’un des porte-parole est Mgr Desmond Tutu, secrétaire général du Conseil sud-africain des Églises – pour lancer une campagne non violente en vue d’obtenir outre la suppression de l’apartheid, l’abandon du projet d’institution d’un parlement tricaméral avec une chambre pour les métis et une pour les Indiens, mais dans lequel la chambre blanche détiendrait la majorité des sièges. Cette mesure est cependant intégrée dans la nouvelle Constitution entrée en vigueur en 1984, et aux termes de laquelle P. Botha est élu président de la République tout en restant Premier ministre.
Une société en ébullition
La violence s'aggrave dans les townships, où la population s'attaque aux Noirs suspectés de collaborer avec le régime. Le pouvoir décrète l'état d'urgence en juillet 1985 et intensifie la répression, ce qui amène plusieurs pays occidentaux, dont les États-Unis (octobre 1986) à prendre des sanctions économiques contre l'Afrique du Sud et entraîne le départ d'entreprises étrangères.
Le gouvernement, qui, en 1982, a fait transférer N. Mandela du bagne de Robben Island dans un pénitencier du Cap, amorce avec lui, en 1985, des négociations ultrasecrètes, et abolit deux des lois les plus honnies du système : l'interdiction des relations sexuelles et du mariage entre Blancs et non-Blancs et l'obligation du pass pour les Africains. Mais ces mesures ne calment pas l'agitation dans les townships noires ; les grèves s’intensifient, à l’appel de syndicats noirs confédérés depuis décembre 1985 au sein du Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu).
Les États africains de l'Afrique australe, qui ont formé la « ligne de front » contre l'Afrique du Sud, accentuent leur pression diplomatique. Le National Party n'en remporte pas moins les élections législatives à l'Assemblée blanche en 1987, mais le gouvernement est menacé sur sa droite par l'émergence du Conservative Party d'Andries Treurnicht, hostile à tout assouplissement de l'apartheid, qui recueille près de 30 % des suffrages (23 sièges).
En politique étrangère, en 1988, un grand pas vers la paix en Afrique australe est franchi avec la signature entre l'Afrique du Sud, l'Angola et Cuba d'un accord prévoyant le retrait immédiat d'Angola des troupes sud-africaines et un calendrier pour celui du corps expéditionnaire cubain ; un accord annexe prévoit l'indépendance de la Namibie, qui deviendra effective en mars 1990.
2. Frederik De Klerk : réformes et négociations (1989-1994)

En août 1989, P. Botha, désavoué par le National Party et affaibli par la maladie, est contraint à la démission. Frederik De Klerk, qui lui succède, va amorcer le grand tournant vers une Afrique du Sud démocratique et multiraciale, au moment où la désagrégation de l'URSS fait perdre son intérêt stratégique à la République sud-africaine.
2.1. Libération des dirigeants historiques de l'ANC

Conforté par les élections de septembre 1989, qui permettent au National Party de conserver la majorité absolue, F. De Klerk prend plusieurs mesures historiques qui bouleversent l'ordre ancien : levée de l'état d'urgence en vigueur depuis 1985 ; libération des leaders de l'ANC, dont Walter Sisulu (1912-2003), Mandela (le 11 février 1990, après 27 années de captivité, dont les derniers mois dans une villa de son pénitencier, d'où il poursuit ses tractations avec le pouvoir) ; légalisation de plus de 30 partis politiques non-blancs jusque-là interdits ou bannis et, principalement de l'ANC, du PAC et du parti communiste.
Mandela se déclare en faveur de la continuation de la lutte armée menée par la branche militaire de son parti (Umkhonto we Sizwe), mais il dirige la délégation de l'ANC aux premiers pourparlers avec le gouvernement. Les deux parties conviennent d'entamer « un processus pacifique de négociation » ; le PAC, de son côté, condamne les accords. En août, N. Mandela annonce la suspension de la lutte armée.
2.2. La Convention pour une Afrique du Sud démocratique

