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MÉGALITHE

 

mégalithe


Monument préhistorique formé d'un ou de plusieurs blocs de pierre.
Les mégalithes – pierres isolées, alignées, ou monuments – sont avant tout des expressions architecturales témoignant d'acquis technologiques et d'un degré d'organisation sociale remarquables. Leur présence dans les différentes parties du monde est attestée à des périodes séparées parfois de plusieurs milliers d'années – ils appartiennent à la préhistoire en Europe et dans le Bassin méditerranéen, à l'histoire parfois contemporaine dans d'autres régions –, et ils ne sont plus considérés comme des indices de diffusion d'une civilisation ou d'une religion.

Bretagne, Carnac
Bretagne, Carnac
Bretagne, CarnacStonehenge
Les principaux types de mégalithes sont : les menhirs, pierres dressées commémoratives ou jalons de systèmes rectilignes (alignements) ou circulaires (cercles ou cromlechs), interprétés comme des sanctuaires à cultes astraux (Carnac et Stonehenge) ; les dolmens, monuments funéraires, souvent recouverts d'un tumulus ; formant parfois des allées couvertes.
Données chronologiques

La majeure partie des monuments mégalithiques sont, à l'origine, des formes de sépultures collectives, et les plus anciens apparaissent au Ve millénaire avant notre ère. Ils semblent donc contemporains des débuts de l'agriculture en Europe occidentale, depuis le sud du Portugal (monument I de Poço de Gateira dans le Haut-Alentejo) jusqu'en Bretagne (tumulus de Barnenez à Plouézoc'h) et au-delà. L'apogée du mégalithisme occidental se situe au cours de la seconde moitié du IVe millénaire avec les sites de Stonehenge et d'Avebury en Angleterre, Newgrange en Irlande, Gavrinis, Carnac, Bagneux (banlieue de Saumur) en France, Antequera dans la péninsule Ibérique, auxquels on peut ajouter ceux, particulièrement riches, de Ggantija de Tarxien et de Hal Saflieni dans l'archipel de Malte, pour le monde méditerranéen. Pour les autres régions du monde, les données sont nettement plus fragmentaires. Toutefois, des mégalithes sont encore érigés de nos jours dans certains pays, comme Madagascar, ou dans l'île de Nias, en Indonésie.
Les monuments les plus importants montrent, en général, plusieurs phases d'aménagement successives, étalées parfois sur plus d'un millénaire : c'est le cas du grand site de Stonehenge dans la plaine de Salisbury. La date et la durée des périodes d'occupation sont des données primordiales.
Techniques de construction

Les dimensions des éléments constituant les monuments mégalithiques posent les problèmes de leur extraction, de leur transport, de leur érection et de leur assemblage. Certaines dalles de couverture de dolmen pèsent plusieurs dizaines de tonnes, le grand monolithe de Locmariaquer (Morbihan) atteignant plus de 350 t. Bien qu'en général les carrières d'extraction des pierres ne soient pas très éloignées des sites d'édification, des trajets de plusieurs centaines de kilomètres ont parfois été effectués : ainsi, les pierres bleues de Stonehenge ont été acheminées depuis le pays de Galles.
Les outils

Les outils sont essentiellement des pics en bois de cerf, pour déchausser les blocs, et des omoplates de bovidés, pour enlever les déblais ; on en a retrouvé dans des exploitations préhistoriques (notamment des galeries de mines de silex). En outre, des percuteurs en roches siliceuses, surtout en silex, devaient être utilisés pour provoquer des fractures par bouchardage dans les roches les plus dures, tel le granite ; des coins de bois enfoncés dans ces anfractuosités étaient mouillés pour faire éclater la roche par gonflement. Des outils semblables ont été expérimentés avec succès sur le site de Bougon (Deux-Sèvres).
Les pierres

Paraissant souvent brutes ou frustement taillées au premier abord, les pierres sont le plus souvent habilement extraites de leur affleurement géologique d'origine, en fonction des propriétés physiques des roches. Les constructeurs semblaient dominer parfaitement l'utilisation des discontinuités naturelles, comme les plans de stratification sédimentologique des grès et des calcaires, les plans de schistosité des roches métamorphiques ou les plans de faiblesse non apparents liés à l'anisotropie des massifs de granite ou des filons de dolérite (fil de nos carriers actuels).
Ces éléments lithiques se trouvent parfois appareillés dans de grands édifices à l'organisation complexe, ou simplement redressés, le plus souvent dans un point remarquable de la topographie ou du paysage anthropique de l'époque. Il est souvent difficile de s'en rendre compte actuellement, car ils ont été couramment déplacés au cours de l'histoire – quand ils n'ont pas été détruits pour des raisons agricoles ou d'urbanisme.
La mise en place

Les techniques de mise en place des orthostates ont été déduites à partir des fouilles montrant le creusement d'une fosse asymétrique et le plan de disposition des pierres de calage, et grâce à des reconstitutions, notamment celle réalisée par Thor Heyerdahl dans l'île de Pâques.
Les dalles de couvertures

Le montage de ces dalles peut s'effectuer par empilements successifs de troncs d'arbres ; lorsque la hauteur voulue est atteinte, les monolithes supports sont calés sous la dalle, soulevée par des leviers de bois, puis l'échafaudage est détruit par le feu. Une autre façon de procéder consiste à remorquer la dalle le long d'un plan incliné abondamment couvert de graisse jusqu'à sa position définitive sur ses montants.
Le déplacement des pierres

Il peut s'effectuer à l'aide de traîneaux, comme le montrent certaines fresques égyptiennes décrivant la traction de statues monolithiques colossales. Des rondins de bois, réutilisés au fur et à mesure de la progression, permettent aussi le déplacement des charges les plus lourdes dès lors que la résistance du sol est suffisante. En Asie du Sud-Est, la technique du « palong » est encore utilisée de nos jours : sur le sol aplani, on dispose des madriers recevant, dans des encoches, des traverses taillées pour être au même niveau. L'ensemble de la structure est alors enduit de graisse, et le monolithe est halé sur ce « chemin de bois ». Au début du xxe s., 520 hommes tractèrent une pierre de plusieurs dizaines de tonnes sur des pentes supérieures à 40 % dans l'île de Nias (Indonésie). Il semble que la traction par des hommes, capables de réagir très rapidement à un problème imprévu, soit beaucoup plus efficace que la traction animale.
Ces travaux devaient être effectués à des périodes de l'année où la mobilisation de la population ne risquait pas de mettre en péril l'activité agricole. De nos jours, ils donnent toujours lieu à des festivités importantes.
Les mégalithes dans le monde

Dès le xixe s., l'archéologue écossais James Fergusson rend compte, d'après ses propres observations en Europe, à Malte, en Algérie, en Palestine, en Éthiopie, au Soudan, dans le Caucase, en Perse, au Baloutchistan, au Cachemire et jusqu'en Inde centrale et méridionale, de l'universalité des constructions mégalithiques. D'autres sites ont été reconnus depuis, dans la région de San Agustín (Colombie), en Mandchourie, en Corée. Au Japon, les pratiques mégalithiques atteignent leur apogée au ive s. avant notre ère avec le tumulus en trou de serrure de l'empereur Nintoku (486 m de long pour 36 m de haut) et cessent à la fin du viie s. Des monuments mégalithiques se trouvent également en Malaisie, en Indonésie et au Yémen. En Afrique, certaines régions présentent une densité exceptionnelle. On estime entre trois mille et quatre mille le nombre de dolmens composant la nécropole du djebel Mazela à Bou Nouara, en Algérie orientale. Dans le sud de l'Éthiopie, la province de Sidamo représente la plus grande concentration de mégalithes du monde, avec plus de dix mille pierres phalliques et stèles gravées. Des gisements mégalithiques ont été décrits dans la région de Bouar, en République centrafricaine. La Gambie est également riche en cercles de pierres, dont certaines sont taillées en forme de lyre. Le Mali possède un ensemble de monolithes phalliques situé au cœur du delta intérieur du Niger, à Tondidarou, et daté de la fin du viie s. de notre ère. La région de la Cross River au Nigeria montre de beaux monolithes anthropomorphes. Madagascar, enfin, qui n'est touchée par le mégalithisme que depuis trois siècles, constitue une mine de renseignements concernant les motivations des populations qui réalisent de tels monuments.
Les mégalithes d’Europe

Le versant atlantique de l'Europe concentre les constructions les plus anciennes et les plus complexes. Les régions méditerranéennes comptent des ensembles remarquables et, en France, l'Aveyron est le département le plus riche en mégalithes.
Typologie des mégalithes d’Europe

Le professeur Glyn Daniel, de l'université de Cambridge, distingue quatre groupes de monuments en Europe.
Les menhirs ou pierres isolées
Ces pierres, parfois gravées, peuvent dépasser 20 m de haut, comme le menhir brisé de Locmariaquer. Certains menhirs sont réutilisés dans d'autres monuments, tel celui de 14 m de long dont un fragment constitue la dalle de couverture du dolmen de Gavrinis, et un autre celle du dolmen de la « Table des marchands » (Locmariaquer). On trouve, dans le sud de la France, en Corse du Sud (site de Filitosa), en Italie du Nord ou en Espagne, des menhirs qui sont de véritables sculptures anthropomorphes ou phalliformes.
Les regroupements de menhirs
Disposés selon un plan d'ensemble, les menhirs forment un ou plusieurs cercles ou ellipses, ou des alignements (Carnac, en Bretagne). Les anneaux de pierres s'inscrivent parfois dans des ensembles comprenant fossés et remblais (par exemple à Avebury, dans le sud de l'Angleterre). Dans la même région, le complexe de Stonehenge, caractérisé par des trilithes, a été construit en six étapes réparties sur deux millénaires (entre 3100 et 1100 avant J.-C.). La théorie faisant passer ce site pour un véritable observatoire astronomique est controversée.
Les dolmens
Assimilés le plus souvent à des chambres funéraires collectives, les dolmens sont les constructions mégalithiques les plus répandues (environ 50 000 du Portugal à la Scandinavie). Les uns étaient, et sont encore parfois, recouverts d'un tumulus de pierres. Certaines chambres présentent un toit constitué par un encorbellement de pierres sèches : la voûte de Newgrange, construite depuis 5 500 ans, s'élève à plus de 6 m du sol. Plusieurs monuments sont orientés de façon très précise par rapport au soleil, notamment à Newgrange, Gavrinis et Stonehenge.
Les temples mégalithiques
Situés dans les îles voisines de Malte – qui longtemps n'ont été considérées que comme un relais entre le monde égéen et l'Europe de l'Ouest –, les temples mégalithiques sont un exemple original d'une architecture autonome qui s'est développée sur une période de près de trois millénaires. Ces constructions sont particulièrement imposantes. Le temple de Ggantija a été construit en deux phases, et sa partie la plus ancienne laisse penser que les techniques du demi-encorbellement étaient déjà maîtrisées. Le monument de Tarxien, antérieur de plusieurs siècles aux premiers palais mycéniens, est immense (plus de 80 m de long) et complexe (trois temples, dont l'un compte sept chambres).
Un savoir-faire transmis

Les études réalisées sur les techniques d'extraction, de transport et d'assemblage des éléments mégalithiques montrent que les populations du néolithique et de l'âge du bronze savaient transmettre les connaissances acquises par l'observation de leur environnement et utiliser au mieux les moyens simples qui étaient à leur disposition. De plus, la diversification des tâches, coordonnées par un « architecte » possédant un plan d'ensemble et capable d'adapter les efforts d'un groupe parfois très important sans mettre en péril l'économie d'une communauté agricole ou pastorale, relève d'une organisation sociale évoluée. La sensibilité des bâtisseurs de mégalithes néolithiques transparaît dans la recherche esthétique des volumes, des gravures, et surtout dans l'intégration des monuments dans les paysages. Leurs capacités intellectuelles semblent dépasser largement l'imagination de ceux qui, aujourd'hui encore, attribuent à des interventions surnaturelles ou extraterrestres la réalisation de ces constructions.
L’interprétation des mégalithes

Lieux de légendes

Les mégalithes sont, le plus souvent, intégrés dans la culture populaire des régions où ils abondent. Les légendes traditionnelles font intervenir le merveilleux et le surnaturel pour expliquer leur présence, en leur conférant une image bénéfique ou diabolique selon les endroits, souvent associée à la présence de trésors cachés. Les Églises et les pouvoirs politiques ont cherché à neutraliser les pouvoirs qu'on leur attribuait, en les enfouissant dans leurs propres monuments ou en les y assimilant (monolithe intégré à la cathédrale du Mans, menhirs modifiés par l'adjonction d'une croix en Angleterre et en Bretagne). En fait, dans toute l'Europe occidentale, ils ont suscité la curiosité des historiens et des voyageurs depuis le xvie s.
Des monuments fascinants

Depuis la seconde moitié du xixe s., une littérature abondante, fournie par des préhistoriens, des érudits, des explorateurs, mais aussi des politiciens animés de l'idéologie qui entoure les Celtes, ainsi que des illuminés, voire des charlatans, leur a été consacrée. Une carte des dolmens de France a été réalisée par la commission de topographie des Gaules, et la commission des monuments mégalithiques publia un inventaire complet en 1880. De très précieuses descriptions de monuments se trouvent dans les actes des sociétés savantes de cette époque, comme le Bulletin de la société polymathique du Morbihan de Vannes.
Aujourd'hui, l'attrait exercé par les mégalithes se perpétue, qu'ils inspirent des études servies par les techniques de l'archéologie et les hypothèses de l'ethnologie ou qu'ils fascinent des processions de touristes, attirés par leur symbolisme énigmatique.
Signes de continuité

Un monument mégalithique – tombe, temple ou palais – est en général érigé sur un lieu privilégié de l'environnement, où il attire le regard. Signe du savoir-faire d'une communauté, il rend manifeste un certain pouvoir que l'étranger ignorant peut considérer comme magique et dissuasif : l'effet est d'autant plus impressionnant lorsqu'il s'agit de grandes structures soigneusement orientées, capables de complicité avec la course du soleil. Si les sépultures mégalithiques symbolisent une continuité solidaire avec les morts, elles prouvent ainsi la légitimité des constructeurs qui ont hérité des terres sur lesquelles reposent leurs ancêtres
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NÉOLITHISATION

 

néolithisation


Consulter aussi dans le dictionnaire : néolithisation
Cet article fait partie du dossier consacré à la préhistoire.
Ensemble des innovations (agriculture, élevage, céramique, etc.) apparaissant au néolithique, qui amènent un changement du mode de vie (passage, notamment, du stade de la prédation à celui de la production).
La néolithisation, passage du paléolithique au néolithique, représente un ensemble de modifications économiques et sociales parfois radicales, mais aussi très progressives.
Une accélération des acquis culturels humains

Pendant tout le paléolithique, les hommes connurent un mode de vie remarquablement stable fondé sur la cueillette, la chasse et la pêche. Leur organisation sociale ne variait guère, faite de petits groupes plus ou moins nomades, et leur industrie elle-même évoluait peu. Le biface, principal outil du paléolithique, a été progressivement affiné et diversifié, mais son usage est resté le même pendant plus d'un million d'années. Parfaitement intégré dans la nature, l'homme exploitait, à l'aide d'un matériel simple, un milieu naturel d'autant plus riche que la pression démographique était réduite. Découverte essentielle, le feu permit une maîtrise de l'environnement, illustration de l’accélération progressive du développement des techniques et de la vie sociale, spirituelle et culturelle de l’homme.
La néolithisation, moment capital de cette accélération, est l'ensemble des processus mis en œuvre au début de l'holocène (période succédant à la dernière glaciation), et qui ont abouti à une organisation de la société telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Or, s'il est facile d'analyser les inventions techniques, il l'est beaucoup moins de cerner les mécanismes qui mettent en place une économie et des modes de relations sociales et intellectuelles nouveaux.
Le paléolithique final