De graves difficultés naissent des réticences de l'Inkatha, le parti zoulou du Natal, dirigé par le chef Mangosuthu Buthelezi. Les luttes entre l'Inkatha et l'ANC s'étendent du Natal aux townships du Transvaal. Mandela accuse le gouvernement de soutenir l'Inkatha par des commandos du Bureau de coopération civile (CCB), unité ultrasecrète de l'armée sud-africaine, qu'appuient les milices paramilitaires (vigilance organizations) des mouvements afrikaners d'extrême droite. En 1991, F. De Klerk reconnaît que son gouvernement a apporté un soutien financier à l'Inkatha.
Les négociations prennent un nouveau départ au sein de la Convention pour une Afrique du Sud démocratique (Codesa), qui réunit tous les partis – sauf le PAC et les formations d'extrême droite, dont le Mouvement néonazi de la résistance afrikaner (AWB, Afrikaanse Weerstandbeweging) fondé par Étienne Pierre'Blanche en 1973, est le plus virulent. La Codesa fixe les principes généraux de la future Constitution démocratique du pays.
En mars 1992, l'électorat blanc approuve largement, par référendum (68,7 % de « oui »), la politique de réformes du président De Klerk. Mais la négociation s'enlise, et après le massacre de partisans de l'ANC perpétré en juin par l'Inkatha à Boipatong au sud de Johannesburg, l'ANC décide de suspendre sa participation aux travaux de la Codesa. Buthelezi se rapproche des chefs des bantoustans « indépendants » du Bophuthatswana et du Ciskei pour former un « front du refus », auquel se joint l'extrême droite blanche.
2.3. L'aboutissement des négociations


Après onze mois d'interruption, les négociations reprennent en avril 1993. Malgré la montée de la violence (9 000 morts de 1990 à 1993) et l'assassinat de Chris Hani, secrétaire général du parti communiste et membre du Comité national exécutif de l'ANC, les discussions progressent rapidement, en dépit de l'opposition de l'Alliance de la liberté, regroupant l'extrême droite et l'Inkatha.
La date du 27 avril 1994 est retenue pour l'organisation des premières élections démocratiques et multiraciales. Une Constitution intérimaire, applicable à partir de 1994, est adoptée. Les bantoustans sont réintégrés dans le territoire sud-africain, redécoupé en 9 provinces. Un Conseil exécutif de transition (TEC) multipartite est chargé de contrôler l'action du gouvernement et de préparer les élections.
En 1993, F. De Klerk et N. Mandela se voient attribuer conjointement le prix Nobel de la paix. Entre-temps, les États-Unis puis le Japon et la CEE ont décidé la levée des sanctions économiques, que N. Mandela juge d'abord prématurée, avant de la demander à la tribune de l'ONU en septembre 1993 (l'embargo sur les armes ne sera toutefois levé qu'en mai 1994).
3. Une Afrique du Sud démocratique et multiraciale (depuis 1994)

3.1. L'ANC et Nelson Mandela au pouvoir

Nelson Mandela

Nelson MandelaFrederik De KlerkCampagne électorale, Afrique du Sud, 1994
Les premières élections multiraciales et démocratiques au suffrage universel se déroulent pratiquement sans incidents fin avril 1994, comme prévu, avec une très forte participation. L'ANC, victorieux dans 7 provinces, obtient 62,65 % des suffrages, le National Party, qui bénéficie du vote métis, 20,39 %, et l'Inkatha, 10,54 %. Le 9 mai, la nouvelle Assemblée élit à la tête de l'État N. Mandela, qui est assisté par deux vice-présidents : Thabo Mbeki, de l'ANC, et Frederik De Klerk.
Le gouvernement d'union nationale qui est formé comprend 18 ministres de l'ANC, 6 du National Party et 3 de l'Inkatha. Il met en place, en 1995, la Commission Vérité et Réconciliation, dirigée par Monseigneur Desmond Tutu et chargée jusqu'en 2001, date de la fermeture de ses derniers bureaux, de recueillir les témoignages des victimes de violations des droits de l'homme sous l'apartheid.
Après l'adoption, en 1996, d'une nouvelle Constitution, le National Party quitte le gouvernement. L'extrême droite blanche doit faire son deuil du rêve d'un petit État blanc afrikaner, le Volkstaat, enclavé dans une Afrique du Sud multiraciale.
Lors du 50e congrès de l'ANC à Mafikeng en octobre 1997, le vice-président Thabo Mbeki, est élu à la tête du parti, succédant à Nelson Mandela.
Au plan international, l'Afrique du Sud réintègre le Commonwealth et l'ONU ainsi que les organisations régionales, Organisation de l'unité africaine (OUA) et la SADC (Southern Africa Development Community) notamment.
3.2. La présidence de Thabo Mbeki (1999-2008)