Le contrôle des ressources alimentaires par l'homme ne s'est fait que très lentement. Ce n'est qu'à la fin de la période – quelques millénaires sur les milliers que compte l'ensemble du paléolithique – que l'accélération est manifeste.
La cueillette, la chasse et la pêche étaient des moyens efficaces de se procurer de la nourriture avec un minimum d'efforts. Peu nombreux, mobiles, n'occupant guère que les régions riches, les hommes du paléolithique se procuraient facilement ce dont ils avaient besoin.
Cependant, au paléolithique supérieur et final, on constate une modification de la situation : le grand nombre de sites connus illustre la forte croissance démographique, parallèle à l'amélioration climatique postglaciaire et aux innovations techniques.
Après la glaciation de Würm

Après la fin de la glaciation de Würm, vers − 10 000, l’amélioration climatique exceptionnelle ouvre d'immenses régions, riches en gibier et en produits de cueillette, à la colonisation humaine. On observe une véritable multiplication des armes de chasse et de pêche, notamment avec l'invention de l'arc, dont l'efficacité diminue le rôle de la collectivité dans la chasse au profit de celui de l'individu, ce qui va influer sur la taille des groupes.
La tendance générale est à la réduction de la dimension des outils (microlithisme) et à l'utilisation d'outils composites, c'est-à-dire formés de plusieurs pièces lithiques montées en série ; de nouvelles exigences technologiques apparaissent après une immense période de stabilité.
Les hommes du paléolithique final maîtrisent leurs activités avec un savoir-faire certain. La chasse se spécialise et devient saisonnière ; le territoire de chasse se réduit, d'autant qu'un intérêt certain est porté aux petites espèces et à l'intensification de la cueillette. De ce fait, le seuil de viabilité des groupes diminue, et ces derniers se limitent à une dizaine de personnes (famille nucléaire).
L'exemple natoufien

L'enracinement dans une région restreinte se consolide progressivement. L'exemple des Natoufiens au Proche-Orient, sans doute le groupe le mieux connu avant le néolithique, est caractéristique de ce phénomène. Leur culture (− 10500 à − 8200) s'étend d'Israël à la Syrie actuels. Les Natoufiens sont des chasseurs-cueilleurs ayant élargi leurs possibilités alimentaires : gazelles, oiseaux, poissons, tortues, céréales et légumes sauvages. S'ils ne sont pas à l'origine de la néolithisation, une partie de leur mode de vie l'annonce : sédentarisation partielle, réduction du territoire de chasse propre à chaque groupe (intensification de l'exploitation des ressources naturelles, liée à la croissance démographique), utilisation du matériel de broyage (transformation en farine de céréales sauvages), domestication du chien. Les Natoufiens construisent de petits hameaux faits de cases circulaires, et des fosses-silos. Les rites funéraires confirment cette identification à un territoire réduit. Le stockage des céréales sauvages aurait joué un grand rôle dans l'immobilisation du groupe.
Les Natoufiens ont donc une organisation double : les activités domestiques sédentaires se rapprochent du mode de vie néolithique, tandis que la recherche de la nourriture reste mobile, donc de type paléolithique. Il est possible que la raréfaction du gibier et des ressources en céréales sauvages autour des zones en cours de sédentarisation ait conduit à de nouvelles dispositions pour assurer une alimentation équilibrée.
Du prélèvement paléolithique à la production néolithique

Les sociétés de chasseurs-cueilleurs disparaissent plus ou moins rapidement au cours du néolithique, bien que la collecte, la chasse et la pêche subsistent. De nouvelles activités, essentiellement liées à une stratégie alimentaire différente, se développent.
La naissance de l’agriculture

La naissance de l'agriculture se confond avec la recherche de produits alimentaires nouveaux, ce qui comprend aussi les techniques permettant de les consommer, notamment la mouture et la cuisson. Mais les hommes se nourrissaient depuis longtemps de produits de la cueillette, en particulier de céréales sauvages (blé et orge au Proche-Orient, riz en Orient, mil et sorgho en Afrique sahélienne, maïs en Amérique). Le passage de la notion de cueillette à celle de culture implique un mode de pensée radicalement différent, et demande des connaissances précises : sélection des graines, semailles à une date précise, préparation du terrain en forme de champ, assolement, fumure, irrigation, stockage (greniers-silos), cuisine.
Des stades intermédiaires ont existé, en particulier, la protection des espèces végétales utiles, par la destruction des espèces nuisibles voisines, et de la sélection, consciente ou non, d'un certain type de plants.
Ainsi, la céréale sauvage se reproduit plus facilement quand ses graines se détachent aisément de l'épi. Or l'agriculteur a besoin de graines restant sur un épi solide et sur sa tige pour en récolter un maximum en un temps réduit. Il en va de même pour les légumineuses, dont le rôle est essentiel dès le début des pratiques agricoles. La sélection des caractères désirés, presque automatique, est certainement à l'origine de l'agriculture.
L’exemple du Croissant fertile
C'est au Proche-Orient que le mécanisme des origines de l'agriculture est le mieux connu. À partir de − 8000, en Syrie et en Palestine, des groupements humains se fixent, cultivent le blé et l'orge (qui y ont leur berceau sauvage) dans des zones relativement humides pour subvenir aux besoins d'une population plus importante que celle des groupes ayant conservé un mode de vie paléolithique. Progressivement, tout le Croissant fertile – de la Palestine à l'Anatolie et aux montagnes de l'ouest de l'Iran – voit s'implanter des villages agricoles ; l'irrigation permettra un peu plus tard la conquête des terres plus arides.
Les débuts de l’élevage

L'élevage participe de la même recherche d'aliments nouveaux que l'agriculture ; il consiste à faire se reproduire intentionnellement des animaux spécifiques en vue de leur valeur économique.
La chasse intensive de la fin du paléolithique, sur le territoire réduit de communautés en voie de sédentarisation, avait raréfié le gibier, et l'idée de le conserver sur pied avait fait son chemin. L'élevage, au début, fut sans doute nomade, et l'homme se pliait au rythme physiologique et saisonnier de ses animaux. Son intervention se limitait probablement à un abattage sélectif pour équilibrer le potentiel de reproduction du troupeau. Cette stratégie n'est déjà plus celle du simple chasseur. Cependant, le terme d'« élevage » ne sera utilisé qu'à partir du moment où l'homme agit sur la reproduction du troupeau.
Le Proche-Orient n'est pas le seul centre ancien de domestication : le Sahara égyptien a vu la domestication du bœuf, peut-être aussi tôt qu'au Proche-Orient ; l'Asie, celle de divers bovins, du porc, du mouton et de la chèvre ; l'Amérique andine, celle de l'alpaga et du lama.
L'accompagnement technique

L'arc et la flèche, inventés à la fin du paléolithique, ont joué un rôle essentiel au néolithique, où la chasse reste une activité fondamentale. Mais les autres inventions sont liées aux nouveaux modes de vie : matériel de broyage, hache polie, destinés au défrichement des forêts primaires ; abattage et taille du bois pour la construction des maisons, le chauffage, la cuisson des poteries et des aliments, la fabrication des manches d'outil, faucille, et surtout pour la poterie.
L'importance de la poterie
La poterie est une invention capitale, permettant à elle seule la généralisation du mode de vie néolithique ; elle facilite considérablement le stockage (graines, liquides, farine), ainsi que la cuisson à l’eau, base de la cuisine néolithique. La poterie a été inventée en différentes régions du monde : au Japon, il y a plus de 12 000 ans ; au Sahara, vers − 7500 ; au Proche-Orient, où elle ne s'impose vraiment que vers − 6000 ; et donc bien après les premières expériences de sédentarité, d'élevage et d'agriculture ; enfin, plus récemment, en Amérique du Sud.
Le rôle de la poterie est également culturel : son abondance, la variété des techniques de fabrication, des formes et des décors en font un élément fondamental de distinction entre les cultures ; bien souvent, celles-ci sont désignées par leur poterie, comme le rubané (céramique linéaire occidentale) ou le cardial (culture à céramique cardiale) en Europe.
La société

L'économie nouvelle implique une organisation sociale plus stricte afin d'assurer une meilleure solidarité à l'intérieur de groupes devenus beaucoup plus nombreux et entre eux.
Le fait le plus ancien est la sédentarisation, qui n'est pas une conséquence de l'agriculture car elle la précède.
Les premiers villages
En effet, la sédentarisation débute à l'époque des derniers chasseurs-cueilleurs paléolithiques. Dès le Xe millénaire existent en Palestine des protovillages, avec des cabanes rondes de 3 à 4 m de diamètre, et parfois plus, dont l'usage paraît diversifié (habitat principal et stockage).
Au néolithique précéramique, l'industrie du silex se dégage du microlithisme ; de véritables murs, ainsi que les divisions internes des cabanes rondes, apparaissent. À Jéricho, des constructions monumentales – tours, remparts – montrent déjà une maîtrise certaine.
Plus tard, le plan rectangulaire témoigne d'une organisation sociale plus complexe, où chaque famille dispose d'une habitation unique aux pièces spécialisées. N'ayant plus à se déplacer longuement, l'homme organise son espace de manière plus durable, et les villages regroupent des dizaines de maisons. L'exemple de Çatal Höyük, en Turquie, vers − 6000, est le plus significatif ; ce village (qui s’étendait, à son apogée, sur une douzaine d’hectares) a pu compter jusqu'à 5 000 habitants.
De nouveaux comportements sociaux
La sédentarisation est liée à de nouveaux comportements sociaux et économiques, et va de pair avec une spécialisation : éleveurs, agriculteurs, artisans, chasseurs. Certains se fixeront au village, d'autres parcourront le terroir.
Peu à peu, les groupes égalitaires, caractéristiques des chasseurs-cueilleurs, font place aux sociétés hiérarchisées, où certains individus joueront un rôle social plus important.
Les débuts de cette évolution sont difficiles à cerner au néolithique ancien : les premiers villages ne montrent pas d'exemples de hiérarchisation des maisons, tant au Proche-Orient que, plus tard, en Europe.
De même, l'art rupestre saharien ne met en valeur les différences sociales qu'à l'extrême fin de la période.
Au VIe millénaire, l'apparition de bâtiments exceptionnels – demeure de chef, maison commune, sanctuaire – est certainement liée au développement de l'agriculture. Mais à cette époque la néolithisation est achevée, ou en voie de l'être, au Proche-Orient.
De nouveaux éléments culturels
Plus probante est l'apparition de nouveaux éléments culturels, dont le rôle pourrait être essentiel dans la naissance du néolithique.
Les hommes du paléolithique montraient déjà un sens religieux tout entier tourné vers la nature, et qui ne semble pas faire référence à des divinités. On pouvait exalter, comme en Europe occidentale dans l'art pariétal (ou rupestre), des couples animaux (cheval-renne ; aurochs-bison) sans qu'il y ait de dieu animal. La représentation humaine était rare, à l'exception des vénus, statuettes en ivoire ou en pierre tendre du paléolithique supérieur.
Mais au Proche-Orient apparaissent vers − 8000 des statuettes représentant surtout des femmes et des taureaux, à un moment où l'agriculture en est à ses premiers balbutiements et où la céramique est absente. À Mureybet (Syrie), où l'élevage n'apparaît que vers − 7000, des crânes de taureaux sauvages sont scellés dans les murs des maisons.
La relation entre la femme et le taureau, c'est-à-dire l'alliance de la fécondité et de la force, ne constituerait sans doute pas les prémices idéologiques de l'agriculture et de l'élevage ; ce thème est en effet partout présent au Proche-Orient, dans des contextes culturels différents, et l'une de ses représentations les plus spectaculaires est la femme de Çatal Höyük accouchant sur un trône, entourée de panthères ; liée aussi au taureau, elle symbolise la vie et la mort, la bienveillance et la destruction. Ce thème sera classique en Mésopotamie et en Grèce préhellénique.
Les communautés néolithiques – premières sociétés paysannes – ont développé des idées religieuses orientées vers les préoccupations agraires : culte de la fertilité et de la régénération annuelle de la végétation, culte des morts et de l'identité communautaire dans le terroir. Ce sont là les origines des religions modernes.
Les causes et les mécanismes de la néolithisation

La néolithisation est-elle d'origine économique, sociale ou culturelle ? Longtemps les historiens ont cru que l'invention de l'agriculture et de l'élevage définissait le phénomène, mais on sait aujourd'hui qu'il n'en est rien.
La théorie des oasis

Selon cette théorie, l'origine de la néolithisation, au Proche-Orient, serait à rechercher dans une oscillation climatique aride qui aurait contraint les animaux et les hommes à se rapprocher de l'eau.
La domestication aurait été facilitée par ce côtoiement. Il s'agirait donc d'une pression écologique négative, conduisant à une économie nouvelle. Cette théorie n'a pas été confirmée par les faits, puisque les conditions climatiques étaient bonnes à l'époque et que les premières manifestations de la néolithisation n'ont pas été économiques, mais sociales et culturelles.
Les activités économiques

La sédentarisation ainsi que de nouveaux comportements intellectuels ont largement précédé l'agriculture et l'élevage. Cela est valable tant au Proche-Orient qu'au Japon et au Sahara. Les nouvelles activités économiques seraient donc plutôt une conséquence de la néolithisation. Elle serait en outre à la base de l'apparition progressive de l'agriculture et de l'élevage, de la familiarité toujours plus grande des hommes avec les plantes et les animaux, qui a conduit à de nouveaux rapports avec la nature.
Les facteurs sociaux et culturels

La sédentarisation, antérieure au néolithique, est fondamentale puisqu'elle débute dans un milieu où le mode de vie est fondé sur la chasse et la cueillette. Mais la croissance démographique ne va jouer un rôle essentiel que lorsque la néolithisation est pleinement engagée – c'est-à-dire au moment où une initiative humaine décide de consacrer un maximum d'énergie à certaines plantes (céréales, légumineuses) et à certains animaux (chèvre, mouton, porc, bœuf).
Les sociétés de chasseurs-cueilleurs, tout comme les premières sociétés paysannes, sont égalitaires, et quand les tensions internes deviennent trop fortes, le groupe essaime.
Or, au Proche-Orient, cela ne se produit pas ; le groupe a trouvé une solution aux éventuelles contradictions en créant de nouveaux rapports sociaux, et l'exploitation du milieu naturel par le biais de l'agriculture serait une de ces réponses.
La possible domination de la nature par l'homme

L'économie néolithique conduit à la division du travail et à l'économie de production ; cette mutation va progressivement modifier l'organisation sociale du groupe. D'ailleurs, l'évolution de la maison, qui de la case ronde passe à la maison rectangulaire à plan complexe et celle du village, qui évolue vers un groupe de maisons identiques et une hiérarchisation de l'habitat, épouse celle de l'économie.
L'importance du changement culturel se produisant au Proche-Orient, dans un milieu favorable, vers − 8000, est indéniable. La néolithisation aurait pour origine une initiative réfléchie de l'homme de la fin du paléolithique, qui prend peu à peu conscience de ses capacités à dominer la nature, alors même que celle-ci est sans doute encore capable de le nourrir, malgré un début de croissance démographique. Le changement de cap religieux, bien cerné au Proche-Orient, est la plus claire illustration du rôle de ces multiples facteurs spirituels.
Un phénomène lent et souvent partiel

Chacun des motifs évoqués peut être considéré comme une cause et une conséquence des mécanismes de la néolithisation. L'archéologie montre que celle-ci a été lente et souvent partielle : l'homme a pris ce qui lui convenait en manipulant les milieux végétal et animal par une succession de choix opportunistes.
Quelques exemples sont particulièrement probants : la céramique est bien plus ancienne au Japon et au Sahara central qu'au Proche-Orient ; au Japon comme au Sahara, l'agriculture est très nettement postérieure à la céramique, alors que c'est le contraire au Proche-Orient et en Amérique ; dans la vallée du Nil et au Sahara égyptien, l'élevage est antérieur à l'agriculture.
La chronologie de la néolithisation (invention, puis diffusion) illustre l'impossibilité de définir un processus unique d'apparition du néolithique.
Les centres de néolithisation