Campagne électorale, Afrique du Sud, 1999Campagne électorale, Afrique du Sud, 1999
Lors des élections générales de juin 1999, l'ANC et son leader Thabo Mbeki (désigné dès 1997 par Mandela pour lui succéder) remportent une très large victoire en obtenant 266 sièges (sur 400) à l'Assemblée nationale ; au niveau régional, comme en 1994, deux provinces continuent à lui échapper (le Kwazulu-Natal, dominé par l'Inkatha, et le Cap-Ouest, grâce à l'alliance des partis d'opposition). Au sein de l'opposition, le parti démocratique (DP) détrône le National Party (rebaptisé pour l'occasion New National Party (NNP)) comme premier parti d'opposition au niveau national (9,5 % contre 6,9 %).
Sans alternative crédible, l'ANC reste largement dominant et bénéficie de deux alliés historiques de poids, qui ont combattu ensemble l'apartheid : le parti communiste sud-africain (SACP) et le Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu). Ces trois organisations forment ensemble l'Alliance tripartite. Entré en fonction le 16 juin, le nouveau président constitue un gouvernement formé de fidèles, mais dans lequel il associe l'Inkatha de Buthelezi, comme sous Mandela.
Les élections générales d'avril 2004 consacrent une nouvelle victoire de l'ANC (69,7 % des voix) qui détient désormais 279 sièges à l'Assemblée et qui peut désormais gouverner dans les 9 provinces du pays, dont 7 avec une majorité absolue. T. Mbeki est réélu triomphalement à la présidence de la République pour un second mandat de cinq ans. Héritier des partis libéraux blancs opposés à l'apartheid, l'Alliance démocratique (DA, issu d'une alliance conclue entre le DP et le NNP en 2000 et rompue dès 2001) obtient 12,3 % des voix et 50 sièges, devenant le principal parti d'opposition. L'Inkatha ne recueille plus que 7 % des suffrages et le NNP s'effondre (1,6 % des voix) avant de fusionner dans l'ANC (2005). L'opposition libérale parvient à mieux se maintenir dans ses bastions d'origine lors des élections municipales de 2006 où DA obtient 14,8 % des suffrages et réussit à reprendre la mairie du Cap à l'ANC, seule métropole qui ne soit pas aux mains du parti présidentiel.
Pauvreté, criminalité, sida
Le bilan des deux mandats du gouvernement Mbeki est mitigé. À l'intérieur, le gouvernement fournit un effort important pour tenter de réduire les inégalités héritées du régime de l'apartheid. La mise en place d'une politique de discrimination active (BEE ou Black Economic Empowerment) et d'une politique d'affirmative action pour les populations historiquement défavorisées fait émerger une classe moyenne noire.
Il n'en reste pas moins que la dérégulation rapide de l'économie sud-africaine – suite à l'adoption en 1997 d'une politique économique d'orientation néolibérale (le GEAR ou Growth, Employment and Redistribution Strategy), notamment grâce à l'influence décisive de T. Mbeki – contribue à faire exploser la pauvreté et le chômage. Les inégalités sociales ne se sont pas réduites, la réforme foncière n'a qu'un très faible impact dans les milieux ruraux (redistribution limitée à 3 % des terres arables), alors que la criminalité, prévalente dans les grandes villes, ne décline guère (entre 15 000 et 18 000 homicides par an).