Si le natoufien n'est pas la première phase de la néolithisation au Proche-Orient, il présente déjà certains éléments caractéristiques, notamment l'habitat et le matériel de broyage.
Un peu plus tard apparaissent la pointe de flèche (transformation de la chasse) et les premières figurines féminines (nouveauté idéologique).
Au néolithique précéramique naissent les principaux éléments de la néolithisation dans trois régions : la plaine de Damas, le moyen Euphrate et la vallée du Jourdain.
À Mureybet, vers − 8000, il existe un village de maisons rondes accolées les unes aux autres, avec des toits en terrasse. L'agriculture n'est pas encore pratiquée, mais les céréales sauvages sont déjà utilisées. Seuls les gros mammifères sont chassés, et la pêche n'est plus pratiquée. La stratégie alimentaire diffère donc de celle du natoufien, où le milieu était exploité de manière indifférenciée.
À Tell Aswad, près de Damas, une véritable agriculture (blé, pois, lentilles, orge) existe dès − 7800, alors que le blé sauvage ne pousse pas autour du village, ce qui démontre une invention extérieure. Dans la région, l'agriculture (− 8000 à − 7000) est donc antérieure à l'élevage (− 7000 à − 6000), sauf au Zagros.
La céramique se généralise vers − 6000, alors que la néolithisation est achevée, même si certains groupes sont moins avancés que d'autres.
Le Sahara égyptien

Les habitants de la vallée du Nil, vers − 10 000, sont des chasseurs-cueilleurs. À l'époque, le Sahara, où s'achève une longue période aride, est vide ; il commence à se peupler vers −8000, à partir de la vallée, où la néolithisation débute, vers − 7000, par l'élevage bovin.
L'agriculture (blé, orge) n'apparaît que vers − 6100. Des villages sont attestés à la même époque. Dans la vallée, en retard par rapport au Sahara, l'agriculture n'apparaît pas avant − 4000.
L'économie de production et les nouvelles structures sociales y ont été le fait, au moins en partie, des pasteurs du désert occidental, contraints de quitter le Sahara en voie de désertification.
Le Sahara central

Dans les montagnes du Sahara central s'installe, vers − 7500, un centre autonome de néolithisation. La céramique, le matériel de broyage, la hache polie et l'arc y sont déjà présents, ce qui implique une origine plus ancienne. La chasse, la pêche et la cueillette sont les activités principales. L'agriculture pourrait débuter dès cette époque, en revanche, l'élevage n'apparaît pas avant le Ve millénaire. Mais on ignore s'il s'agit d'une domestication locale – le bœuf sauvage existe, mais pas la chèvre, ni le mouton – ou d'une importation en provenance du Sahara oriental.
L'Afrique du Nord et le reste du Sahara connaîtront une néolithisation progressive, qui sera plus tardive au Sahel. Plus au sud, il existe d'autres foyers de néolithisation, en particulier autour du golfe de Guinée et au Soudan. L'Afrique australe et orientale ne connaîtra l'agriculture et surtout l'élevage que vers le début de notre ère, en même temps que le métal.
L'Europe

La néolithisation de l'Europe, de la Grèce à l'Atlantique, est liée à une diffusion d'idées et à une colonisation. Dans le premier cas, il y a acculturation progressive de groupes qui perdent lentement leur identité ; dans le second cas, les colons néolithiques réduisent, sous la pression démographique, les territoires des derniers chasseurs.
L'idée d'une colonisation-invasion massive et rapide n'a plus cours aujourd'hui ; l'acquisition des caractères du néolithique ne s'est pas faite d'un bloc, et les échanges entre premiers fermiers et derniers chasseurs ont dû être nombreux. Ainsi, dans le midi de la France, le mouton est présent avant la poterie et l'agriculture. Ailleurs, la céramique a parfois précédé les nouvelles activités économiques.
Quoi qu'il en soit, l'apparition de l'agriculture et de l'élevage marque en Europe un retard sur la néolithisation au Proche-Orient ; il faudra plusieurs millénaires avant que les îles Britanniques et la Scandinavie ne soient touchées. Cela représente une lente migration des idées et des hommes, d'environ 25 km par génération, selon deux axes – l'un méditerranéen, l'autre danubien – et qui a réduit peu à peu la part des derniers chasseurs, avant leur disparition définitive.
Le premier néolithique européen comprend donc une société égalitaire, peu différenciée, et une agriculture itinérante.
Le néolithique ancien de la Méditerranée occidentale est caractérisé par sa céramique cardiale. Les influences néolithiques ont longé les côtes, acculturant peu à peu les groupes de chasseurs. La progression se poursuit le long de l'Atlantique jusqu'à la Vendée. La colonisation a probablement été moins importante que la diffusion des idées dans des groupes pratiquant de manière intensive la chasse et la récolte des légumineuses.
L'économie s'adapte aux biotopes méditerranéens, qu'elle dégrade rapidement. L'agriculture débute vers − 4900 en Provence, mais l'élevage du mouton est présent sur le littoral français dès − 6000.
L'Extrême-Orient

La Chine a vécu une néolithisation précoce, encore mal connue. Cette immense région possède une grande variété de climats, qui a permis toutes les combinaisons d'expériences. La Chine du Nord, autour de la vallée du fleuve Jaune, a cultivé le millet dès − 5500. Le porc, la poule, le chien sont domestiqués ; par contre, le bœuf et le mouton ne jouent qu'un rôle mineur. Au sud, la culture du riz est presque aussi ancienne : le village de Hemudu est daté de − 5000 à − 4700 environ.
La néolithisation s'étend, au Japon, sur une très grande période. Dès − 10 000, les chasseurs-cueilleurs se sédentarisent et fabriquent la poterie la plus ancienne du monde.
L'outillage lithique comprend, outre une tradition paléolithique, la hache polie, le matériel de broyage, l'hameçon et le poids de filet. L'arc date de − 9000, au moment où le microlithe est abandonné. Les premières cultures (sarrasin, courge, légumineuses, mûrier) datent de − 4600.
Les espèces domestiques ont été importées de Chine, ainsi que le riz, cultivé vers − 1400 seulement.
Les Amériques

La néolithisation y est un phénomène parfaitement autonome. Les milieux écologiques y sont encore plus variés que dans l'Ancien Monde. Ainsi, au Pérou, la domestication des plantes débute sur les hautes terres avec le haricot et la courge. Le maïs apparaît vers − 5500, la pomme de terre plus tard encore ; la domestication de l'alpaga et du lama se fait vers − 4500 et va jouer un rôle essentiel.
Mais, dans un premier temps, le mode de vie ne change guère : les hommes continuent à suivre les déplacements saisonniers des animaux. Sur le littoral, la sédentarisation est antérieure à l'économie néolithique ; l'économie agropastorale ne prédomine que vers − 2500. La céramique, qui apparaît à cette époque, joue un rôle plus modeste que dans l'Ancien Monde.
Au Mexique, la culture du maïs débute vers − 5700, et le coton est connu vers − 5000. Cependant, dans le bassin de Mexico, où les ressources naturelles sont accessibles toute l'année dans une même zone, la sédentarité date de − 6000, et précède largement l'agriculture.
Aux origines du monde actuel

La néolithisation se produit dans diverses régions du globe : Proche-Orient, Extrême-Orient, Sahara, Amériques. Des centres secondaires ont existé, à des époques très variées, et ont pu bénéficier d'expériences antérieures.
La néolithisation, qui s'étend sur des milliers d'années, est à la fois l'invention du néolithique et sa diffusion. Ce terme désigne en fait un niveau dans l'évolution de la société humaine, malgré les écarts chronologiques et la variété des formes. On comprend qu'il ne puisse être univoque, comme le montre l'importance des caractères partiels réversibles (première invention de la poterie sans lendemain au Proche-Orient, vers − 8000) ou atypiques, par exemple la disparition du néolithique au Sahara pour une raison de même nature que celle qui a provoqué son apparition : une crise climatique, humide au début et aride à la fin.
Mais le résultat de la néolithisation est identique : la croissance économique et démographique ainsi que les processus mentaux ont entraîné des modes de vie et des besoins nouveaux. Deux facteurs sont essentiels : l'un matériel – l'économie de production –, l'autre mental – le souci constant d'innover qui anime l'homme et qui fait suite à sa volonté de se situer désormais au centre de la nature, et non plus immergé en elle.
Le mouvement est allé en s'accélérant : l'invention de la ville, de l'État, de l'écriture, des grandes religions, de la guerre et de la métallurgie en découle directement. Enfin, la néolithisation a provoqué la première crise écologique de la Terre : la déforestation, attestée très tôt par l'archéologie, conduisit à une dégradation des sols dans nombre de régions, et à des modifications climatiques encore mal évaluées.
La néolithisation a-t-elle été une « révolution », comme l'a écrit le préhistorien britannique Gordon Childe ? Le terme a été encensé, puis banni. Mais les transformations ont véritablement été radicales, même si elles ont pris dans certains cas des millénaires – ce qui, tout compte fait, n'est qu'un bref instant à l'échelle des temps préhistoriques (→ préhistoire).
Après la fin de la dernière glaciation, celle de Würm, une multitude d'inventions techniques et de comportements nouveaux ont provoqué une rupture définitive entre l'homme du paléolithique et celui du néolithique, même si le mode de vie antérieur ne disparaît pas totalement. La rupture est en fait celle de l'homme avec la nature, dans laquelle il se fondait jusque-là.

 
 
 
 

ETATS-UNIS - HISTOIRE

 

 

 

 

 

États-Unis : histoire
La période coloniale
Résumé

xvie-xviie siècles : la période coloniale
Peuplé peut-être d'environ 4 millions d’Amérindiens, l’espace nord-américain fait l’objet de convoitises européennes dès le xvie siècle et d’implantations coloniales au xviie siècle. Ce sont finalement les Britanniques qui dominent. Sous leur pression, les Français sont amenés à livrer le Canada (1763) et les tribus autochtones de l’est à se replier vers les Appalaches et l’ouest.
L'accession à l'indépendance
En demandant aux colons nord-américains de contribuer au financement de leur défense, les responsables politiques de la métropole s’aliènent un nombre croissant de « patriotes » qui ne tardent guère à s’insurger et à rompre les liens avec Londres, en déclarant leur indépendance (1776). À l’issue d’une guerre de décolonisation soutenue officiellement par la France à partir de 1778, la Grande-Bretagne est forcée de reconnaître la souveraineté des 13 États-Unis d’Amérique (1783), tout en conservant le contrôle du Canada où se replient des dizaines de milliers de loyalistes.
1787-1861 : l'expansion territoriale
Dotée d’une Constitution républicaine écrite en 1787, la jeune nation peut se concentrer sur son propre développement, acquérant et intégrant continûment des territoires à l’Ouest (acquisition de la Grande Louisiane en 1803, obtention de la Floride en 1819, partage de l’Oregon en 1846, gain militaire contre le Mexique du Sud-Ouest en 1848, achat de l’Alaska à la Russie en 1867 et annexion de Hawaï et d’une série de bases et d’espaces associés dans les Caraïbes et le Pacifique à l’issue de la guerre avec l’Espagne en 1898) qui s’avèrent riches de multiples de ressources.
1861-1919 : l'émergence d'une grande puissance
À la faveur d’un développement démographique en partie lié à de puissantes vagues d’immigration, et malgré une guerre civile sanglante qui oppose nordistes et sudistes à propos de la prééminence de l’Union sur le droit des États et la question de l’esclavage (1861-1865), émerge une grande puissance agricole, commerciale et industrielle qui fait office de laboratoire de la modernité, et produit un mode de vie particulier, fondé sur la démocratisation de la consommation, l’American Way of Life.
1919-1929 : l'isolement dans la prospérité
L’isolationnisme traditionnel, qui détournait les États-Unis des affaires européennes, cède une première fois en 1917 quand ceux-ci s’engagent aux côtés des Alliés. Déçus par les conditions de la paix, ils se consacrent à nouveau au développement intérieur.
1929-1945 : de l'isolationnisme à la Seconde Guerre mondiale
À partir de 1929, les États-Unis doivent faire face aux déséquilibres de cette croissance effrénée et à la plus grave crise économique de leur histoire, non sans affecter par contrecoup l’ensemble du monde. Le « New Deal » et ses mesures qui ébauchent une amorce d’État providence leur permettent toutefois, avec la Seconde guerre mondiale dans laquelle ils s’impliquent à partir de décembre 1941, de surmonter cette « Grande Dépression » et de consolider leur statut de superpuissance.
1. La période coloniale et la lutte pour l'indépendance

1.1. L'exploration du territoire par les Européens

Le xvie siècle
La période colonialeLa période coloniale
Le Sud est le premier reconnu, soit par des navigateurs dans le golfe du Mexique (Ponce de León en Floride [1513] ; découverte du Mississippi par Hernando de Soto en 1541), soit par des explorateurs partis du Mexique vers les grandes plaines (Francisco Vásquez de Coronado atteint l'Arkansas [1540-1542]) et la côte pacifique (Francisco de Ulloa en basse Californie en 1539). La côte orientale est reconnue par des Français (le pilote italien Giovanni da Verrazzano, au service de la France, découvre la baie de New York en 1524 ; Ribault tente une installation en Floride [1562-1565]), puis par les Anglais Hawkins (1564), Barlow (1584) et sir Walter Raleigh, avec son éphémère établissement de Virginie (1585-1589). Entre les postes français du Canada et les postes espagnols de Floride, le territoire de la future Union, dépourvu apparemment des richesses alors recherchées, est à peu près vide d'Européens au xvie siècle. Y vivent, dispersées sur toute son étendue, les nombreuses tribus d'Indiens.
Le xviie siècle
Tandis que sur la côte orientale s'installent les Européens, la recherche des fourrures et le désir de convertir les Indiens déterminent une série d'expéditions à partir du Canada : Nicolet atteint le lac Michigan (1634), le P. Allouez le lac Supérieur (1665), Louis Joliet le confluent du Mississippi et de l'Arkansas (1673), Cavelier de La Salle l'embouchure du Mississippi (1682). Ainsi naît la Louisianefrançaise.
Le xviiie siècle
La reconnaissance du pays progresse à l'ouest du fleuve, avec l'expédition de La Harpe vers la Red River et l'Arkansas (1719-1722), celle de Dutisné et Véniard de Bourgmont vers la rivière Platte et le bas Missouri (1719-1724), dont la remontée permet la jonction, dans l'actuel Dakota du Sud, avec les pays découverts à partir du Nord par La Vérendrye et ses fils (1742-1743). Dans le même temps, les Espagnols explorent la côte pacifique et atteignent San Francisco (fondée en 1776).
1.2. La fondation des colonies