Les plus vives critiques portent sur la question du traitement du sida dans un pays qui compterait entre 5 et 6 millions de séropositifs. Au lieu de donner la priorité à une politique massive d'usage d'antirétroviraux, le gouvernement privilégie, de 2000 à 2004, la prévention des MST par la lutte contre la pauvreté tout en diffusant des messages opaques sur la transmission du VIH et en émettant des doutes sur l'efficacité des antirétroviraux. Ceux-ci ne sont distribués gratuitement qu'à partir de 2004 et seulement à quelque 50 000 personnes. Ces échecs affectent surtout les milieux populaires, traditionnels soutiens de l'ANC.
La résurgence des mouvements sociaux
Des mouvements sociaux, dont l'histoire est fortement liée à la lutte contre l'apartheid, ressurgissent, tandis que les alliés de l'ANC (Cosatu et SACP) protestent contre l'orientation économique du gouvernement et la privatisation des entreprises. Le Mouvement des sans-terre (LPM), la Campagne pour le traitement du sida (TAC) deviennent en quelques années des mouvements nationaux puissants, rejoints dans leur combat par des organisations locales de communautés pauvres qui protestent contre les coupures d'eau et d'électricité ou les expulsions pour loyers impayés (mouvement anti-éviction, comité de crise de l'électricité de Soweto).
L'essor de ces mouvements s'explique également par l'incapacité du système politique sud-africain à générer une opposition à la gauche de l'ANC. Ce faisant, ils inscrivent les besoins des pauvres dans l'agenda politique, non sans succès d'ailleurs puisqu'en en 2005-2006, le gouvernement, opérant un revirement majeur de sa politique économique, décide de soutenir la création d'emplois dans le privé comme dans le public, de renforcer les ressources humaines dans les secteurs de la santé et de l'éducation, de réaliser de grands projets d'infrastructures – notamment dans le cadre de la préparation de la Coupe de monde de football 2010 – et de développer une politique d'affirmative action moins élitiste, visant un nombre élargi de bénéficiaires (Broad Based BEE).
L'ANC divisée
Ce revirement tardif ne suffit pas à enrayer l'impopularité du président. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer l'essor, au sein de l'ANC, d'une mouvance favorable à Jacob Zuma. Ce dernier, leader historique du parti dont il est vice-président en 1997, a été limogé en juin 2005 en raison de sa possible implication dans une affaire de corruption et de viol. Son acquittement (lors du procès pour viol) et la suspension des poursuites (dans l'affaire de corruption) lui permettent ainsi de reprendre la vice-présidence de l'ANC en mai 2006 et de s'opposer de plus en plus ouvertement au président.
Perçu comme le candidat des masses, soutenu par l'aile gauche et l'aile jeune de l'ANC, par la Cosatu et le SACP, cet autodidacte s'impose à la présidence du parti en décembre 2007. Accusé d'être intervenu auprès de la justice contre son rival Zuma, Mbeki est désavoué par l'ANC et remet sa démission (septembre 2008). Kgalema Motlanthe, vice-président du parti, lui succède à la présidence de la République jusqu'aux élections générales prévues en 2009.
Une diplomatie active à l'échelle de l'Afrique
La visibilité internationale de l'Afrique du Sud s'est renforcée grâce à une diplomatie active à l'échelon du continent. Médiateur dans plusieurs conflits (Burundi, République démocratique du Congo, Côte d'Ivoire), principal promoteur du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) et de l'Union africaine, Mbeki est également l'hôte du sommet mondial sur le développement durable tenu à Johannesburg en 2002. Le refus de Pretoria de condamner le régime du président Mugabe au Zimbabwe demeure néanmoins incompris dans les capitales occidentales.
3.3. Jacob Zuma (2009-)