Les immigrants
La colonisation de l'Amérique du Nord, 1697-1713La colonisation de l'Amérique du Nord, 1697-1713
Du fait de l'évolution économique et sociale et des bouleversements politiques et religieux de l'Angleterre au xviie siècle, les immigrants sont alors nombreux (250 000 Européens au total) : artisans et petits propriétaires ruinés ; dissidents chassés par la réaction anglicane, « cavaliers » par les « Têtes rondes », puritains par Charles II, jacobites par l'« usurpateur » Guillaume III, etc.
Les arrivants ne sont pas que des Britanniques. Peu à peu s'installent, en effet, des Polonais, des Allemands, des Néerlandais et des Scandinaves. En 1619 arrive le premier convoi de Noirs : importés régulièrement de Guinée et des Indes occidentales par des négriers et réduits à l'esclavage, ils seront 400 000 en 1760.
Des colonies aux origines diverses
Parmi les treize colonies anglaises nées entre 1607 et 1733, les unes sont créées par des compagnies de commerce : celle de Londres crée la Virginie, à la suite de la remontée de la rivière James par 105 colons, qui fondent Jamestown (1607) ; celle de Plymouth, le Massachusetts, à la suite du débarquement, en 1620, au cap Cod, d'un groupe de dissidents – les Pilgrim Fathers (pèlerins) – qui ont franchi l'Océan sur le Mayflower. Elles sont donc administrées par des gouverneurs représentant les compagnies, puis elles sont transformées en colonies royales.
D'autres se constituent à la suite du démantèlement, en 1664, des possessions hollandaises (Nieuw Amsterdam devient New York), qui donne naissance aux colonies de New York, où se sont installés les Néerlandais dès 1623 ; du Delaware, où les Néerlandais doivent laisser s'implanter les Suédois en 1638 ; du New Jerseyenfin (1664).
Certaines d'entre elles sont concédées à des propriétaires : le New Hampshire, notamment, à J. Mason, où le premier établissement britannique date de 1623 ; il en est de même du Maryland, colonisé par le catholique Calvert (1632), des deux Carolines (→  Caroline du Nord, Caroline du Sud) concédées à huit favoris de Charles II par charte royale (1663), de la Pennsylvanie, offerte par Charles II à William Penn(1681), pour régler une dette d'argent et se débarrasser des quakers encombrants, de la Géorgie, concédée par George II à James Oglethorpe, et où Savannah est fondée en 1733.
D'autres, enfin, naissent par sécession d'avec le Massachusetts, dont les non-conformistes, fuyant la théocratie autoritaire de Boston, fondent en 1635 le Connecticut avec Thomas Hooker (charte royale, 1662), et, en 1636, le Rhode Island avec Roger Williams (charte royale, 1663).
Évolution politique
Mais l'évolution politique est partout identique. D'une part, l'autorité royale tente de s'y affirmer au fur et à mesure que s'élabore à Londres une doctrine impériale (actes de navigation de 1660, 1663, 1673, 1696), soit par le rattachement direct des colonies à la Couronne (New Hampshire, 1679 ; Maryland, après la révolution de 1688 ; New Jersey, 1702 ; Caroline du sud, 1719), soit en opposant le veto royal aux décisions des assemblées locales (suppression des chartes de certaines colonies), ou, enfin, par la création d'un solide réseau d'agents des finances et des douanes.
À l'inverse, une évolution « centrifuge » dote les colonies de franchises politiques : « Assemblée des bourgeois » de Virginie (1619), « General Court » de Massachusetts, « Articles fondamentaux » du Connecticut, « Charte » du Rhode Island, « Christian Laws » du New Hampshire, « Concession » du New Jersey, « Frame of Government » de Pennsylvanie.
Le gouvernement des colonies apparaît comme un compromis entre ces deux tendances : face au gouverneur (souvent appointé et parfois nommé par l'assemblée de la colonie), assisté d'un conseil, qui représente le roi, l'assemblée élue par les colons vote le budget et ratifie les projets du conseil. Selon les colonies, l'un ou l'autre de ces pouvoirs l'emporte et l'assemblée est plus ou moins représentative (censitaire en Virginie, plus démocratique en Pennsylvanie). Dans tous les cas, la dualité des pouvoirs favorise les conflits. (→ colonisation.)
1.3. L'évolution jusqu'à l'indépendance

Les trois groupes de colonies
Dans le Nord, la Nouvelle-Angleterre (New Hampshire, Massachusetts, Rhode Island, Connecticut) compte 94 000 habitants en 1700, 495 000 en 1763 (dont 19 000 esclaves). Dans un cadre presque européen s'harmonisent des activités variées : polyculture et élevage dans de petites propriétés, exploitations forestières le long des chutes, constructions navales, contrebande du bois, du rhum et de la mélasse avec les Antilles françaises, dont vivent Portsmouth et Newport. Pays des grandes villes, des universités, le Nord, bourgeois et capitaliste, d'un puritanisme rigoureux, est ouvert à toutes les influences intellectuelles.
Dans le Sud (Maryland, Virginie, Carolines, Géorgie), la population s'élève à 108 000 habitants en 1700 et à 735 000 en 1763 (dont 281 000 esclaves, renouvelés par la traite). La Virginie à elle seule compte alors 550 000 habitants. Sur d'immenses propriétés (de 2 000 à 70 000 ha en Virginie), des esclaves cultivent le tabac (Maryland, Virginie), le riz et l'indigo (Caroline du Sud, Géorgie), le tabac et le riz (Caroline du Nord). Il y a peu de villes, de ports et d'industries dans le Sud, où domine la riche aristocratie des propriétaires. Ces planteurs, qui occupent tous les postes politiques, sont des hommes durs à la tâche ; anglicans, ils sont amateurs de bonne chère et des plaisirs de la vie, ce qui leur vaut le mépris des puritains ; cultivés, ils aiment le faste et les fêtes, et se font construire de belles demeures de style néoclassique.
Dans le Centre enfin (New York, New Jersey, Delaware, Pennsylvanie), qui compte 53 000 habitants en 1700, 410 000 en 1763 (dont 23 000 esclaves), le brassage ethnique est déjà caractéristique : deux tiers de la population sont alors français (huguenots), allemands, suédois. Pays de grandes villes – dont Philadelphie –, ce groupe apparaît comme une charnière entre les deux autres.
La double menace indienne et franco-espagnole
Guerre de l'Indépendance américaine, capitulation de YorktownGuerre de l'Indépendance américaine, capitulation de Yorktown
En dépit d'efforts systématiques de destruction au xviie siècle (guerre du Connecticut et du Massachusetts contre les Indiens Pequots en 1636-1637, et guerre du roi Philippe en 1675-1676, la menace indienne demeure vive, attisée par les Canadiens, désireux de briser la concurrence des marchands anglais chez les Iroquois, fournisseurs de fourrures.
Au cours de la guerre de la Succession d'Espagne (1701-1714), prises entre les expéditions franco-espagnoles sur les Carolines à partir de Cuba et les raids franco-indiens sur la Nouvelle-Angleterre (1704-1708), les colonies résistent. Mais le traité d'Utrecht ne résout en rien le conflit qui oppose les trafiquants anglais, désireux de pénétrer outre-Allegheny, et les coureurs des bois de Montréal, désireux de conserver leurs terrains et la libre communication avec la Louisiane.
Jusqu'en 1744, les deux camps construisent une série de forts rivaux dans la région des Grands Lacs et de l'Ohio et utilisent les Indiens aux fins de massacres réciproques. L'affrontement militaire, encore localisé au cours de la guerre de la Succession d'Autriche (1740-1748), se poursuit après la paix de 1748 (capitulation de George Washington et des milices virginiennes dans Fort Necessity [juillet 1754] opposé à Fort-Duquesne).
Par sa conclusion heureuse pour l'Angleterre (traité de Paris, 1763), la guerre de Sept Ans (1756-1763) permet aux colonies anglaises d'Amérique du Nord de s'étendre, par-delà la ligne des Appalaches, jusqu'à l'Ohio et au Mississippi, dont la rive droite est à la même époque cédée par la France à l'Espagne, pour compenser l'abandon de la Floride à l'Angleterre.
La main mise de l'Angleterre
L'hypothèque française levée, les colonies se heurtent à la métropole ; celle-ci, sous l'impulsion de l'autoritaire George III, veut exploiter sa victoire de 1763 et affirmer son pouvoir à leur égard en rendant plus efficace la politique d'exclusif colonial dont le Board of Trade (ministère du Commerce) a la charge depuis 1696.
Dans ce sens sont adoptées plusieurs mesures :
– répression accrue de la contrebande par les agents des douanes, autorisés à perquisitionner par les writs of assistance, afin de faire respecter la loi Grenville sur les sucres (Sugar Act, 1764) ;
– nouvel impôt intérieur (institué par le Stamp Act, ou loi du timbre, de 1765), frappant les actes publics et les journaux ;
– entretien d'une troupe de 10 000 hommes ;
– versement d'un traitement fixe aux gouverneurs, ainsi soustraits au bon vouloir des assemblées.
La première mesure heurte les colons américains, mais n'outrepasse pas les droits royaux ; les autres, en revanche, sous la fiction légale d'une approbation du Parlement, théoriquement représentatif de l'empire, mais où ne siège aucun Américain, violent le principe essentiel du consentement à l'impôt des colonies.
Vers la guerre de l'Indépendance

Les « sujets » d'Amérique ripostent aux mesures de George III par l'affirmation de leurs droits (« Résolutions » de l'assemblée de Virginie, 30 mai 1765), par le boycott des produits anglais et les autodafés d'actes notariés (New York, Philadelphie, Boston), par un congrès à New York, qui adresse au roi une pétition : la loi Grenville et la loi sur le timbre sont finalement retirées (mars 1766), non sans que le gouvernement anglais, désireux de masquer son recul, énonce, par le Declaratory Act, sa totale compétence en matière de législation coloniale.
Les lois Townshend (mai 1767) relèvent les droits sur une série de produits ; elles provoquent une opposition plus violente (réprimée par le massacre de Boston, 5 mars 1770) et doivent être abrogées. Lorsque la Compagnie des Indes orientales obtient le monopole de la vente du thé en Amérique (1773), les négociants contrebandiers de la Nouvelle-Angleterre refusent d'acheminer les cargaisons de thé ou les détruisent (Boston tea party, 16 décembre 1773) etc.
La Couronne, défiée, réagit par cinq lois répressives (the Intolerable Acts), frappant surtout Boston et le Massachusetts ; en outre, elle étend les droits des Canadiens catholiques sur le pays de l'Ohio, au détriment de la Nouvelle-Angleterre (Acte de Québec). Tandis que se réunit à Philadelphie le premier Congrès continental (5 septembre-26 octobre 1774), qui rédige une série d'adresses (au roi, au peuple canadien) et une déclaration des droits du contribuable américain, l'opposition radicale organise dans les colonies des milices et des réseaux armés. Le massacre de la colonne anglaise du général Gage, à Lexington, le blocus de Boston par 16 000 miliciens (20 avril 1775) ouvrent la guerre de l'Indépendance (1775-1783), à laquelle la Déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776 donnera un sens précis et qui s'achèvera avec la défaite des troupes royales.
2. Naissance de la nation américaine et évolution jusqu'en 1865

La paix de Paris (3 septembre 1783) reconnaît l'existence de la République fédérée des États-Unis.
2.1. La vie politique

Répondant à l'invitation du deuxième Congrès continental (réuni le 10 mai 1775), plusieurs États ont réformé leurs institutions dans un sens plus démocratique. En pleine guerre, un essai de gouvernement confédéral a été amorcé avec les « Articles de confédération », qui entrent en vigueur en 1781 ; mais le Congrès, composé des ambassadeurs de chaque État, ne possède ni pouvoir exécutif ni pouvoir judiciaire ; rien n'est prévu pour réglementer le commerce entre les États ; il ne dispose d'aucune ressource financière propre.
Les difficultés, à cette date, sont pourtant innombrables : paiement des soldes aux militaires ; inflation de papier-monnaie dans certains États ; échec des missions de Jefferson à Paris et de Jay à Madrid, à la recherche d'un prêt ; refus systématique des États d'accorder quelque revenu au Congrès en acceptant l'établissement de tarifs douaniers. À l'ouest des Appalaches, où, dès 1763, progressait la colonisation de la vallée de l'Ohio et d'outre-Ohio (fondation de Louisville en 1778 et de Cincinnati en 1789-1790), quel serait le régime des terres ? Seraient-elles livrées à la compétence des États – donc à certaines oligarchies – ou, passant sous la compétence du Congrès, seraient-elles ainsi ouvertes au petit peuple du Nord-Est ruiné par la guerre ? Finalement, après l'ordonnance de 1785, celle du 13 juillet 1787 (ordonnance du Nord-Ouest) qui spécifie que les territoires situés à l'est du Mississippi, cédés par l'Angleterre au traité de Versailles (1783) et peuplés déjà d'environ 100 000 colons américains, seront considérés comme propriété fédérale et découpés (géométriquement) en territoires fédéraux, puis autonomes. Ils pourront être érigés en États quand ils seront peuplés de plus de 60 000 citoyens : le Vermont devait être le premier (1791) et Hawaii le dernier territoire (1959) à bénéficier de cette disposition. Mais ces progrès mêmes ne vont pas sans conflit avec les Indiens Cherokees (1774, 1776) et Iroquois (1778, 1779), avec les Espagnols aussi à propos de la libre navigation sur le Mississippi.

L'urgence de nouvelles institutions provoque la réunion de la convention d'Annapolis (septembre 1786), qui décide l'élection de la convention de Philadelphie. Les 55 membres siégeant (sur 65 délégués élus par les assemblées législatives des États) élaborent la Constitution fédérale des États-Unis (17 septembre 1787), encore en vigueur aujourd'hui. Œuvre de compromis, elle affirme l'existence d'une nation américaine formée d'États indépendants, mais non souverains ; elle vise à assurer, dans le respect des autonomies, la défense commune et la sauvegarde de l'intérêt général. La séparation des pouvoirs est rigoureuse, mais, à côté d'un congrès bicamériste, sont créées une présidence, qui doit appliquer les lois, et une cour suprême.

Les États ratifient la nouvelle Constitution de 1787 à 1790 dans des assemblées populaires, où s'affrontent fédéralistes et antifédéralistes. George Washington est porté à la présidence des États-Unis et entre en fonctions le 30 avril 1789. Mais, presque aussitôt, naissent des difficultés quant à l'interprétation de la Constitution, entre fédéralistes et républicains. Les premiers, qui restent au pouvoir de 1789 à 1801, sont partisans d'un gouvernement fédéral fort et ont pour chef de file Alexander Hamilton, secrétaire au Trésor de George Washington. Admirateurs du système oligarchique anglais, s'appuyant sur les armateurs, commerçants et négociants du Nord-Est, ils renforcent le pouvoir central : création d'une Banque d'État (1791), d'une monnaie stable, le dollar, et de ressources régulières, grâce aux douanes. D'abord neutralistes (Déclaration de neutralité, 22 avril 1793 ; « Adresse d'adieu » de George Washington [1796], qui ne se représente pas aux élections, excédé par les critiques dont il est l'objet), les fédéralistes, qui ont conclu un accord commercial avec Londres (traité Jay, 1794), rompent avec le Directoire (1798) ; leur hostilité envers la Révolution française s'est accrue depuis l'exécution de Louis XVI, dont l'intervention avait rendu possible l'indépendance des États-Unis.

À cette politique s'oppose celle des républicains, petits propriétaires ruraux ou citoyens des petits États, planteurs du Sud soucieux de sauvegarder leurs franchises. Jacobins d'idéologie et de vocabulaire, ils enlèvent aux fédéralistes et à John Adams la présidence, à laquelle accède, en 1801, Thomas Jefferson, l'un des pères de la Confédération, ancien secrétaire d'État (d'ailleurs démissionnaire en 1793) de Washington. Les républicains, une fois au pouvoir, évoluent très vite, leur politique s'orientant par nécessité vers un renforcement du gouvernement central. Ainsi s'effacent les divergences les opposant aux fédéralistes ; d'ailleurs, les Américains vont être absorbés, malgré le désir de Jefferson (acte de non-intercourse, interdisant tout trafic avec l'Angleterre et la France), par la seconde guerre de l'Indépendance. Celle-ci est suscitée par les Anglais, qui ont soudoyé la révolte du chef indien Tecumseh (1810-1811) dans l'Indiana ; leur Amirauté a commis l'erreur, d'autre part, d'enrôler de force des marins et d'arraisonner des navires américains sous prétexte de droit de visite (lutte contre la contrebande de guerre dans le cadre du blocus mis en place contre Napoléon Ier).

James MonroeJames Monroe
Ce conflit, les craintes suscitées par la prise et l'incendie de Washington (1814), enfin la victoire finale, consacrée par le traité de Gand (1814) et le succès du général Jackson à La Nouvelle-Orléans (janvier 1815), contribuent à renforcer l'orgueil national au détriment des luttes de parti. Ainsi s'ouvre, sous les successeurs et disciples de Jefferson, James Madison (1809-1817) et James Monroe (1817-1825), qui forment avec lui la dynastie virginienne, l'« Ère des bons sentiments » (Era of good feelings). Désireux de s'assurer le contrôle exclusif de l'espace continental, politique ou économique américain en restant liés aux jeunes États hispano-américains, redoutant pour eux une Sainte-Alliance européenne, les États-Unis, par la ferme déclaration de Monroe, « l'Amérique aux Américains » (2 décembre 1823), réaffirment à la fois leur volonté de neutralité et leur opposition à toute ingérence européenne.
2.2. L'expansion territoriale

Pendant cette période d'apaisement des luttes politiques, toutes les énergies américaines ont été absorbées par la poussée vers l'ouest. Jusqu'en 1803, cette dernière avait été empêchée par la présence du Canada britannique au nord, de la Louisiane à l'ouest, de la Floride au sud. Or, profitant de la rétrocession par l'Espagne de la Louisiane à la France (convention de San Ildefonso, 1er octobre 1800) et de l'impossibilité pour celle-ci de la conserver, Jefferson avait acheté ce territoire au Premier consul pour 15 millions de dollars (30 avril 1803) : la superficie de l'Union est ainsi doublée. Cette acquisition permettra la création de treize nouveaux États, dont la frontière avec le Canada sera fixée en 1818, entre le lac Supérieur et les montagnes Rocheuses, au 49e parallèle. D'autre part, déjà maîtres de la Floride occidentale (1810), les États-Unis, après la guerre victorieuse menée par le général Jackson contre les Séminoles, aux confins de l'Alabama et de la Géorgie (1818), contraignent Ferdinand VII d'Espagne à leur céder le reste de la Floride, à renoncer à l'Oregon, dont le sort sera contesté jusqu'au règlement définitif de 1846, et à fixer la frontière septentrionale du Mexique.
Ayant enfin accès au golfe du Mexique et aux bouches du Mississippi, les États-Unis poursuivent leur expansion territoriale au détriment du Mexique, héritier de la puissance coloniale hispanique : reconnaissance (1837), puis annexion (1845) de la république du Texas, fondée en 1835-1836 par les colons que menaçait la législation mexicaine antiesclavagiste de 1829 ; guerre contre le Mexique (1846 -1848), voulue par des annexionnistes trop hardis, malgré les réserves du Congrès devant les risques de déséquilibre interne rendus possibles par l'incorporation d'États esclavagistes ; finalement, cession, pour 15 millions de dollars, du Texas, du Nouveau-Mexique (y compris l'Arizona et le Colorado) et de la Californie (traité de Guadalupe Hidalgo, 2 février 1848) ; une rectification de frontière au sud du Nouveau-Mexique fixera définitivement les limites méridionales des États-Unis (convention Gadsden, 1853).
En même temps qu'ils achèvent leur expansion territoriale vers le sud et le sud-ouest, les États-Unis obtiennent que soient précisées leurs frontières avec le Canada, d'abord entre l'océan Atlantique et le Saint-Laurent (1842), ensuite entre les montagnes Rocheuses et l'océan Pacifique (1846), ce qui permet l'érection de l'Oregon en territoire fédéral (1848). Sans doute le cadre territorial ainsi délimité n'est-il pas rempli : pourtant, la création du territoire de l'Utah (1850) permet d'établir un noyau de peuplement au cœur de l'Union et dans une de ses régions les plus inaccessibles.


2.3. Le peuplement et la mise en valeur

Parallèlement se développe le peuplement de l'espace américain à partir de l'océan Atlantique et des Appalaches. Ayant d'abord progressé surtout par le simple croît naturel (4 millions d'habitants en 1789 ; 7 300 000 en 1810 ; 9 600 000 en 1820 ; 17 millions en 1840 ; 24 millions en 1850), la population augmente ensuite plus rapidement grâce à l'immigration : celle-ci, déjà importante depuis la crise économique de 1817 en Europe, fournit au moins 250 000 arrivants par an au milieu du siècle (31 millions d'habitants en 1860). La progression vers l'ouest est alors surtout le fait d'Anglo-Saxons, de Scandinaves ou de Néerlandais, et particulièrement des éléments qui, par leur fortune, leur compétence technique (agriculteurs), leur puissance numérique et leur cohésion morale (communautés fouriéristes du Texas, bonapartistes du Champ d'Asile), n'hésitent pas à tenter l'aventure de la colonisation loin de tout pays habité, tandis que les immigrants les plus pauvres cherchent immédiatement du travail dans les villes côtières.
Cette colonisation se fait souvent en deux temps. Les nouveaux immigrants, qui arrivent en vagues ethniques d'origines différentes, vont se fixer en grand nombre dans les États de la côte atlantique, leur donnant un peuplement plus hétérogène : Anglo-Saxons et Néerlandais jusqu'en 1845 ; Allemands (bientôt groupés autour de Chicago) ; Irlandais (crise de la pomme de terre en Irlande en 1846), qui, se concentrant à New York, en font la première ville irlandaise du monde, et Scandinaves, qui se fixent davantage dans la Prairie ; Latins et Slaves, en nombre considérable, de 1890 à 1914 puis moindre de 1919 à 1920, avant l'application de la loi sur les quotas de 1921. Mais ces immigrants prennent la relève des premiers colons, Américains de souche, qui abandonnent leurs terres pour progresser plus loin vers l'ouest, n'hésitant pas parfois à répéter l'expérience de défrichement deux ou trois fois dans leur vie (cas du père de Lincoln).
Refoulant les Indiens, dont on décide d'ailleurs le transfert à l'ouest du Mississippi (1830) pour arrêter leurs incursions, les pionniers se lancent, en vagues successives (trappeurs, éleveurs, défricheurs, enfin fermiers), à la conquête de la Prairie, jusqu'à ce que, à la fin du siècle, la ligne montante du front pionnier(la « Frontière »), qui avait atteint le 98e méridien en 1865, ait enfin rejoint les zones de peuplement s'épanouissant autour des ports du littoral pacifique. Cette progression se fait selon certains axes naturels : passes des Appalaches ; vallée de l'Ohio, descendue jusqu'au Mississippi par des bateaux à fond plat, les flatboats, dont les planches servent ensuite à l'édification de cabanes ; pistes de chasseurs, parfois même de bisons, parcourues plus à l'ouest par des wagons bâchés traînés par des bœufs ou des chevaux. Au croisement des pistes, à la traversée des fleuves, naissent, au centre des clairières ménagées par les premiers arrivants, de petites agglomérations, qui seront autant de foyers de fixation de la vie agricole et de points de départ pour une nouvelle progression vers l'ouest.
Le cadre de cette progression a d'ailleurs été déterminé par l'ordonnance du Nord-Ouest (1787).
Les territoires cédés par l'État, en fonction de celle-ci (et vendus en moyenne un dollar l'acre), sont cadastrés et découpés en parcelles numérotées qui ont toutes la même superficie et la même forme, ce qui donne aux campagnes américaines leur aspect géométrique si caractéristique. Un droit de préemption est seulement réservé au premier occupant, et, si celui-ci ne peut se porter acquéreur, il est autorisé à se faire verser une indemnité de mise en valeur par celui qui devient propriétaire de la terre.
Mais la progression des pionniers s'est faite le long de voies naturelles relativement primitives, qui ne suffisent plus au ravitaillement et ne maintiennent plus des liens assez solides entre les nouveaux territoires ou États et la Fédération. Le sort de l'Union dépend, en fait, de leur cohésion, et celle-ci est liée au développement de voies de communication modernes. Cette nécessité entraîne le développement de la navigation à vapeur, grâce au monopole acquis par Fulton (Hudson, 1807 ; Ohio et Mississippi, 1811), celui des canaux (canal de l'Érié, ouvert en 1825), des routes et des voies ferrées (7 000 km en 1840 ; 48 000 km en 1860 ; 127 000 km en 1874) – voies de communication qui toutes s'étirent d'est en ouest à partir de trois villes rivales : Baltimore, Philadelphie et surtout New York (favorisée par le canal de l'Érié). Les conséquences de cette expansion intérieure sont triples. En premier lieu, elle modifie l'équilibre politique traditionnel des États-Unis, qui reposait sur la dualité Sud-Nord. L'influence du « Vieux Sud » diminue dans le cadre de l'Union (37,5 % de la population en 1810 ; 23 % en 1840), alors que le nord, qui perd sa prédominance agricole (maintien seulement de l'élevage), devient la région la plus peuplée de l'Union (39 % en 1840) et puise dans son industrialisation rapide (textiles en Nouvelle-Angleterre, métallurgie dans les États de New York et de Pennsylvanie après 1850) une nouvelle source de puissance, malgré les problèmes posés par l'apparition d'un prolétariat ouvrier. Entre ces deux « sections » de l'Union, qui s'opposent sur tous les plans, apparaît l'Ouest (37 % de la population en 1840), qui, équipé de moissonneuses McCormick depuis 1848, est devenu en 1860 le grand producteur de blé (60 %), de maïs (48 %), de bœufs (Iowa, Illinois), de porcs (Illinois), de whisky (Cincinnati). Chicago (8 000 habitants en 1837, 110 000 en 1860) est la capitale de cette dynamique région, dont l'équilibre économique reste pourtant instable et dont les fermiers, très souvent endettés, contribuent par leurs votes à renverser les majorités traditionnelles. Seul le « Far West » reste encore à l'écart de la vie politique du pays (débuts de l'agriculture californienne et du peuplement de l'Oregon), malgré la ruée vers l'or, qui, de 1850 à 1860, porte sa population à 400 000 personnes.


Dès 1824, cette puissance électorale des pionniers de l'Ouest, débiteurs de la Banque d'État, et des prêteurs du Nord-Est se manifeste quand ils portent leurs voix sur le général Jackson, chef du nouveau parti démocrate, constitué par les éléments les plus dynamiques de l'aile gauche du parti républicain, déçus du rapprochement qui s'est révélé dans les faits entre les programmes fédéralistes et républicains. Les gens de l'Ouest, n'ayant pu faire entrer leur candidat à la Maison-Blanche, faute de la majorité absolue (le président est John Quincy Adams, en fonctions de 1825 à 1829), renouvellent leur vote en 1828, mais avec succès, et assurent la présidence pour huit ans à Andrew Jackson (1829-1837) et pour quarante ans au parti démocrate, à l'exception de l'intermède whig de 1841 à 1845 (avec William Henry Harrison et John Tyler) ; le caucus est supprimé, le « système des dépouilles » ou spoils-system (octroi des places aux membres du parti arrivé au pouvoir) instauré partout, la Banque fédérale abolie (1836) ; ainsi, les institutions se démocratisent rapidement.
L'ultime conséquence de l'expansion vers l'ouest est l'aggravation de la rivalité entre le Sud et le Nord. Le Sud est agricole, grand producteur de coton et, par voie de conséquence, esclavagiste et libre-échangiste. En revanche, le Nord est protectionniste (tarifs de 1816 à 1824) et antiesclavagiste, prohibitionniste et féministe par conviction puritaine ; enfin, avec Henry Clay, il reçoit l'appui de l'Ouest, dont la production agricole, encore trop jeune, ne peut se passer de tarification douanière. Or, justement, l'expansion vers l'ouest, en provoquant la création de nouveaux États, menace d'isolement le Sud à l'intérieur de l'Union, qui a pâti de l'ordonnance du Nord-Ouest de 1787, ainsi que de l'abolition de la traite (1808). À deux reprises, Henry Clay sauve l'union des États-Unis. Une première fois grâce au compromis du Missouri : le Maine antiesclavagiste et le Missouri esclavagiste sont admis également dans l'Union, les admissions se faisant désormais par couples d'États opposés ; l'esclavage est interdit à l'ouest du Mississippi et au nord du parallèle 36°35′ (1820). Il la sauve une seconde fois en 1850 : reconnaissance de la Californie comme État libre ; liberté de choix en Utah et au Nouveau-Mexique ; loi sévère contre les esclaves qui se sont réfugiés dans le Nord. Mais cette concession ne satisfait pas le Sud, qui, avec Calhoun, ancien vice-président de Jackson, envisage une possible sécession pacifique, malgré un ultime compromis, le Kansas-Nebraska Act (1854), proposé par le sénateur Douglas, laissant toute latitude aux États d'être ou non esclavagistes. Cette solution aboutit à un drame, qui éclate au Kansas, où colons sudistes, puis nordistes se précipitent tour à tour pour donner à ce territoire récemment érigé en État une Constitution esclavagiste, puis antiesclavagiste : l'affaire se termine par une guerre civile (1854-1856) et facilite la création d'un nouveau parti républicain, résolument antiesclavagiste (1854).


2.4. La guerre de Sécession

Le Sud avait réussi à compenser son infériorité numérique par le contrôle politique qu'il exerçait sur le pouvoir, en particulier en faisant élire deux des siens à la présidence, Franklin Pierce (1853-1857), puis James Buchanan (1857-1861) : aussi ne s'était-il pas inquiété de la limitation imposée à la multiplication des États esclavagistes par le compromis du Missouri (1820) et par celui de 1850.
Mais, peu à peu, une atmosphère favorable à la sécession se crée, d'autant plus facilement qu'apparaissent sur la scène politique de jeunes générations que n'unissent plus, par-delà les divergences politiques, les liens tissés pendant la guerre de l'Indépendance. Aux « Mangeurs de feu », groupés autour de Jefferson Davis, partisans de l'extension de l'esclavage et de la scission, dans le cas où les sudistes seraient exclus de la présidence, s'opposent les Free-Soilers, tels Sumner, Seward, Chase, etc., partisans du maintien, même par la force, de l'Union.
Dans cette atmosphère tendue, plusieurs incidents se produisent : le conflit sanglant du Kansas (1854), la crise financière de 1857, qui affecte en particulier les compagnies de chemin de fer et souligne la nécessité d'un renforcement du protectionnisme douanier, enfin les affaires Dred Scott (Noir réfugié dans le nord et replacé en esclavage par un arrêt de la Cour suprême, 1857) et John Brown (évangéliste du Nord pendu par les nordistes pour avoir tenté d'armer les Noirs de Virginie, 1859) aboutissent à la scission du parti démocrate, sur l'initiative de son chef, Douglas. Cette scission est d'autant plus grave pour les sudistes qu'elle survient à l'heure même où le nouveau parti républicain – fondé en 1854 par fusion des Free-Soilers et du parti whig – réussit à acquérir une forte audience dans l'opinion publique et à faire élire (1860) à la présidence des États-Unis son candidat, Abraham Lincoln.