Les élections générales d'avril 2009
Jacob Zuma
À quelques jours des élections générales d'avril 2009, le parquet général sud-africain décide, après huit ans de procédures pour accusations de corruption, racket, fraude fiscale et blanchiment d'argent, de cesser les poursuites judiciaires à l'encontre de Jacob Zuma, grand favori pour devenir chef de l'État.
L'ANC remporte une nette victoire (65,90 % des suffrages) mais enregistre, pour la première depuis 1994, un effritement de ses scores. Le Congrès du peuple (COPE, parti fondé en décembre 2008 par des dissidents proches de Mbeki, qui reprochent à la nouvelle direction de l'ANC de bafouer les principes démocratiques du mouvement) obtient 7,42 %. L'Alliance démocratique (DA), conduite par l'énergique maire du Cap, Helen Zille, améliore ses positions avec 16,66 % des voix au niveau national et autour de 52 % des voix et 22 sièges dans la région du Cap-Ouest. Le parti conservateur zoulou de l’Inkatha est laminé dans la province du Kwazulu-Natal, obtenant moins de 5 % des voix à l’échelon national (contre 10 % en 1994).
Premier mandat
Élu le 6 mai à la présidence de la République par le Parlement par 277 voix sur 400, Jacob Zuma, soucieux de ne pas s'aliéner les milieux d'affaires, présente au lendemain de son investiture un gouvernement marqué par la continuité. Kgalema Motlanthe, président par intérim sortant, est nommé vice-président, tandis que l’ancien ministre des Finances, Trevor Manuel, se voit confier la présidence de la Commission nationale du Plan, chargée de la définition de politiques de long terme auprès de la présidence.
Élu sur un programme d'éradication de la pauvreté, Jacob Zuma doit également faire face à la pire récession qu'ait connue le pays depuis 17 ans. Grâce aux politiques de redistribution et aux nombreuses aides sociales dont bénéficient plus de 13 millions de Sud-Africains, la pauvreté (ou pourcentage de la population vivant avec un ou moins de 1 dollar par jour) aurait cependant reculé, passant de 31 % de la population en 1994 à 22 % en 2009. Pourtant, les inégalités s'accroissent et la forte prospérité qu’a connue l’Afrique du Sud jusqu’à la crise de 2009 bénéficie surtout à la minorité blanche et à la classe moyenne noire. Les mouvements sociaux, apparus depuis 1999, ne baissent pas en intensité : en juillet 2009, le président est confronté à ses premières turbulences sociales et à de violentes manifestations dans plusieurs townships (Diesloop et Thokoza à Johannesburg, ainsi que dans les provinces orientales du Kwazulu-Natal et de Mpumalanga).
La préparation de la Coupe du monde de football 2010 suscite des oppositions importantes mais dispersées : protestation des milieux académiques et journalistiques contre le coût de l’opération, grèves à répétition des travailleurs du bâtiment pour obtenir des augmentations salariales, manifestation des opérateurs de taxi contre les politiques de transport public du gouvernement et des municipalités, manifestations du mouvement sud-africain des bidonvilles Abadhali qui s’oppose à la relégation des pauvres hors des centres-villes et au peu de progrès accompli pour l’amélioration de l’habitat dans les bidonvilles.
La Coupe du monde ouvre une trêve politique et sociale, mais dès le mois d’août, les syndicats du secteur public – affiliés pour la plupart à la puissante confédération syndicale Cosatu, précieuse alliée à l’ANC mais de plus en plus critique à l’égard du gouvernement – lancent une grève massive, notamment dans les hôpitaux et l’éducation, avec pour revendication principale une hausse des salaires.
Après la satisfaction partielle de cette dernière revendication, le mouvement cesse en octobre. Mais la contestation à l’intérieur de l’ANC renaît, menée en particulier par sa Ligue de la jeunesse que préside Julius Malema, l’un des plus fervents partisans de Jacob Zuma en 2007. Accusé de semer la division par ses appels populistes à la nationalisation des mines et à l’expropriation des Blancs, puis inculpé par la justice pour blanchiment d’argent et racket, Malema est exclu du parti en avril 2012, mais conserve des appuis au sein du parti.
Le gouvernement doit aussi faire face aux accusations de corruption visant des personnalités de premier plan : le ministre des Travaux publics et celui des Affaires locales, ainsi que le chef de la police sont écartés (octobre 2011), une décision saluée par l’opposition menée par l’Alliance démocratique ; cette dernière, qui a doublé ses scores aux élections municipales de mai avec 24 % des suffrages, est menée à l’Assemblée nationale pour la première fois par une députée noire, Lindiwe Mazibuko.
À l’usure du pouvoir, s’ajoute un fort mécontentement social qui culmine dans les affrontements meurtriers qui ont lieu d'août à octobre 2012 à Marikana, entre la police et les mineurs en grève exigeant des hausses de salaires. Une commission d’enquête sur des exactions policières est créée, tandis que les revendications syndicales sont partiellement satisfaites. Malgré les scandales auxquels s'ajoute un bilan économique et social très mitigé, Jacob Zuma est reconduit en décembre 2012 à la tête de l’ANC, qui fête cette année ses 100 ans d’existence.
Second mandat
En dépit d'une image ternie par une nouvelle affaire concernant l’utilisation de fonds publics pour la modernisation de sa résidence privée, et faisant fi des appels à la démission en provenance de divers secteurs de la société, le président brigue aux élections de mai 2014 un second mandat.
L'ANC recule cependant légèrement avec 62,15 % des suffrages et 249 sièges sur 400 ; l’Alliance démocratique poursuit sa progression tant au niveau national (22,23 % des voix et 89 sièges) que dans les provinces, notamment dans celles du Gauteng (30,78 % des voix), du Cap-Nord (23,89 %) et du Cap-Ouest, où elle conforte sa majorité avec 59,38 % des suffrages et 26 sièges sur 42. Au KwaZulu-Natal, elle parvient à dépasser l’Inkatha, qui poursuit sa chute en perdant la moitié de ses sièges.
Autre fait marquant de ce scrutin, les Combattants de la liberté économique (EFF, créé par Julius Malema en 2013 ), deviennent la troisième force politique du pays avec 6,2 % des suffrages, prenant la place du Congrès du peuple (COPE) qui s’effondre à 0,67 %. EFF réalise des scores importants dans les provinces du Nord-Ouest (13,21 %), du Limpopo (10,74 %), où devance la DA, ainsi que dans le Gauteng (10,3 %).
Bien qu'affaibli, J. Zuma, qui conserve une large majorité et le soutien d’une grande partie de la population, est réélu sans difficulté à la présidence de la République.

 

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