Abraham Lincoln n'obtient que 40 % des voix mais l'emporte sur les démocrates, qui ont présenté deux candidats. Aussitôt les sudistes, mécontents, font sécession à l'appel de la Caroline du Sud (20 décembre 1860) et constituent les États confédérés d'Amérique (février 1861), bientôt présidés par Jefferson Davis et dont la capitale est Richmond (Virginie).
Numériquement inférieurs, les sudistes espèrent l'emporter grâce à leur cohésion ; il y a, en effet, solidarité d'intérêt entre les grands et les petits propriétaires, qui sont également possesseurs d'esclaves, et les « pauvres Blancs », qui sont d'autant plus hostiles aux Noirs que le travail servile contribue au maintien des bas salaires. En outre, l'excellence de leur commandement (la grande majorité des officiers de l'armée s'est ralliée à la sécession, et en particulier le généralissime Lee) peut faire espérer aux sudistes un succès rapide.
En revanche, la prolongation du conflit jouera en faveur des nordistes, en permettant à ces derniers de mobiliser une énorme armée (2 millions d'hommes contre 850 000), de substituer à des chefs relativement médiocres des hommes de plus grand talent (→ Grant, Sherman), et d'utiliser toutes les ressources représentées par l'énorme potentiel économique et financier du Nord-Est.
La guerre de Sécession éclate à la suite des bombardements de Fort Sumter, devant Charleston, par les sudistes (12 avril 1861). Elle va opposer, pour la première fois au monde, des armées aux effectifs approchant ou dépassant le million. Après des échecs initiaux, les nordistes l'emportent à partir de 1863, et, en 1865, le généralissime sudiste, Lee, sollicite un armistice, qui met fin à la guerre (9 avril).
Celle-ci a coûté à l'Union 617 000 morts, dévasté le Sud et provoqué une inflation, particulièrement dangereuse dans le Sud. Elle a affaibli momentanément la position internationale des États-Unis sur le double plan diplomatique et économique, en rendant possible l'essai de constitution par Napoléon III d'un empire latin et catholique au Mexique : celui-ci, fournisseur de coton, était destiné – espérait-on – à faire contrepoids, en Amérique centrale, à la puissance nord-américaine, anglo-saxonne et protestante, et à permettre à l'Europe d'échapper au monopole cotonnier des États-Unis (→ guerre du Mexique, 1862-1867). Ce monopole, d'ailleurs, les planteurs sudistes ne le rétabliront jamais intégralement : les industries textiles européennes, ayant pris l'habitude de s'adresser à d'autres pays producteurs.


3. Les États-Unis de 1865 à 1914

3.1. La Reconstruction (1865-1877)

La guerre de Sécession a eu pour première conséquence, malgré les hésitations de Lincoln et l'opposition de certains démocrates du Nord (les copperheads, « têtes cuivrées », du nom d'un serpent), l'abolition de l'esclavage, mesure préparée dès le 22 septembre 1862, appliquée à partir du 1er janvier 1863, et légalisée le 31 janvier 1865 par le vote du 13e amendement.
Mais Lincoln est assassiné cinq jours après la victoire (14 avril 1865), et son successeur, un démocrate sudiste hostile à la sécession et rallié aux républicains, Andrew Johnson (1865-1869), se trouve dans l'impossibilité de faire triompher, face à l'armée et au Congrès, le généreux programme de reconstruction de Lincoln. Ce dernier, dans son discours du 8 décembre 1863, envisageait d'amnistier tous les sudistes qui jureraient de respecter la Constitution et les décrets d'émancipation, et leur donnait le droit d'élire un gouvernement lorsque 10 % seulement d'entre eux auraient prêté ce serment.
Dès décembre 1865, dix gouvernements sudistes sont reconstitués après avoir souscrit à ces conditions, que seul le Texas rejette. Mais les plus intransigeants des républicains, les radicaux, dirigés par un métallurgiste, Thaddeus Stevens, un banquier, Jay Cooke, veulent imposer des conditions beaucoup plus rigoureuses (égalité raciale absolue), car ils redoutent une coalition de l'Ouest et du Sud, agricoles, contraire à leurs intérêts économiques (maintien d'un haut protectionnisme douanier, nécessaire à l'épanouissement industriel du Nord et de l'Est).

Ulysses Simpson GrantUlysses Simpson Grant
Les radicaux contrôlent le Congrès, et ils imposent quatre mesures qui orientent dans un sens répressif la reconstruction :
– création en mars 1865 d'un freedmen's bureau (bureau des affranchis), chargé de louer et même de vendre aux Noirs des terres confisquées, par lots de 40 acres ;
– vote du 14e amendement annulant la dette des États confédérés, réduisant leur représentation au Congrès en proportion du nombre de leurs citoyens privés du droit de vote, et enlevant les droits politiques aux fonctionnaires rebelles (13 juin 1866) ;
– vote du Reconstruction Act du 2 mars 1867, qui proclame la dissolution des gouvernements sudistes reconstitués par Johnson en 1865, confie l'administration de leur territoire pour une durée temporaire, mais indéterminée, à cinq commandants militaires relevant du général Grant, et non du président Johnson, et soumet la restauration de la représentation au Congrès à l'acceptation préalable et définitive par chaque État du 14e amendement et du droit de vote des Noirs ;
– enfin, vote, en 1869, du 15e amendement, interdisant toute discrimination raciale dans l'exercice du droit de vote, amendement que seule la Géorgie refuse de ratifier, ce qui explique qu'après l'achèvement de la deuxième Reconstruction (1869-1870) une troisième doit être effectuée par ce seul État (janvier 1871).
Ces quatre mesures peuvent être appliquées dans toute leur vigueur quand les radicaux, qui ont tenté en vain de mettre en accusation le président Johnson, hostile à leur programme (mars 1868), réussissent à faire élire à la présidence le général Grant, héros de la guerre de Sécession (1869-1877).
Elles suscitent très rapidement le mécontentement du Sud. Le 14e amendement ayant entraîné l'effacement total du personnel politique sudiste, les derniers États révoltés voient arriver au pouvoir les carpetbaggers (aventuriers nordistes de la même famille que les pionniers de l'Ouest), les scalawags (sudistes favorables à la cause des Noirs, et qui n'acceptent pas la domination des planteurs) et les Noirs. Tous empêchent le retour au pouvoir des planteurs. Ceux-ci réagissent en constituant des sociétés secrètes (chevaliers du Camélia blanc, Ku Klux Klan, fondé dès 1866), dont les membres attaquent les carpetbaggers et les scalawags, et usent de l'intimidation, de la menace ou du lynchage pour contraindre les Noirs à s'abstenir.
Par ces procédés, et malgré la dissolution officielle du Ku Klux Klan (1871), les sudistes, amnistiés en grand nombre (loi de 1872), réussissent à reconquérir le contrôle de leurs parlements dès 1874. Ils assurent alors leur maintien définitif au pouvoir en votant des lois d'exception (1883-1890), qui écartent les Noirs du scrutin sans violer la Constitution et ses amendements (obligation, pour voter, d'avoir eu un grand-père citoyen américain, un père électeur avant 1861, ou de savoir lire, écrire et commenter la Constitution), tandis que des mesures de ségrégation sont appliquées dans les transports en commun, les écoles, les théâtres, etc.
3.2. L'expansion intérieure américaine (1877-1914)

La guerre de Sécession a lourdement altéré l'économie américaine : destruction des plantations de coton ; dette de guerre très lourde ; crise inflationniste très violente, à la fois dans le Sud, dont la monnaie a perdu 98,4 % de sa valeur en 1865, et dans le Nord, où l'on a émis du papier-monnaie ayant cours forcé, les greenbacks.
La reconstitution des plantations de coton est une œuvre de longue haleine et ne peut être menée à bien que par le morcellement des terres ou par l'appel aux anciens esclaves, auxquels est reconnu un statut proche du métayage. La dette de guerre est apurée rapidement, grâce à la conversion des bons à court terme en bons du trésor à long terme, dont l'intérêt, servi grâce au renforcement des tarifs douaniers, est versé en espèces et non pas en greenbacks. Ceux-ci ne seront retirés pratiquement de la circulation qu'en 1879. Cette circulation fiduciaire accrue a d'ailleurs permis aux agriculteurs de l'Ouest de rembourser leurs dettes dans une monnaie dépréciée.
En rétablissant la convertibilité en or des greenbacks et en achevant de démonétiser l'argent en 1873, à l'heure même où la crise économique européenne atteint les États-Unis (affaire du Crédit mobilier), provoquant l'effondrement de la banque Jay Cooke de Philadelphie et de 5 000 maisons de commerce, les radicaux, qui agissent à l'instigation des industriels du Nord et de l'Est, rejettent dans l'opposition démocrate non seulement les ouvriers du Nord, réduits au chômage par la crise et par la concurrence des nouveaux émigrants, mais aussi de nombreux fermiers de l'Ouest, de plus en plus attachés au bimétallisme, et auxquels il faut donner partiellement satisfaction (Bland-Allison Act de janvier 1878) à la suite de l'élection difficile à la présidence du candidat républicain Hayes (1876).
Malgré les difficultés éprouvées par les républicains, et qui s'expliquent d'ailleurs largement par la confusion qui règne dans les milieux gouvernementaux (scandale sur le whisky, dans lequel a été inquiété le secrétaire particulier de Grant [1875]), l'expansion économique progresse à un rythme rapide. En raison tout d'abord de l'accélération du peuplement par accroissement naturel et surtout par l'immigration, favorisée par le Homestead Act (1862) allouant un terrain de 160 acres à toute personne qui l'aurait cultivé au moins pendant cinq ans ; aussi compte-t-on 3 millions d'arrivants de 1870 à 1880, 5 millions de 1880 à 1890, 8 millions de 1890 à 1900, 8 800 000 de 1900 à 1910, et 4 200 000 de 1910 à 1914, dont les neuf dixièmes sont européens, avec des arrivées annuelles supérieures à 1 million d'immigrants à partir de 1905, ce qui porte la population des États-Unis à 38 millions d'habitants en 1870, 50 millions en 1880, 76 millions en 1900 et 95 millions en 1914.
L'autre cause de cette expansion économique est l'augmentation de la capacité de production industrielle du Nord et de l'Est au cours de la guerre de Sécession. Les progrès des industries extractives et de la métallurgie lourde permettent la mise en place plus rapide d'un réseau ferroviaire assez dense (40 000 km de voies nouvelles de 1869 à 1872), ainsi que la construction, avant 1883, de quatre transcontinentaux, tandis que 30 000 km de voies navigables sont équipés. Le peuplement de l'intérieur des États-Unis s'en trouve accéléré, et de nouveaux États se constituent même dans les montagnes Rocheuses (minerais précieux) : la Frontière disparaît, et les quelques tribus indiennes qui ont survécu à l'extermination sont cantonnées dans l'Oklahoma.
L'agriculture bénéficie largement de l'achèvement de la conquête intérieure : près de 800 000km2 de terres sont mis en culture entre 1870 et 1880 et, à la fin du siècle, plus de 4 millions d'hectares sont cultivés par irrigation. Soutenus par les pouvoirs publics, les agriculteurs bénéficient, en outre, des progrès des techniques industrielles (mécanisation très poussée, surtout après 1880 ; construction, à partir de 1882, de navires et, à partir de 1890, de wagons frigorifiques rendant possible la valorisation des produits d'élevage).
Dès lors, l'agriculture américaine, qui fournit 30 % de la récolte mondiale pour les céréales (1880) et 60 % pour le coton (1890), voit ses prix de revient diminuer et ses bénéfices augmenter. Elle reste pourtant très sensible à la conjoncture à la fois internationale (surproduction et crises économiques européennes) et intérieure (rôle trop important des banques et des compagnies ferroviaires ; celles-ci, par le jeu des crédits et surtout des tarifs discriminatoires, pourtant interdits par l'Interstate Commerce Act de 1887, peuvent exercer une pression dangereuse sur le monde agricole, dont le mécontentement explique le développement du mouvement des Grangers).
Malgré son rythme d'accroissement rapide, la production agricole est dépassée en valeur par la production industrielle à partir de 1890, cette dernière étant favorisée par l'abondance des matières premières énergétiques (63 millions de tonnes de charbon en 1880, 269 en 1890 ; 26 millions de barils de pétrole en 1880, 63 en 1900) ou minérales (minerais de fer et de cuivre du lac Supérieur, etc.). La transformation rapide de ces matières premières en biens de consommation est facilitée par une mécanisation très poussée, par l'adoption de méthodes de production diminuant considérablement le coût de la main-d'œuvre, par le génie inventif des Américains (440 000 brevets de 1860 à 1890).
L'élan est donné à certaines branches de l'industrie : le téléphone, la photographie, l'automobile popularisent les noms de Bell, d'Eastman, de Ford, tandis que l'augmentation rapide de la population assure de nouveaux débouchés. Pourtant, de tels résultats ne peuvent être atteints que par la spécialisation régionale de l'industrie (50 % de la métallurgie en Pennsylvanie, 70 % de la confection pour femmes dans l'État de New York) et par la concentration des capitaux dans des trusts fondés par des self-made men, dont les plus célèbres sont ceux des chemins de fer (Jay Gould, Cornelius Vanderbilt), du pétrole (John Rockefeller), de l'acier (Andrew Carnegie et le banquier John Pierpont Morgan), etc.
Cette puissance même des milieux capitalistes, qui dominent la vie économique et politique, a pour corollaire le regroupement des travailleurs d'abord en trade-unions locales, à partir de 1870, puis en vastes associations syndicales, dont les deux plus célèbres sont les Knights of Labor (Association des chevaliers du travail), groupement secret fondé en 1869 et devenu public en 1878, et surtout l'American Federation of Labor (AFL) de Samuel Gompers, qui succède en 1886 à la Federation of Organized Trade and Labor Unions of the United States of America and Canada, créée en 1881.


3.3. L'exercice du pouvoir (1877-1896)

Pendant toute cette période, le parti républicain conserve le pouvoir, malgré des majorités très réduites et le manque de personnalité de ses présidents, à l'exception peut-être de Garfield, assassiné peu de mois après son installation à la Maison-Blanche (été 1881). Il maintient un strict protectionnisme en matière douanière (tarif de 1883, portant à 40 % les droits sur les vêtements, tissus de laine et cotonnades ; tarif McKinley de 1890, portant ces droits à 50 %, et tarif Dingley de 1897, à 55 %, tandis que les droits sur le sucre brut, fixés à 40 % par les démocrates en 1894, sont doublés).
Par ailleurs, attachés au monométallisme, les républicains se décident, pour ne pas perdre l'appui de l'Ouest, à acheter tous les mois des lingots d'argent qui seraient thésaurisés (Sherman Silver Purchase Act, 1890). De plus, pour gagner des électeurs, le président Harrison, disposant d'un gros excédent budgétaire, fait voter une loi accordant de fortes pensions aux anciens combattants nordistes ou à leurs veuves, sans qu'il soit besoin de justifier des causes du décès (juin 1890). Enfin, pour répondre aux critiques suscitées par la pratique du « système des dépouilles » et par le renforcement des trusts, le Congrès républicain décide d'instituer progressivement un service civil, dont les membres seraient recrutés par concours (janvier 1883), et d'interdire aux trusts d'entraver le commerce entre États (Anti-Trust Act du sénateur Sherman, juillet 1890).
Le parti démocrate, compromis par la défaite des sudistes (1865), puis par le scandale de Tammany Hall, découvert en 1871 (corruption, trafic d'influence, etc.), est, en outre, trop divisé pour s'emparer du pouvoir. À moins que des circonstances exceptionnelles ne permettent de grouper sur son candidat à la présidence les voix des riches planteurs sudistes et esclavagistes, celles des ouvriers et des syndicalistes du Nord, mécontents de leurs bas salaires ou du chômage, et celles des fermiers de l'Ouest ; ceux-ci, conscients d'ailleurs du fossé qui les sépare normalement des démocrates, constituent, par alliance du mouvement des Grangers avec les Knight

 
 
 
 

ESCLAVAGE -

 

 

 

 

 

esclavage



Cet article fait partie du dossier consacré aux grandes découvertes.
État, condition d'esclave.


Introduction

L'esclavage est une institution sociale qui fait de certains êtres humains des marchandises, ou, comme le dit Aristote, « une sorte de propriété animée ». Le propriétaire possède son esclave comme un bien ou une chose, et peut exiger de lui travail et autres services sans aucune restriction. Il peut lui refuser la liberté d'agir et de se déplacer. Il a le droit de séparer les membres d'une même famille et de refuser un mariage. L'esclavage est donc un rapport de domination fondé sur la menace et la violence.
L'esclavage a existé aussi bien en Asie dans les tribus nomades de pasteurs, en Amérique du Nord dans les sociétés d'Indiens chasseurs, en Scandinavie chez les marins, que dans des sociétés sédentaires fondées sur l'agriculture. Dans ce dernier cas, les esclaves sont considérés comme une force de production irremplaçable. De telles sociétés, notamment l'Empire romain et le vieux Sud des États-Unis, sont quelquefois désignées sous le nom de sociétés d'« esclavage commercial », par opposition aux « sociétés d'esclavage personnel », où les esclaves sont principalement utilisés à des fins domestiques, notamment comme serviteurs ou concubines ; ce dernier type d'esclavage a été fortement implanté dans les pays du Moyen-Orient, en Afrique et en Chine. Cependant, les deux formes coexistent, et dans l'Empire romain comme aux États-Unis, les esclaves étaient contraints de se soumettre aux exigences sexuelles de leurs maîtres, ainsi que le montrent aussi bien le Satiricon de Pétrone que les innombrables cas de viols d'esclaves aux États-Unis.
L'économie de profit a beaucoup contribué à développer l'emploi de la force de travail servile. La canne à sucre porte la lourde réputation d'avoir été génératrice d'esclavage, en Iraq dès le viie s., dans les îles de l'Atlantique et en Amérique à partir du xvie s. ; l'économie de plantation a provoqué les plus gros transferts de main-d'œuvre de toute l'histoire, au détriment des Noirs d'Afrique. Les mines, de l'argent du Laurion, exploité par Athènes au ve s. avant J.-C., à l'or des Achantis du Ghana au xviiie s., ont aussi utilisé de grandes quantités d'esclaves.
L’esclavage depuis les premières civilisations

Les codes juridiques de Sumer prouvent que l'esclavage existait dès le IVe millénaire avant J.-C. Le symbole sumérien correspondant au terme « esclave », en écriture cunéiforme, signifie « étranger », ce qui indique une origine essentielle : les premiers esclaves étaient probablement des prisonniers de guerre. Mais dans l'Égypte antique apparaît un phénomène que l'on retrouvera jusque dans l'Europe chrétienne : des hommes se vendent comme esclaves ou vendent leur femme et leurs enfants afin de payer leurs dettes. En Mésopotamie, l'esclavage, attesté depuis le IVe millénaire, pèse sur le prisonnier de guerre, l'enfant vendu par son père et le pauvre qui se vend lui-même. Les prisonniers de guerre sont utilisés pour les grands travaux.
Le code d'Hammourabi, roi de Babylone au xviiie s. avant J.-C., comprend de nombreuses lois s'appliquant aux esclaves. Ceux-ci ont le droit de posséder des biens, de faire des affaires et d'épouser des femmes libres. La manumission –  affranchissement prononcé officiellement par le maître – est possible soit par l'achat de la liberté, soit par l'adoption. Néanmoins, l'esclave est toujours considéré comme un objet et une marchandise (sa valeur est celle d’un âne). Le code des Hittites, appliqué en Asie occidentale de 1800 à 1400 avant J.-C., reconnaît, lui, que l'esclave est un être humain, même s'il appartient à une classe inférieure.
Les esclaves forment dans l'Égypte pharaonique un corps peu nombreux (mineurs, mercenaires, interprètes, intendants de domaine), dont disposent le roi et sa famille, les temples et les grands personnages de l'État. Les Hébreux n’en sont pas moins asservis par les Égyptiens durant la seconde moitié du IIe millénaire avant J.-C. : dans la Bible, le livre de l'Exode relate que les Égyptiens maintiennent les Hébreux « en esclavage, les obligeant à manier la brique et le mortier ainsi qu'à rendre divers services dans les champs. Quels que soient les travaux effectués, ils les traitent avec dureté ». Cependant, nulle part dans l'Ancien Testament il n'apparaît de critiques ouvertement dirigées contre l'esclavagisme, les Hébreux adhérant eux-mêmes à ce système ; tout au plus, chez ces derniers, l'esclavage, situation provisoire, ne peut-il dépasser une période de sept ans. Dans la vallée de l'Indus, les premiers documents prouvant l'existence de l'esclavage coïncident avec l'invasion aryenne, vers 1500 avant J.-C. En Perse, le nombre d'esclaves augmente par reproduction naturelle et grâce aux conquêtes militaires : les victoires perses sur les îles de la mer Égée, Chio, Lesbos et Ténédos, ont pour conséquence l'asservissement de populations entières.
En Grèce

L'esclavage fait partie intégrante de l'histoire de la Grèce probablement dès 1200 avant J.-C. Les guerres, la piraterie (jusqu'à son éradication au ve s. avant J.-C.) et les tributs dus par les pays vaincus constituent pour les Grecs les principales sources d'esclaves. Les marchands d'esclaves se fournissaient essentiellement en Thrace, Carie et Phrygie. Les débiteurs insolvables pouvaient être vendus comme esclaves, le prix de la vente revenant au créancier ; c'est Solon qui interdit cette dernière pratique à Athènes.
Au ve s. avant J.-C. – mis à part les mineurs du Laurion, en Attique –, les esclaves, surtout ruraux, sont peu nombreux, même sur les plus grands domaines ; leur emploi reste lié à des cultures délicates, permanentes et de faible extension (vigne, cultures maraîchères) ; leur présence est contestée dans la Grèce centrale et, d'après Thucydide, les habitants du Péloponnèse auraient même été souvent seuls à leur travail. Mais, dès la fin du ve s. et surtout au ive s. avant J.-C., le nombre des esclaves augmente à un rythme rapide, et le travail servile l'emporte très vite sur le travail libre dans les mines, les travaux publics, la production industrielle et même la production agricole. On compte 10 000 esclaves ruraux dans l'Attique de la fin du ve s., soit un par paysan libre. Les esclaves urbains sont plus nombreux : les listes d'affranchissement du Pirée, entre 340 et 320 avant J.-C., en mentionnent 123 sur 135 affranchis, et les estimations faites pour la fin du ve s. évaluent entre 150 000 et 400 000 le nombre total des esclaves vivant en Attique.
Un esclave s'affranchit en achetant sa liberté, en la recevant en récompense de ses services, ou en legs après le décès de son maître. Le quasi légendaire Ésope, l'auteur des Fables, passe pour un esclave grec affranchi au vie s. avant J.-C. Extension géographique (Épire) et concentration des esclaves au profit des grands et aux dépens des petits propriétaires, trop pauvres pour en posséder, caractérisent l'époque hellénistique ; les affranchissements se multiplient, au point que Philippe de Macédoine les interdit, après Chéronée (338 avant J.-C.), pour des raisons de sécurité militaire. Cette concentration des esclaves explique les premières guerres serviles : vers 131 et vers 104-100 avant J.-C., au Laurion ; 130 avant J.-C., à Délos (le grand marché, dont on a prétendu qu'il s'y vendait 10 000 esclaves par jour au iie s.), d'où partent les esclaves vers l'Ouest, désormais grand acheteur.
À Rome

Les esclaves sont utilisés très tôt (loi des Douze Tables). Mais c'est seulement l'expansion romaine à partir du iiie s. avant J.-C. qui provoque leur afflux massif ; au fur et à mesure des conquêtes (les guerres puniques, la guerre des Gaules), soldats et peuples vaincus sont asservis : les conséquences en sont considérables. Sur le plan économique, la main-d'œuvre servile hâte la désagrégation de la petite propriété et son remplacement par de vastes domaines, notamment dans le Sud : dès le ier s. avant J.-C., des équipes entières travaillent dans d'immenses propriétés, dépourvues de tout contact avec leurs maîtres. Le pouvoir détenu par les maîtres est pratiquement illimité, et le traitement infligé aux esclaves réellement barbare. De telles conditions de vie, alliées à la supériorité numérique des esclaves sur les hommes libres, génèrent inévitablement des révoltes (136-132 et 104-100, en Sicile ; 73, soulèvement de Spartacus).
Au début de l'ère chrétienne, les esclaves sont cependant moins systématiquement maltraités ; ils vivent souvent mieux que les Romains libres réduits à la misère, et certains d'entre eux occupent même des situations importantes dans les affaires ou dans les bureaux du gouvernement impérial. Sur le plan culturel, enfin, les esclaves lettrés africains, asiatiques, grecs exerceront une influence durable. Les affranchissements, d'ailleurs, se multiplient, en partie grâce aux théories stoïciennes. Jérôme Carcopino estime à 400 000 le nombre des esclaves à Rome sous Trajan. L'arrêt des conquêtes freine leur afflux ; leur prix s'accroît. Sous le Bas-Empire, si les esclaves sont encore nombreux, d'autres catégories sociales leur sont préférées dans les campagnes, en Orient notamment : les colons.
Au Moyen Âge

En Occident : de l’esclavage au servage

On estime que l'Europe carolingienne comptait environ 20 % d'esclaves ; l'Église en possédait elle-même un grand nombre, à l'image du théologien Alcuin qui utilisait quelque vingt mille esclaves dans ses quatre abbayes. On parle de mancipia, servi et ancillae, mots latins qui désignent les esclaves de l'un ou l'autre sexe, dans les descriptions de biens appartenant aux grands domaines ruraux, et l'on distingue les tenures « ingénuiles », confiées à des hommes libres, des tenures serviles, confiées à des esclaves.
Dans l'Espagne wisigothique, au vie s., si l'affranchissement personnel des esclaves est recommandé, c'est à la condition qu'ils demeurent, par contrat, comme force de travail sur les biens qu'ils cultivent. Les esclaves ruraux se transforment ainsi progressivement en colons ou en métayers employés sur de grandes propriétés. Cependant, ce changement de statut est plus formel que réel : les métayers doivent perpétuellement de l'argent à leur propriétaire et restent attachés à la terre qu'ils travaillent afin de rembourser leurs dettes.
Sans doute l'Église ne condamne-t-elle pas l'esclavage, mais, en fait, l'organisation d'une société chrétienne, composée de frères, ne peut se concilier avec l'esclavage, que remplace donc peu à peu le servage, dépendance personnelle et héréditaire : cette forme s'intègre mieux au cadre de l'économie fermée et essentiellement rurale du haut Moyen Âge, qui ne permet plus les achats massifs d'esclaves. Dans ces conditions, le vieux mot latin servus finit par perdre son antique sens d'« esclave » pour désigner celui qui est lié à la terre ou à un seigneur par des obligations relativement limitées : le serf. C'est alors qu'apparaît, dans le latin médiéval (xe s.), le mot sclavus, qui donnera, au xiiie s., le terme esclave, et qui est une autre forme de slavus, rappelant que les populations slaves des Balkans fournissaient, au Moyen Âge, l'essentiel des masses serviles en Occident. On « importe » aussi des Angles, et Verdun est, jusqu'au xe s., l'« entrepôt » des Slaves destinés à l'Espagne.
L’esclavage en terre d’islam

Dans l'Empire byzantin, l'esclavage se poursuivra sans qu'on lui oppose de résistance : les esclaves sont souvent utilisés comme employés et travaillent également sur les domaines ecclésiastiques. Au Moyen-Orient, l'esclavage est déjà une institution ancrée dans les mœurs avant Mahomet (viie s.), et l'islam ne tente pas de mettre un terme à cette situation. Le Coran, pas plus que la Bible, ne condamne l'esclavage, même s'il milite en faveur d'un traitement humain. Aussi affranchir un esclave est-il jugé comme un acte digne d'éloges.
Toutefois, l'immensité de l'empire islamique et l'interdiction de réduire un musulman ou un « protégé de l'islam » en esclavage conduisent à importer de grandes quantités d'esclaves, nécessaires à l'armée ou à la production, à l'administration parfois, sans oublier la traite des Blanches pour fournir les harems. L'Europe occidentale fournit des Slaves ; d'Asie viennent des Turcs qui vont jouer un grand rôle dans l'histoire de l'islam. L'Afrique noire fournit chaque année des contingents de plusieurs milliers d'esclaves, qui transitent par les ports de la mer Rouge, ceux de l'océan Indien, et par le Sahara. L'une des plus importantes révoltes d'esclaves est celle qui, en Iraq, se déroula de 869 à 883, et qui mit fin à l'exploitation massive des Noirs dans le monde arabe. Les conflits entre chrétiens et musulmans en Méditerranée – de l'Espagne au Proche-Orient (Reconquista, croisades, guerres navales) – conduisent à l'asservissement de nombreux prisonniers de guerre; le plus souvent, il s'agit d'un excellent moyen d'obtenir leur rachat par l'adversaire.
Le monde musulman procure à son tour des esclaves à l'Espagne : à l'époque classique, les Noirs sont nombreux à Séville et à Lisbonne.
La traite des Noirs

Le Portugal à l’origine

La production de sucre au Levant espagnol et dans les îles de l'Atlantique, comme les Canaries, commence à concurrencer, au xve s., celle de Venise à Chypre, que complètent des importations en provenance du monde musulman. Le sucre devient ainsi un produit de plus large consommation : les Portugais développent sa production à l'aide de capitaux, dont une partie vient de l'Europe du Nord, marché de plus en plus important. La demande d'esclaves africains commence, dès le milieu du xve s., le long des côtes atlantiques qu'explorent les Portugais. La première vente d'esclaves africains en Occident date de 1444 et se déroule au Portugal, à Lagos. Les Portugais organisent autour de l'île de São Tomé et du comptoir de Saint-Georges-de-la-Mine un fructueux trafic ; les esclaves sont vendus aussi bien à des souverains africains, qui les emploient dans les mines ou les plantations, qu'à des Européens qui les transportent vers la péninsule Ibérique. En 1472, les Cortes de Lisbonne demandent à la Couronne de réserver ces importations aux besoins des plantations portugaises.
Les exigences de la conquête

La demande de main-d'œuvre est considérablement accélérée à la suite de la conquête des Amériques par les Espagnols et les Portugais. Dans un premier temps, la conquête coloniale se traduit par le quasi-asservissement de populations entières d'indigènes, au Pérou et en Amérique centrale. Au début du xvie s., Hernán Cortés fait allusion au grand nombre d'esclaves indigènes rassemblés et vendus dans la capitale du Mexique. Cependant, l'encomienda et le repartimiento, systèmes de travail forcé institués par les conquistadores, se révèlent peu satisfaisants. Les Espagnols découvrent bientôt que, à cause de leur vulnérabilité aux maladies européennes, les Indiens ne constituent pas une main-d'œuvre idéale. D'autre part, comme ils vivent dans leur propre pays, révoltes et fuites s'en trouvent facilitées. Les Indiens tentent ainsi, au début, de s'opposer par la force à ceux qui entreprennent de les priver de leur liberté. Mais lorsque, domptés, ils subissent d'énormes pertes dans les mines d'or et d'argent, une partie de l'opinion européenne s'émeut, notamment parmi le clergé régulier. Ainsi, les réformes humanitaires prônées par le dominicain Las Casas finiront par alléger les souffrances des Indiens. Mais les esclavagistes, après avoir réduit la population amérindienne dans une proportion sans aucun doute considérable, même si le chiffre est controversé, se tournent vers l'Afrique. Las Casas lui-même prône la traite des Noirs afin de sauver les indigènes d'Amérique, ce qui montre la complexité des enjeux.
L'une des plus importantes migrations humaines qui aient existé commence alors. Aux razzias des dynastes locaux, en accord avec les négriers arabes, s'ajoutent, en Afrique, celles des marchands européens : les établissements portugais de la côte occidentale d'Afrique (Madère, Açores, cap Vert, Guinée, Luanda, Benguela) et de la côte orientale (Delagoa, Sofala, Mozambique) constituent les premiers centres d'« exportation », en particulier en direction de l'Amérique. Les Portugais et les Espagnols se réservent, dans un premier temps, le monopole d'État du trafic entre côtes africaines et américaines, le premier asiento (contrat avec une compagnie) datant de 1528. Mais ils sont vite concurrencés par les Hollandais, les Français et les Anglais qui, à leur tour, recherchent à la fois la main-d'œuvre pour leurs plantations et les profits du trafic esclavagiste transatlantique. De 1 à 3 millions d'esclaves sont transportés en Amérique dès cette époque.


Le commerce triangulaire

C'est au xviiie s. que le « commerce triangulaire » connaît son apogée : les navires quittent les ports négriers – en France, ce sont Nantes, surtout, ainsi que Bordeaux, La Rochelle et Le Havre – à destination de l'Afrique, chargés de présents sans grande valeur mais aussi de fusils qui seront échangés contre les esclaves ; ils prennent livraison de leur marchandise humaine dans des comptoirs comme celui de l'île de Gorée, au large de Dakar, puis font voile vers la Guyane, les Antilles et l'Amérique du Nord où ils vendent ceux des esclaves qui ont survécu à la traversée; enfin, ils reviennent vers l'Europe chargés de marchandises diverses (coton, tabac, café…). Le trafic triangulaire est d'un énorme rapport, et la concurrence très forte. Les négriers sont les véritables maîtres de ce trafic : ils tiennent à leur merci aussi bien les Africains que les planteurs, qui réclament une main-d'œuvre toujours renouvelée. Interdit en Europe à la suite du congrès de Vienne (1815), le trafic se poursuivit cependant jusqu'au milieu du xixe s.
« Déportation sans retour »


En Afrique même, la demande d'esclaves ne crée pas de toutes pièces, dans une société idéalement égalitaire, les conditions de la dépendance : il existe, dans la plupart des sociétés africaines, comme dans les sociétés antiques, des dépendants, réduits à travailler au service des autres, pour de multiples raisons. Le fait nouveau réside dans la « déportation sans retour » au-delà de l'Océan. La demande désorganise les sociétés africaines, même si certaines trouvent dans cette déportation une solution aux problèmes que posent les asociaux. La complicité de certains royaumes côtiers facilite, en outre, la collecte des esclaves. L'évaluation de l'impact de la traite sur l'histoire future de l'Afrique varie en fonction des approches ; cependant, l'on peut estimer que le trafic a durablement désorganisé le continent, jusque dans les régions les plus centrales, notamment par la peur qu'il engendrait. De plus, face au trafic négrier, les seuls appuis pour un individu face à une razzia se trouvaient parmi les membres de sa propre ethnie ; l'exaltation des liens ethniques que connaît encore aujourd'hui l'Afrique serait ainsi une conséquence directe de la traite. Enfin, l'extension de l'emploi des esclaves dans le sud des actuels États-Unis pour la culture du coton va créer, dans ce pays, une situation de conflit qui deviendra l'un des plus grands problèmes sociaux et politiques du monde moderne.
L'énormité des profits réalisés dans les plantations conduit à l'augmentation constante de la demande d'esclaves noirs ; pour le seul xviiie s., leur nombre est estimé à près de 6 millions. Les historiens hésitent sur le chiffre global ; du xvie au xixe s., certains parlent de 8 à 10 millions, d'autres de 15 à 20 millions. Pour tâcher d'estimer le nombre de Noirs ainsi déportés, l'on ne dispose en effet que de chiffres partiels ou de séries limitées dans le temps. L'on sait, par exemple, que 103 135 esclaves ont été convoyés par des navires nantais entre 1763 et 1775. L'une des sources qui permettent d'évaluer l'intensité du trafic est constituée par les archives de la compagnie d'assurances maritimes britannique, la Lloyd's. Celle-ci enregistra pas moins de 1 053 navires coulés en face de l'Afrique entre 1689 et 1803, dont 17 % pour faits de révolte, pillage ou insurrection.
En effet, en Afrique même, les révoltes liées à l'esclavage furent très importantes ; elles furent le fait à la fois des populations de la côte et de celles de l'intérieur. Car si certains potentats africains se sont livrés à la traite de concert avec les Européens ou les Arabes, la population s'y opposa souvent violemment. Mais si l'on sait que des navires négriers ont été attaqués à proximité des côtes par les Africains, les documents sont quasi inexistants pour mesurer précisément l'ampleur des révoltes sur l'ensemble du continent.


Des conditions de vie inhumaines


À bord des navires négriers, les conditions sont effroyables : on entasse un maximum d'esclaves dans la coque du navire et on les garde enchaînés afin de prévenir tout risque de révolte ou de suicide par noyade. La nourriture, l'aération, la lumière et le système sanitaire suffisent à peine à les maintenir en vie. Si la traversée dure plus longtemps que prévu, l'eau manque plus encore que les vivres, et les épidémies se déclarent. Les observations médicales réalisées aux xviie et xviiie s. à propos de ces traversées montrent le nombre de maux qui s'abattent, d'abord sur les esclaves, parfois sur l'équipage ; les pertes sont énormes : sur les 70 000 esclaves embarqués par la Real Compañía Africana espagnole entre 1680 et 1688, 46 000 seulement survécurent à la traversée.
Le travail auquel les esclaves sont soumis est accablant dans les plantations de canne à sucre du Nordeste brésilien et des Antilles, ou de coton du sud des États-Unis. L'arbitraire de leurs maîtres aggrave leur situation, et les fuyards sont nombreux (esclaves « marrons » des Antilles). Aussi Colbert, par une ordonnance dite « Code noir » (1685), précise-t-il la condition civile des esclaves noirs selon le droit romain, mais en leur déniant toute personnalité politique et juridique, car l'esclave est un meuble qui peut être acheté, vendu, échangé ; il est également un incapable, ne pouvant ni témoigner en justice, ni ester, ni posséder ; enfin, si la responsabilité civile lui est déniée, sa responsabilité criminelle reste entière. En revanche, reconnaissant dans les esclaves des êtres de Dieu, pour lesquels il prévoit d'ailleurs des affranchissements dans des cas limités, Colbert autorise les intendants à les protéger contre l'arbitraire des propriétaires.
L’abolition de l’esclavage

L’exemple d’Haïti

La première source d'opposition à l'esclavage vient des esclaves eux-mêmes. Ce sont leurs révoltes qui ont conduit certains de leurs propriétaires à remettre en cause un système qui leur causait trop de problèmes par rapport aux avantages économiques qu'ils pouvaient en retirer. La révolte des esclaves de Haïti, qui commence en 1791 et que les Blancs ne parvinrent pas à mater, est décisive : c'est d'abord elle qui entraîne la suppression de l'esclavage dans l'île le 29 août 1793, suppression proclamée par Sonthonax, membre de la Société des amis des Noirs, et Polverel, commissaires de la République munis de pouvoirs extraordinaires.
Cependant, cette abolition est aussi le fruit des circonstances : les troupes républicaines non seulement avaient été incapables de ramener l'ordre, mais, de plus, avaient besoin de soldats supplémentaires pour espérer repousser les Espagnols, installés à l'est de l'île, et les Britanniques, qui menaçaient de débarquer. Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la mesure des deux commissaires est ratifiée par la Convention, qui l'étend à toutes les colonies françaises ; cependant, dès 1799, la traite reprend en secret au Sénégal sous des formes déguisées – le commandant français du Sénégal est alors chargé de recruter des Noirs… consentants –, puis l'esclavage est rétabli en 1802 par le Premier consul, Bonaparte, sous la pression des commerçants français du sucre. La révolte des Noirs qui s'ensuivit, notamment aux Antilles, conduira à l'indépendance de Haïti le 1er janvier 1804.


L’Angleterre en premiere ligne

Les excès des esclavagistes provoquent également, à la fin du xviiie s., une réaction abolitionniste. Renouant avec la critique formulée par Montaigne, les auteurs français Montesquieu, Voltaire, Raynal, Marivaux, Bernardin de Saint-Pierre s'en prennent au principe même de l'esclavage. Sur le plan économique, Adam Smith fait valoir le faible rendement du travail servile (la Richesse des nations, 1776) ; plus tard, Rossi montrera (Cours d'économie politique, 1839-1841) l'obstacle que l'esclavage oppose au développement technique et économique.
La suppression de l'esclavage est réalisée en deux étapes : interdiction de la traite (1807 par l'Angleterre ; 29 mars 1815 par la France), puis émancipation des esclaves (1833 par l'Angleterre ; 1848 par la France, une nouvelle fois, sur l'initiative de Victor Schoelcher, qui se rend aux Antilles pour proclamer l'abolition décidée par le décret du 4 mars 1848). Dans les deux cas, une indemnité a été prévue, et l'Angleterre a donné l'exemple, sous l'impulsion des sectes religieuses et des hommes politiques (tels William Pitt, Castlereagh, Canning) ; le rôle de Wilberforce et de la Société antiesclavagiste a été décisif.
Championne du mouvement abolitionniste, l'Angleterre veut, pour des raisons à la fois humanitaires et économiques (concurrence de main-d'œuvre), obtenir la suppression générale de l'esclavage dans le monde. Aussi Castlereagh fait-il condamner la traite par les congrès de Vienne (8 février 1815), d'Aix-la-Chapelle (1818) et de Vérone (1822). Malgré l'opposition des pays esclavagistes, des clauses de renonciation à la traite sont prévues dans les conventions et les traités signés avec la France (1831, 1833, 1841, 1845), l'Espagne (1835), le Portugal (1839), le Brésil (1850), clauses sanctionnées par un droit de visite réciproque, que la France refuse de ratifier en raison de l'énorme supériorité de la flotte britannique. Cependant, entre 1817 et 1830, malgré l'interdiction, on enregistre 305 voyages négriers au départ de Nantes – la dernière expédition française partira du Havre en 1847.
L'Empire ottoman, pour sa part, avait interdit la traite dans le golfe Persique et fermé les marchés publics d'esclaves d'Istanbul en 1847. Les pays d'Amérique du Sud abolissent l'esclavage à leur indépendance, mais, dans ces régions, le système du péonage succède bientôt à l'esclavage. En 1840, le Portugal et l'Espagne aboliront officiellement le trafic des esclaves, mais les vaisseaux négriers portugais continueront à traverser l'Atlantique durant tout le xixe s.
États-Unis : un long combat

Dans les colonies nord-américaines, les premiers signes d'opposition à l'esclavage émanent des quakers, qui se prononcent contre l'asservissement en 1724. Bien que le marché aux esclaves soit un spectacle courant, bon nombre de colons considèrent cette forme d'exploitation de l'homme comme un phénomène injustifiable. Les États vont ainsi abolir progressivement l'esclavage. Rhode Island est ainsi le premier État abolitionniste (1774). Mais la Constitution fédérale, ratifiée en 1788, prévoit la continuation du système esclavagiste pendant vingt années supplémentaires. Alors que le décret de 1787 interdit l'esclavage dans les États du Nord-Ouest, le bénéfice éventuel de cette action va s'effacer devant la généralisation de l'égreneuse de coton, inventée en 1793 par Eli Whitney ; en effet, l'utilisation de cette machine accéléra tellement la commercialisation du coton que les besoins en esclaves augmentèrent. Le sentiment antiesclavagiste s'intensifie, en 1831, avec la publication du journal abolitionniste The Liberator ; cette même année voit aussi la révolte d'esclaves menée par Nat Turner, qui s'inscrit dans une vague de révoltes commencée en 1829 à Cincinnati et qui se prolonge jusque dans les années 1840. En 1833, une société antiesclavagiste est créée à Philadelphie. Dès 1840, les esclaves s'échappent vers les États du Nord pour y gagner la liberté.
La publication du livre de Harriet Beecher-Stowe, la Case de l'oncle Tom (1852), élargit l'audience du mouvement abolitionniste ; finalement, au terme de la guerre de Sécession, les États-Unis, après le Danemark et les Pays-Bas (1860), libèrent leurs esclaves en adoptant le 13ème amendement de la Constitution (31 janvier 1865). La voie est ouverte aux condamnations internationales du système et des idéologies qui l'acceptent : acte de Berlin (26 février 1885) ; conférence coloniale de Bruxelles (acte antiesclavagiste du 2 juillet 1890) ; articles 21 à 23 et 42 à 61 du pacte de la SDN ; article 11 de la convention de Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919) ; convention de Genève sur l'esclavage (25 septembre 1926) ; article 4 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de l'ONU (10 décembre 1948).
L'esclavage a persisté après la Seconde Guerre mondiale sur les rives de la mer Rouge. Il a été aboli officiellement par l'Arabie saoudite en 1962. En Afrique, en Mauritanie, il n’a été aboli qu’en 1981. Sur ce continent, le trafic des enfants, en particulier, s'est poursuivi longtemps au-delà de la date d'interdiction officielle. Dans un rapport de 1992, l'Organisation internationale du travail (OIT) révèle que l'esclavage n'a pas disparu de Mauritanie, pas plus que du Soudan où des rapts d'enfants vendus ensuite comme esclaves ont été signalés en 1993.
Survivance de l’esclavage : le travail forcé

On a récemment défini la notion d’« esclavage moderne », qui s’applique à la condition de personnes qui accomplissent un travail forcé au service d’un employeur agissant ainsi en toute illégalité. En effet, le travail forcé subsiste dans nombre de régions; il s'agit essentiellement d'esclavage pour dettes – Asie du Sud-Est, Amérique latine… – et d'exploitation de femmes et d'enfants pour la prostitution. Ainsi, en 1999, l'Organisation internationale du travail (OIT) a condamné la Birmanie pour son recours systématique au travail forcé – plus de 500 000 personnes seraient concernées.
En Inde, l'esclavage pour dettes est toujours présent dans l'agriculture, les métiers du bâtiment, ou encore la production de tapis ou de poteries ; le travail des enfants est utilisé dans la fabrication de perles de verre, le tissage des tapis ou encore la confection de feuilles d'or ou d'argent. Au Pakistan, l'esclavage pour dettes se rencontre dans les secteurs de la briqueterie, de la cordonnerie, du tissage, dans l'agriculture ou dans la fabrication de bidis (cigarettes d'eucalyptus). Les dettes revêtant parfois un caractère héréditaire, l'institution du servage pour dettes s'assimile à une forme réelle d'esclavage.
Ce n'est pas forcément le cas de la prostitution, bien que la question soit de plus en plus actuelle. En Thaïlande, aux Philippines, certains adolescents des deux sexes se prostituent contre leur gré. Le phénomène a pris une telle ampleur que certaines organisations parlent, à propos de la vente par leurs parents ou du rapt puis de la prostitution d'enfants birmans en Thaïlande, de politique délibérée de destruction de certaines ethnies de Birmanie. La prostitution des enfants n'épargne pas les pays occidentaux, comme l'ont montré plusieurs affaires, tant en Belgique qu'en France, à la fin des années 1990.
Enfin, dans certaines régions d'Afrique et du Moyen-Orient, des formes d'esclavage subsistent ; la Société internationale antiesclavagiste de Londres estime que la servitude financière, le servage sous couvert de contrats de travail, les fausses adoptions et l'asservissement imposé aux femmes mariées sont encore responsables de l'assujettissement de plusieurs millions d'êtres humains. Il existe aussi des personnes vivant dans la misère qui se vendent ou qui vendent leurs enfants comme esclaves. En Arabie Saoudite, le gouvernement estimait, en 1962, que le pays comptait encore quelque 250 000 esclaves.
Dans l'Empire français, le travail forcé n'a été aboli qu'en 1946, sur les instances, entre autres, de Félix Houphouët-Boigny et de Léopold Sédar Senghor, alors députés à l'Assemblée nationale ; les travailleurs africains réquisitionnés de force étaient notamment employés à des constructions d'infrastructures comme des voies de chemin de fer.

 

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